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CYCLE DU « CINQUANTENAIRE DES INDEPENDANCES » : LE PERE ABBE ANDRE OUEDRAOGO DU MONASTERE DE KOUBRI TEMOIGNE

Publié le mardi 19 octobre 2010 à 22h47min

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Abbé André OUEDRAOGO

Véritable institution dans le paysage religieux de notre pays, le monastère bénédictin Saint Benoît de Koubri a marqué les esprits par les énormes innovations et réalisations. Cette congrégation qui a été créée dans les années 1963 à la demande du Cardinal Paul Zougrana qui avait voulu donner une dimension profonde de la foi, celle de la prière, continue aujourd’hui la prière et le travail. Nous sommes allés rencontrer le Père Abbé André Ouédraogo, Supérieur de cette congrégation pour qu’il nous parle de la vie monastique et de la période des indépendances. C’est un entretien riche d’enseignements que nous avons ramené.

San Finna : Père abbé André Ouédraogo, quel est le travail des moines ?
Père abbé André Ouédraogo (PAAO) : Le travail des moines, c’est le travail, mais il y a un premier travail qui est la prière et la devise de Saint Benoît, c’est la prière et le travail. Ce n’est pas travailler et prier, mais c’est la prière d’abord. Dès le lever du
jour, les moines se tournent toujours vers Dieu. C’est la prière qui doit soutenir toute la vie du moine. On prie sept (7) fois par jour. Pour le travail, si on remonte dans l’histoire, ce sont les moines qui ont tout apporté, le savoir, l’agriculture, les livres, etc. Et là où passent les moines, ils ont toujours laissé des traces. Mais ici les plus importantes réalisations restent la ferme et les barrages. Il y a aussi les réalisations sociales qui sont le plus souvent rétrocédées au gouvernement. Revenons sur le sujet de la ferme. C’est mon prédécesseur le père Aimé Guessier qui a eu cette idée géniale. Au début, personne

ne croyait à son œuvre. Même nous, je veux parler des Africains, on était sceptiques et quand il a voulu même introduire l’insémination artificielle, nous avons protesté en prétextant que cela n’était pas naturel. Il fallait plutôt laisser la nature réaliser son œuvre. Il nous avait donc convaincu que si nous voulions avoir une Ferme performante avec beaucoup de vaches qui donnent beaucoup de lait, il fallait passer par là. La ferme a vu le jour autour des années 1971-1972 et on a eu plusieurs étapes. D’abord, nous avons commencé avec des races locales, des azawaks, ensuite nous avons introduit d’autres races qui se sont déjà acclimatées au Togo et petit à petit d’autres ; nous avons pu introduire plusieurs variétés par l’insémination artificielle. Actuellement, la ferme compte plusieurs races. Grâce à notre expérience, d’autres sont venus y faire école et aujourd’hui il y a beaucoup de fermes qui se sont créées en grand nombre dans notre pays et au-delà de nos frontières.

San Finna : Qu’est-ce qui a guidé au choix de ce site à Koubri ?

PAAO : Deux choses ont guidé le choix de ce site. D’abord, nous étions dans un milieu chrétien où les populations avaient reçu de solides bases dans l’enseignement chrétien. Les pères Blancs formaient les chrétiens autour du catéchiste. Deuxièmement, ce site a été choisi à cause de son hostilité. Il y avait des animaux sauvages comme les lions. Aussi la rumeur populaire parlait de la présence de lutins et de génies. Même dans l’histoire, les moines ont toujours choisi des endroits reculés et redoutés par les populations. Le rôle des moines est de transformer l’environnement par la foi. Et depuis l’arrivée des moines sur ce site, la région a été transformée sur tous les plans : implantation chrétienne, économique et sociale.

Sur le plan du développement, les moines fondateurs ont été très sensibles à la pauvreté de la région. Quant ils sont arrivés, ils se sont attelés à travailler pour le développement de la région, d’où la construction d’un premier barrage qui a été réalisé dans les années 1962 sous le premier Président Maurice Yaméogo. Après la construction, ils ont aménagé une plaine avec des canalisations pour que les villageois puissent s’adonner à des cultures de contre-saison. Aujourd’hui, les paysans arrivent à faire deux récoltes de riz par an. A la suite du premier barrage dont l’engouement ne s’est pas démenti, nous avons construit plus de 120 barrages. Grâce à ces points d’eau, Koubri est devenu un grand grenier puisqu’il y a beaucoup de fermes, de champs, de jardins et de vergers.

San Finna : Quels ont été alors vos rapports avec les dirigeants de l’époque qui venaient tout juste de construire notre pays à l’indépendance ?

PAAO : Au début des indépendances, le monde politique a été très sensible à notre travail et cela nous avait même facilité la construction du barrage. Nous n’avons pas eu des problèmes. C’est par la suite que certains nombres de problèmes se sont posés. Quand on a voulu structurer le monde rural, certains encadreurs des ORD ont voulu nous créer des problèmes. Ils voulaient inciter les populations à reprendre les terres et à l’époque, le Cardinal Paul Zougrana avait dépêché monseigneur Jean Marie Compaoré qui était son vicaire général au moment des faits. Il est venu et avec les anciens, nous avons pu résoudre le différend. Le travail que nous avions fait sur le terrain parlait pour nous, et les anciens ont dû rappeler cela aux jeunes et aux encadreurs des ORD.

San Finna : Quel souvenir gardez-vous des indépendances, même si vous êtes presque reclus au monastère ?

PAAO : Je me demande si nous les Voltaïques, nous comprenions vraiment à l’époque, ce que c’était que prendre notre indépendances. Peut-être, beaucoup pensaient qu’être indépendant, c’était faire ce que l’on voulait. L’indépendance à mon sens, c’est devenir adulte, savoir ce que nous voulons, mener de profondes réflexions et essayer de voir comment faire pour aller de l’avant au niveau du développement. En ce qui concerne la structure, nous n’avions rien à envier à l’Europe. Si on prend le royaume Mossi, il était très bien structuré, mais il fallait peut-être profiter de telles structures ou se poser des questions sur comment elles pouvaient aider au développement, ou le social etc. Je crois qu’au début, on n’a pas compris mais je me dis que ce n’est pas trop tard. Au bout de 50 ans, il faut faire une évaluation pour voir s’il y a eu des acquis et sinon, comment faire pour que nous en gagnions.

San Finna : A vous écouter, on se perd un peu ! Alors quelles définitions donneriez-vous à l’indépendance ?

PAAO : J’irai sur la base de ce que je connais, sur ce qui se pratique chez nous les moines afin que vous puissiez suivre mon raisonnement. Quand un monastère veut prendre son indépendance ou son autonomie, c’est qu’on a jugé que celui-ci a tout ce qu’il faut pour y accéder. Pour cela, il faut d’abord un certain nombre de moines ensuite, que la communauté puisse être autonome et ne pas dépendre de l’extérieur, enfin que celle-ci soit capable de recevoir des vocations et de les former sur place, parce qu’un moine se forme dans sa communauté. Et maintenant, la pièce maîtresse, serait de pouvoir mener une vie monastique qui témoigne que vous êtes des gens de prière et de Dieu.

San Finna : Le 11 décembre prochain, nous allons fêter les 50 ans d’accession de notre pays à sa souveraineté nationale. Quel est votre regard ?

PAAO : Avec un peu de recul, nous allons fêter nos cinquante ans d’indépendance. Mais je commence d’abord par remercier le Seigneur de nous avoir permis de faire l’expérience de notre indépendance. A travers cette expérience, nous avons compris ce que c’est qu’être indépendant. Nous n’avons pas une indépendance totale, on dépend toujours de l’extérieur parce qu’à l’heure actuelle personne n’est indépendant. Même les pays développés se retrouvent autour de certaines unions comme l’Europe, l’ASAN et plus près de nous, l’Afrique. Nous avons besoin des uns et des autres, c’est pour cela qu’on parle de l’Union Africaine. Il faut que nous sachions ce que nous voulons, c’est ça être indépendant parce que si nous ne savions pas ce que nous voulons, ce sont les autres qui viendront nous dicter leur loi. Il faut pouvoir maîtriser de l’intérieur ses besoins et travailler à les satisfaire.

San Finna : Mais les troubles qui ont émaillé aussi l’histoire de notre pays n’ont- ils pas contribué à retarder ce développement ?

PAAO : Une lecture depuis Maurice Yaméogo jusqu’à cette date, me fera dire que les premières années de notre indépendance avait été saisies par l’enthousiasme. C’est comme si on arrivait d’un long voyage où l’on s’exclame : Ouf ! Mais c’était un ouf qui demandait beaucoup de réflexion. On est indépendant, mais qu’est-ce que cela voulait dire ? A-t-on eu des cadres de réflexion ? Avons-nous pensé à poser des bases pour une bonne indépendance pour aller de l’avant ? Et il y a eu le soulèvement populaire parce qu’il a eu grain de sable qui s’est glissé dans la machine. Je crois que quand il y a des problèmes comme ça, il faut prendre le temps de savoir et de se parler aussi ; savoir ce qui n’a pas marché et se poser les bonnes questions sur ce qui s’est passé. S’il y a eu un soulèvement, c’est qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas.

Et l’erreur, c’est que nous nous sommes laissé emporter par le mouvement populaire, il n’y a pas eu de gens pour attirer suffisamment l’attention des autres. On a raté l’opportunité du soulèvement populaire qui devait être un tremplin pour un nouveau départ. On aurait dû créer une structure de Sages qui allait réfléchir et qui allait conduire le pays vers une transition avec des bases solides. Ensuite, il y a eu des coups d’Etat, mais après est-ce qu’on réfléchit ? Il n’y a pas de fumée sans feu. Et puis la révolution est venue encore tout bouleverser. Tous ces troubles-là pour moi étaient très importants. La révolution était le sommet d’un malaise qui perdurait. C’était le ras-le-bol. Mais on n’a pas su saisir aussi cette révolution. Je dirais que ce n’est pas une révolution mais une révolte. Une bonne révolution est une prise de conscience.

On a dérapé, on a fait une fausse route et là on s’assoit et on réfléchit sur la suite à donner à la bonne marche du pays. Ce qui a manqué à ce pays, c’est qu’à chaque étape importante, à chaque évènement, on ne s’assoit pas pour réfléchir et trouver les voies et moyens pour la bonne marche de notre pays. Ce n’est pas trop tard, mais je pense qu’il faut faire aujourd’hui un profond diagnostic depuis les premières années de l’indépendance à nos jours. Il y a des gens qui ont réussi, nous regorgeons de cadres compétents qui peuvent ouvrir notre pays et le mettre sur la voie du développement. Il faut de la passion mais dans la sérénité et dans la paix. Il faut faire la politique dans le sens de la défense du bien commun.

Djimité Aristide Ouédraogo

San Finna

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