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Dr Ismaël Thiam, chargé de la nutrition et des maladies non transmissibles à l’OOAS : « On ne peut pas créer des richesses naturelles durables sur un lit de morbidité »

Publié le jeudi 14 octobre 2010 à 03h56min

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L’Organisation ouest africaine de la santé (OOAS) a tenu du 20 au 24 septembre 2010 à Grand-Bassam, en terre ivoirienne, son 12e forum consacré à la problématique de financement et la planification des programmes de nutrition. Un thème plein d’enjeu et d’intérêt pour les pays membres de la CEDEAO en quête de l’autosuffisance alimentaire, dans un contexte de rareté des ressources. A travers l’entretien qui suit, le Dr Ismaël Thiam, spécialiste des questions de nutrition et des maladies non transmissibles, nous éclaire sur les contours de cette rencontre et surtout ses retombées pour ces pays.

Sidwaya (S.) : Qu’est-ce que le douzième forum de nutrition de la CEDEAO a apporté de nouveau pour la résolution des problèmes de nutrition dans l’espace CEDEAO ?

Dr Ismaël Thiam (I.T.) : Il serait ambitieux de parler de solutions à ce stade, mais dans les perspectives, elles sont envisageables. Comme vous le savez, notre sous-région fait face à une situation de crise alimentaire dans une bonne partie des pays, une crise financière liée à la globalisation, qui a aussi des conséquences sur les ressources disponibles pour les ménages pour combler les dépenses liées à l’alimentation et à la santé.

Le thème du 12e forum, organisé avec l’assistance de l’UNICEF, s’est focalisé sur une réflexion approfondie, concernant la mise en œuvre efficiente de programmes multisectoriels pour l’alimentation et la nutrition. Je voudrais rappeler que certains constats d’actualité relèvent de l’évidence, en ce sens qu’on ne peut créer des richesses nationales durables sur un lit de morbidité et de mortalité et malgré les efforts réalisés dans certains pays, il reste beaucoup à faire.

Ce forum nous a permis d’abord, de mieux comprendre la nécessité de l’approche multisectorielle, notamment entre l’agriculture et la santé élargie à l’alimentation et à la nutrition. Ensuite, il a permis de partager les outils existants devant nous permettre de mieux conceptualiser, planifier, budgétiser, mettre en œuvre et faire le suivi évaluation des programmes et à mettre en œuvre deux actions prioritaires avant le prochain forum. L’engagement a été fait aussi par les partenaires, pour soutenir les pays dans la mise en œuvre.

S. : La question de la nutrition a toujours été au centre des préoccupations des Etats membres de la CEDEAO depuis les années 1970. A l’inverse, la situation ne semble pas s’améliorer. Comment expliquez-vous cela ?

I.T. : Il faut d’emblée savoir que la résolution des problèmes de sous alimentation relève d’orientations politiques de développement, notamment macro et micro-économiques. Quand 70% des ménages de nos pays qui contribuent pour environ 60% de nos PIB, ne bénéficient pas d’investissements dans le secteur agricole, on mettra du temps pour inverser la tendance. Ce qui est le cas aujourd’hui aussi bien pour de faibles taux de croissance économique et la faible part du secteur agricole en termes de taux de croissance annuelle entre autres.

Par ailleurs, avec la transition épidémiologique, la sous-nutrition contraste maintenant avec la surnutrition, c’est-à-dire maladies en rapport avec une mauvaise hygiène de vie et une mauvaise alimentation, qui sont dans bien des cas, liées à une paupérisation grandissante, qui ne facilite ni l’accessibilité financière ni physique à des aliments de qualité encore moins, à des aliments ayant des valeurs nutritives qui peuvent assurer une croissance et un développement harmonieux de l’étape de la procréation à l’âge de 2 ans et plus tard.

Il en est de même des maigres budgets alloués à la santé, car la malnutrition sous ses différentes formes (protéino énergétique et carences en vitamines et minéraux), est aussi une des conséquences de nombreux décès chez les moins de 5 ans (diarrhée, pneumonie, paludisme, affection néo natales…), et aussi chez les femmes enceintes (notamment l’anémie).

Vous avez parlé des années 70, quelques années après le choc pétrolier de 73 et la mise en œuvre des plans d’ajustement structurels, dont certains secteurs souffrent encore. Je voudrais rappeler que même la fameuse famine survenue en Ethiopie avait pour cause fondamentale un problème d’accès aux aliments qu’à des problèmes de disponibilité. Il ne sert à rien d’injecter des sommes importantes d’argent pour éteindre un feu qui a l’éternité en mains, si on ne prend pas en compte les attentes des bénéficiaires, le contexte socio politique, comme disait Keynes « au long terme on sera tous morts » .

Pour répondre ainsi à votre question, je dirais que : le droit à l’alimentation, la souveraineté alimentaire, le soutien à l’agriculture familiale, mais aussi une distribution et une réallocation plus équitable des ressources nationales vers des besoins fondamentaux, ciblant ceux qui en ont le plus besoin, me semblent de bons axes de réflexion. De manière concrète, les programmes de nutrition et d’alimentation, doivent cesser d’être de petites divisions dans le secteur de la santé. Ces programmes (…) devraient avoir un ancrage institutionnel approprié, devant faciliter la collaboration multisectorielle, notamment en prenant en compte la question de la nutrition dans les politiques agricoles.

S. : Quelle place pourrait-on donner à la valorisation des produits que nous produisons dans l’espace CEDEAO afin d’améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle ?

I.T. : L’OOAS soutient cette approche en collaboration avec la FAO, le Réseau des organisations paysannes et producteurs agricoles d’Afrique de l’Ouest (ROPPA), Bioversity International, l’USAID/West Africa et des instituts de recherche, entre autres… Cette collaboration nous a amené à faire des avancées significatives dans le plaidoyer auprès de la Commission de la CEDEAO pour l’agriculture, l’environnement et les ressources en eau, le Parlement de la CEDEAO .

On a aussi contribué à la formation de jeunes chercheurs « Ouest Africains » dans la compilation des données de composition alimentaire (à Cotonou et à Accra). Nous avons aussi fait la compilation des données sur la valeur nutritive des aliments traditionnels dans 7 pays, ce qui constitue un premier pas vers l’élaboration d’une table de composition régionale des aliments intégrant la biodiversité.

Nous sommes conscients du chemin très long qui reste à parcourir, mais cette étape devrait permettre non seulement d’améliorer l’éducation et la sensibilisation de nos populations sur les bonnes pratiques en matière d’alimentation et de nutrition, mais aussi de donner des informations aux producteurs et aux transformateurs, des informations scientifiques qui les aideraient à labelliser leurs produits, assister les plateformes des femmes du ROPPA, avec des arguments pour les faire avancer dans leurs initiatives d’élaboration de recettes locales, et pourquoi pas améliorer l’alimentation des personnes souffrant de diabète, d’hypertension artérielle, les insuffisants rénaux, les personnes vivant avec le VIH… en milieu hospitalier, en ambulatoire, voire au niveau communautaire… etc. Cette initiative pourrait, en synergie avec la mise en œuvre d’autres programmes sectoriels, contribuer à lutter contre la pauvreté rurale et les migrations entre autres….

Propos recueillis par Frédéric OUEDRAOGO

Sidwaya

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