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Terrorisme : AQMI et ses démembrements « locaux » ont déclenché les hostilités contre les intérêts français en Afrique de l’Ouest (1/1)

Publié le samedi 25 septembre 2010 à 18h50min

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Le Journal du Dimanche. 12 septembre 2010. Bernard Squarcini, patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), dans un long entretien accordé à Stéphane Joahny et Laurent Valdiguié, parle de son « inquiétude ». Evoquant l’opération militaire conjointe France-Mauritanie contre un groupe armé de l’AQMI en juillet 2010, il déclare notamment : « [C’est] d’ailleurs une opération qui a fait d’énormes dégâts chez l’adversaire. Mais nous n’avons pas besoin des communiqués du chef d’AQMI, Abdelmalek Droukdal, pour savoir que nous sommes visés. Dans la bande sahélienne, de plus en plus élargie, le Français est une cible ».

En faisant ainsi référence au « renseignement extérieur », on pouvait penser que Squarcini était en marge de ses prérogatives. Mais dans ce même entretien, rappelant la fusion entre la DST et les RG qui a donné naissance à la DCRI, il ajoute : « Quelques mois plus tard, nous avons opéré une seconde réforme, plus discrète, qui consiste en un rapprochement opérationnel avec la DGSE. La communauté française du renseignement parle aujourd’hui d’une seule voix. Les notions de menaces extérieures et intérieures sont dépassées. Aujourd’hui, les renseignements, il faut aller les chercher très loin et ils ont une incidence directe sur notre territoire ».

Voilà, c’est plus clair pour tout le monde. Pour le reste, c’est la même antienne qu’à l’occasion de son entretien avec Christophe Cornevin et Jean-Marc Leclerc dans Le Figaro du mercredi 30 juin 2010. « Nous déjouons deux attentats par an ». Avec retour sur l’inévitable Adlene Hicheur, « cet ingénieur du Centre européen de recherche nucléaire (Cern), qui avait proposé ses services via Internet à Al-Qaida au Maghreb islamique ». Hicheur, Français d’origine algérienne, physicien, professeur de physique expérimentale à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, en Suisse, a été arrêté le jeudi 8 octobre 2009 et mis en examen pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » ; en fait, il lui serait reproché d’avoir eu des « contacts virtuels » avec AQMI. Algérie + physique + nucléaire + Suisse, tous les ingrédients étaient réunis afin de mettre Hicheur dans le collimateur des « antiterroristes » et des médias.

Le Figaro, dans son édition du 23 novembre 2009, sous la plume de Jean-Marc Leclerc (qui avait interviewé Squarcini pour Le Figaro - cf. Supra), publiera un papier intitulé sans nuances : « Les projets fous de l’islamiste du CERN ». Hicheur va être un sujet de conversation majeur sur le net. Instrumentalisé tout à la fois par les « pro-israéliens » et par les « pro-palestiniens ». Marc Trevidic, juge antiterroriste du Palais de justice de Paris, aime à le citer comme exemple du « formidable vecteur d’endoctrinement, de ralliement et de dialogue, notamment avec les cadre de AQMI » que serait le net. Notons, en ce qui concerne Hicheur (dont on n’entend plus guère parler) que Squarcini, en juin 2010, déclarait qu’il avait été « enrôlé » par AQMI et, en septembre 2010, « qu’il avait proposé ses services via Internet » à AQMI. Ce qui amène a se poser des questions sur cette évolution de la vision de la dangerosité du professeur de physique expérimentale. De la même manière, en juin 2010, selon Squarcini, « la menace d’extrême-gauche » ne s’était pas « estompée » ; en septembre 2010, elle n’est même plus évoquée.

Pas de doute possible : AQMI est l’ennemi numéro un de la France. « Il y a des raisons objectives d’être inquiets. La menace n’a jamais été aussi grande », affirmait ce week-end Squarcini dans le JDD (cf. supra). Il ajoutait : « On s’attend à avoir des attentats sur notre territoire. N’oubliez pas qu’AQMI est une franchise d’Al-Qaida ; ils essaient de suivre les mêmes objectifs que la maison-mère ». Le patron de « l’antiterrorisme français » est inquiet ; les Français le seraient aussi : 52 % d’entre eux (selon un sondage publié par le JDD - cf. supra) « évaluent la menace terroriste » comme « très élevée » ou « plutôt élevée ». Et cette menace est, selon la DRCI, liée aux « mouvements islamistes radicaux ». « Il y a forcément une part de communication dans ce type d’annonce », commente un juge antiterroriste. On en avait conscience ! Et on s’attendait à une opération « diversion » aux problèmes intérieurs français du côté du Sahel. Après tout, il fallait justifier la nomination d’un général 4 étoiles comme ambassadeur de France à Ouagadougou (cf. LDD Burkina Faso 0230/Mercredi 18 août 2010) tandis que le nouvel ambassadeur US, Thomas J. Dougherty, qui était jusqu’à présent ministre-conseiller à Bagdad, a bouclé ses valises pour le rejoindre (cf. LDD Burkina Faso 0233/Lundi 23 août 2010). Squarcini, directeur de la DCRI, met d’autant plus la pression sur les Français qu’il cible le chef des terroristes qui veulent nous terroriser : Abdelmalek Droukdal.

Droukdal - dont le nom de guerre est Abou Moussab Abd Al-Wadoud - est né le 20 avril 1970 à Zayan, près de Miftah, dans la région de Blida (capitale de la plaine de la Mitidja, au Sud-Ouest d’Alger). Mathieu Guidère, auteur prolixe (pas loin d’une vingtaine de livres en dix ans), traductologue, agrégé d’arabe, ancien directeur du Laboratoire d’analyse de l’information stratégique et de veille technologique au CREC Saint-Cyr (ministère de la défense), actuellement professeur à Genève, note que Droukdal a été un « bon élève » qui « ne redouble aucune classe ». Bachelier « mathématiques » à 19 ans, il va rejoindre l’université de Blida où il sera recruté, en 1992, par Saïd Makhloufi, un cadre du Front islamique du salut (FIS) alors en capacité de prendre le pouvoir en Algérie par la voie des urnes. C’est en décembre 1993 que Droukdal va rejoindre le maquis. Il va gravir les échelons au sein du Groupe islamique armé (GIA) puis du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), promu par son fondateur (Abou Hamza, alias Hassân Hattâb) ; en 2004, il devient l’émir du GSPC et prend son nom de guerre qui le présente comme « l’homme des missions difficiles ou délicates ».

C’est lui qui va, après de multiples négociations y compris politiques, affilier le GSPC à Al-Qaïda et forger AQMI se propulsant ainsi à la tête de la « mouvance jihadiste en Afrique du Nord ». C’est lui qui va internationaliser l’action des groupes islamistes algériens qui, jusqu’alors, avaient pour objectif le pouvoir en place à Alger (avec, notamment, l’attaque des infrastructures pétrolières et gazières en Algérie, mais aussi l’attaque de coopérants russes) ; une action dont le vecteur prioritaire est non plus la « prédication » mais la guerre (Jihad). Objectif : instauration d’un Etat islamique au Maghreb dans la perspective d’un « califat islamique ».

Guidère écrit : « Ainsi, le changement de nom du GSP en janvier 2007 est-il loin d’être une lubie des milieux jihadistes algériens, mais le résultat d’un véritable négociation avec Al-Qaïda et le signe d’une évolution notable sur tous les plans : doctrinal, idéologique mais aussi opérationnel et communicationnel. En fait, derrière les mots du nom se cachent les armes du combat ». Guidère précise que AQMI « se positionne d’abord comme le défenseur des intérêts et des richesses des pays musulmans face à la « cupidité et à l’impérialisme de l’Occident » […] Le créneau idéologique de la lutte contre la présence étrangère reste donc l’apanage d’Al-Qaïda qui en a fait un véritable fonds de commerce idéologique en le théorisant et en le développant ».

Ajoutons que Guidère, contrairement aux affirmations de Squarcini, ne croit pas que AQMI puisse frapper en France. « Il en a la volonté. Mais il n’en a pas vraiment les moyens. Il n’a pas de relais dans l’Hexagone », disait-il le 27 juillet 2010 sur TF1 News. « C’est d’ailleurs pour cette raison que l’organisation s’attaque à des Français voyageant dans la zone saharienne », précisait-il.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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