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Filière coton du Burkina : Un ménage à trois

Publié le lundi 6 septembre 2004 à 08h08min

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Cinquième pilier de la réforme du secteur coton, la scission des zones cotonnières de l’Est et du Centre, respectivement à la SOCOMA et à Faso coton, est entrée dans sa phase décisive et opérationnelle avec la signature du protocole d’accord entre l’Etat et les différents acteurs de la filière. C’était le vendredi 3 septembre 2004 à la Chambre de commerce de Bobo-Dioulasso.

Chez les Reinhart, on est négociant coton de père en fils. Du haut de ses quelque deux mètres, Paul Jürg Reinhart, le président de Paul Reinhart S.A., s’est en effet plu à relever que c’est la plus ancienne maison de négoce de coton dans le monde puisqu’elle a été fondée, tenez-vous bien, en 1788 "et elle reste toujours dans la possession de notre famille dont je représente la 7e génération". Et la maison Reinhart a travaillé avec la société des fibres textiles du Burkina (SOFITEX) pour introduire notre coton sur le marché mondial. "Désormais, nos deux sociétés sont devenues des partenaires traditionnels, une relation qui se base sur une profonde confiance et beaucoup de respect", a ajouté "monsieur 7e génération".

Quoi de plus normal donc que dans le cadre de l’ouverture des zones cotonnières du Centre et de l’Est à des opérateurs privés, ils aient raflé la mise pour former, avec des investisseurs burkinabè, Faso coton dans la première zone concernée, la seconde revenant à SOCOMA, la Société cotonnière du Gourma dont la tête de proue n’est autre que Dagris, l’ex-compagnie française des textiles (CFDT).

L’adjudication s’est faite d’abord sur la base des offres techniques et c’est après ce premier tri que les offres financières ont ensuite été examinées. Désormais donc la filière coton burkinabè sera animée par trois sociétés privées (SOFITEX, Faso coton et SOCOMA) ainsi que l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPC-B) qui ont signé ce vendredi 3 septembre 2004 dans la matinée avec l’Etat le protocole d’accord portant cahier de charges (de 22 pages) qui dispose des droits et des obligations des différentes parties.

L’Est et le Centre pour 16 milliards

Un peu plus tard dans l’après-midi, la SOFITEX et Faso coton ont signé une convention de cession des actifs portant sur la somme de 5 milliards 527 millions de francs CFA. Le 15 juillet dernier, c’est avec la SOCOMA que cette série interminable de signatures avait eu lieu pour un prix de cession de la zone Est de 11 millions 150 millions de nos francs.

Au total donc, la SOFITEX a vendu ses actifs (biens meubles et immeubles, matériel, personnel...) à 16 milliards 677 millions, hors TVA, les acquéreurs devant payer les 15% de cette taxe à l’Etat qui détient, rappelons-le, 35% des parts de la SOFITEX, le reste étant détenu par Dagris (34%), l’UNPC-B (30%) et 1% pour la BIB et la BICIA-B. C’est donc une nouvelle vie qui commence pour la filière coton burkinabè qui devra s’habituer à ce ménage à trois. De la présentation des deux zones cédées faite par le Directeur général de la SOFITEX, Tiendrébéogo Tiraogo Célestin (TTC), il ressort que l’Est regroupe les provinces du Gourma, de la Tapoa, de la Gnagna, de la Kompienga, du Koulpélogo et de la Komandjéri et on y recense plus de 25 000 cotonculteurs.

Entre la campagne 93/94 et 2003/2004, la production cotonnière y est passée de...270 tonnes à 45 000 tonnes soit un taux de progression de 16 500%. Cette année, ce sont 60 000 tonnes de coton graine qui sont escomptées "et de nombreux indicateurs existent qui montrent que si les efforts de développement se poursuivent, la production pourrait s’élever à terme à plus de 100 000 tonnes dans cette zone". Côté personnel, ce sont 317 agents (78 permanents et 239 saisonniers) qui passent dans le giron de la SOCOMA.

Pour ce qui est du Centre, l’or blanc est cultivé par quelque 24 000 producteurs dans douze provinces (Bam, Bazèga, Boulgou, Ganzourgou, Kadiogo, Kourittenga, Kourwéogo, Nahouri, Namantenga, Oubritenga, Sanmatenga, Zoundwéogo) et la production y est passée de 2 400 tonnes à 24 000 tonnes, ces dix dernières saisons. "A terme, le potentiel indique que la production pourrait atteindre plus de 70 000 tonnes", précise le DG de la SOFITEX. Faso coton hérite en outre des 380 employés (105 permanents et 275 saisonniers) dont disposait la SOFITEX dans cette partie.

Mais si les deux zones regorgent d’énormes potentialités agricoles et d’autres atouts comme le caractère récent de la dynamique du coton indiquant l’existence de marges de progression assez considérables ou les possibilités d’extension de la culture dans les zones plus au Sud (le Nahouri notamment) où les conditions agro-climatiques sont très favorables, des contraintes subsistent et peuvent constituer, si elle ne sont levées, des facteurs de blocage.

Au nombre de celles-ci, Célestin Tiendrébéogo a cité :
- le faible taux d’équipement agricole et/ou la vétusté du matériel ;
- le faible niveau d’alphabétisation des producteurs ;
- l’insuffisance des agents du dispositif d’appui-conseil ;
- la maîtrise encore insuffisante des techniques agricoles et de la gestion des exploitations... Tout en souhaitant bon vent aux deux sociétés sœurs qui font leurs premiers pas en tant qu’acteurs pleins dans les champs de coton du Burkina, la SOFITEX, par la voix de son premier responsable, a réaffirmé sa disponibilité à leur apporter son appui et son expérience.

Les emplois seront préservés

La SOCOMA et Faso coton se sont dit conscient de l’enjeu, considérable s’il en est, et cite la SOFITEX comme "un exemple de société bien gérée qui a su faire du coton la première activité économique du pays, d’autant plus qu’elle a su améliorer considérablement la qualité de la fibre qui est aujourd’hui la meilleure de la sous-région", monsieur Reinhart dixit. "Nous ferons de notre mieux pour agir avec responsabilité dans l’intérêt commun en tissant un partenariat fécond et solide avec tous les acteurs de la filière", a-t-il poursuivi.

Avec la vente, par la SOFITEX, de ses actifs et de son fonds de commerce dans ces deux zones qui représentent, soit dit en passant, 32 milliards de son chiffre d’affaires, la question se pose toutefois, comme en de pareilles circonstances, de savoir à quelle sauce le personnel sera mangé. En aucune sauce, répond Gilles Lepelletier de la SOCOMA qui affirme que le personnel sera maintenu et il bascule dans les nouvelles sociétés avec tous les avantages acquis. "On est même dans une logique de recrutement", a-t-il laissé entendre, précisant qu’ils vont se mettre tout de suite au travail et qu’à terme, ils vont diversifier leurs activités et faire dans le social dans les localités dorénavant sous leur coupe.

L’occasion faisant le larron, ou le journaliste, la presse a profité évoquer avec les chefs des 3 opérateurs, l’actualité agricole dominée depuis quelques semaines par la menace acridienne qui pèse sur les pays du Maghreb et du Sahel, et donc du Burkina. "Pour le moment, les criquets pèlerins sont loin de la zone cotonnière mais des mesures sont prises pour parer à toute éventualité", a répondu en substance TTC, ajoutant que c’est aussi le calme plat pour ce qui est des ravageurs du cotonnier, qu’il s’agisse d’hélicoverpa, de la chenille ou de la mouche blanche.

Autrement dit, la campagne se présente bien et si la pluie ne nous abandonne pas avant le 15 octobre, s’il n’y a pas de parasitisme, si les criquets ne débarquent pas... la SOFITEX espère rattraper la production perdue avec la cession des deux zones en faisant environ 500 000 tonnes de coton graine dans sa partie afin que la production nationale atteigne les 600 000 tonnes escomptés. On se veut toutefois prudent car tout peut encore arriver : des poches de sécheresse, des inondations, les ravageurs, etc. Tout va se jouer en fait dans ce mois de septembre qui est assez stratégique et capital pour le cotonnier, de sorte que tout le monde est "en état d’alerte maximum".

Si jusqu’au 20 septembre, il n’y a rien, on aura gagné à 80% et à 90% si en fin septembre les conditions sont toujours bonnes. Célestin Tiendrébéogo a aussi battu en brèche l’idée selon laquelle les nouveaux opérateurs de la filière pourraient gêner la progression de la SOFITEX : "Il y a suffisamment d’espace au Burkina vu les hectares de terres cultivables dont nous disposons et depuis environ deux ans, il y a également des zones nouvelles dans la partie SOFITEX". Et cette histoire de graines pourries que la SOFITEX, selon un syndicat national des travailleurs de l’agro-pastoral (SYNATAP), aurait faroguées aux producteurs ? Réponse de TTC : "... Le pouvoir germinatif de la semence n’était pas le même que les années précédentes.

Dans toute la sous-région, on a constaté que pour ce qui et du rendement égrenage, la fibre était supérieure d’un point par rapport aux autres saisons ; que ce soit au Burkina, au Mali ou en Côte d’Ivoire. Ça veut dire que la graine était plus légère en poids. De 70 à 75% de pouvoir de germination qu’on avait, on s’est ainsi retrouvé à 55-60% pour cette campagne. Du reste, ceux qui nous ont suivi pendant les forums ont pu entendre le message que nous avons livré aux paysans à qui nous avons donné deux sacs par hectare au lieu d’un et il y a eu des circulaires indiquant qu’au lieu de 2 ou 3 graines délitées par poquet, il leur fallait mettre 6 ou 7. Chaque année c’est le même débat avec les producteurs.

Mais on oublie que le paysan doit aussi faire son test de germination. Car si celle-ci est faible et que, de surcroît, la pluviométrie est mauvaise, si vous semez avec 10 ou 15 millimètres de pluies, ça ne va pas germer. Les paysans le savent bien ; si la graine de coton ne prend pas 80% de son poids en eau avec une température supérieure ou égale à 25 degrés, il n’y a pas de germination. On a donc constaté que dans certaines zones où la saison s’est installée difficilement, il y a eu quelques problèmes mais tout cela est rentré dans l’ordre à partir du 3 juillet. Ce débat relève donc du passé et aujourd’hui c’est la menace acridienne qui devrait mobiliser toutes les énergies".

Tour à tour gestionnaire, Kob naaba, pédologue ou météorologue, le patron de la SOFITEX a avoué suivre avec une attention soutenue l’évolution du cyclone Frances qui menaçait la Floride, car le malheur des uns faisant le bonheur des autres, cet élément de la nature, s’il frappait les Etats-Unis de plein fouet, ajouté aux crues saisonnières du Yang-tsé en Chine, pourrait jouer en faveur d’une appréciation du cours de l’or blanc qui déprime en ce moment...

Ousséni Ilboudo
L’Observateur Paalga

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