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L’Afrique au 14 juillet : La répétition de l’insulte et d’un jeu sournois

Publié le lundi 2 août 2010 à 01h02min

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Environ 400 soldats des ex-colonies de la France ont ouvert le défilé du 14 juillet, célébrant la prise de la Bastille, en d’autres termes l’indépendance de la France républicaine. Un détachement burkinabè était de la partie. Les raisons avancées pour la présence de ces troupes sur les Champs Elysées sont confuses et contradictoires. Pour certains, il s’agissait de célébrer ainsi les 50 ans des indépendances africaines. Si c’est bien cela, les historiens français seraient de gentils rigolos. Mais on s’est passé de leur avis, tant mieux.

Le 14 juillet célèbre la France débarrassée des entraves monarchiques et qui allait se lancer alors dans la mise sous tutelle des colonies africaines. Que des militaires de ces pays dont toute la formation tient surtout à la fierté de porter les couleurs nationales, fêtent le coup d’envoi de leur mise sous tutelle, a de quoi faire rire l’histoire. Pour d’autres, et quelques fois les mêmes embarrassés aux entournures par les ambiguïtés, il s’agit de rendre hommage aux tirailleurs sénégalais. Nouvelle entorse à l’histoire ! Mais aussi nouvelle insulte à ces pauvres tirailleurs. Entorse à l’histoire, parce que les tirailleurs dont on s’efforce de ramener l’histoire à celle des deux guerres est une construction bien ancienne. Ses racines s’enfoncent dans les entrailles des aventures pas toujours élogieuses de la France à travers le monde. Plus particulièrement son idée s’est imposée après la défaite de Napoléon au Mexique. Après la débâcle, on a fait des esclaves destinés aux colonies d’Amérique des soldats d’empire avec pour mission de plier l’Afrique pour le compte de la France. C’est un sergent de tirailleurs sénégalais qui s’est saisi de Samory Touré pour le remettre au commandant Gouraud.

C’est une unité de tirailleurs qui a capturé Béhanzin. Ce sont 63 tirailleurs qui ont saccagé Ouagadougou sous le commandement des lieutenants Voulet et Chanoine le 1er septembre 1896. Ils créaient par là même la colonie française de Haute-Volta. Nouvelle insulte. Il y a les premiers tirailleurs sénégalais recrutés pour l’expédition du Mexique avec pour seule mission de porter le barda de leurs collègues blancs. Ils n’ont eu l’honneur de monter au combat que lorsque la défaite devenue inévitable, il fallut tenir des positions pour organiser la retraite. Ils se battirent « comme des lions » dira un général de l’époque. Lorsqu’il fut question de conquérir l’Afrique, les ordres étaient formels ; aucun d’eux ne pouvait prétendre à un grade au-delà de sergent. De fait, sauf pour quelques cas isolés et pour des raisons autres que militaires on ne connut pas d’officier tirailleurs. Lors des deux guerres, le sombre capitaine à qui on confia le soin de tracer les schémas d’utilisation des soldats noirs, prescrira entre autres que ceux-ci seront envoyés toujours seuls dans les missions désespérées, quand tout espoir de retour est exclu.

Cela donnera ceci : à l’entrée des troupes allemandes à Lyon, il fallut organiser la fuite de l’armée française. On disposa pour arrêter les chars allemands, des tirailleurs armés de simples coupe-coupe. Le commandant allemand voyant cela, ordonne à ses hommes de faire économie de munitions. Les chars rouleront ainsi sur un tapis rouge et noir pour entrer dans la ville. Aujourd’hui, il reste comme seul témoignage, de ce carnage le cimetière à l’entrée de la ville, vaste champ semé de piquets blancs, sans un seul nom. Mais l’insulte suprême viendra du Général de Gaulle lui-même. A l’automne 1944, l’essentiel de la deuxième guerre est fait. L’heure était aux négociations en vue de l’armistice. Les officiers allemands s’opposent vigoureusement qu’il soit fait mention des troupes noires parmi les hommes qui les ont battus. De Gaulle obtempère et en septembre 1944 signe le décret de blanchiment des armées françaises.

Cela a consisté par endroits à habiller à la hâte des collégiens en soldats afin qu’ils aillent occuper les positions conquises par les tirailleurs, juste pour la photo de propagande. Devenus inutiles en Europe, ils seront reconvertis dans les sales besognes coloniales. Prétendre honorer la mémoire d’hommes pour qui on n’a nourri que du mépris est une gentille farce mais de très mauvais goût. Ils étaient bien des Français, malgré eux peut-être, mais bien des Français, agissant sous autorité française, et pour le compte de la France. Ce pays leur doit le vaste empire dont il est si fier aujourd’hui. Il leur doit les fondements de l’unité d’élite de son armée actuelle : les commandos de marine, les fameux marsouins. Il appartient donc à la France, à l’armée française et plus particulièrement aux marsouins de rendre hommage à ces hommes.

Ce serait là le signe d’une fidélité à leur histoire. Toute autre façon d’agir ne peut être que contorsion dégoûtante, forfaiture face à l’histoire. On comprend dès lors pourquoi les arguments autour de ce défilé manquent si cruellement de clarté. Il en est toujours ainsi quand la vérité est mise au rencard. Des hommes qui entouraient le Président Sarkozy, certains étaient Français par alliance, mais surtout tous l’étaient par le cœur et la conviction. En gouverneurs des temps nouveaux ils sont allés présenter à leur chef, les détachements dont celui-ci peut disposer dans le cadre de la RECAMP, la nouvelle philosophie militaire occidentale. Elle consiste à armer des africains pour qu’ils opèrent en Afrique pour le compte et sur commande de Paris, Londres, et plus loin de Bruxelles.

C’est cette politique qui permet aujourd’hui au Burkina Faso d’entretenir des troupes en Côte d’Ivoire aux côtés de l’opération Licorne que les autorités ivoiriennes voient de plus en plus d’un mauvais œil. Les mêmes troupes burkinabè occupent une partie du Soudan avec le bataillon Laafi. Ce, pour ne citer que quelques cas propres à notre pays. L’ensemble des armées de ces pays sont engagées d’une manière ou l’autre dans la nouvelle guerre mondiale qui se joue actuellement, la guerre contre le terrorisme. Comme en 1914, comme en 1939, des africains vont mourir dans des attentats dont la logique leur échappe. Comme en ces temps-là, il est conseillé à chaque belligérant de compter ses hommes et ses cartouches. C’est cette comptabilité qui a fait convoquer les nouveaux tirailleurs sur les Champs Elysées. Oui alors, on comprend mieux le défilé de ce 14 juillet. Il s’agissait de répéter le serment solennel de la France éternelle sur son empire. Qu’on ne s’y trompe pas.

Pascal KABORE

Indépendant

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Vos commentaires

  • Le 2 août 2010 à 04:31, par Paris Rawa En réponse à : L’Afrique au 14 juillet : La répétition de l’insulte et d’un jeu sournois

    Et dire qu’il y a des africains incapables de comprendre le ridicule et de voir le piège dans lesquels la France est en train de les attirer encore et toujours !!

  • Le 2 août 2010 à 09:26 En réponse à : L’Afrique au 14 juillet : La répétition de l’insulte et d’un jeu sournois

    Monsieur le journaliste de l’Indépendant, votre article pour le profane que je suis en matière de journalisme est d’une qualité extraordinaire.

    D’abord vous m’informez véritablement sur certains faits historiques dont je n’ai jamais entendu parlé : les arrestations de Samory et Behanzin par des tirailleurs, le razzia de Ouagadougou par les tirailleurs. Si ces informations sont exactes alors vous avez réussi à informer au moins une personne (moi !).

    Ensuite votre analyse fait une liaison que je trouve convaincante entre les missions militaires passées actuelles. Ces analyses ne courent pas les rues journalistiques.

    En somme c’est un article qui va au delà des platitudes servies par un "éminent" historien (le Pr Magloire SOME) lors de son interview sur la question où il a été incapable de sortir des éléments en dehors de ceux connus de l’homme de la rue que je suis sur la question.

    Avec des articles de ce calibre, le journalisme a de l’avenir dans notre pays et mes amis de l’opinion seront

    Bravo pour cet article

    • Le 5 août 2010 à 18:50, par péré En réponse à : L’Afrique au 14 juillet : La répétition de l’insulte et d’un jeu sournois

      SVP, soyons sérieux.Votre référence au Pr SOME MAGLOIRE est un hors sujet.Il n’est pas nécessaire de comparer un journaliste(il a fait des analyses pertinentes certes)a un historien ;surtout pas en comparant un article que le premier aurait écrit et un interview du second.Quant à ce que vous aurai appris de l’article, je vous assure qu’aucun bon élève de 3e n’ignore que le bras armé de la conquête coloniale de l’Afrique est une armée coloniale composée de soldats essentiellement africains.

      • Le 22 août 2010 à 19:46 En réponse à : L’Afrique au 14 juillet : La répétition de l’insulte et d’un jeu sournois

        Vous dites que Magloire a sorti des platitudes. Pourtant, c’est un chercheur qui est cite ici aux Etats- Unis ou je m’ interesse a l’ histoire coloniale africaine. Est-ce a dire que nous americains devrons arreter de prendre ce monsieur au serious ? Nous l’aimons beaucoup ici et j’ aimerais avoir son contact.

        Peter Katzimi, PhD student, University of California at Los Angeles, USA

  • Le 2 août 2010 à 15:51, par Zoyande En réponse à : L’Afrique au 14 juillet : La répétition de l’insulte et d’un jeu sournois

    Waw ! Tant d’informations en si peu de lignes. Je vois maintenant que nous ignorons horriblement toute notre histoire. Ces informations méritent vraiment d,aller dans un livre, c’est faute d’écrits que les Africains sont sous-informés de leur histoire. Heureusement il n’est jamais trop tard avec l’Histoire.

  • Le 2 août 2010 à 18:32, par zz En réponse à : L’Afrique au 14 juillet : La répétition de l’insulte et d’un jeu sournois

    Très bon article ; félicitations !

  • Le 3 août 2010 à 12:24, par Le Phoenix En réponse à : L’Afrique au 14 juillet : La répétition de l’insulte et d’un jeu sournois

    Freres,
    Voici ceux et ce dont a besoin le Faso et l’Afrique.
    - Des gens qui savent de quoi ils parlent avec détails et précisions, en s’adressant à personne et à tout le monde ;
    - des actes, comme la forme et le fond de cet article, qui n’ont aucune animosité et ne portent atteintes à personnes. Il dit... C’est divin !

    Si chacun pouvait juste faire ce qu’il avait à faire sans calcul ni mauvaise intention...

    Ce journaliste est, selon moi véritablement spirituel. Cet article doit être envoyé par chacun au maximum de personnes possible. Ce n’est moins son contenu mais il véhicule en arrière plan une leçon de vie pour les africains : être juste et vrai.

    Que ceux à qui il est donné de comprendre, comprenne.

  • Le 3 août 2010 à 12:57, par Le Phoenix En réponse à : L’Afrique au 14 juillet : La répétition de l’insulte et d’un jeu sournois

    FELICITATION !!!!

    Message reçu 5/5. Faites lire cet article à TIKEN JAH, svp.

    Moi, c’est le titre qui ne me sied pas trop. Ce doit être la rédaction qui l’a proposé. Repétition signifie reproduction d’un acte, fait ou chose. Mais là, l’insulte et le jeu n’ont jamais cessé. Celà a toujours continué et continuera.

    Tant que nos modèles et indicateurs de vie et de développement seront malheureusement les leurs, nous auront toujours besoins de leurs conseillers, institutions et argent. Alors, l’insulte et le jeu continueront. Pour certains c’est de la "Real politic". Pauvres âmes que nous sommes !

    P. Kabore, du courage et poursuit ton travail de la même façon.

    Que les gens admirent le travail qui est fait en arrière plan de cet article. Le journaliste, c’est celui qui connaît la mise en forme et recherche le fond ou le sujet ET NON celui qui platement croit que ses pensées sont la vérité et l’information.

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