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CEDEAO : Kadré Désiré Ouédraogo président de la Commission ? (4/4)

Publié le jeudi 1er juillet 2010 à 07h57min

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Kadré Désiré Ouédraogo

C’était le 30 juin 1996. Blaise Compaoré présidait aux destinées du Burkina Faso. Kadré Désiré Ouédraogo était Premier ministre depuis le début de l’année. Ouagadougou se préparait à accueillir le sommet France-Afrique et le chef de l’Etat burkinabè était venu en France afin de préparer cette manifestation d’envergure et de participer à la réunion du G7 à Lyon, consacrée aux politiques de développement. C’est ce jour-là que Le Journal du Dimanche a publié une tribune de Blaise Compaoré (cf. LDD Burkina Faso 0202/Jeudi 10 mars 2010).

Le papier est intitulé : « Mondialisation ou perdition ? ». Soulignant, tout d’abord, que « les intérêts financiers de quelques mégagroupes […] enserrant dans leurs mailles l’ensemble de la planète […], il est vain de parler de systèmes économiques différents », le chef de l’Etat burkinabè constatait que « tout se passe comme si le mot magique de la croissance devenait lui-même son objet et sa finalité. Or, nous disait-il, au Nord comme au Sud, dans les pays développés comme dans les pays sous-développés, il existe une « fracture sociale (chômage, exclusions, affaiblissement du système de sécurité sociale) », « l’accumulation des déficits budgétaires », « une croissance aux antipodes de la justice et de la solidarité ».

La responsabilité de tous ces maux incombait à l’absence de « projet de société tant à l’intérieur des Etats qu’entre les nations, étouffant le quart-monde dans les pays du Nord et élargissant le fossé entre ces derniers et le tiers-monde ». Il affirmait « que le monde est en état d’urgence économique, en dépit et surtout à cause de cette mondialisation ; le néolibéralisme, après plus de quinze ans de « triomphalisme », a montré ses limites en soumettant sans sourciller la culture et la société au joug de l’efficacité économique ». Le profit, nous disait-il, est devenu le « but ultime et l’unique moteur [de] l’activité économique de l’homme ».

Ce néolibéralisme, ajoutait Compaoré, est « plus prodigue de ses vices que de ses vertus ». C’est « l’impasse », écrivait-il, soulignant qu’il convenait « d’imaginer une autre manière de mener cette inéluctable mondialisation afin qu’elle soit essentiellement un facteur d’espoir, de paix et de solidarité ». « Abandon définitif de la dette africaine », « restructuration des rapports économiques, notamment des termes de l’échange » et « émergence de politiques nationales industrielles s’encastrant harmonieusement dans des zones économiques régionales » étaient, selon le chef de l’Etat burkinabè les conditions de base qui devaient permettre « aux pays de la périphérie de participer à la mondialisation comme acteurs et non comme victimes ».

« La vraie mondialisation, écrivait alors Compaoré, c’est celle qui réalise la mondialisation de la justice et de la prospérité, en un mot celle qui tisse la solidarité entre les peuples et les nations au service de la paix ». Nous étions en 1996. Ce n’est qu’en janvier 2001 que sera organisé, au Brésil, à Porto Alegre, le premier Forum social mondial sur le thème : « Un autre monde est possible ». Nul ne peut nier que, déjà, plus de quatre ans auparavant, les Burkinabè avaient engagé une réelle réflexion sur la question. Une réflexion sous-tendue par une action permanente menée sur le terrain.

Alors que l’Afrique francophone commémore, cette année, le cinquantenaire de son « indépendance », il est essentiel de rappeler, aussi, que celle-ci implique la souveraineté ; et que cette souveraineté s’exprime, également, dans les choix de société qui peuvent être ceux du continent. Une souveraineté dont l’expression ne doit pas empêcher la solidarité entre Etats. De Compaoré à Stéphane Madaule en passant par KDO, on passe ainsi du Burkina Faso à la Cédéao.

Convenons que les « textes » des uns et des autres tiennent la route et sortent des sentiers battus. C’est un des acquis du Burkina Faso : ce n’est pas la fonction qui crée la compétence, c’est la compétence qui justifie la fonction. Enfin, dans la plupart des cas ! Si l’action n’est pas sous-tendue par la réflexion, à n’en pas douter, elle ne mène nulle part. C’est pourquoi, aujourd’hui, la candidature de KDO à la présidence de la Commission de la Cédéao est, selon moi, celle qu’il convient de soutenir : parce qu’elle n’est pas seulement celle d’un homme compétent (il y en a sûrement d’autres dans la région) mais qu’elle s’appuie sur la réussite d’un pays qui, malgré l’absence de ressources naturelles majeures, est parvenu à s’imposer sur la scène africaine grâce à la qualité de ses hommes et de ses femmes ainsi que de ses institutions.

Bien sûr, cette omniprésence diplomatique burkinabè peut agacer certains, exaspérer d’autres, frustrer la plupart, mais comme le rappelait le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, lors de son point de presse du 27 janvier 2010, au sujet des « facilitations » menées par le Burkina Faso de Conakry à Lomé en passant par Abidjan : « Le président du Faso ne s’est jamais déclaré médiateur quelque part. Il a toujours été sollicité […] Nous devons être fiers de cela ». Pas seulement fier ; rassuré aussi. Car s’il est un pays qui est conscient qu’il n’est qu’une partie d’un tout et que son devenir est lié à celui de la région, c’est bien le Burkina Faso. Son histoire ancienne le lui rappelle ; son histoire contemporaine aussi.

J’écris ces lignes alors que le professeur nigérian Shuaibu Ahmed Danfulani, qui dirige à Jos (le pôle de fixation des récents affrontements « interethniques »), un important institut de recherche stratégique, vient de me permettre la lecture d’un de ses manuscrits sur la gestion des conflits en Afrique. Danfulani est un intellectuel nigérian qui a l’énorme avantage d’avoir été, aussi, formé en France, à la Sorbonne. Il a ainsi, dans ce document en anglais, exquise élégance, rédigé un chapitre en français qui, justement, porte sur le « renforcement du système de sécurité régionale en Afrique de l’Ouest », autrement dit au sein de l’Ecowas (pour nous la Cédéao).

Dans ce texte, Danfulani souligne d’emblée que la région ouest-africaine souffre toujours d’un déficit démocratique et qu’il lui « manque une vision stratégique pour un destin commun, indispensable pour assurer la paix régionale ». Dans cette perspective, Danfulani plaide pour une OTAN ouest-africaine permettant « l’engagement collectif et total des Etats membres […] en cas d’agression ». C’est-à-dire une structure qui ne soit pas seulement militaire mais aussi un vecteur exprimant la volonté de « vivre ensemble » : ne pas se considérer comme anglophones ou francophones mais « ouest-africains », souligne Danfulani. Qui note aussi que c’est la faiblesse des Etats composants qui explique, en partie, l’insuffisante intégration régionale : elle crée une suspicion et alimente la crainte d’une domination de l’un ou de l’autre. « Sans une stratégie réaliste pour bâtir progressivement la confiance, il n’est pas sûr que la fin et les moyens recherchés, au niveau régional et dans les pays membres contractants, puissent être atteints ». Cette « stratégie réaliste » serait fondée sur une réelle politique de coopération régionale et d’intégration diplomatique, politique et culturelle.

La Cédéao, on le voit, n’est pas un cadre vide ou seulement formel. Même si les « francophones » ont trop souvent tendance à se replier sur l’UEMOA qui leur semble mieux correspondre à leurs intérêts économiques et financiers immédiats. Mais ce ne peut être qu’un programme minimum si les « ouest-africains » souhaitent arriver à une intégration régionale réellement opérationnelle. La « zone euro » a été créée au sein d’une Union européenne depuis longtemps déjà constituée et structurée. Ce n’est pas l’euro qui est le fondement de l’Europe ; c’est la volonté de « vivre ensemble » !

Fin

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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