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Internet au Burkina : La saga des cybercafés ouagalais

Publié le lundi 30 août 2004 à 07h49min

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Surfer sur le Net fait partie du train-train quotidien des Ouagalais. Les cybers cafés ne désemplissent pas à certaines heures de pointe.

Assis devant l’écran d’un ordinateur, jeunes, vieux, adolescents,... Africains, Européens, Asiatiques,... sont à la recherche d’informations pour les uns, d’opportunité d’affaires pour les autres, de distraction pour une certaine catégorie d’internautes. Difficile pour eux d’accorder un entretien à un interlocuteur, le temps est précieux car il est compté.

Qu’est-ce qui fait courir les Ouagalais vers les cybers cafés ?

A Ouagadougou, capitale africaine des deux roues, ils sont de plus en plus nombreux à dégager un instant dans leur emploi du temps pour prendre d’assaut les cybers cafés. Rien ne semble les arrêter dans leur course effrénée vers le Net, pas même la pluie qui tombe régulièrement sur Ouaga en ces mois d’hivernage. Le quotidien des Ouagalais devient de plus en plus "électronique".

Les cybers grouillent de monde à des heures de pointe (11h30 à 14h et 17h à 19h30). On y entre pour ressortir quelques heures plus tard avec la ferme envie de revenir le lendemain. Les activités des "Web surfers" ouagalais se résument à consulter sa messagerie, envoyer des courriers à des amis, frères ou partenaires de par le monde, saisir des opportunités d’affaires, écouter la musique, rechercher des informations, accéder aux sites de discussion et de rencontre, visiter les sites pornographiques, faire le Tchate...

Par cette matinée pluvieuse du mois d’août, le cyber poste, situé non loin du rond-point des Nations unies était bondé de monde. La trentaine d’ordinateurs dont dispose ce centre était toute occupée. Dans la salle, c’est le calme plat. Le silence est troublé par le bourdonnement des disques durs, le crépitement des claviers ou la sonnerie d’un portable. Les yeux rivés sur l’écran de l’ordinateur, personne ne semble se préoccuper de la présence de l’autre. Chacun étant transporté dans l’univers virtuel, occupé par ce pourquoi il est présent dans la salle. Quelquefois, un internaute s’adresse au gérant de la salle : "Ajoute-moi une heure", "quinze minutes pour moi", "donne moi 30 minutes". Ils ont été surpris par le temps.

"C’est fou ces machines, on se rend pas compte que le temps passe lorsqu’on est assis devant elles. Vous pouvez décider de surfer pendant 30 mn, mais vous allez ressortir du cyber au bout de 2 à 3 heures" , déclare un Français, présent à Ouaga pour des affaires. C’est pratiquement la même ambiance que nous avons vécue dans d’autres cybers situés sur l’avenue du docteur Kwamé N’kurmah ou sur l’Avenue Babanguida et dans des quartiers comme Ghounghin, Zogona, ...

Des cybers aussi presque vides à notre passage. Au cyber poste, nous nous approchons d’un monsieur, cheveux grisonnants, lunettes d’intellectuel, la quarantaine bien sonnée. Assis confortablement dans son box, il a l’air préoccupé par une information qu’il vient de recevoir. Dès les premiers mots pour établir un contact entre nous, il nous apprend qu’il est fonctionnaire et requiert l’anonymat. Normal ! Puisqu’il devrait être à son poste de travail à l’instant "T" . "J’ai déserté mon bureau pour consulter ma boîte électronique. Je ne peux pas le faire dans mon service. Et comme Internet est indispensable, je viens quelquefois dans ce cyber pour lire mes messages et répondre à ceux qui m’ont écrit".

Ce "réflexe", plusieurs ouagalais le cultivent chaque jour. Le gérant du cyber poste, M. Coulibaly nous confie qu’il reçoit 300 à 400 visiteurs par jour. Une simple addition fait ressortir que 9000 à 12 000 visiteurs atterrissent dans ce cyber par mois. Les affaires semblent marcher. Cela est impressionnant tout de même quand on sait qu’Internet est arrivé au Burkina à la faveur du Sommet France-Afrique, tenu les 5 et 6 décembre 1996 à Ouagadougou.

A cette date-là, Internet était une affaire d’initiés et le commun des Burkinabè appréhendait la toile comme une chose mystérieuse. Seuls les instituts de recherche, l’Université de Ouagadougou, l’ONATEL, l’ORSTOM, ... quelques ONG et associations en disposaient. Mais aujourd’hui, Internet semble intéresser les Burkinabè. Plus d’une centaine de cyber cafés sont installés sur le territoire burkinabè et la ville de Ouaga regroupe à elle seule, plus de 60% de ces centres.

Quand un Ouagalais confectionne sa carte de visite, il prend le soin d’inscrire son adresse e-mail même si elle n’est pas fonctionnelle. En effet, d’aucuns y créent une adresse électronique et à force de ne plus consulter, le prestataire décide de la supprimer. Plusieurs Ouagalais ont été victimes de cette mesure. Dire aussi à quelqu’un que " je vais dans un cyber" fait" branché". Cela veut dire que vous êtes un homme d’aujourd’hui, c’est-à-dire au parfum de l’évolution de la technologie. Ne dit-on pas couramment que "celui qui ne sait pas manier l’ordinateur est un analphabète de ce siècle". Alors, certains créent leur mail pour frimer et ne pas être un "gaou".

Alain Kaboré est très régulier ces temps-ci, dans les cybers. Etudiant en droit, il utilise les moteurs de recherche de "Google" et de "Yahoo" pour consulter des documents afin d’écrire son mémoire de maîtrise.

Internet, lettre privée : la guerre des courriers

Le courrier électronique est-il en train de prendre le pas sur le courrier postal ?

Les internautes ouagalais que nous avons rencontrés, nous ont donné une réponse on ne peut plus claire sur la question. Pour eux, Internet est beaucoup plus pratique que le courrier postal. "Je vais dans les cybers pour envoyer des messages et recevoir les réponses le même jour. Avec la lettre privée, cela n’est pas possible. Je gagne en temps et je reste en contact permanent avec mes clients grâce à Internet". Ces paroles de Seydou Ouédraogo, vendeur d’objets d’art traduisent le sentiment d’admiration qu’ont les "Webs surfers" ouagalais pour Internet.

Salam Ouédraogo, agent de la poste renchérit : "dans un temps réduit, Internet arrive à passer un message à un interlocuteur qui est à des milliers de kilomètres ; ce que la lettre privée ne fait pas. Je trouve que de nos jours, Internet est beaucoup plus pratique". Cette conviction a amené les Ouagalais à être assidus dans les cyber cafés. Un élève de Terminale "D" de Bobo-Dioulasso en vacances à Ouaga nous a confié que grâce aux TIC, il ne "connaît plus le prix d’un timbre".

Cette nouvelle donne, la SONAPOST l’a bien comprise. C’est pourquoi elle ne se pose pas en concurrente des TIC. Bien au contraire, elle travaille à inclure ce médium dans ses prestations. Séminaires et ateliers organisés par cette société sont arrivés à cette conclusion. Personne ne peut s’opposer au développement de la communication. Les Ouagalais eux, en ont fait des TIC, leur attraction. Ils y vont de manière régulière : chaque jour pour certains, chaque deux jours pour d’autres,... à chacun ses moyens et sa disponibilité. En tous les cas, pas une semaine sans consulter sa messagerie dans un cyber.

Mais combien sont-ils ces Burkinabè qui peuvent s’acheter un ordinateur, l’installer à domicile, se connecter à Internet et supporter ses frais ?

Internet à domicile, un luxe au Burkina

Pour se connecter à Internet à domicile, il faut avoir un ordinateur, une ligne téléphonique délivrée par l’ONATEL, un modem (souvent incorporé à l’ordinateur), un navigateur et prendre un abonnement auprès d’un fournisseur d’accès à Internet. Au Burkina, il en existe huit : l’ONATEL, à travers Fasonet (le plus grand fournisseur d’accès avec plus de 5000 abonnés), le CENATRIN, CFAO Technologies, Netacces, Eprocess, La DELGI, ZCP et River Télécom.

Acquérir un ordinateur neuf et performant nécessite qu’il soit déboursé la somme d’un million de francs CFA environ, ce qui n’est pas à la portée du Burkinabè moyen. Mais depuis la découverte de la filière asiatique, ce prix est de plus en plus revu à la baisse. En effet, des pays comme Taiwan, les Emirats Arabes Unies,... possèdent des licences pour fabriquer des ordinateurs de marque IBM. Etant donné que dans ces pays, la main d’œuvre est bon marché, cela se répercute sur le prix des machines. Elles coûtent 600 à 700 000 francs CFA environ. c’est toujours cher pour les Burkinabè "d’en bas".

Alors, les Ouagalais eux, se rabattent sur les ordinateurs de seconde main. Ces prix vont de cent mille francs CFA le moins disant au million. C’est selon la qualité et l’âge de la quincaillerie. Là encore, le salaire du Burkinabè moyen supporterait difficilement cette dépense. " C’est pour cette raison que je fréquente les cybers. Mes moyens financiers ne me permettent pas d’acheter un ordinateur personnel", déclare Boureima Yaméogo, cadre de banque.

En plus de l’acquisition du matériel informatique, l’utilisateur d’Internet doit pouvoir supporter la connexion faite par l’ONATEL. Il faut donc payer sa facture à la fin de chaque mois. La redevance mensuelle est de 17 000 francs CFA et la tarification est de 50 francs toutes les 3 minutes 25 secondes. Pas de connexion Internet sans passer par l’ONATEL. Même les fournisseurs d’accès ont une liaison avec la nationale des télécommunications du Burkina.

L’ONATEL a décidé d’être au fait de la technologie la plus récente en utilisant la fibre optique. "15 milliards de francs CFA ont été débloqués pour mener à bien ce projet" soutient M. Lamoussa Oualbéogo, directeur de l’Informatique et des nouvelles technologies. La fibre optique est un système fiable de communication représenté par un câble sous marin transfrontalier qui entourera l’Afrique à partir des profondeurs de la mer méditerranéenne et de l’océan atlantique. Cette technologie insensible aux aléas climatiques permettra de doper davantage le trafic de la communication au Burkina. Elle fera en sorte que l’on enregistre beaucoup d’abonnés au téléphone et permettra un accès facile et rapide à Internet. Le Burkina qui n’a pas de façade maritime a déjà enfoui ce câble dans son sous-sol et attend de se connecter dans les mois à venir à un pays voisin qui possède des débouchés sur la mer.

A chacun son prix

Naviguer dans un cyber a un coût. A Ouaga, les tarifs ne sont pas partout les mêmes. Il y a quelques années, une heure de navigation coûtait dans un cyber, au minimum 1000 francs CFA. Mais aujourd’hui, la tendance est à la baisse : 500, 600, 700 et dans d’autres cybers, 800 francs en sus du thé ou du café. Voilà la somme qu’il faut débourser pour occuper un ordinateur pendant une heure dans un cyber à Ouaga. De l’avis des internautes, les prix sont abordables, même s’ils estiment qu’on peut mieux faire. Cheick Oumar Ouédraogo, informaticien est de cet avis. Là au moins le Burkinabè moyen peut sans trop "souffrir" se permettre de naviguer, ne serait-ce qu’une heure par semaine.

Une opération de charme est organisée par chaque maison en direction des clients en vue d’attirer le maximum de clients et de les fidéliser. Salles climatisées, musique douce à vous bercer les oreilles, ordinateurs de différentes formes pour attirer les clients, courtoisie et disponibilité du personnel, chaises confortables,... une ambiance feutrée. Tout est mis en œuvre pour offrir à la clientèle un service de qualité. Mais cela n’est toujours pas vérifié.

Dans certains cybers, non seulement il est utilisé des ordinateurs de seconde main, mais l’insalubrité a fini par y attirer les moustiques. Ainsi, pendant qu’une main s’occupe de la souris de l’ordinateur, l’autre vous permet de tenir les moustiques à distance de vos pieds.

Chaque maison en fonction des commodités qu’elle offre, fixe ses tarifs en tenant bien sûr compte de la concurrence. Un prix trop élevé éloignerait les clients qui souhaitent toujours payer le moins. Les clients vont dans les cybers où le débit est rapide, car plus la connexion est lente, plus vous payer cher. Et certains cybers utilisent à dessein de vieux ordinateurs pour retarder la connexion. D’autres par contre, cherchent à avoir des lignes spécialisées auprès de Fasonet pour augmenter leur débit.

Les revers d’Internet

Internet est un havre de liberté qui défie les frontières, où l’information circule librement et est facilement accessible. Mais la toile comporte des dangers qu’une synergie d’action doit combattre. Vous avez beau interdir les films X ou trop osés à vos enfants qu’ils investissent les cybers avec 200 f pour consulter des sites pornographiques pendant 15 minutes. Et ils ne vont pas de main morte, toujours prêts à renouveler ces instants de "plaisirs" en y mettant le prix qu’il faut. Il y a rarement dans les cybers des fiches qui indiquent que la consultation de certains sites est interdite. Si c’était le cas, seraient-elles respectées ?

Une jeune fille d’environ 20 ans maximum consulte sa boîte sous les 2 jours avec l’espoir de recevoir un jour, un message d’internaute. En effet, cela fait un mois qu’elle a laissé un message sur un site, cherchant un Européen (qu’importe l’âge) pour lier une amitié sincère et durable pouvant aboutir au mariage. Elle attend toujours avec beaucoup d’envie, l’élu de son cœur qui malheureusement tarde à venir. Elle nous expliquera qu’elle a été victime de plusieurs déceptions amoureuses avec ses frères burkinabè qu’elle cherche maintenant "un Blanc". "Eux ne sont pas trop compliqués", affirma t-elle. Elle est encouragée à cela par une de ses copines qui, semble t-il, a utilisé le même canal pour rencontrer un Français qui a décidé de l’épouser. Cette dernière vit actuellement avec son mari en France et pense à sa camarade restée au pays en lui envoyant quelques rares fois des euros.

Sur ce site en question, plusieurs filles burkinabè ont inscrit leur adresse souhaitant entrer en contact avec leur futur "conjoint". En cela, elles rejoignent ainsi une mode qui s’est déjà bien installée dans des pays africains, surtout en Afrique Centrale. Dans un des cybers cafés, 3 femmes visiblement mariées et d’un certain âge, conversaient avec des mots très intimes à leurs interlocuteurs. Ces femmes qui sont arrivées dans une Mercedes 190 de couleur grise semblaient habituées à ce jeu. Des éclats de rires laissaient croire qu’elles prenaient du plaisir et du bon à cette causerie.

Faire un tour dans les cybers et ne pas rencontrer un Nigerian communément appelé "Ibo" , c’est rare. Les " Ibo " peuvent facilement passer 10 heures devant un ordinateur pour, semble t-il, "faire des affaires", mais de quels genres ? Leur présence assidue et leur durée devant les ordinateurs ont fini par aiguiser des soupçons. Aujourd’hui, ils n’ont pas bonne presse. Leur message parle le plus souvent d’argent. Une fois arrivé dans une adresse, il est simplement supprimé, car personne ne veut mordre à l’hameçon.

Ce que ne savent généralement pas les internautes, c’est que la toile peut conduire en prison. Soixante dix sept sont d’ailleurs derrière les barreaux de par le monde depuis le début de l’année, soit vingt-sept de plus qu’en 2003. Etant donné le nombre croissant d’utilisateurs, il est de plus en plus difficile de contrôler le flot d’informations transitant sur le Net. Des gouvernements ont néanmoins mis en place des mécanismes pour lutter contre la cybercriminalité. La méthode cubaine adoptée par la Corée du Nord ou la Birmanie consiste à interdire purement et simplement l’accès à Internet.

Mais en réalité, celui-ci reste accessible aux touristes à des prix très élevés. La Chine, l’Arabie Saoudite ou Singapour ont installé des cyberpolices. Ils repèrent les mots-clés "subversifs", bloquent les informations non désirables ou encore refusent l’envoi des courriers électroniques jugés "dangereux". Au Zimbabwe, le régime de Robert Mugabé a interpellé 14 personnes en 2003 pour avoir diffusé un courrier critiquant le président...

Des pays essaient de réglementer l’accès à l’Internet, mieux, ils traquent les internautes qui utilisent la toile pour mener des actions dangereuses liées à la fraude, l’escroquerie, au piratage. Au Burkina Faso, il serait temps qu’on se penche sur cette question en organisant des forums de discussion pour étudier à fond, la question.

Romaric DOULKOM (romarikom@yahoo.fr)
Sidwaya

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