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Professeur Yezouma Coulibaly : « C’est inadmissible qu’on installe des chauffe-eau électrique au Burkina pendant que nous avons du soleil qui nous brûle la tête »

Publié le jeudi 10 juin 2010 à 00h17min

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Le professeur Coulibaly, enseignant chercheur, au 2iE est titulaire d un Doctorat d’Etat présenté à l’UCAD de Dakar. Il est spécialisé dans le dimensionnement et la réalisation d’équipements solaires thermiques et photovoltaïques ; dans l’audit énergétique dans l’industrie et dans le bâtiment et l’ingénierie des équipements de production de chaleur, froid et électricité. C’est donc cet éminent professeur ; bien averti des questions énergétiques que nous avons rencontré pour en savoir davantage sur la problématique de l’énergie solaire au Burkina.

Sidwaya(s) : Nous sommes dans un pays où il y a du soleil pratiquement à tout temps. Pourtant jusqu’à présent l’énergie solaire reste inexploitée. A votre avis, quelles sont les raisons ?

Professeur Yezouma Coulibaly (Y.C) : L’énergie solaire est à la mode aujourd’hui. Partout dans le monde, on développe des technologies pour mieux l’exploiter. Mais pour que l’énergie solaire soit intéressante, elle doit être exploitée à grande échelle.

La direction du 2iE où je suis est très sensible à ce raisonnement et c’est ce que nous cherchons à faire. Dans un ou deux ans, nous voulons installer une centrale solaire de près d’un mégawatt. Ce qui est déjà énorme puisque la puissance électrique installée à Ouagadougou tourne autour de 100 mégawatt. Nous avons au 2iE initié une série de formations continues par un projet intitulé REEP sur le solaire hélas mal connu au Burkina Faso.

La direction du 2iE est extrêmement sensible au développement des énergies renouvelables en Afrique. C’est pour cela que nous avons des financements de la France, de l’Union européenne et bientôt de la Banque mondiale pour la recherche et la formation sur ces énergies. La formation REEP pour « Renewable Energy Education Partnership », est une formation continue EDULINK de l’UE de renforcement des capacités.. Venez visiter nos laboratoires à Kamboincé. Vous y serez surpris.

Sidwaya(s) : La SONABEL en tant que société d’électricité, ne peut-elle pas exploiter l’énergie solaire ?

Y. C. : Tôt ou tard elle va arriver à cela. Je crois bien que c’est ce qui est en discussion. Il est actuellement question dans le monde entier de construire de grosses centrales solaires pour pouvoir injecter l’énergie sur le réseau. Il y’a à la base de cette volonté non seulement un calcul économique mais aussi un raisonnement environnemental. C’est la mode aujourd’hui dans tous les pays développés.

Lorsque vous réalisez un projet qui permet d’éviter de produire des gaz à effet de serre, le projet obtient facilement un financement. Cela permet aux occidentaux d’acheter les crédits carbones aux pays en voie de développement. Beaucoup de pays en voie de développement ont des projets dans ce sens, soit des projets solaires ou alors à biomasse avec parfois des forêts à régénérer afin de dégager un crédit carbone élevé.

S : Quand on prend une structure telle que la SGBB, quel intérêt a-t-elle à installer une centrale solaire ?

Y. C. :Il y’a plusieurs raisons. L’intérêt peut être à la fois écologique et économique. Pour une banque, ça lui fait aussi de la publicité. Dans tous les cas elle montre la voie à tout le monde et c’est cela qui est louable. La SGGB fait ce qu’on appelle une utilisation au fil du soleil.

Elle a une centrale solaire de 85 kW qui fournit de l’énergie en continue à la société dans la journée et le réseau SONABEL vient en complément. Dans ces conditions, l’exploitation peut être rentable même pour un particulier. Si l’on veut faire du stockage en utilisant des batteries d’accumulateur et les accessoires qui vont avec, il y a des difficultés par comparaison avec le coût du kWh SONABEL.

S : Quel système le Burkina Faso peut-il développer dès à présent pour profiter du soleil et à moindre coût ?

Y. C. : Pour moi le chauffe-eau solaire est de loin le plus intéressant. Il consiste en un capteur à effet de serre couplé avec un ballon de stockage de l’eau chaude. Dans la journée l’eau du ballon est chauffée par le rayonnement solaire via le capteur plan et le soir vous avez de l’eau chaude à 40, 60 voire 80°C.

Cela ne coûte rien du tout. Même en Europe où l’énergie solaire est faible et où l’électricité n’est pas chère, ils utilisent les chauffe-eau solaires qui sont hautement rentables. Vous installez votre système de chauffage à 600 000 F CFA par exemple et en l’espace d’un an, vous rentrez dans vos fonds. Le chauffe-eau solaire est en particulier très indiqué pour les hôtels, villas, maternités, hôpitaux etc. Au Burkina, il ne devrait pas y avoir de chauffe eau électrique.

Parfois on se pose la question de savoir pourquoi ça ne marche pas. Regardez comment le coût de l’électricité est élevé. Je trouve aberrant que les gens continuent d’utiliser le chauffe-eau électrique. Mais le gros problème que nous avons ici, c’est la fiabilité du matériel et bien sûr l’investissement nécessaire pour acquérir un chauffe-eau. Il faut du matériel qui marche bien avec une plomberie de bonne qualité et un capteur solaire de qualité pour que le système fonctionne.

S : Le matériel est-il fabriqué ici au Burkina ?

Y. C. : Il y a beaucoup de matériel fabriqué au Burkina. L’ONG ATESTA aujourd’hui centre écologique Albert Schweitzer a formé beaucoup de techniciens pour fabriquer sur place ce matériel dans les années 90. Ceux qui ont bénéficié de cette formation, fabriquent du matériel de qualité.

Malheureusement, il y a actuellement des fabricants qui font des chauffe-eau à mauvais rendement avec une durée de vie faible. Au bout de deux ou trois ans, on constate des fuites partout. Si de tels chauffe-eau sont en vente, cela n’est pas de nature à encourager les consommateurs. Parallèlement, des commerçants importent des chauffe-eau solaires, plus parfois le capteur seul, qui coûte cher. La performance de ce capteur est capitale.

S : Dans le cas d’une famille, comment profiter de l’énergie solaire à moindre coût, pour la cuisine, la climatisation et autres appareils électroménagers ?

Y. C. : Commençons par la cuisine. Dans le temps, il y avait des cuisinières solaires fabriquées à partir de grosses paraboles familiales. Mais ce n’était pas très pratique. Les femmes se faisaient éblouir par les rayons solaires. Les jours de pluie on ne mangeait pas et en général les temps de cuisson étaient très longs. A ce jour, il n’y a pas à ma connaissance de cuisinière solaire adaptée au besoin des familles qui puisse remplacer le bois ou le gaz par exemple.

Pour les frigos, c’est le même problème. Le système qui marche le mieux, est celui qui utilise l’électricité photovoltaïque et le réfrigérateur classique à compression. Mais c’est cher surtout en ville où en utilisant le réseau SONABEL on arrive à des coûts de production du froid beaucoup plus faibles. L’éclairage vaut encore mieux. Dans tous les cas ce système marche très bien dans les villages où on n’a pas beaucoup le choix. Pour revenir au frigo solaire, il y a une technologie qui a de l’avenir.

C’est l’utilisation directe de l’énergie solaire sans passer par l’électricité sur des frigos spécifiques dits à sorption. Ils fonctionnent comme les frigos à gaz ou à pétrole que l’on trouve couramment dans les villages. Ils consistent à utiliser directement la chaleur du soleil pour faire du froid. Dans les années à venir, il y a beaucoup de chance que les frigos à sorption se développent et qu’on puisse faire du froid dans les maisons et surtout la réfrigération à faible coût à partir de l’énergie solaire.

S : Il y a quand même beaucoup de technologies que nos chercheurs mettent en œuvre mais qui ne sont pas valorisées. Quel est le problème à votre avis ?

Y. C. : Ce que je constate est que les pays francophones sont moins bons dans ce domaine que les anglophones. Dans ces pays les populations ont le sens du business ou le flair des bonnes affaires. Dès qu’un entrepreneur découvre une nouvelle technologie dans un centre de recherche ou ailleurs, il trouve les moyens pour l’exploiter. Même si au départ c’est du bricolage.

Il finit par trouver la voie pour l’exploiter. Mieux, des petites entreprises travaillent parfois directement avec les laboratoires de recherche. Dans nos pays francophones on n’aime pas prendre ce genre de risque. On invente également des choses, mais il n’y a personne pour les produire industriellement ou à grande échelle.

S : Donc en tant que chercheur, avez-vous souvent l’impression de travailler pour rien ?

Y. C. : Dans tous les cas, le relais vers la production des résultats de la recherche n’existe pas. Comme exemple, nous avons celui déjà tenté au 2ie et qui a échoué. Un de nos collègues a mis au point un système de refroidissement par humidification pour climatiser les maisons à faible coût. On peut le mettre dans une maison exactement comme un climatiseur.

Ça marchait si bien que quand nous l’avons essayé chez certains enseignants, ils l’ont tous apprécié et adopté. Il marche toujours chez certains collègues. Nous avons ensuite nous-mêmes mis un fonds en place pour démarrer une société de fabrication. Pendant que nous étions dans nos laboratoires, les petits artisans que nous avions embauchés pour gérer la société ont tout vendu à leur profit. Un enseignant ne sait pas gérer une société.

En Afrique, il faut toujours être là, dans la société qu’on a créée. Sinon c’est la faillite à coup sûr. C’est ce qui nous est arrivé. Aujourd’hui le même produit nous revient d’Europe ou de Chine en mieux bien sûr, et se vend comme des petits pains. La société ATLANTIS et ses bio climatiseurs est là pour en témoigner.

S : Il y a des gens qui estiment que la SONABEL a fait un mauvais investissement en faisant l’interconnexion. Pensez-vous que cet investissement aurait pu servir à accélérer la construction d’une centrale solaire de grande capacité ?

Y. C. : Je ne suis pas d’accord avec ce raisonnement. Dans l’absolu c’est bien de réaliser des interconnections. En matière d’énergie, le raisonnement qui tient aujourd’hui c’est la diversification des approvisionnements, c’est le bouquet ou le mix énergétique. On ne laisse pas tomber un système pour aller vers un autre.

Il faut tout mettre en œuvre. Par exemple, associer l’interconnexion à du thermique, du solaire, de l’hydraulique, etc. C’est comme ça qu’on peut atteindre la sécurité énergétique si chère aux états. Ainsi, en cas de problème avec un système, on se retourne vers un autre. A mon avis, ceux qui critiquent la SONABEL ont tord. Le tord du côté de la SONABEL serait qu’après l’interconnexion, elle se couche sur ses lauriers.

Il faut au contraire continuer à diversifier les sources d’approvisionnement. Voilà qu’aujourd’hui nous avons des problèmes avec le thermique qui est devenu trop cher à cause de l’augmentation du coût du pétrole. Si nous avions développé l’hydraulique au moment où tout le monde disait qu’il n’était pas rentable nous en bénéficierions aujourd’hui. La France a un parc nucléaire représentant 75% de sa production d’électricité que beaucoup de nations l’envient. Ça marche bien pour l’instant. Mais imaginez que pour une raison ou une autre le nucléaire soit à bannir, ce serait la catastrophe. Elle serait fortement embêtée.

S : Dans son rapport sur l’énergie, le Conseil économique et social (CES) a recommandé que le Burkina s’engage vers l’énergie nucléaire. Qu’en pensez-vous.

Y. C. : Au stade actuel, le Burkina à mon avis n’en a pas trop besoin. Il y a tellement d’options plus accessibles comme les interconnexions, le solaire, le gaz du Nigéria pour une production électrique régionale, la biomasse dans des cycles thermiques à vapeur d’eau etc. Le nucléaire a un problème. Il fonctionne en tout ou rien. Une centrale nucléaire, c’est une puissance énorme à l’échelle d’un pays comme le Burkina Faso. Sa puissance moyenne est de 1000 MW alors qu’au Burkina Faso, toute la puissance installée tourne autour de 240 MW je crois.

On aura donc 700 MW de trop. On dit parfois qu’elle doit être construite pour une région. Mais même dans ce cas, le problème de la disproportion subsiste. Lorsque la centrale est à l’arrêt c’est 1000 MW que vous devez trouver ailleurs. Si par malheur il y’a une panne, le problème de délestage que nous vivons actuellement est multiplié par dix. Dans le raisonnement technique sur l’énergie on dit qu’il ne faut pas avoir plus de 15% de son énergie nationale fournie par une même centrale. Et puis il y’a aussi le problème de la dépendance de l’extérieur, des déchets, des investissements énormes etc.

En Afrique, peut-être l’Egypte, l’Afrique du Sud et le Nigeria peuvent envisager des centrales nucléaires. Pour les autres pays, c’est pour le moment aberrant. Un projet commun peut-être envisagé si chaque pays peut prendre 15 à 20% de la production avec bien sûr le risque de voir les problèmes politiques remette tout en question. Or dans le domaine du nucléaire les erreurs sont fatales et irréversibles.

Propos recueillis par Fatouma Sophie OUATTARA

Sidwaya

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