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Arts plastiques au Faso : La menace plane !

Publié le jeudi 6 mai 2010 à 02h04min

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Pendant longtemps, les arts plastiques au Burkina ont évolué dans une semi-clandestinité. Grâce au travail des artistes et des galeristes, les arts plastiques ont commencé à avoir une certaine visibilité. De plus en plus, des personnalités politiques et universitaires s’impliquent dans la promotion des arts plastiques. Grisés par ce succès, les marchands d’art se sont lancés dans une frénésie de manifs et de choix esthétiques qui menacent l’ancrage des arts plastiques dans le pays.

Nous avons, en son temps, regretté dans cette rubrique que l’Etat burkinabè ne s’impliquât pas dans la promotion des arts plastiques et salué le dynamisme des restos, bars et galeries qui organisent des vernissages, des expositions et encadrent des écuries d’artistes. Un véritable travail souterrain qui commence à porter fruit.

En témoignent l’implication de l’épouse du Président de l’Assemblée nationale, des universitaires et du ministre du Commerce, Léonce Koné, dans la promotion des arts plastiques à travers le parrainage d’artistes ou la participation à la première fête des arts plastiques. Et de plus en plus de Burkinabè s’intéressent à la peinture et à la scupture.
La frénésie « expositive »

Mais au moment où la moutarde commence à prendre, Beaucoup de marchands d’art, peut être grisés par ce relatif succès, se sont lancés dans une course effrénée à l’exposition ; ce qui n’est pas sans conséquence sur la qualité des productions des artistes.

En effet, pas une semaine sans qu’un resto ou une galerie annonce une expo autour d’un artiste, d’un groupe d’artistes ou de duo peignant à quatre mains, qui est la dernière trouvaille. En terme de communication, l’omniprésence des arts plastiques dans l’actualité est payante, et commercialement, cela donne l’illusion d’une vitalité du secteur et d’un bouillonnement créatif.

C’est tout bénef pour ces marchands de faire croire que les agendas sont surchargés et que les affaires roulent. Mais pour la petite tribu de peintres, ce tourbillon les entraîne dans une sarabande endiablée à leur donner le tournis. A vouloir participer à ces expos, ils sont obligés de reconduire les mêmes toiles ou de les modifier a minima.

Contraints à l’urgence des expositions, ils ne se renouvellent pas et accrochent au fil des mois et des vernissages les mêmes toiles, retouchées sous des noms différents.

Pour continuer à alimenter la boulimique machine à expositions et tenir ce rythme marathonien, marchands et artistes ont trouvé la solution miracle : la peinture abstraite.
La vacuité de l’art abstrait

La peinture figurative, quelle que soit la liberté de l’artiste dans la représentation du monde, peut être évaluée à l’aune du modèle. Le regard y reconnaît, même déformé, même compressé, même stylisé, le référent. Elle exige par conséquent un minimum de savoir et de savoir-faire dans l’art de peindre.

Fi de tout cela dans la peinture abstraite, autrement dit la peinture absconse, elle est le refuge de tout peintre qui ne sait tenir un pinceau ou une palette, qui n’a jamais entendu parler de lignes, de volumes et de perspectives. Avec l’abstrait, on entre en peinture en un tour de main.

Il suffit de salir la toile, d’y mettre des taches, des points, des giclures, des fils, des clous, des cauris, des amulettes, des plumes pour monter son fond animiste et africain et surtout quelques gribouillis pour faire ésotérique. Et voilà le bonhomme porté au pinacle.

Sa toile est visible mais pas lisible, ou du moins autorise-t-elle toutes les lectures, et des plus contradictoires. Mais qu’importe ! Elle devient une auberge espagnole où chacun trouve ce qu’il apporte.

L’un verra des caravanes de bourriques là où l’autre y verra des tunnels de la planète Mars ou la constellation de la Grande Ourse. Et on pourra varier le boniment à la carte suivant la gueule de l’acheteur. Veut-il de l’art brut ? en voilà ; de l’art nègre ? du ready made ? du conceptuel ? en veux-tu, en voilà.

Jacques Guégané, un poète amoureux de la peinture, parlait, lors de la Fête des Arts plastiques, d’éduquer le regard du public pour qu’il s’approprie l’art mais sur ces toiles, l’œil est déstabilisé, nulle bouée où s’accrocher, il coule à pic dans ce bourbier pictural.

Il est vrai qu’Ingres disait que « le crayon doit se promener sur le papier comme une mouche sur une vitre », mais de ce conseil de maître, ici, les artistes n’ont pas retenu la légèreté du pinceau, seulement la chiure de l’insecte sur la toile.

Signalons qu’il y a d’excellents peintres abstraitistes au Burkina, qui font un formidable travail de recherche sur la couleur et la forme et qu’il ne faut point confondre avec la génération spontanée de peintres suscités par les marchands d’art.

Il nous semble que l’emballement des galeristes est nocif à l’éclosion des arts plastiques au Burkina. Les peintres ont besoin de répit pour se consacrer à leur œuvre, laisser leurs intuitions mûrir et trouver leur voie personnelle.

Et surtout apprendre, car la peinture est vieille de plusieurs siècles, elle est un langage qu’il faut connaître, des techniques qu’il faut maîtriser, il est donc nécessaire pour les peintres burkinabè de s’approprier l’héritage pour le faire fructifier. Chacun en y mettant sa culture et sa sensibilité.

Au train où vont les choses, si le bémol n’est pas mis à « l’exposite aiguë » et à la peinture absconse qui est son corollaire, on pourra dire de maints artistes burkinabè ce que Beckett disait de Bram Van Velde : « Il peint l’impossibilité de peintre ». Ce qui n’est pas un compliment mais un jugement cruel pour un peintre !

Barry Saïdou Alceny

L’Observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 6 mai 2010 à 14:38, par Sanon En réponse à : Arts plastiques au Faso : La menace plane !

    Le meilleur des peulhs assurément. J’aime cette analyse et je pense qu’il faut aider ces gens là à s’en sortir. Les peintres sont des artistes et je sens qu’ils vont finir par se transformer en artisans. LE LUNDI 31 MAI 2010 aura lieu une Vente à l’Atelier Richelieu à Paris. Dans la pléiades d’artistes africains au programme, nous n’avons que Saidou Boly, un autre bon peulh, ça commence à faire... mais il faut que minsitère de tutelle qui est totalement bleu dans les arts plastiques se mette à la page. Il y a trop de faveurs pour les musiciens au détriment des autres.
    Merci Barry

  • Le 12 mai 2010 à 19:33, par Pierre Garel En réponse à : Arts plastiques au Faso : La menace plane !

    Enfin un article polémique sur la peinture au Burkina Faso ! qu’il ait été écrit prouve que ce domaine artistique entre enfin dans l’âge de raison ! ou au moins dans l’arène du médiatisable ! Il m’inspire cependant quelques interrogations :

    Le débat entre art abstrait - qui existe depuis exactement un siècle en tant que tel - et figuratif est clos en occident depuis 50 ans… Doit-on être une fois de plus à la traîne du Nord dans nos prises de conscience, ou ne peut-on inventer nos propres notions, repères, valeurs artistiques ?

    Car sait-on vraiment de quoi on parle ? il y a très peu de peintres abstraits au Faso, La plupart sont semi-figuratifs et ne maîtrisent certes pas pour autant la composition, les proportions, l’expression, ni l’originalité. Combien de ses peintures qui alignent au km des personnages flous dans un décor indéterminé ?

    La bonne peinture abstraite est, elle, difficile - et n’est d’ailleurs pas très contemporaine, contrairement à ce que croient la plupart des artistes. Comme bon peintre strictement abstrait, je ne vois guère que Achille Zoungrana.

    Le problème n’est pas d’être abstrait ou pas, mais plutôt : pourquoi tant de peintres – selon cette technique de peinture de chevalet inventée, en occident toujours, pour un public bourgeois, devenu là-bas si marginale dans le monde des arts plastiques depuis les années 1970 ? pourquoi les plasticiens burkinabè dit « contemporains » n’investissent pas plus le volume, l’espace, les matériaux, dans lesquels ils sont souvent instinctivement meilleurs ? Est-ce simplement trop lourd, volumineux, moins facilement exportable ? aux plasticiens d’en inventer la nouvelle forme, les nouveaux matériaux !

    J’aurais aimé aussi que M. Barry - dont j’admire une fois de plus la plume, mais dans ce qu’il me semble ici être davantage un exercice de style qu’une analyse de la réalité - nous dise de quels marchands il parle (y en a-t-il au Burkina Faso ?), et de quelles expositions de quels peintres il s’agit ? je ne vois pas bien où elles ont pu avoir lieu… ni n’est remarqué qu’elles sont plus nombreuses qu’avant dans les quelques lieux consacrés…

    Ce qu’il pointe à besoin d’être pointé : trop d’expositions approximatives, trop de peintures hasardeuses, trop de jeunes qui se croient artistes sans savoir de quoi il ressort, ces suiveurs qui n’ont même pas la foi mais seulement l’appât du gain… et je rajouterais : trop d’amateurs d’art, expatriés d’occident, d’une peinture « africaine » facile, comestible et bon marché, ces acheteurs qui font le lit de ces pratiques semi-artisanales pléthoriques. Des pratiques bien décoratives et surtout peu engagées... Au Faso, Le Smockey de la peinture n’est pas encore né.

    Tant qu’on ne tombe pas dans l’ostracisme entre abstraction et figuration, le débat est salutaire. Sachons donc bien de quoi on parle en définissant les termes que l’on emploie et leur origine.

    M. Barry, merci pour cet article qui ouvre le débat.

    Pierre Garel, plasticien du Hangar 11

  • Le 31 octobre 2010 à 02:24, par Emmanuel Kavi En réponse à : Arts plastiques au Faso : La menace plane !

    Bonjour,
    je viens de tomber sur cet article, disons que l’auteur n’a dit que de la vérité, de la pure vérité car tout le monde est devenu artiste peintre à Ouagadougou, même nos encadreurs.Beaucoup se refusent derrière l’abstraction avec comme ingrédient principale ;les cauris, incapable de dessiner même un œuf

    Emmanuel KAVI
    Artiste peintre plasticien

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