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Moussa Kaka : "J’ai honte pour mon pays"

Publié le lundi 30 août 2004 à 07h44min

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Le 10 août 2004 sur l’axe Arlit-Agadez dans le nord nigérien, une attaque de véhicules de transport de passagers faisait 3 morts, 11 blessés ; des biens furent emportés et quelques éléments des forces de sécurité, enlevés. Simple acte de banditismes ou retours des vieux démons ?

Quelques heures après en tout cas, Mohamed Boula, frère de Rhissa Ag Boula, ancien ministre du Tourisme et ex-leader de la rébellion touarègue, récemment limogé du gouvernement, revendiquait l’attaque sur les ondes de Saraounia FM, dont le directeur n’est autre que Moussa Kaka, correspondant de Radio France international (RFI) à Niamey. Il n’en fallait pas plus que ce scoop pour que notre confrère soit suspecté de collusion avec les bandits ou les rebelles (c’est selon) et convoqué le 12 août à la Gendarmerie, où il sera détenu pendant 5 jours. C’est un Moussa Kaka un peu amer que nous avons rencontré à son bureau le mercredi 18 août dernier sur le coup de 11 heures.

Comment ça va cher confrère ?

• Dieu merci, pour l’instant ça va.

Pas de séquelles de ton passage chez les pandores ?

• De séquelles non ; seulement de mauvais souvenirs, dans la mesure où j’ai passé quatre nuits de détention en cellule avec ce que j’en retiens du système judiciaire nigérien.

Au fait, dans quelles circonstances précises t’a-t-on appréhendé ?

• Tout a commencé le jeudi 12 août vers 12 heures 30 mn. J’étais dans mon bureau quand on m’a annoncé la visite de 3 gendarmes qui attendaient au secrétariat. J’ai dit de les faire entrer.

L’officier de police judiciaire le plus gradé, un adjudant-chef, après s’être présenté, m’a laissé entendre qu’il était en mission commandée et qu’il avait pour instruction de m’amener à la gendarmerie. "Pour quel motif, et avez-vous un mandat d’amener ?" ai-je demandé. "Non", m’a-t-il répondu, précisant malgré tout que force doit rester à la loi.

J’ai alors demandé quelques minutes pour ranger mon bureau avant de les suivre. J’ai conduit moi-même mon véhicule jusqu’à la gendarmerie, où on m’a laissé toute la journée. Le soir on m’a mis en cellule, d’où je ne suis sorti que le lundi vers 16 heures pour être présenté au procureur de la République.

Tu as donc passé ces cinq jours constamment en cellule ?

• Affirmatif. Matin, midi, soir j’étais dans ma cellule. Je ne sortais que pour prendre mes repas avec mon épouse quand elle venait. D’ailleurs le premier jour elle n’a pas pu me voir. Selon les gendarmes, ils avaient reçu de leurs supérieurs des instructions fermes en vertu desquelles je ne devais avoir aucun contact avec qui que ce soit et devais rester enfermé.

J’ai de ce fait passé tout mon temps en cellule, à même le sol dans les odeurs nauséabondes des urines et autres impuretés. Sans oublier le bataillon de moustiques et il m’arrivait de négocier avec les petits gradés pour qu’il m’achète des insecticides. Voilà comment j’ai passé mon temps là-bas.

Tout cela pour te dire qu’on te reprochait quoi ?

• A la fin de ma détention, quand je suis arrivé à la justice, j’ai lu le document de la gendarmerie où on m’accusait d’association de malfaiteurs et de complicité dans l’attaque perpétrée par des rebelles entre Arlit et Agadez, à 1200 km au nord du pays.

C’est là que les frères de Rhissa Ag Boula, l’ancien ministre du Tourisme, sont entrés en rébellion contre l’Etat du Niger parce que leur parent a été limogé du gouvernement et mis en détention pour une histoire de meurtre dont il serait le commanditaire.

Et pourquoi t’a-t-on arrêté, toi, et pas un autre journaliste ?

• Moi tout simplement parce qu’on se demande comment 3 heures seulement après l’attaque, Moussa Kaka a été le premier journaliste à avoir l’info qui est passée sur RFI. Et comment, sur Saraounia Fm que je dirige, j’ai pu interviewer les rebelles en français et en haoussa, lesquels ont effectivement confirmé avoir mené l’attaque et enlevé deux gendarmes et deux gardes républicains.

Chemin faisant ils ont libéré, après les avoir désarmés, les deux gardes républicains parce que c’était des jeunes Touaregs, mais jusqu’à l’heure où je parle, ils détiennent les deux gendarmes dans les montagnes. L’Etat du Niger croit donc que j’étais au courant de l’attaque pour en avoir été mis au parfum avant, d’où mon scoop.

Ce qu’on oublie, c’est que j’ai fait cinq ans dans le maquis au moment de la rébellion touarègue ; j’ai couvert les négociations de Ouaga, j’ai suivi le processus, du début à la fin, de sorte que ces gens me connaissent très bien. Ce faisant, la meilleure personne à qui ils peuvent s’adresser dans ce genre de situation, c’est Moussa Kaka. C’est aussi simple que cela.

Es-tu aujourd’hui lavé de tout soupçon après ton passage chez le procureur ?

• En fait, en tout et pour tout, je suis resté trois minutes dans le bureau du procureur. Il m’a juste demandé ce qui s’était passé, comment j’avais eu mon info, et quand je lui ai répondu, il m’a dit ceci :"Moussa Kaka, rentrez chez vous ; le dossier est vide, il est incomplet. Je vais demander aux gendarmes de continuer leur enquête...".

Soit dit en passant, après mon arrestation, les gendarmes sont venus perquisitionner mon bureau. Ils ont tout fouillé, à la recherche de je ne sais quoi et à la fin, ils sont partis avec mon téléphone cellulaire, mon bloc-notes et mes deux carnets d’adresses.

Autant dire ton trésor de guerre si on ose parler ainsi.

• Tout à fait. Ils sont aussi allés chez moi, mais là ils n’ont rien pris. J’espère qu’ils vont me rendre le plus rapidement possible mes affaires, car ça handicape énormément mon travail.

Quelle leçon est-ce que tu tires de cette affaire ?

• La leçon que j’en tire, c’est que dans mon pays la liberté de la presse est dangereusement menacée. Nos dirigeants veulent toujours savoir ce qui se passe en Côte d’Ivoire, au Burkina, au Liberia, en Irak... mais ils ne veulent pas que les autres sachent ce qui se passe chez nous.

Et ça ce n’est pas bon. Pourquoi chercher à savoir ce qu’il y a chez le voisin et vouloir cacher en même temps vos propres turpitudes ? Et quand les journalistes en parlent, on les traite de tous les noms, on les harcèle, on les menace, on les suit, on met leur téléphone sur écoute, et c’est malheureux. Vraiment j’ai honte pour mon pays, sincèrement.

A ton avis, l’attaque de la dernière fois était-elle un épiphénomène ou la rébellion touarègue menace-t-elle de nouveau le Niger ?

• Aujourd’hui, je crois qu’il y a une vraie possibilité de reprise des hostilités entre l’Etat nigérien et les rebelles touaregs et toubou également. Ces peuples vivent dans des conditions très dégradantes dans le Kawar, à l’extrême nord-est du Niger, à la frontière avec le Tchad. C’est en fait le prolongement du Tibesti tchadien, où sévissent, on le sait, les rebelles du MDJT.

C’est leurs cousins qui sont au Niger, et ce sont des peuples très coriaces et téméraires. Je pense que le gouvernement nigérien fait le politique de l’autruche, car à chaque fois que les rebelles se sont manifestés et qu’ils ont fait des communiqués, on les a traités de bandits, de criminels, de grands voleurs. Et la tumeur s’étendait.

On nous avait reproché d’avoir dit sur Rfi que plusieurs gardes républicains et anciens combattants touaregs ont déserté pour rejoindre la montagne. Le gouvernement avait prétendu qu’il ne s’agissait que de 5 personnes. Or, dans son dernier communiqué, le même gouvernement a parlé d’une attaque avec deux 4x4 pleines de bandits armés. D’expérience, je sais que dans chacune des 4x4 il y a en moyenne quinze personnes quand ils se déplacent ; ce qui donne une trentaine de personnes qui ont attaqué ces bus et non cinq comme prétendu.

Vraisemblablement donc, on cache l’information au peuple alors que c’est en train de repartir dangereusement.

Après Mahamane Abou il y a quelques mois, c’est toi qui fait maintenant connaissance avec les geôles nigériennes. Que faut-il faire selon toi pour améliorer les conditions d’exercice du métier au Niger ?

• Entre réalité, les autorités nigériennes souhaitent même la mort des médias privés et de la liberté de la presse, elles n’en ont cure.

Pour ne prendre qu’un exemple, dans 3 mois ça sera la fin de la législature et même une simple feuille de papier, l’Etat nigérien n’a pas daigné en donner comme subvention à la presse privée. Pourtant chaque année c’est budgétiser. Où va donc cet argent ?

En plus on fait tout pour que les journaux et les radios n’aient pas de publicité, du moment que vous n’écoutez pas la voix du maître. Manifestement, on n’a pas intérêt à ce que la presse se développe dans ce pays. La bonne preuve est d’ailleurs ce CSI aphone qui ne parle pas même quand les journalistes sont opprimés. Du reste même le CSI est menacé parce qu’il n’a pas de fonds pour tourner. C’est peut-être une forme de chantage que fait perpétuellement le gouvernement.

Il faut donc que l’Etat joue son rôle et laisse la presse libre de travailler. S’il y a des diffamations, si nous mentons sur des gens, si nous avons des écarts de quelque nature que ce soit, nous ne prétendons pas être au-dessus de la loi ; que la justice fasse son travail, il n’y a aucun problème là-dessus, nous nous assumons. Mais quand on fait son boulot honnêtement, qu’ils nous collent la paix.

En plus d’être le correspondant de RFI à Niamey, tu es depuis quelques années à la tête d’une chaîne de radios, Saraounia FM. Comment ça se passe avec cette nouvelle expérience ?

• En ce moment nous avons 5 stations à travers le pays avec la même fréquence partout (le 102.1), mais chacune des antennes est indépendante avec son émetteur, son personnel, etc.

C’est surtout la publicité qui nous fait vivre et nous la gagnons auprès des commerçants et des grands projets de développement à qui nous servons de relais dans les zones où ils ont des populations cibles à atteindre. Je dois dire que c’est rentable et bien que l’Etat ne nous donne pas le moindre rond, les radios et les journaux se débrouillent bien, ils paient leur personnel...

Propos recueillis à Niamey par Ousséni Ilboudo
L’Observateur Paalga

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