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LIGUE ARABE-UA : Khadafi entre deux chaises

Publié le mardi 30 mars 2010 à 03h29min

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On le sait déjà, le colonel libyen Mouammar El Khadafi, vit un véritable drame : celui d’un homme obsédé par le souci d’affirmer son leadership un peu partout. Mais il semble également vivre un dilemme : être à la fois Africain et Arabe ; en d’autres termes, appartenir à deux mondes différents mais aussi proches.

La soif du leadership a de tout temps caractérisé le guide de la révolution libyenne qui a jusque-là su profiter des situations pour s’illustrer. Par exemple, face aux Occidentaux, il a toujours répondu du tac au tac, n’hésitant pas, lorsque ses intérêts et ceux de son pays sont en jeu, à mettre la main à la poche, ou à brandir l’arme du pétrole et du gaz naturel. D’où cette crise avec la Suisse qui vient de prendre fin après environ deux ans de tiraillements. La Libye et l’Union européenne ont ainsi annoncé récemment la levée réciproque des restrictions à l’octroi de visas. La crise avait été provoquée par l’interdiction suisse à des personnalités libyennes d’entrer dans l’espace Schengen. Khadafi crie sans doute victoire, mais l’UE et lui ont-ils la même compréhension des choses ?

S’agissant du continent, le guide libyen a tenté, mais en vain, de réaliser son projet d’unité africaine. Comme surpris, mais visiblement déçu par la fin de son mandat de président en exercice, il n’a pas hésité à demander à être reconduit à la tête du sommet des chefs d’Etats membres de l’Union africaine. C’était sans compter avec l’agacement et la détermination de ses adversaires. La présence grotesque de quelques "rois d’Afrique" et certainement dépassés par les événements n’y a rien changé. L’irritation était donc à son comble. A tel point qu’après l’échec de sa tentative, le guide libyen a commencé à bouder sérieusement le continent.

Mais cet échec à faire reconduire son mandat à la tête de l’Union africaine n’a rien enlevé à la combativité et à la soif de leadership du colonel Khadafi. Le voilà encore projeté à l’avant-scène du monde arabe dont il rêve depuis longtemps de prendre le leadership. Le récent sommet de la Ligue arabe qui s’est tenu chez lui, à Syrte, en est l’occasion. Il intervient à un moment où les négociations entre Palestiniens et Israéliens par Américains interposés sont en panne. Mais aussi au moment où l’Iran subit la pression des puissances occidentales qui le suspectent de vouloir développer l’arme atomique. Le contexte est donc propice au renforcement de la cohésion et à l’expression d’une solidarité agissante. Quel rôle Khadafi pourra-t-il réellement jouer auprès de la Ligue arabe ? Assurément, il devra travailler dur pour convaincre ses pairs arabes divisés. Rêverait-il d’un monde arabe uni associé à une Afrique unie, dont il pourrait être un jour une sorte d’émir ?

Force est de reconnaître que tant dans les pays arabes qu’en Afrique, partout où il va, le chef de l’Etat libyen hypnotise et passionne les foules lors de ses déplacements. En Afrique sub-saharienne en particulier, Khadafi, après 41 ans de pouvoir sans partage, continue toujours de captiver et d’électriser le public. Face à l’arrogance du Nord, son discours révolutionnaire a toujours plu à l’opinion publique.

Mais, en dénonçant les régimes corrompus à la solde de l’Occident capitaliste, Khadafi se fait aussi rejeter de certains dirigeants africains ou arabes. Sa verve, si elle lui ferme des portes, ouvre du même coup des boulevards d’estime de la part d’une multitude de gens que des politiques de développement inadéquates et l’incurie de pouvoirs autocratiques ont jetés dans la rue. Le leader libyen parvient ainsi à mobiliser les exclus et les marginaux qui peuplent les pays du Sud. En effet, le citoyen ordinaire apprécie grandement les prises de position et le langage cru du leader de la Jamahiriya libyenne Populaire et socialiste qui n’a de cesse de défendre des causes populaires comme celle des Palestiniens. Ainsi, dans les pays arabes, certains leaders ont toujours craint de le voir leur porter ombrage tant à l’intérieur des frontières que dans les tentatives de trouver solution aux problèmes extérieurs.

Incontestablement, ce sommet de la Ligue arabe tombe à pic pour Khadafi qui a toujours cherché à jouer les premiers rôles au sein des ensembles arabes et africains. Les rapports entre le colonel Khadafi et la Ligue arabe ont toujours été rythmés par la foi et la méfiance réciproque. Les choses pourraient-elles évoluer dans le bon sens s’il en vient à présider aux destinées de la Ligue arabe ? Le monde arabe est un véritable microcosme où s’affrontent de vieilles rivalités, les unes revendiquant la source de l’arabité et les autres leur appartenance aux clans à l’origine ou à l’expansion de l’islam. De profondes divergences d’ordre religieux ou idéologiques survivent donc au temps et à l’espace. De temps à autres, elles alimentent les luttes sourdes pour le leadership, lesquelles finissent toujours par profiter aux adversaires potentiels de l’Islam ou du monde arabe. Le guide libyen aura donc fort à faire dans ce milieu divisé et à la recherche d’une cohésion que le monde arabe ne retrouve qu’épisodiquement et face à Israël.

Si ce n’est pas par dépit qu’il organise le présent sommet de la Ligue arabe chez lui, le leader libyen aura-t-il suffisamment tiré leçon de ses déconvenues en Afrique pour savoir éviter les frasques qui pourraient incommoder ses pairs arabes ? Le guide libyen qui est si souvent désabusé, va-t-il continuer à mettre autant d’énergie et de temps à vouloir résoudre à la fois les problèmes de l’Afrique sub- saharienne et ceux de la Ligue arabe ? Avec le poids de l’âge, on peut parier que le leader libyen tient encore à occuper une place importante dans l’espace politique, le temps de bien positionner ses fils qui sont déjà dans les arcanes du pouvoir.

"Le Pays"

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Vos commentaires

  • Le 30 mars 2010 à 23:15, par Yves En réponse à : LIGUE ARABE-UA : Khadafi entre deux chaises

    Article intéressant, merci.

    Juste un détail : la crise entre la Libye et la Suisse est peut-être terminée du point de vue de l’UE, mais pas de celui de la Suisse (Max Göldi est retenu en Libye depuis l’été 2008, a été emprisonné à plusieurs reprises et l’est actuellement, en représaille de l’arrestation de Kadhafi junior et Madame à Genève suite à une plainte pour mauvais traitements), et visiblement pas de celui de la Libye (là, je renonce à tenter une explication).

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