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L’impact des mutations technologiques dans les domaines des médias burkinabè

Publié le lundi 19 décembre 2011 à 09h55min

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L’impact des mutations technologiques dans les domaines des médias burkinabè

Les mutations technologiques, et précisément la convergence de l’écrit, du son et de l’image opérée par le mariage des télécommunications et de l’informatique, ont entraîné dans le domaine des médias une révolution synonyme de nouvelles pratiques dans la collecte, le traitement et la diffusion de l’information. Les médias burkinabè, à l’image des médias africains de façon générale, ne sont pas restés à l’écart de ces changements même s’ils y sont allés avec beaucoup de tâtonnements.
Dans cette analyse, nous nous proposons, de dresser un état des lieux des médias burkinabè en ligne (I) et ensuite, d’analyser les mutations en cours ainsi que les nouveaux défis que cela représente pour ces médias (II).

I. Panorama des médias en ligne

La diffusion en direct sur Internet de la télévision nationale du Burkina depuis quelques jours illustre les changements en cours dans le domaine des médias burkinabè . Opérée le 4 novembre lors de la 6e rentrée télévisuelle de la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB), cette innovation, qui a été unanimement saluée par les internautes , illustre aussi la distance parcourue par les médias burkinabè dans l’univers du Web depuis les premières tentatives de presse en ligne au milieu des années 1990.

En effet, les premiers essais de médias en ligne au Burkina remontent à 1996 avec la mise sur Internet de quelques pages des journaux Sidwaya et L’Observateur Paalga. Le Centre SYFED de l’époque, aujourd’hui « Campus numérique francophone », avait alors proposé d’héberger sur son serveur des journaux nationaux. Cela s’est traduit par la mise en ligne de ce qu’on pourrait appeler des cartes de visite de L’Observateur Paalga et de Sidwaya. Les deux journaux avaient affiché leurs logos, avec quelques photos en plus pour Sidwaya, avant que celui-ci n’y ajoute certains articles de Sidwaya Hebdo qui sera créé quelques mois plus tard .

Aujourd’hui, sur les cinq quotidiens que compte le pays, quatre (Sidwaya , L’Observateur Paalga , Le Pays , L’Express du Faso ) ont des sites Web régulièrement mis à jour. Il en est de même pour les principaux titres parmi la dizaine d’hebdomadaires enregistrée : le Journal du Jeudi, L’Indépendant, L’Opinion, San Finna, Bendré, L’Hebdomadaire du Burkina disposent depuis quelques années déjà de leurs versions numériques, plus ou moins régulièrement mises à jour pour certains. D’autres périodiques comme L’Evénement, Le Reporter, Fasozine, sont également en ligne.
Les médias audiovisuels ne sont pas en reste. En plus des sites institutionnels pour certains, d’autres font de la diffusion en ligne. Avant la radio nationale diffusée en ligne depuis le 4 novembre 2011, Pulsar, Horizon FM, Savane FM, la Radio Municipale de Ouagadougou, ont expérimenté, avec des succès plus ou moins éphémères, la diffusion en live sur le Web.

A côté des médias traditionnels reproduits sur Internet, les webzines, les pure players, ont fait leur apparition et se multiplient rapidement, avec ici aussi des succès plus ou moins mitigés. Lefaso.net , Fasozine , ou encore Fasonews , Yikiburkina , Fasopress , Faso-Actu , Burkina 24 , Zoodomail , sont des sites médias, portails d’information ou simples quotidiens en ligne, dont certains sont déjà incontournables pour les internautes. Autre innovation intéressante dans ce registre, la naissance il y a quatre mois du premier média en ligne payant, Courrier confidentiel sur lequel nous reviendrons plus loin.

Comme on peut donc le relever dans les répertoires des médias burkinabè en ligne , avoir une version Internet n’est plus une prouesse. La gageure, c’est de respecter les normes éditoriales induites par les mutations technologiques, mettre en œuvre une vraie stratégie éditoriale et ne pas seulement succomber à l’effet de mode. Ce qui est encore malheureusement le cas pour de nombreux médias en ligne comme le relève notre analyse des nouveaux défis que doivent affronter ces médias.

II. Nécessaires mutations, nouveaux défis

Entre effets de mode et nécessité de modernisation, entre pragmatisme à opérer une mutation technologique jugée indispensable et frilosité à développer de vraies stratégies d’appropriation, les médias burkinabè, à l’instar des cybermédias africains de façon générale, continuent, près de deux décennies après les premiers essais, à s’adonner à un jeu d’un pas en avant, un pas en arrière sur le Web. Conséquences, les sites les plus accomplis techniquement voisinent ou même alternent parfois avec de simples pages de présentation ou des adresses URL qui deviennent brusquement inaccessibles pendant de très longs mois.

Ainsi, les mutations promises par la révolution numérique dans le domaine des médias comme le journalisme multimédia, l’instantanéité, l’interactivité restent encore de rudes défis à relever. Et cela se conjugue avec l’absence d’une stratégie éditoriale en ligne et un modèle économique toujours introuvable.

Le premier de ces défis est assurément de mettre en place une vraie stratégie Web pour réellement profiter des mutations annoncées. Mais ce que l’on constate, c’est que les médias en ligne restent encore très souvent de pâles copies des versions imprimées, de simples copier-coller d’une partie du contenu du journal imprimé. Nous avons ainsi relevé dans notre thèse de doctorat en 2007 qu’en moyenne, Sidwaya reprenait en ligne 96% de ses articles et l’Observateur Paalga 40% . Nous constatons aujourd’hui qu’il n’y a pas beaucoup de changements sur ce plan.

Néanmoins des progrès sont à noter parfois. Ainsi, dans la plupart des rédactions, ce n’est plus un simple informaticien qui s’occupe de la mise à jour, sélectionnant les articles pour ce faire selon ses humeurs. Les équipes ou rédactions Internet sont mises en place ici et là, composées de journalistes et d’informaticiens chargées de produire directement pour le Web (surtout quand il s’agit de mettre en ligne des scoops) ou alors de mettre aux normes du Web les articles choisis pour la version électronique.

Cette nouvelle dynamique est surtout notable dans des rédactions comme Sidwaya , L’Observateur Paalga , et surtout la télévision nationale qui, depuis sa diffusion en streaming, ne se contente pas de ses émissions traditionnelles mais produit aussi des articles pour son site Web, illustrant ainsi le principe du multimédia valable désormais pour tous les médias, à savoir, la conjugaison de écrit, du son et des images.

En effet, le multimédia pour tous les médias est une des mutations entraînées par la révolution du numérique. Mais dans la pratique, cet atout reste encore virtuel pour beaucoup de médias burkinabè. A part les traditionnelles photos, les sites restent très pauvres en vidéos et contenus audio. Si selon une formule de Libération, avec le journalisme multimédia, le lecteur doit pouvoir « écouter-voir » , on peut dire que dans les médias burkinabè en ligne, on est encore loin du compte. Les frontières restent encore rigides entre les différents formats de médias, particulièrement dans les versions en ligne des médias traditionnels car un véritable effort d’appropriation est notable dans les pure players. Certes, les médias ont, à leur décharge, des obstacles techniques comme l’environnement technologique mais c’est surtout l’absence de véritables stratégies éditoriales qui reste le principal handicap.

Et cette absence est illustrée encore par d’autres mutations promises par la révolution numérique mais non encore accomplies dans les médias burkinabè comme l’instantanéité, l’interactivité…

En effet, les nouvelles pratiques journalistiques à l’heure du numérique supposent la mort du fameux « deadline » de la presse écrite, avec la notion d’instantanéité. L’information n’est plus astreinte à un cycle de 24 heures, pour les quotidiens, d’une semaine pour les hebdos, etc. Mais nous constatons dans les médias en ligne, qu’à part quelques grands scoops, le deadline reste encore vivant, il n’y a pas de flux continu de l’information, malgré la présence sur certains d’espaces de publication d’information instantanée.

Par contre l’interactivité, autre pratique induite par les mutations technologiques, semble avoir plus de succès. Les forums de discussions des différents médias sont ainsi devenus des espaces très courus par les internautes, au risque de devenir de véritables foires et défouloirs. Face au risque de dérives, l’instance de régulation, le Conseil Supérieur de la communication, a dû asseoir une concertation avec les acteurs pour trouver des modalités acceptables . Si la régulation a priori des nombreux commentaires, souvent excessifs si ce n’est carrément diffamatoires, a été recommandée, cela a encore de la peine à se mettre en œuvre. Il reste certain que cette question est loin d’être tranchée dans les médias burkinabè, tout comme dans les médias d’ailleurs. Il y a quelques jours, le New York Times a décidé, pour mieux responsabiliser les internautes, de signer leurs commentaires avec leur nom et la photo de leur profil Facebook. Une piste de solution intéressante, même si Facebook n’a pas le même succès partout…

Mais l’interactivité, ce n’est pas seulement les commentaires ou les échanges entre les internautes ; c’est aussi le dialogue entre les lecteurs et les journalistes. Mais ceux-ci sont encore aux abonnés absents dans ces espaces d’interpellation et les questions et autres sollicitations des lecteurs reçoivent rarement des réponses de la rédaction. La contribution du lecteur à l’amélioration des contenus à travers ce qu’on appellerait ailleurs journalisme citoyen, reste alors sous-exploitée.

Ce rapide panorama des médias burkinabè en ligne et le niveau d’appropriation des nouvelles pratiques induites par les mutations technologiques sont symptomatiques des difficultés à véritablement s’approprier les prouesses promises par la révolution du numérique. Elles restent encore fortement tributaires de l’absence d’un modèle économique pour assurer le nerf de la guerre.

Aujourd’hui, le modèle économique qui marche le mieux en matière de netéconomie paraît assez simple : formater et diffuser gratuitement de l’information pour attirer le maximum d’audience et ensuite vendre ces lecteurs aux annonceurs publicitaires. C’est sur ce modèle que fonctionnent les success stories comme Google et bien d’autres entreprises du secteur. Dans les médias burkinabè, Lefaso.net essaie ce modèle avec plus ou moins de succès. Idem pour d’autres médias comme Fasozine ou encore les quotidiens traditionnels comme Sidwaya, Le Pays, L’Observateur Paalga qui proposent désormais des bannières publicitaires avec des offres parfois couplées aux ventes d’espaces dans les versions imprimées.

Une expérience intéressante à suivre est celle de Courrier confidentiel. Lancé en août 2011, ce site qui se présente comme une « publication indépendante d’enquêtes » « 100% électronique » pourrait être qualifié de version burkinabè du site français Médiapart qui a pour ambition de faire de la presse payante en ligne, en vendant de l’information à forte plus value confidentielle. Quatre mois après, les promoteurs notent un succès d’estime et même un début de succès commercial à travers l’intérêt de la diaspora burkinabè, du monde diplomatique et d’une certaine frange de la population.

Le succès réel d’une telle initiative pourrait tracer des pistes pour le modèle économique qui reste encore introuvable pour les médias en ligne ; un modèle sans lequel les mutations technologiques en cours ne peuvent véritablement s’enraciner.

Dr Cyriaque PARE
Attaché de recherche
INSS/CNRST

BIBLIOGRAPHIE

1. www.rtb.bf, consulté le 7décembre 2011
2. On peut le voir à travers les commentaires des internautes sur le portail Lefaso.net où l’information a été relayée avec la publication de l’adresse du site de la « RTB Webdiffusion »
3. C. Paré L’utilisation d’Internet dans la presse écrite francophone : le cas du Burkina Faso, Mémoire de DUR, Université de Bordeaux 3, 1999
4. www.sidwaya.bf, consulté le 7décembre 2011
5. www.lobservateur.bf, consulté le 7décembre 2011
6. www.lepays.bf, consulté le 7décembre 2011
7. www.lexpressdufaso-bf.com
8. www.lefaso.net, consulté le 7décembre 2011
9. www.faozine.com, consulté le 7décembre 2011
10. www.fasonews.net, consulté le 7décembre 2011
11. www.wikiburkina.net, consulté le 7décembre 2011
12. www.fasopresse.net, consulté le 7décembre 2011
13. www.faso-actu.net, consulté le 7décembre 2011
14. www.burkina24.com, consulté le 7décembre 2011
15. www.zoodomail.com, consulté le 7décembre 2011
16. www.courrierconfidentiel.net, consulté le 7décembre 2011
17. Pour un répertoire plus exhaustif des médias en ligne, voir sur www.lefaso.net
18. Cyriaque Paré, Médias et société de l’information en Afrique de l’Ouest. Enjeux, discours et appropriations, Université de Bordeaux 3, 2007, p. 109
19. www.sidwaya.bf, consulté le 7décembre 2011
20. www.lobservateur.bf, consulté le 7décembre 2011
21. www.rtb.bf, consulté le 7décembre 2011
22. Johan Hufnagel, Du son, de l’image et de l’interactivité, Libération, 18 octobre 2005
23. Voir le rapport du panel organisé par le CSC en avril 2010 sur www.csc.bf, consulté le 7décembre 2011
24. www.mediapart.fr, consulté le 7décembre 2011

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Vos commentaires

  • Le 6 février 2010 à 16:46, par Mam togsé En réponse à : 26 et 27 février 2010 à Bordeaux : "FASSOLIDAIRES : BORDEAUX 2010"

    Apparement vous etes très bien structurés à Bordeaux. Bel exemple d’une communauté burkinabè à l’extérieur. Nabès au Maroc copiez vos frères de Bordeaux un jour on est fatigué des fausses organisations.

    • Le 7 février 2010 à 16:13, par from casablanca En réponse à : 26 et 27 février 2010 à Bordeaux : "FASSOLIDAIRES : BORDEAUX 2010"

      Mon frère, il faut reconnaitre que les nabès du Maroc sont aussi bien organisés autour d’une association qui est AEBM, les sorties, les journées culturelles, vous négligez tous ça. Pour votre information, la JC se tiendra cette année à Marrakech.

  • Le 7 février 2010 à 10:08, par Venez nombreux En réponse à : 26 et 27 février 2010 à Bordeaux : "FASSOLIDAIRES : BORDEAUX 2010"

    Avis à tous les étudiants burkinabé de France et d’Europe. Voici une très belle initiative de Rachid et de ses compatriotes. Cette rencontre à laquelle sont invités l’Ambassade du Burkina Faso à Paris ainsi que le Ministre de la Jeunesse du Burkina Faso doit être une occasion non seulement de partage des expériences de la vie d’étudiant, mais aussi une occasion de partage des expériences des uns et des autres afin de poser les bases de la contribution de la diaspora à la construction du Burkina Faso.
    Alors venez nombreux. Un sympatisan de "Fassolidaires" Bordeaux 2010.

  • Le 24 février 2010 à 23:58, par lilboudo En réponse à : 26 et 27 février 2010 à Bordeaux : "FASSOLIDAIRES : BORDEAUX 2010"

    Rectificatif ! gmail ne propose pas d’extension .fr, alors je dois penser que l’adresse mail est fassolidaires@gmail.com. Que du temps perdu dans la communication !

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