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VISITE DE DEBY A EL BECHIR : Trêve de confiseurs ou paix des braves ?

Publié le vendredi 5 février 2010 à 01h33min

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L’annonce de l’événement laisse pantois. Idriss Déby, le Chef d’Etat tchadien se rend chez son homologue et néanmoins ennemi juré, le chef d’Etat soudanais, Omar El-Béchir. Il est que la politique est bien le domaine du tout possible, mais là, il faut le reconnaître, l’événement est de taille.

Lorsqu’on sait quelle haine viscérale a depuis toujours opposé les deux voisins ennemis, lorsqu’on se rend compte avec quelle efficacité les deux chefs d’Etat se sont régulièrement combattus, par rebelles interposés, l’initiative actuelle de Déby le tchadien est à tout le moins surprenante.

Car le président tchadien n’a pas mis les pieds dans la capitale soudanaise depuis...2004. Rien que ça. Entre-temps, les deux dirigeants auront eu tout le temps nécessaire de se traiter régulièrement de tous les noms d’oiseaux car le moindre mouvement à leur frontière commune (qui est immense) a toujours été l’occasion pour l’un et l’autre de se souvenir que l’homme d’en face n’est rien d’autre qu’un ennemi.

Mais voilà. On est en politique et tout y est ondoyant. Le président tchadien a lui-même annoncé qu’il irait rencontrer son homologue soudanais à Khartoum, en début de semaine prochaine. Et déjà une délégation tchadienne a reçu mission de se rendre dans la capitale soudanaise, dans le cadre de la création d’une force mixte tchado-soudanienne. Elle n’est pas belle, la politique ? Si l’on en croit Idriss Déby, il semble avoir reçu tout dernièrement comme une révélation. "J’irai discuter avec le président El-Béchir...Je suis un homme de dialogue et d’ouverture. La guerre n’a jamais arrangé les choses et je sais de quoi je parle..." Vraiment admirable... de réalisme très politique.

Car, personne n’est vraiment dupe au point de gober ces presque déclarations d’amour du voisin ennemi et de l’ingurgiter comme du petit lait. L’initiative de Déby tout comme le désir d’accueil de El-Béchir procèdent de calculs savamment mûris dont la résultante est que forcément chacun des deux chefs d’Etat sortira gagnant d’une réconciliation que l’on qualifierait en temps normal de contre nature. Et c’est vraiment de realpolitik que l’on parle. Les deux dirigeants doivent bientôt faire face à des élections, chacun dans son pays. Le Soudanais voit arriver le temps de la présidentielle dont on peut légitimement penser qu’il le redoute particulièrement. Perdre cette présidentielle est presque synonyme pour lui de se faire cueillir comme un fruit mûr par la CPI plus que jamais aux aguets. Si on ajoute à cette préoccupation majeure la désormais célèbre question du Darfour qui a toujours cours, et les velléités indépendantistes du sud de son pays, on se rend bien vite compte que El Béchir a de quoi se faire des cheveux blancs. Ce n’est pas à présent que le dirigeant soudanais esquissera des pas de danse en public pour narguer Moreno-Occampo et ses juges de la CPI.

Le président tchadien s’il peut se vanter de ne pas avoir suspendu à sa tête, une si grosse épée de Damoclès, n’est cependant pas exempt de problèmes à l’interne. Lui aussi doit faire face à de prochaines élections : les plus proches sont législatives, mais elles ont leur importance pour son avenir politique. De plus, ses rebelles sont là, bien là, et bien décidés à lui mener la vie dure. Déby le sait, n’eût été la présence de ses amis français, cela fait belle lurette que ses "ennemis" lui auraient fait rendre gorge. Et puis, il y a cette bien fâcheuse affaire Hissène Habré dont on ne sait pas vraiment si elle n’explosera jamais. Le président tchadien a été le chef d’Etat-major de l’armée de l’exilé dakarois. De plus en plus de voix réclament son procès. Et les deux chefs d’Etat entretiennent, chacun chez l’autre, ses rebelles qui régulièrement se chargent de faire le sale boulot. En retour, chacun des dirigeants fait de son territoire la base de repli des rebelles d’en face.

El Béchir comme Déby ont tous deux besoin d’une trêve. Tous les deux le savent. Pour se reposer et mener victorieusement les élections, chacun dans son pays. Cela vaut bien une paix des braves. Quitte à sacrifier les ailes les plus dures des différentes rebellions. La raison d’Etat n’épargnant personne, pas même ses fils, ce sont bien ces factions rebelles qui risquent au final de faire les frais de ces chaleureuses amitiés fraternelles subitement retrouvées. Car les deux dirigeants, pour oublier ne serait-ce qu’un temps la haine morbide qui les tenaillait, pour faire ne serait-ce qu’un simulacre de réconciliation, avaient de sérieuses raisons de s’y résigner. Plus, dans ce qui s’apparente à un "deal" politique entre copains ennemis, on a comme l’impression que le Tchadien vole volontiers au secours de son homologue soudanais. La CPI, en ce moment même a le projet d’ajouter un autre qualificatif à ceux dont El Béchir est déjà affublé. En effet, en plus de criminel de guerre et de criminel contre l’humanité, on s’apprête à lui "coller" celui de génocidaire.

L"initiative du président tchadien sert au Soudanais qui voit là l’occasion de démontrer qu’il n’est pas le suppôt de Satan qu’on se plaît à dire de lui. Et comme en plus, l’homme, depuis un certain temps, semble avoir adopté un profil bas, il n’est pas exclu que de plus en plus de voix s’élèvent pour demander que la CPI revoie ses condamnations à la baisse. Le dernier sommet de l’UA a connu des réclamations allant dans ce sens.

Mais en tout état de cause, il faut saluer cette paix des braves. Quelle que soit la brièveté de la trêve que les deux dirigeants accepteront d’observer, cela fera un plus en termes de paix et de pacification dans les deux pays. Et si d’aventure le sommet des deux chefs à Khartoum devait s’avérer le bon, après ceux de Dakar et de Doha, ce serait tout gain pour tout le monde.

Et c’est bien cela qu’il faut aujourd’hui espérer. Car si la politique est vraiment le domaine du tout possible, pourquoi ne pourrait-on pas un jour espérer que la vérité puisse, elle aussi, s’inviter à des débats dont a priori on peut penser qu’ils ont tout d’une foire aux dupes ? Et puis, il faut éviter de faire la fine bouche. On accepte ce qu’on vous offre, en attendant de recevoir plus, demain.

"Le Pays"

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Vos commentaires

  • Le 5 février 2010 à 07:15, par Ndouné En réponse à : VISITE DE DEBY A EL BECHIR : Trêve de confiseurs ou paix des braves ?

    Votre site est d’une qualité exceptionnelle. C’est avec délectation que les formidables infos et analyses diffusées par "Faso.net" sont croquées par les internautes et blogueurs de tous horizons -et principalement d’Afrique - friands de vérité intégrale et d’objectivité sans fioritures.
    Votre analyse sur la prochaine visite de Deby à Khartoum est très pertinente et enrichissante. Cette décision d’aller à Khartoum n’est pas fortuite.
    Comme on le voit bien, la sommation adressée aux résistants politico-militaires tchadiens ayant leurs bases au Soudan de quitter ce pays a sans doute rendu Deby ivre de joie, et c’est sans aucun doute ce nouveau développement consécutif à l’accord de N’djamena que Deby s’en va "fêter" avec son ancien ennemi devenu depuis peu son ami.
    En toute logique, on ne se serait pas attendu à ce que Deby fasse montre d’un aussi déraisonnable triomphe à la seule idée que les bases-arrières soudanaises de ses opposants sont coupées. Mais c’est compter sans l’inconséquence pathologique de ce chef de guerre dont le cerveau est bouché depuis des décennies par le sang que ses mains ont profusément versé.

    Au-delà de la partie visible de la visite prochaine de Deby à Khartoum - où il n’a, en réalité, pas encore été invité - de nombreux observateurs avisés des méthodes du maître de N’djamena voient se profiler un piège dans lequel il voudrait entraîner celui qu’il considère toujours – nonobstant les apparences – comme son ennemi.

    En effet il va aujourd’hui chez El Béchir, contre lequel il a longtemps plaidé pour l’arrestation dans le cadre du mandat d’arrêt international lancé par la CPI, et demain il invitera ce dernier au Tchad pour le livrer entre les mains de la CPI comme il l’a fait récemment avec l’opposant centrafricain Charles Massi.

  • Le 5 février 2010 à 14:02, par Adoum Issa En réponse à : VISITE DE DEBY A EL BECHIR : Trêve de confiseurs ou paix des braves ?

    Deby se croit invincible et bombe le torse depuis sa petite victoire de mai 2009. Pourtant, il sait pertinemment qu’il n’a pas détruit le potentiel humain et militaire de la rébellion de l’Est qui, il faut le dire, pêche seulement sur sa désunion. Cette rébellion dispose encore suffisamment de moyens pour inquiéter le pouvoir de N’djaména qui ne tient en réalité que grâce aux béquilles France-Libye.

    La précipitation de Deby chez El Béchir, sans être invité, se confirmera comme une monumentale erreur politique. Peut être l’ultime de son règne. Car, désormais le Soudan vient de placer les opposants de Deby dos au mur en leur demandant tout simplement de rentrer chez eux. Et comment ? Soit renverser Deby soit déposer les armes et rallier.

    La kermesse est bien terminée à Khartoum où à en croire les observateurs avertis, la décision a été très bien prise par les rebelles. Ce qui laisse croire que le mois de mars sera extrêmement chaud au Tchad où les combats vont inévitablement reprendre.

    Que dira alors Deby ? Va t-il encore accuser El Béchir d’avoir lancer des rebelles contre son régime ? Va t-il recourir au soutien militaire du MJE, la rébellion du Darfour qu’il entretient chez lui ?

    Au Tchad, personne ne fait d’illusions sur cet n ième accord de paix. Cependant, c’est un bras de fer décisif qui s’engage. On accorde un léger avantage aux rebelles qui sont plus déterminés. Deby tremble et cherche à neutraliser les principaux chefs rebelles à Khartoum, limiter les dernières dotations militaires, ..ect. et ce pour amoindrir la force de frappe des rebelles. La France est très attendue à ce niveau. Jusqu’à où va t-elle pousser le rubicon cette fois-ci ? A suivre de très près.

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