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Retour de Cabinda : Jours tranquilles sur une enclave troublée

Publié le mardi 2 février 2010 à 03h14min

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Quand je suis en voyage, mes heures creuses se passent en flâneries. Cela a encore été le cas durant mon séjour en Angola, le pays organisateur de la 27e CAN, qui s’est achevée le dimanche 31 janvier dernier. Cabinda, c’est l’un des sites qui ont été retenus pour la compétition, et c’est là-bas que les Etalons étaient basés. Cette enclave, je l’ai vue et c’est une belle et riche contrée. Protectorat portugais par les accords de Simulambuco vers la fin du XIXe siècle, elle a été annexée par Luanda après l’indépendance de l’Angola en 1975. Et depuis lors, elle est confrontée à une guérilla menée par le Front de libération de l’enclave de Cabinda-Forces armées combattantes (FLEC-FAC).

La province de Cabinda, dont des gens ont entendu parler à la faveur de la coupe d’Afrique des nations de football, est devenue célèbre après l’attaque armée perpétrée par des rebelles séparatistes à la frontière entre le Congo et l’Angola.

Dans ma deuxième lettre de Cabinda, je vous avais parlé de la guerre civile en Angola entre le MPLA (Mouvement populaire de Libération de Angola) et L’UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola).

Après les événements de 92, et suite à la mort de Jonas Savimbi, un protocole d’entente avait été signé entre le général Sachipengo Nunda, numéro 2 des forces armées angolaises, et Geraldo Ukwachitembo Abreu, surnommé Kamorteiro, un général de l’UNITA, le 4 avril 2002 à Luena, dans la province de Moxico, à 770 kilomètres de la capitale.

Au cours de cette même année, précisément le 29 avril, est intervenue la signature à Luanda du document qui a mis définitivement fin à la guerre en Angola et a ouvert les portes à la reconstruction du pays, à la réconciliation de tous les Angolais et à la réinsertion sociale de ceux qui, dans le passé, n’ont connu que la guerre.

Le cantonnement des troupes de l’UNITA, l’incorporation d’une partie dans l’armée nationale, l’installation des populations déplacées de leur terre d’origine ainsi que l’encadrement social des anciens guerriers ont été les principales tâches que le gouvernement angolais avait priorisées avant de s’attaquer à la reconstruction des infrastructures économiques et sociales, détruites durant la guerre.

Aujourd’hui, à Luanda, on a ouvert de nouveaux chantiers et un peu partout des bâtiments s’élèvent rapidement. A Camama où se trouve le stade du 11-Novembre (il est à 25 km du centre-ville), un autre quartier est en train d’être édifié à Talatona. Il ressemble étrangement à Ouaga 2000, et il faut être riche à millions pour s’y faire construire une villa digne de ce nom.

Les Chinois sont présents dans ce pays, et leur sphère d’activités est très étendue. Pour le régime du président Eduardo dos Santos, il faut rattraper le temps perdu. Mais un vieux dossier risque de mettre à mal l’unité du pays si le problème n’est pas réglé de façon définitive :

vous l’avez compris, la pomme de discorde est le territoire de Cabinda, une bande de terre située sur la côte Atlantique de l’Afrique centrale entre le Congo-Brazzaville et la RD Congo à l’est et au sud, et baignée par l’océan à l’Ouest. Dans le manifeste politique des indépendantistes, l’enclave a une superficie de quelque 10 000 km2.

Géographiquement, le territoire du Cabinda est différent de celui de l’Angola, dont il est séparé par une bande de terre de 65 km de la RD Congo, dans la province du Bas-Congo selon les limites fixées par la conférence de Berlin en 1885. Le Cabinda n’a de frontières qu’avec le Congo-Kinshasa et le Congo Brazzaville. Son territoire comprend les régions suivantes : Miconje, Belize, Buco Zau, Necuto, Dinge, Inhuca, Massabi, Cacongo et Ngoio (Yema).

L’idéal indépendantiste

Protectorat portugais depuis 1885, Cabinda a été attribuée en 1956 à l’Angola du point de vue administratif (colonie portugaise à l’époque). En 1975, année de l’indépendance de l’Angola, Cabinda continua de faire partie du territoire du nouvel Etat angolais. Depuis 1963, l’idéal indépendantiste avait pris forme à Cabinda, incarné par le FLEC (Front de libération de l’enclave de Cabinda).

Au moment de l’indépendance de l’Angola, les trois principaux mouvements angolais, UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola), MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola) et FNLA (Front national de libération de l’Angola), se mettent d’accord pour maintenir l’enclave au sein de l’Angola.

Depuis lors, a éclaté la guerre entre les troupes angolaises et les indépendantistes, qui, pendant la guerre, se sont divisés en plusieurs mouvements. Le Congo-Brazzaville et le Zaïre de Mobutu ont été accusés d’appuyer les formations indépendantistes, pour le compte de la France, qui visait les richesses pétrolières de l’enclave. La province a une immense richesse du sol et du sous-sol.

En dehors de ses terres bénéficiant d’une extraordinaire fécondité qui font de ce territoire un potentiel agricole, le Cabinda est riche en : pétrole, or, diamant, phosphate, cuivre, manganèse, bois, uranium, fer, etc. Hormis le pétrole, qui contribue plus à 55% à l’économie angolaise, et le bois, autre source économiquement viable, les ressources sont encore inexploitées.

Sa population est estimée aujourd’hui à environ 650 000 habitants, 350 000 selon les statistiques à l’époque coloniale, dont 2/3 vivent en exil du fait des premières fuites révolutionnaires du temps colonial et des successifs d’exodes des années 70, 80 et 2003, pendant lesquelles les populations cherchaient refuge dans les pays voisins, et ailleurs du fait de la guerre qui, depuis 1974, prend en otage le territoire du Cabinda.

Sur le plan socioculturel, le peuple cabindais est composé de sept ethnies, soit les Woio, les Kotche, les Kwakongo, les Lindji, les Vili, les Yombe et les Sundi.

Le peuple cabindais, selon les séparatistes, n’a d’affinités qu’avec les peuples de la RDC, du Congo-Brazzaville et du Gabon, avec qui il partage la même histoire traditionnelle. Là aussi, ils affirment qu’il existe une distinction claire et nette avec les peuples de l’Angola.

Simulambuco

Voilà un nom qui est tout un symbole, et nous avons vu, à Cabinda, un hôtel qui le porte. Il rappelle un traité qui remonte au 1er février 1885, date à laquelle est mort Victor Hugo, le poète romantique des années 1830 avec Alfred de Vigny.

Ce traité avait été signé à l’époque entre le délégué du gouvernement portugais, les princes et les gouverneurs de Cabinda. Son importance internationale l’a placé au centre comme étant la « carta Magna » du nationalisme cabindais. Il est devenu en quelque sorte la base des revendications politiques du peuple cabindais en vertu des dispositions.

Au temps de la colonisation portugaise, le traité servait de rappel à la puissance occupante de son devoir de préserver l’identité de la population cabindaise. L’anniversaire de la signature de ce pacte était célébré par des manifestations reconnues par les Portugais.

Mais au lendemain de l’indépendance de l’Angola, à laquelle l’ancienne puissance coloniale portugaise a rétrocédé l’administration du territoire cabindais, la célébration du traité devint suspecte parce que considérée comme une occasion de relancer les velléités indépendantistes des autochtones cabindais.

Depuis 125 ans, cette enclave lutte pour son indépendance alors que l’Angola considère Cabinda comme faisant partie de son territoire. Le problème est donc sérieux, mais un référendum sur l’autodétermination des seuls Cabindais et l’indépendance de la région ne sont-il pas une solution à cette grave crise ?

Le FLEC, à travers sa branche armée, poursuit la lutte, et s’est signalé le 8 janvier dernier en mitraillant le car de la délégation togolaise qui se rendait à Cabinda pour la CAN 2010. Les FAC (Forces armées de Cabinda) ont frappé au moment où, à Luanda, on croyait les dispositions prises pour le bon déroulement de la compétition.

Le jardin

A la faveur de 27e CAN, j’ai passé huit jours à Cabinda, et malgré ce qui est arrivé au Togo, je ne voulais pas repartir de l’enclave sans visiter la ville. Les premiers jours de mon arrivée, il fallait être prudent, compte tenu des événements qui se sont passés à la frontière congolaise. La sécurité a été renforcée dans la province, comme si la ville est en état de siège.

A tout moment, des jeeps passaient à toute allure avec des militaires armés jusqu’aux dents. Dans le ciel, une unité spéciale anti-terroriste patrouillait en hélico pour prévenir d’éventuels attentats. Chaque jour, le bruit assourdissant du moteur déchirait le ciel. Mais les Cabindais vaquaient tranquillement à leurs occupations comme si de rien n’était.

C’est cinq jours après que je me suis résolu à sortir au lieu de me claquemurer au complexe résidentiel de Buco Ngoio. Lors d’un passage au siège du COCAN, j’ai fait la connaissance d’un jeune Angolais (il a 20 ans) qui a fait ses études au Congo-Brazzaville : il s’appelle Thierry Ardèche et est un des volontaires recrutés pour servir d’interprètes. Il parle le français, et à moi, il est utile dans mon déplacement.

On a du mal à se repérer dans un endroit qu’on connaît mal. Thierry accepta de me servir de guide et, avec un de ses amis (Ben Amaël), volontaire comme lui, nous voilà dans un taxi pour une direction que j’ignore. C’était le 14 janvier 2010.

- « Nous allons vous faire découvrir un endroit que vous n’avez peut-être pas vu ailleurs », me dit Thierry. En route, je me demande où mes guides m’envoient. Après dix minutes environ, nous sommes au lieu dont il vient de me parler. Je paie 150 kwanzas (la course est de 50 KZ chacun) soit 450 FCFA.

Je suis émerveillé par la beauté de ce que je vois, et j’ai l’impression d’entrer dans un univers poétique. Je suis au Jardin de la mission catholique de Cabinda, au quartier du 4-Février. Ce qui frappe la vue, c’est la statue géante du pape Jean-Paul II avec une croix à la main gauche.

Elle donne dos à l’océan Atlantique et est merveilleusement taillée. La main levée, ce pape semble bénir tous ceux qui passent par là. En statufiant Jean-Paul II, mort le 2 avril 2005 au Vatican à l’âge de 84 ans, l’église de Cabinda célèbre la mémoire d’un homme qui était de son temps.

A quelques mètres de là, on a érigé des statues de quatre prêtres qui ont quitté le monde des vivants : ils avaient pour noms José Prospero Puaty (1928-2001), Eduardo André Muaca (1924-2002), Manuel Franklinda Costa (1921-2003) et Paulino Fernades Madeca (1927-2008). Tous ont servi à la mission catholique, et tiennent chacun un livre de prières.

Quand on franchit la grille de clôture, peinte en noir, on ne peut continuer sans voir un christ. Il y a longtemps que cela s’est passé, mais le tableau du Crucifié est émouvant. Près de lui, deux femmes le regardent avec une expression crucifiée. Selon la Bible, c’est Marie, sa mère, et Marie de Magdala. Je me laisse aller un moment à la mélancolie en me rappelant le tableau de Mantegna : l’Agonie au Jardin. Un tableau qui a inspiré Vigny dans son célèbre poème le Mont des Oliviers.

L’église

- « Quand j’ai vu votre badge, j’ai su que cet endroit vous plairait. Beaucoup de gens viennent ici pour se recueillir. Quand on a la foi, votre vie peut changer un jour », me dit Thierry. Un peu rêveur, je regarde ce jeune homme, qui m’a l’air d’être intelligent.

- « Thierry, si je quittais Cabinda sans voir ce lieu, c’aurait été comme si je n’étais pas venu dans cette enclave, car pour moi c’est comme un pèlerinage », lui répondis-je. Je vais m’asseoir sur un banc des soupirs pour me reposer. Je regarde les voitures passer. De l’autre côté de la voie, je vois une église dont les portes sont fermées.

Je demande à mon guide si elle ne reçoit plus de fidèles. Thierry me fait remarquer que nous sommes un jeudi, et que je peux y venir à la messe du dimanche. Je lui réponds que si on célèbre la messe en portugais, je vais m’ennuyer. Il se met à rire et rétorque que ce qui est important, c’est d’être à l’intérieur et de faire ma prière comme je l’entends.

Mais mon programme ne me le permet pas, vu que nous devons quitter Cabinda le samedi 16 janvier pour Luanda, où les Etalons jouaient contre les Black Stars du Ghana le 19.

Je suis allé voir de près cette église catholique, qui date du 19e siècle. Sa construction a été achevée le 8 décembre 1891, et on a fêté son centenaire en 1991. Quand on la voit, on a l’impression qu’elle a été édifiée il n’y a pas longtemps. Le temps n’a pas altéré le bâtiment, malgré ses tuiles un peu blanches. La clôture est en grille noire avec tout autour des fers en forme de croix.

Le clocher, lui, est bien suspendu, et au-dessus trois croix sont intactes. L’entrée de l’église fait face à la voie, et un peu plus loin, Jean Paul II semble veiller jalousement sur la maison de Dieu. C’est une architecture majestueuse qui se dresse devant moi et là, on ne peut pas dire que le colonisateur était seulement venu à Cabinda pour le sous-sol riche, en pétrole.

Revenu dans le jardin, qui est bien entretenu, Thierry m’informe que la majorité des Angolais sont des chrétiens, la religion catholique étant la plus répandue dans ce pays. Je cherche un coin ombragé et, de l’endroit où je suis, je contemple l’océan dans toute son étendue. L’air marin me fait du bien. De loin, j’aperçois des bateaux.

Je ne sais pas s’ils viennent à quai ou vont vers d’autres directions. Il faut être un loup de mer pour connaître les mouvements des navires dans le port. Mon regard ne quitte pas un seul instant l’océan, qui s’étend à perte de vue. Des enfants se baignent au bord de la mer. J’aurais voulu faire comme eux, mais je n’ai pas leur âge.

Ce n’est plus comme avant, quand j’allais à Port-Bouët, du côté de Vridi, en Côte d’Ivoire, nager. C’est avec nostalgie que je regarde les baigneurs. J’écoute le bruit des vagues. Que c’est beau de regarder l’océan, qui est comme l’infini des cieux ! Où se trouve le Burkina ? me suis-je demandé au moment où des goélands tournoyaient dans le ciel.

La femme en prière

J’ai l’esprit au Faso, où la vie n’est pas chère, comparativement à ce qu’elle est en Angola. Ce pays a connu un essor rapide, et les richesses dont il dispose lui permettent de se mettre au même niveau que des pays européens. Ceux qui ont lu ma lettre de Luanda du mardi 19 janvier savent de quoi je parle.

Cette CAN, c’est celle des riches, et cela se sentait dans les dépenses : la monnaie locale, le kwanzas, est plus forte que le CFA ; 100 kwanzas, par exemple, font 500 FCFA, et pour un Burkinabè, dont on connaît le salaire moyen, payer une nuitée dans un hôtel de deux étoiles à 8000 kwanzas (40 000 FCFA), ce n’est pas facile. Quand vous faites le change de 100 dollars, on vous remet 9500 kwanzas, soit 47 500 FCFA.

Si vous déduisez de cette somme le prix de votre chambre, vous ne pouvez pas tenir une journée avec les 1500 kwanzas qui vous restent, à moins de vivre comme un fakir. Au moment où je voulais m’ouvrir à Thierry, une voix grave me fait sursauter.

Je me retourne et vois une femme qui est en prière devant le crucifix. Elle prie à haute voix dans une langue que je ne comprends pas. A un moment, elle me semble nerveuse. Elle bouge beaucoup et psalmodie. Que demande-t-elle dans ses prières ? Est-elle confrontée à des difficultés ?

Ce sont les questions que je me pose, en regardant cette femme, dont le visage est défait. Sa prière terminée, elle parle à quelqu’un et me regarde. Elle m’a vu faire des photos, et je ne sais pas si elle prend des renseignements sur moi. Elle s’éloigne peu de temps après et disparaît à un carrefour.

- « Je vous avais dit que c’est la foi qui amène les gens ici. Cette femme, qui vient de partir, priait dans son dialecte. Quand elle vous a vu, elle a eu peur et a demandé à celui à qui elle parlait d’où vous venez », me dit Thierry.
- « La façon dont elle priait m’a fait penser à une folle, car elle gesticulait sans arrêt », dis-je à mon guide.

- C’est sa façon de prier. Elle n’est pas la seule à le faire, et si vous voyez d’autres personnes à sa place, vous serez encore plus surpris », m’explique-t-il.

Je ne voulais pas quitter cet endroit, tellement il me plaisait. Mais je n’ai pas eu le choix, puisque mes guides voulaient qu’on aille ailleurs.

L’antilope noire

A Cabinda comme à Luanda, les taxis n’ont pas de marque distinctive comme à Ouaga, ce qui fait qu’il est difficile de les reconnaître. Quand vous êtes au bord de la route, il faut faire un signe des deux doigts aux voitures qui passent, et si c’est un taxi, il s’arrête. C’est en procédant de cette façon que nous quittons le jardin catholique pour un autre jardin, celui du 1er-Mai.

Il est en plein centre-ville et ne passe pas inaperçu si on n’a pas la tête ailleurs. Ce jardin, que j’ai visité, est bien propre, et à l’intérieur, on trouve des sculptures de toutes sortes : hommes, femmes et animaux de la forêt.

L’animal que je n’ai cessé de regarder, c’est le palanca, appelé antilope noire et considéré comme symbole national en Angola. Les cornes du mâle, qui peuvent atteindre 165 cm de long, apparaissent sur le logo de la compagnie aérienne nationale du pays.

En outre, le palanca a donné son nom à l’équipe nationale angolaise de football, connu sous le nom de « Palancas Negras ». Thierry m’a confié que cet animal n’existe qu’en Angola, et en nombre réduit. Selon lui, ces espèces d’animaux ont disparu pendant la guerre civile, qui faisait rage dans les provinces. Et puis, les braconniers les tuaient pour ravitailler les soldats qui étaient au front.

Après avoir passé 20 ans sans être vu, le palanca noir a été découvert en 2005 à Kuando Kubango. Dans le passé, les cornes de cet animal étaient utilisées comme ornement décoratif. J’ai aussi aimé ce lieu, et je retiens que ce genre de patrimoine valorise la région.

Les gens de mer et les pétroliers

Le temps passe sans que je m’en rende compte. Pour mes guides, le moment est venu de me quitter, surtout qu’ils ont beaucoup de choses à faire au COCAN. Resté seul, je me décide à faire une promenade. D’ailleurs, le temps, ensoleillé, invite à la flânerie. Je suis à un carrefour.

Des affiches sur la CAN sont placardées partout. Une façon de dire que Cabinda est en fête. Je ne vois aucun policier dans les rues. Tous ceux que je croise me regardent et continuent leur route. Ils savent peut-être que je ne suis pas du pays. On ne m’adresse même la parole à plus forte raison un salut.

A Cabinda, les gens sont méfiants depuis que le mouvement nationaliste se bat pour la libération de l’enclave. J’ai entendu dire qu’il a établi un réseau d’espionnage dans la province à partir de la forêt équatoriale du Mayombe, et sait tout ce qui se passe dans la ville ; une zone inaccessible que seuls les guerriers du FLEC maîtrisent. Il semble même que des insurgés, qui ont ouvert le feu sur le car du Togo, sont dans la ville.

A Cabinda, on ne sait pas qui est qui, le pouvoir de Luanda ayant, lui aussi, ses espions dans la cité. Ils sont nombreux, m’a-t-on dit, au siège du COCAN avec plus de 40 000 militaires dans ce petit territoire.

J’ai marché sans savoir où j’allais exactement. Les montées et les descentes m’ont fatigué, Cabinda étant une ville montagneuse. Mais c’est une coquette agglomération bien construite. A chaque coin de rue, il y a des poubelles où vous pouvez jeter tout ce qui vous dérange. La ville est bien tracée et la population a hérité beaucoup de choses de la métropole et on y sent l’influence européenne.

C’est vers 1670 que les Portugais constituèrent la colonie d’Angola, et on raconte que des riches commerçants, des aventuriers et surtout des repris de justice donnèrent naissance à une population très métissée. Une partie des dirigeants du MPLA est métissée. Les passants que je regarde sont certainement issus de relations entre des Portugais et des Angolaises.

Mais il y a aussi des Noirs au vrai sens du terme. Ils se côtoient tous les jours dans cette cité où la paix est fragile. Mais on vit comme si Cabinda est une bande de terre tranquille. Chacun y vaque à ses occupations. Dans cette enclave, il y a des gens qui circulent avec de belles voitures.

J’ai vu des femmes dans de « grosses caisses » qu’on ne trouve même pas à Ouaga. J’avais un peu échangé avec Thierry par rapport à cela et selon lui, ces femmes ont une fonction très bien rémunérée. Le gouvernement, précise-t-il, préfère voir les femmes dans l’administration que les hommes, qui sont souvent au Portugal ou au Brésil pour leurs propres affaires.

« Chez nous, les femmes ont plus de chance d’avoir du travail, et beaucoup envoient leurs filles étudier à l’étranger », a-t-il ajouté. Mais, et ces hommes qui roulent dans les 4x4 et d’autres véhicules qui présentent bien ?

A cette question, mon guide me répond que ce sont les gens de mer et les pétroliers ; deux secteurs d’activités où ceux qui travaillent gagnent beaucoup d’argent. Les moins nantis, ce sont les dockers, dont la plupart sont des Congolais qui résident à Brazzaville.

Après 21 jours de travail, ils sont en congé et regagnent leurs familles par la route. La vie est chère à Cabinda, et ils préfèrent loger de l’autre côté de la frontière. Les bateaux dont je parlais viennent de Luanda avec des voitures de toutes sortes, des vêtements, des produits cosmétiques, des boîtes alimentaires et des marchandises en provenance du Portugal et des Etats-Unis.

Au super Mercado Simbila, la plus grande alimentation de la ville, on trouve du tout, et ce n’est pas les journalistes burkinabè qui diront le contraire. Pour réduire leurs dépenses, ce lieu leur était devenu incontournable. Non loin de là, quand vous voyez un groupe animé, c’est qu’il se passe quelque chose d’intéressant : on s’occupe tout simplement à faire le change, pour disposer des fameux kwanzas, qu’il faut avoir en sortant de sa poche des dollars. Ce qui arrange les choses, c’est qu’il n’y a pas de pièces de monnaie (tout est en billet) et le compte est facile.

Comme Blantyre, j’ai aimé Cabinda, et en ai rapporté un souvenir de voyage : un verre, sur lequel est inscrit le nom de l’enclave, et quand je prends le thé chaque matin chez les sœurs Maï et Kady, ça me rappelle la région qui a subi le joug du colonisateur, lequel est parti en laissant des problèmes.

Je n’oublierai pas que là-bas, j’ai connu un jeune qui s’appelle Thierry. Il m’a impressionné par ses connaissances, et se bat pour s’intégrer dans la société. Il m’a dit que le bac qu’il a eu au Congo, n’est pas reconnu en Angola, et qu’il a perdu une année sans aller à l’université. Mais il ne désespère pas, et peut-être que le jardin changera un jour sa vie.

Ce jeune homme a beaucoup lu les auteurs africains, et il admire les écrivains sénégalais. Il m’a confié qu’il voudrait aller étudier au Sénégal et se marier à une femme de ce pays. Ce Thierry a vraiment du goût, et il trouve que les Angolaises ont des mœurs faciles.

A 20 ans, on peut se permettre tous les rêves ; il suffit seulement d’être patient et que la destinée fasse son œuvre. Courage, Thierry !

Justin Daboné

L’Observateur Paalga

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