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PAULO DUARTE, ENTRAINEUR DES ETALONS : "Nous avons été éliminés à cause de nos propres erreurs"

Publié le mardi 26 janvier 2010 à 00h49min

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Paulo Duarte

Les Etalons sont rentrés au bercail après leur élimination au premier tour de la CAN 2010 qui se déroule actuellement en Angola. L’entraîneur national, Paulo Duarte, dans l’entretien qui suit, revient sur les raisons de cette élimination précoce, évoque ses regrets et ses espoirs. Il tire également une expérience de sa double signature au Burkina et au Mans en France. La défection du joueur Aristide Bancé de l’effectif des Etalons à 15 jours de la CAN, son avenir à la tête des Etalons et ses jugements sur certains dirigeants. Voici le menu de cette interview d’une demi- heure que le coach portuguais nous a accordée le 21 janvier 2010, à l’hôtel Alvalade.

"Le Pays" : L’entraîneur des Etalons que vous êtes a-t-il des regrets à l’issue de la participation de votre équipe à la CAN 2010 ?

Paulo Duarte (Entraîneur des Etalons) : Je commence par féliciter mes joueurs pour avoir pu se qualifier pour cette CAN et faire partie des 16 meilleures équipes admises pour cette compétition. On était dans un groupe difficile certes, mais j’ai un pincement au cœur de n’avoir pas pu amener mon équipe en quarts de finale. Malgré que ce soit un groupe difficile, on avait cette possibilité. Face au Ghana, on ne cherchait qu’un point. Ce match était clairement à notre portée. On était capable de gagner. C’est en cela que j’ai un grand regret de voir une qualification si proche sans jamais pouvoir l’atteindre. Je me sens triste parce que je sais que ce groupe pouvait aller loin dans cette compétition, mais hélas ! Nous avons raté d’écrire une belle histoire de notre football parce que je sais que si on passait devant le Ghana, on était capable de battre l’Angola en quarts de finale et disputer la demi-finale. Je suis triste. La population burkinabè croit beaucoup aux Etalons et je sais qu’elle a été attristée à l’issue de ce match. Cette équipe des Etalons a donné beaucoup de fierté au peuple burkinabè. On a habitué le pays aux victoires. Cette élimination est une autre face de la pièce. Je suis autant déçu que le peuple burkinabè.

A froid, qu’est-ce qui peut bien expliquer cette désillusion face au Ghana et ce, après un bon match contre la Côte d’Ivoire ?

Contre le Ghana, on a fait un match normal. Pour ce match, j’ai simplement enlevé Narcisse Yaméogo pour faire entrer Habib Bamogo et asseoir Moumouni Dagano pour faire monter Yssouf Koné. Le bloc était là. Je voulais juste donner une profondeur à cette équipe parce que Habib Bamogo est un joueur très fort dans le un contre un. On a contrôlé bien le match pour faire comprendre à l’adversaire que nous sommes là pour gagner et pour gérer le match. Le but malencontreux est venu de l’unique chance des Ghanéens. Et voilà que Mamadou Tall prend un rouge à 24 mn de la fin du match. L’équipe est ainsi diminuée, Jonathan Pitroipa à l’attaque était fatigué. Il a fait un grand match. Je voulais donc le changer à 20 mn de la fin pour donner une fraîcheur physique à mon équipe et beaucoup d’agressivité à mon attaque, et c’est en ce moment que Paul Koulibaly se blesse en défense et j’étais obligé de le remplacer. Conséquence, on n’avait plus que 10 joueurs dont un qui est de trop pour avoir beaucoup donné. Tout cela nous a apporté beaucoup de débauche physique et beaucoup de difficultés. Je sais que des équipes ont gagné à 10, mais notre situation était compliquée. J’assume.

Qu’avez-vous retenu de la prestation de Habib Bamogo et de Yssouf Koné que vous avez, pour la première fois, alignés parmi les 11 de départ puis par la suite Wilfried Balima qui disputait son premier match ?

Je commence par Balima. C’est un bon joueur qui fait un grand championnat deux années consécutives en Moldavie. C’était mon option pour ce match et je ne regrette pas. Habib et Yssouf sont de bons joueurs. Je sais que, par moment, le public et la presse burkinabè se demandaient pourquoi tel ou tel joueur ne dispute pas tel ou tel match. Je le fais parce que je suis toujours avec tous les joueurs aux entraînements. Dans un match, le nom du joueur seul ne suffit pas. C’est le joueur qui est en forme, celui qui donne la meilleure réponse à mes préoccupations qui joue. C’est pourquoi de temps en temps vous ne comprenez pas ce que je fais. Habib est un grand joueur mais en ce moment, il ne joue pas en France. Il y a six mois qu’il n’est pas titulaire dans son club (ndlr, Nice). Il a pris un peu de poids. C’est pourquoi je ne l’ai pas fait jouer beaucoup de fois. Je sens qu’il veut aider le groupe à avancer, mais sa capacité physique ne lui a pas permis et ne lui permet pas pour l’instant de faire mieux. Je l’ai fait jouer à cause de son expérience, mais il n’a pas été capable de se donner à 100%. Même chose pour Koné qui a envie de jouer, mais qui n’a pu se donner comme il le voulait.

Avez-vous été satisfait de votre défense dans ce match contre le Ghana ?

Je dis tout de suite non ! Certes, c’est cette même défense qui a joué tous les matches qui nous ont qualifiés pour cette CAN mais dans ce match, on a pris un but inexplicable. Pire, une expulsion incompréhensible. Dans certains matches, il y a un engagement à prendre tel que tu te décides à "mourir" pour la victoire. On a commis des erreurs qu’on paie aujourd’hui. Si on a été éliminé, ce n’est pas à cause de la qualité du Ghana mais à cause de nos propres erreurs, à cause de notre manque de concentration, à cause de notre indiscipline tactique.

Avant cette CAN, Aristide Bancé a claqué la porte. Qu’est-ce qui explique cette décision de votre joueur ?

Aristide Bancé a pris une décision bizarre. C’est une décision qui découle d’un joueur qui n’est pas bien psychologiquement. Il est allé dire à la presse qu’il a un problème avec l’entraîneur que je suis. Aristide Bancé n’a pas un problème avec moi. S’il en avait un avec moi, je ne l’aurais jamais convoqué en équipe nationale. Je l’ai écarté lors du match contre le Malawi à cause de son indiscipline. Il a dit que si c’est pour jouer des bouts de matches, il préfère rester dans son club. Je n’ai fait alors que respecter sa volonté. Il a joué le match contre le Burundi en étant titulaire. Yssouf Koné est un joueur qui est au top et qui est dans la même situation. Koné était absent à deux matches, mais ce joueur a cultivé l’humilité et est resté avec nous. Il a cru en ses capacités, il a été patient et il a pris sa chance dans cette CAN. Cette chance, Aristide Bancé l’a perdue. Ce joueur a dit beaucoup de faussetés. Il a dit que le groupe des Etalons n’est pas bien alors que la force de ce groupe est l’amitié et la solidarité. Il a aussi dit que son agent m’a donné 5000 euros (ndlr, environ 3 250 000 F CFA) pour que j’invite Aristide à jouer. Ça, c’est vrai. Complètement vrai. Son agent m’a effectivement proposé 5000 euros pour cela. Je lui ai simplement rétorqué que je ne fonctionne pas comme cela et que je ne suis pas corruptible. Je lui ait dit que si je convoque Aristide, ce n’est pas à cause de lui, même s’il me donnait 20 000 euros. J’invite un joueur quand je pense que c’est nécessaire.

Avez-vous refusé les 5000 euros ?

Clairement ! Je suis un entraîneur de football. Je ne prends pas de commission pour monter une équipe. J’aime l’argent comme tout le monde, mais ce n’est pas comme cela que je fonctionne. Je ne sais pas dans quel objectif Aristide a fait ces déclarations. Il peut dire du mal de moi autant qu’il veut, mais il ne doit pas parler mal d’une équipe qui est forte, unie et fraternelle. Il ne peut pas parler comme cela à 15 jours d’une compétition très importante comme la CAN. Il voulait simplement déstabiliser cette équipe. A partir d’aujourd’hui, je ne parle plus d’Aristide Bancé. Pour moi, il n’existe plus en tant que footballeur. Je pense que pour le Burkina aussi c’est pareil. Un pays qui voit un joueur parler de la sorte à 15 jours d’une CAN ne peut plus l’accepter. C’est un déstabilisateur, il lutte contre le groupe, il ne pense qu’à lui-même. Il n’est pas capable de fixer les autres dans les yeux. Même le meilleur joueur du monde, Lionel Messi, a accepté souvent de rester sur le banc de touche. Celui qui n’est pas humble n’est pas capable de jouer avec les Etalons. Aristide ne mérite pas que je perde le temps avec lui. Le Burkina ne mérite pas qu’un joueur veuille déstabiliser une sélection nationale.

Votre contrat avec le Burkina prend fin en mars prochain. Quelle sera la suite de votre carrière ?

Effectif ! Je reste disponible pour le Burkina. Pour une question de famille et de professionnalisme, j’ai refusé de prendre une équipe actuellement. Aujourd’hui, il y a 4 clubs qui veulent de moi dont deux de la Tunisie.

…Lesquels ?

C’est l’Espérance de Tunis et l’Etoile. Il y a aussi Lockeren et un club de Roumanie. A cette CAN, il y a même des équipes nationales qui m’ont contacté comme celle du Maroc et d’autres pays dont je tais les noms. Je donne priorité au Burkina qui m’aime et que j’aime. Je suis disponible pour le Burkina. Si ce pays pense qu’on peut continuer notre projet qui a déjà enregistré beaucoup de choses positives, je suis disponible. La CAN n’était pas notre premier objectif, mais on l’a gagné en nous y qualifiant. On a quitté la 109e place pour la 49e. Si telle est la volonté de la fédération et du ministère, je reste. Je veux poursuivre ce magnifique travail abattu en deux ans grâce au concours de tous. Je me sens Burkinabè. J’attends de voir ce que les autorités vont décider.

Regrettez-vous d’être allé au Mans en France où vous avez passé un temps éclair alors que vous êtes à la tête des Etalons ?

Je voulais vivre cette nouvelle expérience. Je pensais que j’étais capable de le faire. On m’a libéré à cause des résultats et à cause de la CAN. Peut-être que si vous me demandez si c’était à recommencer, je le ferai, je vous répondrai non. Je croyais à mon projet. Jamais, je ne répéterai ce choix. Je donnerai désormais 100% de mon temps à l’équipe qui m’acceptera.

Vous avez donc tiré expérience de cette double fonction ?

Tout à fait. J’ai tiré beaucoup d’expériences. J’étais conscient en prenant une telle décision. Je ne le ferai plus. Je me suis rendu compte que quand on prend beaucoup de responsabilités, on perd un peu de sa sérénité.

En deux années de présence au Burkina, qu’est-ce qui vous a marqué positivement et négativement ?

L’ambiance et la sympathie dans lesquelles j’ai travaillé m’ont beaucoup marqué positivement. Le regain d’amour entre le Burkina et son équipe nationale reste vivace dans mon esprit. Le jour de notre qualification à la CAN face à la Guinée à Accra est le jour le plus important de ma vie. Il y avait déjà 6 ans, c’est-à-dire deux éditions, que le Burkina était absent de la CAN. Ce qui m’a marqué négativement, ce n’est pas le 5-0 face à la Côte d’Ivoire, mais le 3-2 face à cette même équipe. Si avant le match on me disait que j’allais perdre 3-0 face aux Eléphants, je pouvais dire que c’était normal. Mais après le match qui s’est soldé par 3-2 pour la Côte d’Ivoire, je dis que ce n’est pas normal. On méritait de gagner cette partie.

Parlez-nous de certaines autorités et certaines entités du sport dans le cadre de votre travail. On commence par le Président du Faso, Blaise Compaoré…

C’est le premier supporter des Etalons. Il aime beaucoup le football. Il est avec nous et ne cache pas sa joie d’avoir une équipe nationale comme celle-là. C’est un homme que tout le monde respecte. A part le chef qu’il est, c’est un gentleman à cause de sa simplicité. C’est notre grand chef.

Le ministre des Sports et des Loisirs, Jean-Pierre Palm…

C’est l’homme fort de la machine du sport. Il vit ce qu’il fait, il vit fortement le foot. Il a de grandes ambitions pour le sport et pour le foot en particulier. Il fait tout pour mettre tout le monde à l’aise. Il nous met dans toutes les conditions à travers la volonté du pays. Il fait l’effort constant pour connaître nos angoisses et nos préoccupations pour y apporter des solutions. Il sait ce qui est nécessaire pour une équipe de football. C’est un homme qui est à notre écoute.

Le Président de la FBF, Zambendé Théodore Sawadogo…

Un homme intègre, simple et de grand caractère. Il ne parle pas beaucoup, il n’est pas beaucoup de fois présent mais il est toujours là dans les moments difficiles. C’est un homme, qui avant de parler, réfléchit beaucoup. Avant d’agir, il analyse beaucoup. C’est un grand homme que j’aime beaucoup. J’ai beaucoup de respect pour son calme, sa sérénité, toute chose qui nous donne la stabilité, la confiance et l’équilibre émotionnel.

Le Mogho Naba Baongho…

Un chef traditionnel respectable et amoureux du foot. Il est avec nous quand il peut. On lui doit beaucoup. Il est accessible et ouvert. Il ne cesse de bénir tous les sportifs. Toutes ces autorités nous apportent un confort mental dans notre tâche.

La presse burkinabè…

Elle est peut-être la presse la plus difficile au monde. Elle exige beaucoup, questionne, fouille. Par habitude, toute presse exige beaucoup. Cela est peut-être dû au fait que les Etalons ont été absents à deux CAN et elle attend désormais de meilleurs résultats des Etalons. C’est une presse qui aime questionner sur la présence ou l’absence de tel ou tel joueur. C’est normal, c’est son travail. Je m’y suis adapté. J’ai certes commis une erreur à travers certaines déclarations à l’endroit de cette presse. Je m’en suis excusé. C’était une erreur d’émotion que je ne vais plus répéter. C’était une erreur d’un entraîneur qui aime votre pays.

Quel objectif fixeriez-vous pour les Etalons si vous étiez maintenu à la tête de cette équipe ?

Nous sommes la révélation de ce championnat d’Afrique. En deux ans de travail, nous avons gagné 60 places. Ce n’est pas moi qui le dis, mais le classement de la FIFA. Nous devançons des pays comme la Tunisie, le Mali. Pour nous, c’est une grande victoire. Si je reste, mon objectif est clairement de conforter cette présence du Burkina à la CAN. Il y a une équipe jeune qui est là avec beaucoup de talents. Déjà, il y a la CAN 2012 qui est l’objectif immédiat. Si on va à la CAN 2012, nous serons obligés de commencer à chercher l’objectif du mondial. Toute équipe qui travaille à s’imposer dans une CAN ne peut que viser le mondial. Nous devons nourrir des ambitions.

Propos recueillis à Luanda par Alexandre Le Grand ROUAMBA

Le Pays

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