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NIGERIA : Deux grands malades pour un pays

Publié le lundi 25 janvier 2010 à 01h22min

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Le Nigeria est véritablement un pays de paradoxes. Son chef de l’Etat, M. Yar’Adua est évacué pour raison sanitaire en Arabie Saoudite depuis novembre de l’année dernière. Le corps social est lui aussi sérieusement affecté. Mais, fort curieusement, l’existence de ces deux grands malades ne bloque pas très sérieusement le fonctionnement des institutions. Chaque acteur, civil ou politique, s’efforce de jouer sa partition, confirmant de ce fait la vitalité et l’originalité d’un modèle qui donne à réfléchir au reste de l’Afrique, surtout à sa partie francophone, où l’on est coutumier de chefs d’Etat, absents de leur pays pendant des trimestres, et ce pour ces raisons de santé, sans que personne lève le petit doigt.

Depuis sa prise du pouvoir, l’actuel chef de l’Etat nigérian, un nordiste, n’est pas encore parvenu à convaincre l’opinion de sa capacité à gérer les affaires du pays. Aujourd’hui qu’il séjourne à l’extérieur, son pouvoir est de plus en plus contesté. Certains ténors de la classe politique n’hésitent plus à donner de la voix.

Ainsi en est-il du général président Obassandjo qui avait lui-même placé Yar’Adua à la tête de l’Etat pour assurer sa succession. Une formule qui, à l’époque, avait paru inconvenante aux yeux de plusieurs critiques. Aujourd’hui, M. Obassandjo qui a le sens de l’Etat, ne se gêne plus pour critiquer l’absence prolongée de son dauphin. Dans ce pays qui cherche à s’imposer au plan international, le mentor du chef de l’Etat ne semble pas avoir dit son dernier mot. Ses observations s’ajoutent à celles de la société civile, très alerte ces temps-ci. Des personnalités aussi éminentes que le célèbre Prix Nobel de Littérature, l’écrivain Wole Soyinka, ont également dû battre le pavé. A la tête de milliers de manifestants, il a récemment exigé des comptes au pouvoir en place, certains leaders étant loin de se laisser émouvoir.

La révolte gronde dans le pays d’autant que très peu d’informations parviennent aux oreilles du citoyen. L’électeur nigérian est lui aussi excédé. Il cherche donc à user de son droit à l’information. Il veut en savoir sur la gravité du mal dont souffre celui qui est censé avoir les destinées du pays en mains. Mais le grand Nigeria est malade en particulier de ses épidémies religieuses qui rongent progressivement la Fédération. Les pogroms consécutifs aux remous religieux et à l’intervention des forces de sécurité de ces derniers jours, illustrent suffisamment la gravité de la situation. L’opinion publique n’en peut plus d’assister, impuissante, au déchirement du tissu social. Ceci, en l’absence même du chef de l’Etat qualifié de moribond par ses adversaires. Le Nigeria qui aspire au leadership en Afrique, est donc aujourd’hui un grand malade. La situation devient chaque jour un peu plus pesante et pressante.

Mais, au moment où la cause semblait désespérée, la machine de la justice s’est mise en marche. Et les agitations actuelles sont à cet égard susceptibles de conduire à l’"empeachment". La justice ayant été saisie du dossier, une batterie d’avocats s’est mise en branle. Les hautes juridictions exigent aujourd’hui du régime Yar’Adua qu’il s’assume conformément à la Constitution. Dans les deux semaines, il devra donc œuvrer de manière à transférer le pouvoir entre les mains du vice-président.

Toute chose met en relief l’originalité et la vitalité de l’expérience démocratique nigériane. Assurément, la justice, la classe politique et la société civile de ce pays y gagnent en notoriété. Voilà des hommes et des femmes avertis de questions qui les interpellent, mais qui ne cherchent pas à fuir leurs responsabilités. Preuve s’il en est, que les institutions républicaines nigérianes sont solides et qu’au-delà des intempéries, elles fonctionnent.

L’armée en est une illustration, elle qui, naguère était prompte à intervenir sur la scène politique. Les mentalités y semblent avoir beaucoup évolué au point que l’on n’est pas loin de croire que le temps des coups d’Etat est définitivement révolu au Nigeria. En tout cas, pour l’instant, les militaires paraissent jouer le jeu. Dans l’ensemble, la société civile et la classe politique nigérianes doivent être encouragées pour leur comportement responsable. Mais il faut surtout se féliciter de l’indépendance relative de la justice nigériane, laquelle s’inspire beaucoup du modèle américain. Dans une Afrique habituée à voir sa justice aux ordres du pouvoir, il est réconfortant de constater que jusque-là au Nigeria, chacun semble avoir compris qu’il faut y mettre du sien. Le courage de ceux qui doivent dire le droit, ajouté à la volonté des acteurs politiques, du pouvoir comme de l’Opposition, sont des préalables indispensables à l’édification dans la durée, d’un véritable Etat de droit démocratique. Pays de paradoxes s’il est, terre africaine des institutions fortes, le Nigeria étale toutefois au grand jour son incapacité à faire face à ses propres conflits inter-religieux. Des efforts considérables doivent être faits à ce niveau afin d’éviter que cette grande démocratie africaine ne sombre totalement un jour.

"Le Pays"

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