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Interview de Venance Konan, journaliste-écrivain : “Gbagbo regrette de ne pas être Houphouët”

Publié le mardi 12 janvier 2010 à 00h24min

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Ayant été rédacteur en chef à Fraternité Matin, puis ensuite directeur de la Communication de l’Assemblée nationale, Venance Konan (V.K. pour les intimes) s’est reconverti dans le Free-lance. De nos jours il est écrivain, correspondant d’Afrique Magazine (publication du groupe Jeune Afrique) et écrit pour des journaux de la place. Il est dans la presse ivoirienne, la bête noire des hommes politiques et du pouvoir en particulier qui le lui rendent bien. A la fin de la rédaction d’un de ses articles de sa chronique fétiche Politiquement incorrect qu’il anime à l’Inter, il a bien voulu répondre à nos questions sur sa carrière, son métier d’écrivain, sa rupture avec Bédié, ses démêlés avec le régime de Gbagbo, son bref exil à Dakar, son admiration pour le programme d’ADO, et bien sûr de la présidentielle.

Après une telle expérience dans la presse et à l’hémicycle, pourquoi avoir opté pour le free-lance ?

• En fait mon passage à l’Assemblée nationale n’est pas venu après Fraternité Matin. Je suis allé à l’hémicycle entre 1999 et 2002 et ensuite je suis retourné à Fraternité Matin. J’ai choisi le Free-lance parce que d’abord quand j’ai arrêté à Fraternité Matin, il fallait que je trouve à manger. J’ai quitté ce journal aussi parce qu’entre la direction et moi il y avait des divergences éditoriales. J’étais devenu persona non grata dans ce canard car mes prises de position ne plaisaient pas et j’ai préféré prendre les devants et partir. J’avais alors des relations avec Afrique Magazine et puis j’ai commencé à écrire dans ce magazine. Auparavant, j’écrivais aussi pour Afrique Asie.

Quel est le quotidien d’un Free-lance ?

• La liberté ! La liberté surtout. C’est vrai que je ne choisis pas ce que je dois écrire, cela doit épouser la ligne éditoriale du journal, mais si cette ligne ne me convient pas, j’arrête d’écrire. J’ai encore un peu de corde, si fait que de nombreux journaux de la place me demandent des articles. J’ai généralement le choix. Disons que ma base principale actuellement est Afrique Magazine, dont le siège est à Paris. Je m’y sens très bien. Je couvre pour ce magazine, l’Afrique de l’Ouest pour les grands reportages politiques. Pour les autres journaux, de la place, c’est au coup par coup. Je fais par exemple une chronique pour l’Inter (NDLR : politiquement Incorrect). Si un jour ça ne me convient plus, j’irai écrire ailleurs. Avant l’Inter, j’écrivais au Nouveau Réveil, très proche du PDCI. J’ai arrêté d’écrire dans ce journal, parce que j’étais trop marqué politiquement. J’avais besoin de me défaire de cette charge.

A une certaine époque, vous étiez pro-Bédié, vous l’avez défendu bec et ongles. Aujourd’hui, vous semblez avoir pris vos distances avec l’homme. Pourquoi ?

• J’étais pro-Bédié à l’époque où il est devenu président de la République, parce que je croyais qu’il était la seconde chance pour la Côte d’Ivoire. Par rapport à son parcours, à un certain nombre de choses, je croyais en lui. J’ai été déçu, j’ai vu comment sous Bédié, le pays a commencé à aller à la dérive vers la fin de son règne en 1999. C’est à cette période d’ailleurs que j’ai quitté Ivoire Soir, où j’étais rédacteur en chef pour aller à l’Assemblée nationale. Le désenchantement avait commencé, cela fait 10 ans maintenant. Depuis cette période, j’ai pris mes distances avec les hommes politiques. Je ne m’aligne plus derrière un dirigeant politique.

Pourtant vous avez de l’admiration pour Alassane Dramane Ouattara du RDR…

• Disons que son programme me séduit. Je ne suis pas pour autant un « Adophile » ou un militant du RDR. Mais c’est vrai que j’ai eu à le rencontrer et l’homme et son programme me séduisent. Mais cela s’arrête là.

Politiquement Incorrect, votre rubrique quotidienne dans l’Inter vous a été inspirée par quoi ?

• Par l’observation quotidienne des problèmes sociaux, politiques et économiques de mon pays, la Côte d’Ivoire. Par l’inertie surtout de nos partis politiques qui sont très complaisants à mon avis, envers le pouvoir. Je pense que mon rôle d’intellectuel, parce que je me considère comme tel, est de dénoncer ce qui ne va pas dans la société.

Dans cette rubrique, vous êtes régulièrement acerbe envers le chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, que vous appelez le « Christ de Mama » ou le « président bien- aimé ». Pourquoi cette virulence ?

• Je ne suis pas virulent avec Laurent Gbagbo ; c’est lui qui est virulent envers la Côte d’Ivoire. C’est lui qui fait du mal à la Côte d’Ivoire. Quand on voit l’état dans lequel se trouve l’école ivoirienne, lorsqu’on voit la déliquescence de la société ivoirienne, avec ces policiers qu’on voit à chaque cent mètres qui ne servent qu’à raquetter, lorsqu’on voit l’état dans lequel se trouvent les hôpitaux, et qu’à côté de tout cela, on voit les immenses fortunes que certains ont amassées, on a mal. Regardez le parc auto de Laurent Gbagbo, ce sont les voitures les plus luxueuses du monde. Face à tout ce constat, je ne peux pas me taire.

Donc le pouvoir de Laurent Gbagbo vous inspire ?

• Oui, ça m’inspire. Mais il y a tous ces jeunes sans emploi qui traînent dans la rue, ces jeunes filles qui se prostituent pour survivre, ces jeunes diplômés obligés de tenir des cabines téléphoniques pour manger, tous ces faits de société m’inspirent et m’irritent. Enfin, quand je vois aussi les immenses potentialités de mon pays, quand je vois ce que Houphouët-Boigny a pu faire, et que 16 ans après sa mort on vit sur ses acquis, et qu’il n’y a pas d’avancée, cela me met hors de moi.

Vous avez reçu des menaces qui vous ont poussé à quitter le pays ?

• Ces menaces sont régulières. Toutes sont liées à la teneur de mes articles. Même quand j’étais à Fraternité Matin, j’en ai reçues. J’ai même eu vent que mon nom figurait sur une liste noire de ceux qui devaient être abattus par les sinistres Escadrons de la mort. J’ai dû informer les responsables de l’ONUCI pour qu’on assure ma protection. En 2007, j’ai dû quitter le pays parce qu’on voulait m’arrêter. On m’a envoyé une convocation et j’ai dû fuir à Dakar où je suis resté une dizaine de jours, le temps que les choses se calment un peu ; j’ai alerté beaucoup de monde et un comité de soutien à pris ma défense. L’année dernière, j’ai été encore convoqué avec Jean-Louis Billon (NDLR : président de la Chambre de commerce de Côte d’Ivoire), Patrick M’Bouan qui est président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme, Mesmin Komoé, un syndicaliste ; on nous disait de venir à la Direction de la surveillance du territoire (DST). Heureusement Jean-Louis Billon est parti le premier, il a fait une conférence de presse, et on nous a laissé en paix. Mais je sais que je suis dans leur collimateur. Je ne sais pas de ce que demain sera fait, mais toutes ces intimidations ne sont pas de nature à me faire taire.

Vous n’avez pas peur ?

• (Gros soupir). Il faut à un certain moment transcender la peur. J’ai peur, j’ai peur pour ma vie, je n’ai pas envie de mourir, ni d’aller en prison. Mais ce n’est pas pour autant que je vais baisser les bras devant ce que je considère comme mon devoir d’intellectuel et dénoncer les méfaits de la société. Je ne le fais pas pour nuire à quelqu’un mais pour que les choses s’améliorent. Mais, si quelqu’un estime que son devoir est de m’arrêter ou de me tuer, il le fera. Un maçon qui est au 10e étage d’un immeuble sait qu’il peut tomber et mourir, mais est-ce pour autant qu’il doit arrêter sa construction ? Je mène mon combat avec les risques que cela comporte.

Vous êtes aussi écrivain et venez de dédicacer votre 4e ouvrage le 22 décembre 2009. La satire politique domine dans vos œuvres…

• Non, pas spécialement. Il y a aussi la satire sociale. Lisez les Catapilas, vous verrez qu’il est question de politique, mais c’est une critique des mœurs d’un peuple que vous reconnaîtrez très facilement. Il s’agit d’une histoire de cohabitation entre 2 communautés : une qui est venue d’un pays voisin sec où il pleut rarement, (devinez), et s’est alors installée dans un autre verdoyant, où il suffit de cracher pour que les tomates poussent... Il y a aussi mon livre Les Nègreries qui sont une compilation d’articles. Il y a également un livre collectif sur la Tunisie, un pays qui, bien que n’étant pas à l’abri de certaines critiques, peut inspirer les pays de l’Afrique noire. Je peux citer : Dans la peau de Sarkozy qui est un ouvrage collectif écrit avec des collègues français.

Pensez-vous que la présidentielle ivoirienne se tiendra à bonne date ?

• Cela fait la 6e fois qu’on la reporte. Je n’ai pas de raisons de croire que celle qui est arrêtée présentement sera la bonne. Pour être franc, je n’y crois pas beaucoup. Il y a quelque chose de fondamentaletiques.

Quid de cette histoire de débaptisation de la Côte d’Ivoire en République d’Eburnie, et du changement de l’hymne national ?

• J’ai entendu cette histoire moi aussi. Je n’ai pas de preuves que ce sera le cas. Mais tout ceci ne m’étonnera pas de la part de Gbagbo. En fait, le président ivoirien a des regrets de n’avoir pas été celui qui a conduit la Côte d’Ivoire à l’Indépendance. Comme l’a dit un ami, il faudra qu’on dise à Gbagbo que ce n’est pas sa faute s’il était trop jeune lorsque le pays accédait à l’indépendance. Il aurait voulu être Houphouët-Boigny. Mais ce n’est pas possible. Regardez Abidjan, les grandes écoles, les cadres formés, la paix, tout ceci c’est du Houphouët. Pour le moment, M. Gbagbo en est bien loin.

Interview réalisée à Abidjan par Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana

L’Observateur Paalga

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