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Pathé’O : « Je suis le styliste le plus piraté »

Publié le jeudi 12 août 2004 à 08h28min

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Pathé’O

La Maion Pathé’O ne se présente plus, encore moins le couturier-styliste Pathé Ouédraogo qui l’incarne. Cependant, il n’est pas superflu de revenir sur l’expérience de ce couturier émérite venu à la couture par « nécessité et non par amour », mais qui est fier aujourd’hui de récolter les lauriers de sa persévérance. A la faveur des 20 ans de Sidwaya où il a présenté sa dernière collection « Sahel », nous avons rencontré l’homme. Il nous replonge dans son passé avant de nous fixer sur son expérience.

Pathé O. : (P.O) : Merci de m’avoir permis d’être à Ouagadougou et de pouvoir m’exprimer pour vos lecteurs et pour tous les Burkinabè. Depuis un certain temps, je n’étais pas venu à Ouagadougou pour un défilé de mode. Je suis toujours parti ailleurs. Mais je pense que dorénavant, je viendrai très souvent.
J’ai commencé comme un petit tailleur à Treicheville (Abidjan) et je peux vous dire que c’est par nécessité et non par amour que je suis venu à la couture. Je suis allé à Abidjan, comme la plupart des Burkinabè qui y allaient, à l’aventure. Je n’avais ni parent ni ami dans cette ville et il fallait faire quelque chose pour survivre. C’est ce qui m’a conduit à l’apprentissage de la couture avec le cœur d’un villageois. Lorsqu’un villageois arrive en ville, tout l’intéresse, y compris le travail.

Par contre ceux qui sont nés en ville sont démotivés. Personnellement, la première fois que j’ai mis pied dans un atelier de couture, je ne voulais plus en ressortir car, tout m’intéressait. J’avais envie de rattraper tout ceux qui y étaient avant moi. C’est ce cœur qui m’a poussé à me battre pour apprendre rapidement la couture, sans savoir ce qu’elle pouvait me rapporter plus tard. A l’époque, la mode africaine était inexistante, tout le monde copiait et certains préféraient acheter leurs tenues dans des boutiques de prêts-à-porter. Nous étions dans les années 68-69. Il a fallu attendre les années 80 pour voir une véritable évolution de la mode africaine.

Paix à l’âme de Chris Saïdou (couturier malien) qui, pour la première fois, a amené des mannequins de Paris, en 1983. C’était le premier grand défilé qu’un Africain organisait à Abidjan. J’étais encore apprenti et je ne pouvais pas m’approcher de lui. Il était comme un dieu, pour nous autres. Il était inaccessible mais il m’a servi d’exemple. A partir de 1985, j’ai eu l’opportunité de passer à la télévision et c’est ce qui a permis aux gens de me connaître, parallèlement aux « dieux de la mode » en Côte d’Ivoire. Nous qui sommes des locaux, nous nous battions aussi.

Certes, les moyens n’étaient pas les mêmes, la promotion non plus. Mais avec le temps, les gens ont commencé à faire attention à moi à travers mes créations. Ceux qui ne pouvaient pas aller vers les « dieux de la mode » se rabattaient sur moi. C’est ce qui m’a poussé à créer des vêtements modernes à partir de la matière africaine : pagnes, pagne tissé, pagne Baoulé, le kita, etc. Du reste, c’est en 1987 que le premier « ciseaux d’or » a été organisé en Côte d’Ivoire. J’ai été le premier lauréat de ce « Ciseaux d’or », qui m’a accordé beaucoup plus de promotion.

Mais, il faut dire que ce succès a failli m’emporter, parce que j’étais énormément sollicité de toutes parts ! Imaginez la femme d’un ministre, d’un directeur ou d’un député qui vient solliciter mes services ? Je ne pouvais pas refuser, tout en sachant que je n’avais pas la capacité de tout finir. Alors bonjour les faux rendez-vous. Je n’avais pas à ma disposition des gens bien formés pour m’aider... Par ta suite, j’ai été choisi officiellement comme habilleur de Miss Côte d’Ivoire, de 1988 à 1998. J’habillais également Miss CEDEAO. A l’époque, il y a eu une promotion réelle de la mode africaine grâce à Uniwax qui voulait promouvoir les pagnes.

Sidwaya (S.) : Comment menez-vous votre combat de promotion et d’implantation ?

P.O : Ce combat que je mène est que l’Afrique consomme l’Afrique parce que personne ne viendra développer l’Afrique à notre place. Notre richesse est à nos pieds : nous sommes les meilleurs producteurs de coton. Je suis le premier couturier africain à avoir des points de vente dans une quinzaine de pays africains : Ouagadougou, Yamoussoukoro, Bamako, Douala, Yaoundé, Kinshasa, Brazzaville, Libreville, Dakar, Luanda. Jusqu’aux Antilles, j’ai des points de vente. Au lieu de faire des boutiques, j’aurai pu peut-être m’acheter de belles maisons et de belles voitures. Mais mon objectif a été d’investir sur les points de vente des boutiques Pathé’O.

S. : Et le marché européen ?

P.O. : L’Europe n’est pas l’objectif de la Maison Pathé’O. Parce que sur le marché européen, il faut tenir compte du coût de la fabrication, respect du délai, du coût de la matière, etc. Il est donc difficile d’être opérationnel et concurrentiel sur le marché international. Les Européens fabriquent et vendent à des prix tellement plus bas que notre matière elle-même. Pour la chemise que je porte, le pagne seulement coûte 8 500 F CFA. Pour deux chemises, il faut acheter deux pagnes à 17 000 F CFA. Si la matière première coûte 8 500 F CFA, le produit fini coûtera entre 13 000 et 14 000 F CFA, ce qui est invendable sur le marché international. C’est la raison pour laquelle, nous ne sommes pas armés pour conquérir le marché international.

Autre chose, le produit africain est considéré sur le marché international comme un produit exotique. Lorsque les couturiers africains vont dans les salons en Europe ils n’ont pas une bonne visibilité dans les aires d’exposition. Par exemple, dans un salon à Paris, vous aurez au niveau 1 les grands couturiers comme les Yves Saint Laurent et autres. Au niveau II, ce sont les petits créateurs français et nous les Africains sommes regroupés dans un coin, au niveau III. Le visiteur qui arrive, fait d’abord ses achats au premier niveau. S’il n’est pas fatigué, il monte au deuxième niveau. S’il est curieux, il ira au troisième niveau. Et si jamais ce visiteur nous lance une grosse commande dans un bref délai, je ne serai pas capable de le satisfaire, puisque l’exposition dure une ou deux semaines. Je serai confronté au délai de livraison et bien d’autres obstacles.
Le marché africain est éparpillé et il a ses besoins qu’il n’arrive pas à satisfaire. C’est pourquoi nous nous battons pour l’Afrique, pour le moment.

S. : Quelle est la ligne Pathé 0 ?

P.O : La ligne est faite à partir de la matière africaine. C’est une ligne qui a été étudiée et choisie pour la femme africaine malgré sa forme et sa corpulence. Vous ne verrez jamais un défilé Pathé’O avec les seins ou les fesses des mannequins dehors. Non, ce n’est pas notre objectif. Contrairement à d’autres défilés où les femmes marchent pratiquement nues, mes défilés sont assez contrôlés.

S. : Que devient votre association ?

P.O. : La fédération du créateur africain que nous avons mise en place continue de vivre même si elle n’est pas tellement active. La dernière réunion que nous avons tenue, c’était en 1999, pendant « les paleso ». Après le décès du premier président, c’est Alphady qui a pris les commandes. Les événements de la Côte d’Ivoire nous ont empêchés de rééditer les « paleso ». Nous ne sommes pas capables d’organiser les événements comme nous le voulons au niveau d’Abidjan.

S. A l’instar de la musique, la piraterie affecte votre milieu. Comment Pathé’O vit-il ce phénomène ?

P.O : En Afrique, je suis le styliste le plus copié. Je ne peux pas lutter contre la piraterie. C’est impossible. Par exemple, à Abidjan où je vis, un nombre incroyable de femmes se sont mises dans la couture alors qu’elles ne sont pas du métier. Et même à. Ouagadougou, ce phénomène existe.

Ce sont notamment des anciennes secrétaires de direction, des anciennes hôtesses de l’air, et autres qui se sont reconverties dans la couture. Et comment vivent-elles ? C’est en nous copiant, par personnes interposées.
Et pour moi, la seule solution, c’est de placer la barre très haut en instaurant la concurrence. Et celui qui peut suivre, suit.
A partir de la concurrence, on peut distinguer la qualité car tant qu’il n’y a pas de concurrence, chacun se croit le meilleur.

Vous pouvez copier une fois, deux fois, pendant ce temps, l’autre avance. A ce rythme, vous ne pourrez pas le rattraper. Et puisqu’il copie du Pahté’O, on dira toujours que c’est du Pathé’O même si ce n’est pas le vrai. Dans tous les cas, c’est une publicité qui ne fera que perpétuer la Maison Pathé’O. On oublie que chaque couturier doit avoir une vie propre à lui et son propre style. Il faut travailler et faire de la recherche pour se créer son style propre. Une dame est déjà venue chez moi avec un catalogue Pathé’O et m’a dit : « Mon tailleur ne peut pas couper ce modèle, peux-tu le faire pour moi ? » Tel est le problème des copistes. Le gros problème en Afrique, c’est de penser que l’on peut faire de la qualité, d’un seul coup. Dans un monde où il y a plusieurs visages, mieux vaut choisir le visage qu’on connaît. Sinon l’on peut choisir le visage d’un diable.

S. : Continuez-vous à habiller Nelson Mandela ?

P.O : Je continue à habiller le président Mandela. Il été la personnalité qui a non seulement fait parler de la Maison Pathé’O sur le plan international mais a aussi démystifié le style européen. Il a détruit le complexe des Africains qui n’ont plus forcé ment besoin de s’habiller à l’européenne. Par contre, il y a des Chefs d’Etat qui sont toujours complexés si bien que quand ils vont chez Chirac, ils s’habillent en Chirac. Il faut détruire ce complexe.

S. : Et les premières dames ?

P.O : Je n’ai pas envie de citer les premières dames que j’habille. J’habille également les Chefs d’Etat. Vous êtes un homme de presse, faites un peu le tour de la ville de Ouagadougou et vous verrez que les Africains de 12 à 35 ans ne portent pas ce qui est fait en Afrique. Ils portent autre chose. Avez-vous une idée de ce que peut coûter leur habillement ? C’est de l’argent que nous perdons.

S. : A quand l’école Pathé’O ?

P.O : Je ne peux pas créer une école maintenant. Je forme des gens et je compte aller au-delà de l’école. Je suis un artiste, un créateur de mode et je dois courir pour apporter le message. Cela est déjà une grande occupation et une préoccupation majeure.

S. : Pathé’O fait-il du social et notamment investit-il dans ce domaine dans son Guibaré natal ?

P.O : Si je répondais à cette question, les gens diront que je ne suis pas Burkinabè. Mais rien ne s’obtient dans le rêve. Il faut du travail, de la patience et surtout croire à ce qu’on fait. C’est vrai que le social, tout le monde a besoin de le faire.
Mais en même temps, il ne faut pas que l’Afrique soit célèbre du social. J’ai l’ impression qu’on passe le temps à créer des ONG et autres, mais ça ne marche pas à tous les coups. Créons des emplois à partir du changement des mentalités des jeunes Africains.
C’est la meilleure façon de leur donner de la nourriture, ce n’est pas en créant des ONG ou en leur donnant de l’argent qu’on peut les aider. Je ne le crois pas.

S. : Quelle satisfaction avez-vous aujourd’hui de votre métier ?

P.O : Après toutes ces années passées dans la mode, la meilleure satisfaction que j’ai, c’est d’avoir déjà tracé le sillon qui ne va pas se refermer. Je suis d’autant satisfait que beau coup de jeunes couturiers s’identifient à moi. Tout ceci est réconfortant pour moi dans ce métier qui n’est pas de tout repos car il faut continuellement persévérer dans la recherche et la création. Lorsque vous dormez sur vos succès relatifs, vous signez votre mort.

Entretien réalisé par Zakaria YEYE

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