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Djibrill Ypénè Bassolé, médiateur conjoint ONU-UA : “La paix au Darfour ne viendra que par les Soudanais eux-mêmes”

Publié le vendredi 6 novembre 2009 à 01h50min

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Nommé médiateur conjoint Organisation des Nations unies Union africaine en 2007, Djibrill Ypène Bassolet, ancien ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale du Burkina, mène avec la plus grande discrétion, la mission à lui dévolue. Le moins qu’on puisse dire, c’est que sa formation de gendarme, il a été chef d’état-major de la gendarmerie burkinabè, ajoutée à ses années qu’il a passées auprès du président Blaise Compaoré, homme de réputation dans les médiations, sont des atouts non négligeables dans cette nouvelle charge de monsieur Bassolé. A El Fasher, en plein dans le Darfour, ou dans les grandes capitales du monde, Djibrill Bassolé se sent dans son aise et sans tambour ni trompette, pose les jalons pour une paix et une réconciliation entre Soudanais. Présent à Khartoum lors du récent séjour du président Blaise Compaoré dans cette ville, M. Bassolé a volontiers répondu aux questions de la presse burkinabè sur le Darfour.

Depuis 2003, le Darfour grand comme la France, est en proie à une crise aiguë. Comment est-on arrivé à cette situation ?

Djibrill Ypénè Bassolé (DYB) : La crise du Darfour a commencé vers les années 2003. Elle est due à des revendications de la part des mouvements armés qui avaient trait à des questions de justice et d’inégalité. Les populations du Darfour qui ont connu des moments de sécheresse ont senti qu’avec la partie Est du Darfour, elles étaient marginalisées. Ces luttes se sont intensifiées. Il y a eu des approches d’abord par l’Union africaine, puis maintenant avec les Nations unies en vue de trouver des solutions. D’où tout ce dispositif de maintien de la paix et de médiation qui sont en cours en ce moment.

De votre nomination à aujourd’hui, qu’est-ce qui a pu changer ?

DYB : Tant que nous n’aurons pas abouti à un accord global définitif de paix, on ne pourra pas parler de changement notable et significatif. Il y a aujourd’hui sur le terrain, une accalmie. Même s’il ne faut pas se tromper, la tension persiste. Les différentes parties belligérantes sont toujours sur pied de guerre. ... Nous devrons évoluer vers d’autres rounds de négociation pour espérer aboutir à un accord global de paix. Nous voulons que ce dialogue soit inclusif. Une des caractéristiques de cette crise, est que les mouvements armés qui ont commencé en 2003 au nombre de deux avec le SLM de Salim et le DEM de Kalim Ibrahim, ce sont divisés.
Aujourd’hui, nous n’avons pas moins d’une vingtaine de mouvements armés qui revendiquent de s’asseoir autour d’une table de négociation. Ce qui reste une préoccupation majeure.

Car les mouvements armés s’excluent les uns les autres. Une autre dimension du conflit est que les divisions entre les mouvements armés, reflète exactement les divisions entre les différentes communautés ethniques qui vivent au Darfour. Une autre des difficultés est qu’un des mouvements armés appartient à l’ethnie Zagawa qu’on retrouve de l’autre côté de la frontière au Tchad. Nous avons l’intention d’amener autour de la table de négociation, l’ensemble de ces mouvements armés sinon, dans un dispositif commun, du moins sur une date commune et partagée. Nous lancerons le 16 novembre à Doha, le processus des pourparlers inclusifs qui doivent aboutir d’ici à la fin de l’année, à la signature d’un accord global de paix. Mais aussi à l’adoption d’un consensus au sein des différentes communautés, au sein de la société civile sur la résolution de la crise au Darfour et sur l’ensemble du pays.

Vous avez fait cas des mouvements qui s’excluent les uns les autres, alors comment les amener à s’asseoir sur une même table ?

DYB : C’est l’une des préoccupations et des occupations du médiateur conjoint Organisation des Nations unies Union africaine que je suis. Je suis aidé en cela par des partenaires. La Libye a joué un rôle extrêmement important dans cette tentative de réunification des mouvements. Les Etats-Unis d’Amérique, par l’entremise de l’envoyé spécial du président Obama au cours d’une réunion à Addis Abéba en Ethiopie, ont aussi essayé de les rassembler. La tendance est au regroupement.

Ce n’est pas encore la fusion parfaite. Nous avons l’un des chefs historiques qui s’appelle Abdel Wahib, il vit à Paris en France. Il a complètement refusé de participer à ces pourparlers de paix. Il refuse absolument de s’asseoir autour de la négociation avec le gouvernement.
A la différence du Djen. Ce qui est une complication supplémentaire. Ceci a pu provoquer au sein de son mouvement des divisions entre ceux qui sont fidèles à leur chef et ceux qui souhaitent s’engager dans le processus de Doha. J’ai longuement partagé avec lui à Paris récemment. Sa position est en train d’évoluer. En tous les cas, nous ne pourrons jamais réaliser une paix tant que ces mouvements resteront divisés. En fin de compte, l’objectif de la médiation est de pouvoir les amener tous à adhérer au moins au processus de négociation qui va bientôt commencer.

Apparemment, il y a beaucoup d’interventions. Bientôt le groupe de haut niveau de l’Union africaine va intervenir, cela ne va pas perturber la médiation ?

DYB : Non, je ne le crois pas. Et puis le problème n’est même pas à ce niveau. Franchement, pour moi qui suis sur le terrain avec les parties, la difficulté n’est vraiment pas au niveau de la multiplicité des interventions. La difficulté est comment faire en sorte que les parties acceptent d’entamer au moins le dialogue politique. C’est ce qui fait défaut. En tous les cas, je bénéficie du soutien de la communauté internationale, de l’Union africaine et je m’emploierai au mieux de mes possibilités. Tout ce qui vient comme intervention, ne fait qu’appuyer les efforts de la médiation. Je pense que dans ce sens, nous n’aurons pas de difficultés à imposer notre approche. Et petit à petit, convaincre les parties de trouver par elles-mêmes, les solutions à la sortie de crise. Aucune recommandation, aucune solution venant de l’extérieur ne pourra créer la paix si les Soudanais eux-mêmes ne sont pas déterminés à construire
la paix.

Cette guerre du Darfour dure depuis pratiquement six ans, est-ce que vous percevez quelque part, une réelle volonté du président soudanais pour sortir de cette crise ?

DYB : Tous les gouvernements du monde aspirent à la paix pour pouvoir réaliser leurs objectifs de progrès social et économique. Le gouvernement du Soudan, j’ai le sentiment, veut une sortie de crise. Il est certainement pris dans un certain nombre de réalités et de contradictions qui rendent sa démarche extrêmement compliquée. Nous allons nous y attacher aussi car c’est l’objectif de la médiation de faire en sorte que le gouvernement qui, en fin de compte, est la cheville ouvrière puisse trouver sa stabilité, puisse avoir confiance en lui-même et puisse régler les préoccupations premières des populations du Darfour qui font partie intégrante du Soudan.

Au sommet d’Abuja, le vice-président du Soudan a parlé de la résolution de la crise du Darfour en tenant compte de la constitution du Soudan, de sa partie justice. N’est- ce pas là une complication supplémentaire à votre mission ?

DYB : Tout est déjà compliqué. On n’en est plus à une complication complémentaire. Ce que je veux dire c’est que nous devons en tout état de cause, tenir compte des facteurs de stabilité du Soudan au plan institutionnel comme au plan sécuritaire. Ce n’est que dans ces conditions qu’on peut réaliser la paix. Entant que médiateur, j’aborde la question de la justice comme toutes les autres questions. En particulier, la question du développement socio économique, la question du retour de ces millions de réfugiés de guerre, la question de la réinsertion sociale, la question de l’amélioration des conditions de sécurité au Darfour. Toutes ces questions doivent constituer un paquet qui ramènera la paix. Je ne voudrais donc pas dissocier la question de justice de l’ensemble de ces questions. Les questions de justice sont de nature extrêmement compliquées et extrêmement sensibles. Surtout lorsque des milliers de personnes ont été victimes d’un certain nombre d’atrocités liées à la guerre. Comment maintenant réparer ces torts, rendre une justice équitable, parvenir à la réconciliation et rétablir un climat de confiance. Je pense qu’avec le dialogue, on va y arriver.

Le mandat d’arrêt du président Al Béchir du Soudan n’est pas une autre complication ?

DYB : Je vous disais qu’il n’y a que des complications. C’est pour cela qu’il y a un médiateur. Ce qui est fait est fait. Aujourd’hui malgré tout, toutes les parties ensemble, les communautés vivant au Darfour, la majorité des mouvements armés sont prêts à trouver une solution définitive de sortie de crise par le dialogue. On ne peut que les encourager à continuer dans ce sens-là.

Le Burkina a déployé un bataillon au Darfour dans le cadre de la force conjointe ONU-UA. Comment se comportent les hommes sur le terrain, sont-ils en sécurité ?

DYB : Déjà il faut se féliciter que le Burkina Faso ait pu mettre à la disposition de l’opération hybride de maintien de la paix, un bataillon qui est à mettre à l’actif de ce que le Burkina fait pour renforcer la paix et la sécurité en Afrique. Le bataillon s’installe. Le déploiement d’une manière générale, de l’ensemble des troupes de l’UNAMID se fait relativement bien. Evidemment, il y a des préoccupations, des difficultés liées aux lourdeurs administratives, aux différentes formalités. Je pense que ce ne sont que des difficultés de parcours. Elles seront surmontées assez rapidement et le bataillon pourra pleinement apporter sa contribution à l’œuvre de maintien de la paix au Darfour.

Propos recueillis à Khartoum par Jean Philippe TOUGOUMA

Sidwaya

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