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Yé Lassina Coulibaly : « Toute modestie mise à part, je peux dire que je produis de la musique qui redonne de la dignité à notre pays »

Publié le vendredi 6 novembre 2009 à 01h50min

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C’est certainement l’un des artistes porte-drapeaux de la culture burkinabè dont l’audience est reconnue, aussi bien au Burkina qu’en France, mais malheureusement en dessous de ses talents. A 43 ans, originaire de Bobo-Dioulasso, Yé Lassina Coulibaly, auteur-compositeur, est un musicien confirmé, avec à son actif neuf albums distribués sur le marché international, dont le dernier, « Combattre la faim » est publié en 2006. « Quand je parle de faim, il ne s’agit pas de la faim du ventre, mais de la famine spirituelle. Celui qui n’a pas conscience de ses valeurs culturelles et ancestrales est un être affamé », lâche t-il en guise d’introduction à une causerie qui va durer presque deux heures d’horloge.

Pour lui, la musique n’est pas un truc d’amusement, mais un canal de connaissance de soi et un moyen de vivre l’altérité sans vertige. Installé à Bourges, en France depuis plus de vingt ans, il a d’abord enseigné la musique et la danse avant de se lancer dans la création et une carrière musicale. Sa musique, l’afro-jazz, un mélange réussi de rythmes mandingues et de sonorités européennes, a déjà conquis un public réellement cosmopolite. A quelques jours d’un concert prévu le 11 novembre prochain à la Salle la Bellevilloise, dans le 20e arrondissement de Paris, Yé Lassina Coulibaly revient sur son parcours et évoque ses ambitions pour le rayonnement de la culture burkinabè.

Comment et quand êtes-vous venus à la musique ?

C’est une longue histoire, car en vérité, je suis né dans une famille où il y a des musiciens, des gens qui sont initiés au Djeli, (qu’on traduit maladroitement par griot). L’initiation, qui est liée à notre histoire, se déroule en trois phases : la première commence à 7ans, la deuxième à 14 ans et la dernière phase, qui est la plus importante dans notre existence, à 21 ans. Il faut avoir bénéficié des trois phases pour pouvoir revendiquer le titre de Djeli, c’est-à-dire quelqu’un qui connait réellement notre l’histoire et défend les valeurs ancestrales qui structurent notre existence depuis la nuit des temps. Un Djeli n’a pas peur de perdre son identité avec la mondialisation, cette menace ne concerne que des gens qui sont comme des sacs vides. Quand on a quelque chose de solidement enracinée, on sait ce qu’il faut prendre chez l’autre quelque soit l’endroit où l’on se trouve

Vous êtes donc un Djeli…

Non. Par ailleurs, je n’ai pas bénéficié de toutes les phases d’initiation en tant qu’animiste, du fait que je vis en France depuis plus de vingt ans. Mais à chaque fois que je retourne au pays, je me mets à l’écoute de la tradition, la source à laquelle je puise ma force pour poursuivre ma carrière musicale, entamée dans les années quatre-vingt avec la troupe Mono à Bobo, puis Farafina de Mama Konaté et Koulédafourou avec Idrissa Sanou. Par la suite, j’ai travaillé avec l’ensemble instrumental de radio Bobo et c’est à ce moment là que j’ai eu un contrat pour venir enseigner la musique et la danse à Bourges, en France.

Au fil du temps, j’ai constaté que les gens avaient une image du Noir qui ne me plaisait pas, celle d’un être qui ne sait pas faire grand chose, quelqu’un qui est aliéné. Je me suis dit, tiens, voilà un sujet sur lequel je peux apporter ma contribution, ne serait-ce qu’en ajoutant mon témoignage sur ce que j’ai comme connaissances historiques et culturelles. J’ai contacté des musiciens américains qui faisaient de la percussion à Bourges, puis des Burkinabè de Bordeaux et Paris, en me disant qu’on pouvait certainement faire quelque chose de bien avec tout ce beau monde. Je ne m’étais pas trompé car même si ça été long à venir, je remplissais de grandes salles de spectacle. Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps, avec les commandes des festivals et structures culturelles, pour comprendre que je devais dépasser la percussion pour entrer réellement dans le monde musical.

Une nouvelle étape donc ! Mais fondamentalement, qu’est ce qui change ?

J’ai complètement changé de répertoire. Il fallait désormais avoir un groupe composé de musiciens guitaristes, de coralistes, de balafongistes et flûtistes et avec des instruments occidentaux comme la batterie, le clavier, la basse, il était possible de produire des œuvres qui épousent la globalité de la musique. Puisqu’on ne peut pas se couper du marché international, il faut s’ouvrir aux autres publics, faire en sorte que la musique soit accessible à tout le monde dans l’écoute, sans perdre son âme.

Bel exercice d’équilibrisme, non ?

Exactement ! (Eclats de rires) Quand on est trop sectaire, on réduit le public, mais il ne faut pas non plus trop se diluer au risque de ne plus avoir d’identité claire. Je crois que je réussis pas mal cet exercice, car depuis que j’ai commencé à travailler dans ce sens, il y a beaucoup de demandes. Et pour y répondre, j’ai préféré rester à Bourges, car si à Paris on rencontre beaucoup de gens, à Bourges, j’ai le temps de méditer, de composer et de faire mes recherches musicales. Une fois à Paris, je choisis mes musiciens, au moins sept, et on commence les répétitions. Au final, toute modestie mise en part, je peux dire que je produis de la musique qui redonne la dignité à notre pays.

Comment définissez-vous votre musique ?

C’est de l’afro jazz, un mélange de musiques africaines et européennes.

Avec une touche burkinabè ?

Qu’est-ce que vous appelez Burkinabè ? L’instrument burkinabè, c’est moi, ma voix et la langue dans laquelle je chante, le Dioula. J’utilise aussi le balafon, le djembé qui est un instrument sacré au Burkina, mais il y a surtout le répertoire mossi, gourounsi, dagara, etc. qui m’inspire, qui m’enseigne le passé et notre histoire. Face aux publics, c’est à moi d’adapter ce répertoire afin que le message que je porte passe et soit bien compris. Je suis à l’écoute du monde, de ce qui se passe autour de moi, sensible à l’actualité, et c’est tout cela que je convoque quand je compose ou que je me produis sur scène.

Quelles sont les thématiques qui vous tiennent particulièrement à cœur dans vos chansons ?

L’ouverture aux autres ! Pour moi qui suis musicien, ce thème est important parce que c’est la seule manière d’offrir à ceux qui n’ont pas assez de connaissances sur l’Afrique, l’occasion de découvrir notre continent, et le Burkina, un pays riche de culture et d’histoire. Ma démarche en tant que compositeur est de susciter l’intérêt pour le Burkina en leur disant que nous sommes accueillants, pas enfermés et prêts à collaborer. Je n’ai pas peur de dire que nous sommes appréciés pour notre rigueur, notre ardeur au travail et notre sérieux quand on s’engage à faire quelque chose

Certains estiment que la mondialisation dilue les identités et représente une menace pour la diversité culturelle. Partagez-vous cet avis ?

Pas totalement. Je disais plus haut que celui qui est enraciné dans sa culture et son histoire n’a pas peur de l’ouverture. Quand on va vers l’autre, c’est pour prendre ce qu’il y a de meilleur chez lui et faire des croisements sans se perdre. Dans la musique, certains disent que nous faisons de la world musique etc. Tout ça, c’est le discours de l’Occident. Nous savons d’où nous venons et nous avons nos références propres à nous qui sont par exemple, le liwaga, le warba, le toumou, le lamogoya et bien d’autres répertoires que nous n’arrivons malheureusement pas à imposer sur le marché culturel. Le seul ennui, c’est que nous n’avons pas de code dans les bacs dans les magasins de distribution parce qu’on n’a pas encore conquis un vrai marché à nous. Du coup, nous sommes assimilés à d’autres cultures et c’est dans ce contexte que nous tentons d’organiser notre industrie culturelle

Mais à la différence d’autres pays africains, on trouve très difficilement la musique burkinabè en France. Pourquoi ?

Tout simplement parce que nous avons un problème d’identification ! Nous devons avoir une marque à nous dans le cinéma, la danse et la musique, et éduquer notre public à l’utilisation de cette marque. Après quoi, les débats sur la World music n’auront plus de sens pour nous dès lors que nous avons notre propre marché. C’est clair que si nous avons une marque, le jour où on programmera une soirée dans une grande salle pour célébrer la musique burkinabè, on aura bien notre public. Si jusque là, nous sommes obligés de passer par le marché européen ou américain, c’est parce qu’il y a un public avec une organisation puissante derrière. Le blues, le jazz, le classique sont des produits d’un marché bien codifié avec un public clairement identifié, ce qui n’est pas le cas encore chez nous. Je me souviens qu’à mon arrivée en France en 1987, quand je jouais un répertoire, on disait que c’est de la musique traditionnelle africaine, la musique des griots. Toujours ce regard ethnologique sur notre musique !

Est-ce que les choses commencent à changer ?

Oui ! Grâce au travail fait par les grands frères, comme Salif Keita, Mory Kanté, Manu Dibango, Fela Kuti qui se sont battus pour qu’on leur reconnaisse le statut de musicien et non de griot. Ensuite, ils ont commencé à éduquer le public avec Africafête et en mettant sur pied des structures à Paris et à New-York et maintenant nous sommes sortis de l’ethnomusicologie, de la musique dite traditionnelle même si celle-ci a des qualités. Chez nous au Burkina, est-ce que Georges Ouédraogo ou Amadou Balaké qui puisent dans le répertoire national font pour autant de la musique traditionnelle ? Faut arrêter !

Dans les maquis, les boites de nuit ou à l’occasion de grandes manifestations culturelles, on remarque que le Burkina consomme beaucoup plus de musiques étrangères que de sa propre musique ? Comment expliquez-vous cela ?

C’est un élément d’un problème général. Si on n’arrive pas à faire passer cette idée au public burkinabè qu’il faut qu’on soit fier de notre culture et qu’on la célèbre, on sera toujours en train de consommer ce qui vient de l’étranger au détriment de nos productions. Faut-il instaurer des quotas de diffusion de musique nationale sur les radios comme ça se fait en France ? C’est une piste. Un grand frère comme Amadou Balaké mérite autre chose que ce qu’il a aujourd’hui ! C’est un grand artiste qui a fait des écoles de musique et il a tout dans sa voix ! C’est un musicien qui peut chanter dans plusieurs gammes, ce qui n’est pas donné à n’importe qui. A tous ceux qui peuvent l’aider, je leur demande de le faire sans hésiter car il peut encore faire connaitre le Burkina et offrir à notre jeunesse une formation de grande qualité. Nous avons beaucoup de grands artistes, mais leurs talents ne sont pas suffisamment reconnus, comme si nous étions complexés !

Il y a aussi le problème de la distribution. Où trouve t-on par exemple vos œuvres ?

C’est vrai, il faut que nous mettions en place une bonne organisation de la distribution de nos œuvres et pour cela, nous avons besoin d’acteurs culturels bien formés et des lieux diffusion sur la production et la diffusion de notre culture : une maison ou un palais de la culture où nous pouvons nous rassembler et mettre en valeur notre répertoire. Si on danse sur le Ndombolo, pourquoi ne danserait-on pas sur le warba ou le liwaga ? Nous avons aussi besoin de vrais producteurs qui maitrisent l’industrie de la culture et qui soient capables de drainer un public à chaque manifestation. Si les Congolais, Ivoiriens et Sénégalais arrivent à imposer leur musique, c’est parce qu’ils ont une marque à défendre et disposent de structures de production et de diffusion. Quand à mes œuvres, on les trouve en France chez Virgin au rayon world-music, à la Fnac. Malheureusement au pays, elles ne sont pas distribuées.J’ai été mis en contact avec la production Seydoni, mais les conditions proposées par le conseiller commercial de l’époque n’étaient pas convaincantes. C’est d’autant plus désolant que je n’ai aucun accord commercial pour le marché africain.

Vous arrive t-il d’être sollicité pour assurer des animations à l’ambassade du Burkina à Paris ?

Bien sûr ! J’ai déjà été invité par l’ancien ambassadeur, aujourd’hui ministre de la Culture, Filippe Savadogo pour animer une cérémonie et grâce à lui, j’ai pu participer à une soirée thématique réunissant de grands groupes européens au Zénith de Paris. Mon orchestre et moi avons eu vingt minutes de prestation et on a conquis la salle. J’en profite pour lancer l’idée d’une valorisation des fêtes nationales à Paris par l’organisation de manifestations autour de nos valeurs car il y a beaucoup de Burkinabès qui vivent en France.

Qu’est ce qui vous inspire dans la création à Bourges ?

C’est à la fois cette liberté qui permet de dire ce qu’on veut tout en se sachant limité quand même, car il y a des sujets qu’on ne peut pas aborder n’importe comment. Les faits divers ou de société m’inspirent. Quand je vois par exemple que des places publiques disparaissent au profit de commerces, ça pose un problème, notamment pour la jeunesse en terme de lien social. Et ça peut arriver n’importe où ! L’actualité internationale aussi m’inspire, principalement celle concernant l’Afrique, les rapports entre les Africains immigrés et leurs pays d’origine. Ceux qui vivent en Occident ne doivent pas donner l’impression, quand ils vont au pays en vacances, que tout est facile dans leurs pays d’accueil. Ils doivent savoir qu’ils sont en partie responsables des drames qui surviennent régulièrement dans les mers avec ces jeunes qui risquent leur vie dans des pirogues.

- Concernant les activités artistiques de Yé Lassina Coulibaly, on vous invite à visiter son site www.yelassina.com

Propos recueillis par Joachim Vokouma, Lefaso.net

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