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Accès des femmes à la terre et aux intrants agricoles : Jusqu’à quand seront-elles des exploitantes sans terre ?

Publié le lundi 5 octobre 2009 à 02h33min

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L’article 62 de la loi n° 14/96/ADP du 23 mai 1996 portant Réforme agraire et foncière (RAF) précise que « les terres urbaines et rurales du domaine foncier national sont attribuées aux personnes physiques, sans distinction de sexe ou de statut matrimonial et aux personnes morales dans les conditions fixées par les textes ». La politique de sécurisation foncière en milieu rurale adoptée par le gouvernement en octobre 2007 vise entre autres, à assurer à l’ensemble des acteurs ruraux, l’accès équitable à la terre. Cependant, le poids de la tradition confère a la terre un caractère sacré, qui exclut la femme de sa gestion. Si la femme devait accéder à la terre, il n’y aurait plus de mémoires du foncier.

On ne saurait plus à quel lignage appartient telle ou telle terre. Ce serait la mort de la tradition. La femme ne peut pas, par exemple, remonter les généalogies en raison de son statut. De ce fait, la société traditionnelle permet à la femme d’exploiter la terre sans en être propriétaire à part entière. Mais que faut-il faire pour aider les groupements féminins à travailler en toute sécurité ? L’exemple de la situation qui prévaut au Yatenga et au Passoré, dans le Nord du Burkina, tout comme un peu partout dans ce pays, demeure une préoccupation de taille. Nous y avons fait un tour du 31 août au 3 septembre 2009.

A Bibiou, dans le département de Bagarré et à Lâ-Todin dans la province du Passoré, des femmes réunies au sein de groupements féminins de production se morfondent depuis trois ans.

Et pour cause ? Ces femmes ont exploité pendant quinze ans, un espace qu’elles avaient demandé et obtenu gracieusement des mains d’un propriétaire terrien : quelques arpents de terres arides qu’elles ont restaurés au prix de mille efforts, par la pratique des techniques agricoles appropriées. Dès lors, elles y ont pendant la quinzaine d’années, a pratiqué la maraîcherculture. Grâce à l’apport du projet des activités intégrées des femmes, elles y ont réalisé un puits à grand diamètre pour le rayonnement de leurs entreprises et le plus grand bonheur de leurs familles respectives.
Pourtant, un beau jour, le propriétaire terrien leur annonce le retrait des terres, la terre qu’elles ont enrichie durant les quinze ans. Le seul motif invoqué, la nécessité de produire suffisamment du mil pour le dolo des funérailles, au cas où sa mère à lui (propriétaire terrien) viendrait à rendre l’âme. « Mais sa mère est toujours là plus solide que jamais », révèle une vieille femme assise au milieu des membres du groupement. Et une autre de renchérir : « En quinze ans d’activités, nous étions parvenues à une totale autonomie financière et assurions sans aucun problème tous nos besoins familiaux mais depuis trois ans, nous sommes replongées dans la misère absolue ».
Celle qui venait de s’exprimer, du nom de Radwoosgo Sama, est la représentante des femmes de Bibiou.

Sa consœur Rosine Nanéma d’un autre groupement féminin dénommé Nabonswendé de Lâ-Todin/ Passoré, confirme que les femmes de son association, ont à chaque fois qu’elles ont sollicité des champs, bénéficié d’une terre dégradée mais qu’une fois restaurée, les propriétaires voyant la production abondante, la leur retirent en échange d’une aride et ingrate à la production. « C’est ce qui justifie le nomadisme terrien de certains groupements féminins », révèle-t-elle. Puis, dans un long soupir de désespoir, elle ajoute que les femmes de son groupement n’ont actuellement plus de terre à exploiter, depuis qu’elles ont décidé de faire le reboisement. Pour certains "latifundistes", le reboisement serait une manière pour les femmes de s’approprier des terres.
Mme Awa Sourgou, la représentante du groupement Pugdasom de Lâ-Todin/ Passoré estime que les membres dudit groupement ont eu plus de chance. « Nous sommes à la même place depuis seize ans mais on ne nous a pas encore retiré notre terre ». Elle reconnaît cependant que la plupart des groupements féminins n’ont pas eu une telle chance. « Certaines femmes sont privées des terres qu’elles exploitent, pendant l’hivernage. Toutefois, l’on les leur redonne dès que la saison sèche s’annonce, afin qu’elles y pratiquent la maraîcherculture », a-t-elle précisé.

De l’avis de Mme Berthe Compaoré, membre de l’Association pour la promotion de la femme et l’enfant, dans le Passoré, la femme est brimée et une telle situation est choquante : « Toi, femme, dans ton propre village, tu n’as pas droit à la terre par ce que tu es destinée à te marier et fonder une autre famille et chez ton mari aussi, tu es considérée comme une étrangère ! », déplore-t-elle. Dans ce cas précis, la coordonnatrice de ladite association, Mme Bibata Nabaloum, raconte que lorsque les femmes de Bibiou se sont vu confisquer leur terrain, aucun homme n’a essayé de les défendre. Se sentant menacées par tous et de tous les cotes, elles ont fini par y renoncer.
Selon Mme Nabaloum, la passion des femmes du Passoré pour la terre et la nature les a également guidées vers le reboisement. « Les responsables des groupements féminins luttent ardemment pour avoir des terrains pour reboiser mais c’est difficile d’en avoir puisque la majorité des propriétaires terriens pensent que le reboisement est un prétexte que nous utilisons pour leur prendre leurs terres », confirme t-elle. Mme Nabaloum relate qu’un jour, après que les femmes eurent fini de reboiser un espace avec la permission du propriétaire, un membre de la famille de l’intéressé est venu arracher les plants. Aujourd’hui, ledit propriétaire coupe abusivement les arbres. Les femmes, découragées ont, de ce fait, renoncé aux plantations d’arbres.

Deux problématiques d’actualité

Selon le directeur provincial de l’Agriculture et des Ressources halieutiques du Passoré, M. Fulbert Parou, l’accès des femmes à la terre et aux intrants agricoles constitue deux problématiques d’actualité en ce sens qu’il faut avoir l’un pour avoir besoin de l’autre. « Pourquoi les femmes qui travaillent la terre n’en possèdent pas, alors qu’elles sont les principales actrices du développement ? », se demande-t-on en toute logique. Pour M. Parou, la question ne se pose pas seulement au niveau des femmes, car même des hommes souffrent de ne pas pouvoir être propriétaires terriens. Il confirme que les types de terres auxquelles les femmes peuvent accéder sont généralement des terrains jugés hostiles à toute culture, parce qu’étant extrêmement arides, dégradés et ou apparemment, rien ne peut pousser.

Heureusement, d’après M. Parou, les femmes des groupements ont été formées aux techniques d’exploitation des sols si bien qu’elles s’en sortent, quel que soit l’espace qu’on leur donne. Aussi, se servent-elles des technique de restauration de sols, pour aménager le terrain qui rapporte alors mieux et devient un objet de convoitise. Telle est la raison pour laquelle, certains propriétaires terriens n’hésitent pas à retirer leurs terrains, prétextant des raisons pas toujours fondées et oubliant qu’ils ne peuvent pas en prendre soin autant que les femmes. « Le problème est qu’on leur donne verbalement le terrain, si bien qu’on peut le leur retirer facilement », explique M. Parou. Celui-ci affirme que pour mettre fin à cette situation, le procès verbal de palabre a vu le jour. « Nous essayons de faire comprendre aux citoyens le bien-fondé du procès verbal de palabre qui sécurise toute personne travaillant la terre, surtout les femmes qui s’échinent dans les bassin rizicole et la maraîcherculture ». De son point de vue, c’est à ce prix que l’on pourra permettre aux femmes de mener les activités en toute sérénité.

Pourquoi est-il si difficile pour une femme d’être propriétaire terrien chez son mari ?

Pour les femmes de Lâ-Todin, les hommes se réservent les terres riches et fertiles et donnent les sols pauvres aux femmes pour qu’elles n’aient pas de bons rendements. « Les hommes sont jaloux de nous et ne veulent pas que nous soyons autonomes financièrement », affirme une des femmes de Bibiou. Et pour montrer la méchanceté des hommes, cette autre victime ajoute que « même si les hommes n’exploitent pas une terre, ils préfèrent ne pas la donner aux femmes ».
Dans la société traditionnelle, la femme est considérée comme « une étrangère » aussi bien dans sa propre famille que chez son mari ; de ce fait, elle n’a pas droit à la terre. Dans ce cas précis, la coordonnatrice de ladite association, Mme Bibata Nabaloum, a souligné que lorsque les femmes de Bibiou se sont vu confisquer leur terre, elles n’ont pas eu de soutien de la part des notables, des leaders du village. Elles se retrouvent ainsi à ne rien faire. Quelques rares femmes s’accrochent à quelques activités génératrices de revenus mais la clientèle se fait rare, ces femmes ayant précédemment habitué leur clientèle aux produits de la maraîcherculture.

C’est d’ailleurs là, qu’elles ont bâti toute leur renommée.
Dans le second cas, l’épouse dispose seulement d’un lopin de terre dont elle se sert généralement pour entretenir le foyer conjugal, tout au long de la saison sèche. « Il y a des familles où le mari ferme le grenier toute la saison sèche pour ne l’ouvrir que pendant l’hivernage, pour ne pas mourir de faim à cette période et surtout pour avoir l’énergie nécessaire pour les travaux champêtres. Or, ce grenier renferme les récoltes du champ familial auxquelles tout le monde a contribué, principalement la femme », a confié Mme Nabaloum.
Le directeur régional de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques du Nord, à Ouahigouya, M. Seydou Sana, répète que même si la femme n’a pas droit à la terre, selon la coutume, il existe une flexibilité lui permettant d’en disposer pour exploitation pendant un certain temps. Mais là aussi, insiste-t-il, ce sont les terres pauvres et dénudées qu’on leur donne. Pourtant, continue-t-il, les terres jamais utilisées produisent mieux, une fois que les femmes les restaurent en utilisant les techniques agricoles en vigueur.

Ces terres, sous-estimés de par le passé, produisent mieux. Ces terres deviennent ainsi des zones de convoitise si bien les propriétaires desdites terres n’hésitent pas à les retirer aux femmes après une ou quelques années d’exploitation. M. Sana soutient que de telles situations se présentent lorsque les femmes des groupements partent d’elles-mêmes demander le terrain. Sinon, affirme-t-il, là où il y a eu un aménagement avec l’intervention de l’Etat, elles peuvent en être propriétaires pour peu qu’elles respectent le cahier des charges. Ce cahier impose la restauration des sols en passant par les techniques d’exploitation naturelles à savoir la pratique du Zai, le cordon pierreux, les demi-lunes et autres. « Nous imposons un quota de 30% au minimum pour les femmes, dans les bassins aménagés. Nous avons même des sites où nous avons atteint un quota de 60 à 70% pour les femmes », a-t-il dit, tout en clamant que les meilleurs bassins rizicoles sont détenus par les femmes ; surtout, souligne-t-il, elles appliquent à la lettre les techniques que nous leur enseignons.

Elles s’adonnent également aux cultures de rente telles que le niébé, l’arachide, le voandzou (les poids de terre). Sa majesté Naaba Kiiba, roi de Ouahigouya, un des cinq royaumes Mossé du Burkina, confirme que la tradition n’autorise pas la femme à être propriétaire terrienne. Il salue cependant la décision du gouvernement de donner la terre aux femmes. « La terre appartient à la famille. Et la femme vit dans la famille. Elle en est membre à part entière. Il est donc normal de rompre avec la loi traditionnelle et d’accepter la loi moderne qui stipule que, homme ou femme, nous sommes tous égaux devant la loi et avons les mêmes droits ».
Pour Naaba Kiiba, les hommes pensent que si le statut économique de la femme change, il serait difficile de la gérer. Néanmoins, il est convaincu que les mentalités vont changer grâce aux séances de sensibilisation qu’il fait à chaque rassemblement de grand public. Pour l’instant, dénonce-t-il, on l’accuse de faire la cour aux femmes, en défendant leurs droits. Qu’à cela ne tienne, Naaba Kiiba n’entend pas abandonner ce combat qu’il juge noble.

L’accès aux intrants agricoles

Certains groupements féminins peinent à avoir les intrants et d’autres vont jusqu’à ignorer l’existence d’une quelconque subvention, à les entendre parler. Cependant, l’accès aux intrants agricoles est lié à leur disponibilité sur le marché, d’une part, et d‘autre part, au pouvoir d’achat des femmes ; par ailleurs, il y a de temps en temps, des opérations spécifiques de distribution entreprises par les services étatiques. Dans le dernier cas, les groupements peuvent déposer une demande auprès de la direction régionale en charge de l’Agriculture afin de disposer des intrants qu’ils mettront en vente à des prix sociaux.
« Une opération de dotation de semences améliorées et engrais est en cours. Le niveau de pauvreté des groupements féminins que la mairie identifiera, déterminera les bénéficiaires. C’est la deuxième du genre », note M. Sana. Dans cette logique, il rappelle que l’année dernière, le Japon avait mis de l’engrais dénommé KR2 à la disposition de l’Etat burkinabè et que 27% de femmes ont bénéficié de semences améliorées pour une contribution de mille (1 000) francs pour 25 kg.

Par ailleurs, des kits composés de semences, d’engrais et de pesticides ont été remis aux ménages les plus vulnérables pour reconstituer leurs stocks alimentaires, face à la flambée des prix.
En outre, le programme d’appui aux filières agricoles au profit des femmes est présent dans la région du Nord. « Nous avons fait un grand travail de sensibilisation et avons mis en place des champs-écoles où les femmes sont en train de s’outiller pour mettre en œuvre ce projet ».
A la direction provinciale de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques du Passoré, les femmes bénéficient de l’appui du gouvernement concernant l’engrais NPK et l’urée. « Toutes les femmes ont eu cet appui. Nous avons veillé à ce qu’elles profitent de la subvention. Elles ont notamment acheté le sac d’engrais de 50 kg à 13 500 F CFA au lieu du prix normal s’élevant à 25 000 francs CFA », clarifie M. Parou. Il a révélé que sur les sites aménagés du Passoré, les femmes ont d’office 40% et bénéficient du petit matériel d’exploitant que le gouvernement les aide à obtenir.

Que faire pour aider les femmes à s’approprier la terre ?

De l’avis du président-fondateur des groupements Naam, M. Bernard Lédéa Ouédraogo, il est nécessaire que les femmes soient des propriétaires terriens pour travailler en toute tranquillité, pour le bien de toute la famille. Et cela, dans le sens d’une complémentarité entre les biens de l’homme et ceux de la femme, pour le bien-être de leurs progénitures. « En donnant à la femme, la possibilité d’avoir son propre argent, toute la famille en bénéficie largement, à commencer par le mari », affirme M. Bernard Lédéa Ouédraogo. Dans cette logique, la fédération des groupements Naam accorde aux femmes un appui constant.

Il suggère que la femme soit considérée comme une citoyenne à part entière, sans aucune discrimination et qu’elle soit aidée dans les négociations des microcrédits qu’accordent les Partenaires techniques et financiers (PTF). « Nous les formons dans ce sens et les appuyons dans les négociations avec les PTF. Nous sensibilisons aussi leur mari afin qu’ils leur permettent de s’épanouir, à travers les activités des groupements, pour le bien de la famille », soutient-il.
Mme Fati Ouédraogo, animatrice à la fédération nationale des groupements Naam/ Unité d’appui à la promotion de la femme, préconise la sensibilisation des chefs coutumiers, des notables et des responsables des comités villageois afin qu’ils comprennent et acceptent que la femme doit posséder la terre. « Les femmes de nos groupements sont spécialisées en construction de pistes, diguettes, tapis herbacés, en entretien de pépinières, maraîcherculture, en séchage de fruits et légumes, etc. Nous travaillons avec les femmes dans les villages mais la difficulté est qu’elles n’ont pas leurs propres terrains pour travailler ».

M. Seydou Sana est d’avis qu’il faut plaider en faveur des femmes pour améliorer leur situation. Cela passe par une intensification de la sensibilisation des hommes et de tous les leaders d’opinion.
La représentante du projet italien Communauté, Engagement, Service, Volontariat (CISV), en partenariat du ministère des Affaires étrangères et de la coopération régionale, Monica Rinaldi, estime qu’il faut permettre à la femme de posséder la terre parce qu’elle est naturellement plus apte à la restaurer. Elle salue à sa juste valeur, l’exemple des femmes utilisant les nouvelles techniques agricoles pour enrichir les sols dégradés. Elle a indiqué que le projet MAE 8088/CISV vise la sécurité alimentaire et comporte trois axes d’intervention, à savoir : l’agronomie, la microfinance et la commercialisation. Un projet très salutaire pour tous, hommes et femmes, mais qui sera encore plus bénéfique aux femmes si elles arrivent à être toutes des propriétaires terriens.

Aimée Florentine KABORE

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 6 octobre 2009 à 01:27, par vwadhemar En réponse à : Accès des femmes à la terre et aux intrants agricoles : Jusqu’à quand seront-elles des exploitantes sans terre ?

    La réelle solution est effectivement que les femme prenne la terre en mains, Mais pour cela il faut quelle ce regroupe en coopérative au tout les rôle sociale soit repris genre kibboutz, cultivé ce fait pas sans équipement et il na pas que l’agriculture qui devrait ci développé plein d’autres métier devrais êtres présent dans ces coopératives, ce qui éviterais la trop grand concentration autour des ville, et protègerait les campagnes de ce vidé et êtres négligé, une vrai solution de relance économique pour l’Afrique.

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