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Circulation de la monnaie au Burkina Faso : La population se méfie des jetons

Publié le jeudi 1er octobre 2009 à 05h59min

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En proie à la pauvreté monétaire, les popuplations refutent pourtant les pièces de monnaie usées dans leurs transactions. Ces pièces jugées "trops lissés", créent souvent des disputes entre acheteurs et vendeurs. Même si la Banque centrale soutient que les pièces incriminées ont bel et bien en cours libératoire.

« Fo pissi wan saglamè » à traduire en français par « votre pièce de cent francs est trop usée ». Cette remarque qui m’a été faite par une vendeuse de maïs frais, et qui se rencontre tous les jours à Ouagadougou, signifie simplement que la pièce ainsi mise en cause n’a plus cours libératoire.
La monnaie est source de disputes fréquentes dans les villes et les campagnes burkinabè. Les commerçants, à l’image des clients, rejettent les pièces de monnaie tous azimuts , avant de les accepter ou de les rejeter. C’est chacun selon son acuité visuelle. Mais les pièces jugées « trop lisses » sont systématiquement rejetées.

Les écritures en bordure des pièces doivent être lisibles pour attester de la validité monétaire, laquelle fait fi de ce que pourrait penser la banque émettrice, la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Les billets de banque ne sont pas épargnés par cette subite vigilance apparue ces dernières années, mais posent moins de problèmes. Il faut alors aux commerçants et aux clients, d’autres négociations pour faire passer les pièces à problèmes. Une cigarette ou un café déjà consommés facilitent ces genres de négociations ou au contraire, créent des disputes virulentes entre les deux parties. Dans bien des cas, elles en arrivent à l’annulation de la transaction.

Mais la pièce de 250 francs, lisse ou pas, subit un sort particulier. Elle peine aujourd’hui à retrouver la confiance des utilisateurs dans les opérations quotidiennes. Selon une rumeur persistante, elle n’aurait plus de valeur. La BCEAO a été contrainte de publier un communiqué pour démentir ces rumeurs. Sans toutefois obtenir des résultats probants. Et pour cause, le refus de la pièce de 250 francs CFA a, semble-t-il, la peau dure. Employée d’un café au centre-ville de Ouagadougou, Estelle Ganemtoré a réagi ainsi face à une pièce de 250 francs : « Je ne peux pas prendre cette pièce ; quand on l’amène au marché, personne ne veut d’elle ». Elle a fini par prendre l’argent, avec l’intervention de sa patronne, qui elle, dit avoir déjà entendu le communiqué de la BCEAO.

Les pièces mal aimées ont longue vie

Paradoxalement, ce sont les monnaies mal aimées qui occupent royalement l’espace et circulent beaucoup plus que les autres ; chaque détenteur voulant s’en débarrasser au plus vite dès qu’elles entrent dans ses mains.
Dans tous les cas, les autorités de la banque centrale indiquent qu’il n’y a pas d’opérations de démonétisation en vue, même si cela reste lié à la volonté des autorités politiques de l’espace UEMOA. Par conséquent, les pièces existantes (1franc, 5 francs, 10 francs, 50 francs, 100 francs, 200 francs, 250 francs, 500 francs) lisses ou rares, continueront de circuler à travers nos poches et nos sacoches.
Par ailleurs, elles rassurent en rappelant que les clients ont la possibilité d’aller échanger les pièces ou les billets dégradés dans les banques commerciales.

Et si d’aventure il y a des problèmes, tous les mardis, des guichets sont ouverts au public au sein de l’agence BCEAO, pour recevoir ceux qui ont des pièces ou billets dégradés. "Les billets et la monnaie sont un engagement de la Banque centrale et on ne peut en aucun cas s’en soustraire », a précisé le directeur national de la BCEAO, Bolo Sanou. Par ailleurs, la BCEAO réserve un traitement spécifique à certains groupes sensibles. C’est le cas des pharmacies, de l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA), de la Société nationale burkinabè d’électricité (SONABEL), de quelques compagnies d’assurances qui peuvent saisir directement les services de la Banque émettrice pour des besoins de monnaie en cas de difficultés particulières. Mais tout cela n’empêche pas la méfiance des populations et la rareté de certaines pièces.
Si la pièce de cinq francs manque, celle de un (1) franc par contre ne circule plus. « Vous la remettez à quelqu’un, il l’abandonne au guichet aussitôt parce qu’elle n’a plus de valeur ». Même si « elle reste l’unité de compte », assure Bolo Sanou.

Depuis des décennies, cette pièce est considérée dans la pratique, comme une monnaie mise hors d’usage. D’une part, elle ne peut plus rien acheter. Sa valeur faciale est largement en deçà de celle des marchandises les moins chères. D’autre part, elle est sortie des habitudes, si bien que la somme de 10 pièces d’un franc n’est pas acceptée comme valant 10 francs.
Les pièces de 1 franc se retrouvent souvent par terre, au même titre que les pièces déclassées de la BCEAO ou de la Banque centrale du Ghana voisin. L’unité de compte garde néanmoins sa place sur le papier, notamment à travers les chiffres des budgets.
Dans la capitale, il est difficile de retrouver la pièce de 5 francs. Les clients reçoivent à coup sûr des bonbons en lieu et place de monnaie. Les citadins burkinabè semblent intégrer les bonbons dans leur système monétaire. De façon générale dans les boutiques, dans les cafés, dans les stations-service, il n’est pas rare de se voir refuser un produit, par manque de monnaie.

La monnaie, cette précieuse matière première prohibée

De nombreux facteurs d’ordre social, culturel et cultuel sont à la base de cette situation de raréfaction des petites pièces. « L’une des explications est liée au comportement de nos populations », soutient le directeur national de la Banque centrale qui admet avec regrets que « nous sommes encore très attachés à la détention des pièces ». Les pièces de monnaie étant en alliage de métaux relativement rares, certains bijoutiers n’hésitent pas à les fondre pour en faire des bracelets, des bagues ou d’autres parures. Il est revenu aux responsables de la Banque centrale que les pièces de 1 franc, fondues, garantiraient l’étanchéité des tôles. Mais cela n’explique pas tout.

Il revient aussi que les populations rurales ont tendance à thésauriser, en particulier en pièces de monnaie. Celles-ci ont l’avantage de résister mieux que les billets aux attaques des rats, des termites, de la moisissure et des incendies. Par conséquent, les pièces sont bloquées dans les provinces reculées. L’absence des banques à ces endroits, ne permet pas une collecte de l’épargne, ce, limitant la circulation des pièces qui sont confinées à ces endroits. Bolo Sanou relève que de 1986 à 2006, le taux de retour des pièces à l’agence BCEAO de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso est de l’ordre de moins de 5%. « Les pièces que nous émettons ne nous reviennent plus », a-t-il relévé. Le directeur national décrit le circuit normal des billets et monnaies mis en circulation : « Les pièces et les billets qui sont mis en circulation reviennent dans les banques commerciales par l’intermédiaire des opérateurs qui ont recours à ces banques. Ces banques ont des comptes chez nous et viennent y verser les billets et pièces. A notre tour, nous trions et traitons pour remettre aux banques, au trésor public…des signes monétaires dans un état valide ».
Mais dans les villages reculés, les pièces et les billets échappent à ce circuit et finissent par créer un pseudo-déficit monétaire pour l’ensemble du système.

Les populations rechignent à utiliser les autres signes monétaires mis à leur disposition.
Mais le problème de pièces de monnaie ne serait pas propre au Burkina, étant donné qu’il est lié au comportement des populations. « Ce n’est pas une situation qui est propre au Burkina Faso », explique Bolo Sanou. Il en veut pour preuve les similitudes dans le comportement des populations et dans le faible taux de bancarisation de toute la zone UEMOA.
Les mœurs des économies en développement évoluent au ralenti. Mais la préférence des petites coupures n’est pas toujours liée aux faibles revenus.

« Dans certaines localités, on utilise beaucoup les pièces de monnaie à certaines cérémonies », indique M. Sanou. Alors on est parti dans les villages pour constater que chez les Lobiri (Lobi, Birifor, Djan, Dagara…) par exemple, les petites pièces de monnaie sont sollicitées lors des funérailles. Les personnes endeuillées en ont besoin pour les redistribuer à tous les groupes de cantateurs qui vont se succéder deux à trois jours durant. Les invités aux funérailles ont également recours à ces pièces qu’ils redistribuent à leurs amis et parents proches du disparu. En outre, les balafonistes et les clubs des croquemorts ont droit à leurs parts de jetons de la part de chacun. Mieux vaut donc avoir de petites monnaies pour réussir ce qui ressemble à du jeu de waré. « La monnaie, c’est l’une des préoccupations lorsque vous devez vous rendre au village pour des funérailles », dit Patrice Dabiré, infirmier au Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) de Pissy et originaire du Sud-Ouest. Le recours à ces pièces dans cette zone s’explique par le recul de l’usage du cauri, cette ancienne monnaie, en voie de disparition.

Dans les villages de l’Ouest, comme à Mitièrèdougou, la pièce de cinq francs sert dans les pratiques occultes pour désenvoûter les victimes d’ensorcellement. Pour remettre en place un membre luxé ou brisé, les kinésithérapeutes traditionnels demandent généralement une pièce de cinq francs ; c’est le cas à Nouna, dans la province de la Kossi.
Dans les zones rurales, l’Administration coloniale avait réprimé la population qui préférait alors les cauris aux pièces de la monnaie française, soit par une amende soit par l’emprisonnement. Un administrateur, selon feu le Pr. Nurukyor Claude Somda, avait eu l’idée de faire payer une partie de l’impôt de capitation par d’importantes quantités de cauris, qui devraient être par la suite réduits en chaux. « Au bout de quatre ans, les cauris disparaîtront », avait-il prédit.

De nos jours, au Sud-Ouest et partout au Burkina Faso, la monnaie moderne s’est imposée. Toutefois, les populations semblent lui faire subir le sort réservé autrefois aux cauris, en la faisant entrer illégalement dans la parure et dans les pratiques rituelles.
Mieux, en tant que monnaie, le cauri a une valeur aujourd’hui supérieure au FCFA. La pièce de cinq francs CFA valait vingt cauris à partir de 1959. Dans les années 1980, elle ne valait plus que cinq cauris, soit un franc pour un cauris. Aujourd’hui la tendance est inversée. Le cauri n’a pas suivi la dévaluation du franc CFA de 1994. Sa valeur s’est décuplée et s’estime entre 10 francs à 50 francs pour un cauri.
Par ailleurs, le cauri est devenu un coquillage « précieux » à l’instar des pierres et métaux rares.

Aimé Mouor KAMBIRE (aimekambire@yahoo.fr)

Sidwaya

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