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Soumaïla Cissé, Président de la Commission de l’UEMOA : « A l’UEMOA, il n’ya pas de petits pays »

Publié le jeudi 29 juillet 2004 à 14h12min

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Homme de dossiers, M. Soumaïla Cissé, Président de la Commission de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) appartient à la race des intellectuels polyvalents. Ces hommes aptes à faire valoir leur expertise et leurs compétences à tous les strates du développement. Economiste de formation, M. Cissé a, dans son pays d’origine, occupé de hautes fonctions.

Il a même "failli" diriger le Mali à la faveur de la dernière présidentielle où il est venu en deuxième position après le président Amadou Toumani Touré.L’actuel chef d’Etat du Mali. A la tête de l’UEMOA depuis seulement quelques mois, M. Cissé à la manière de la limace, imprime lentement mais sûrement son empreinte à notre instrument d’intégration par excellence. Un instrument qui, en janvier 2004, a soufflé sur ses dix bougies.

Née 2 jours après la dévaluation du franc CFA, la monnaie commune, l’UEMOA en dépit de cet handicap, s’est fait un nom dans la place de choix des organisations sous-régionales sur notre continent. En acceptant l’invitation de la Rédaction, M. Soumaïla Cissé, troisième président de l’UEMOA, savait certainement que des questions brûlantes de l’heure, telle que la crise ivoirienne, constitueraient le plat de résistance du débat. En se prêtant aux questions sans détour, M. Cissé a tout simplement montré qu’à l’UEMOA, les commissaires sans faux-fuyants, suivent avec intérêt tout ce qui touche à la promotion socioéconomique de la sous-région.

SIDWAYA (S.) : Janvier 1994 - juillet 2004, cela fait 10 ans 6 mois que l’UEMOA est née. Est-ce que l’enfant grandit bien, apprend-il bien à l’école ?

Soumaïla Cissé (S. C.) : Il y a dix ans qu’un acte majeur a été posé : c’est la création de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA). Mais à cette époque, c’est plus la dévaluation du franc CFA qui a marqué les esprits que la naissance de l’Union.

Dix ans après, le bilan est positif. Les Chefs d’Etat de l’époque ont fait un choix judicieux, car on ne peut pas gérer une monnaie commune sans avoir des politiques qui convergent. Et c’est pour cela qu’il était nécessaire d’avoir une union économique.

En dix ans, des chantiers importants ont été mis en œuvre. Je pense que l’enfant grandit bien, même s’il a des difficultés quelquefois. Globalement, nous sommes dans une Union qui progresse, qui peut faire la fierté de notre sous-région.

S. : Quels sont les domaines dans lesquels l’enfant grandit bien ?

S. C. : Je crois qu’il y a une volonté politique qui est partagée. L’ensemble des Chefs d’Etat, des gouvernements et des populations de l’Union sont convaincus qu’aucun pays ne peut s’en sortir tout seul. La seconde chose qui montre que cette volonté politique a des prolongements, c’est que la Guinée-Bissau a rejoint les 7 premiers Etats de l’UEMOA. Ensuite, nous avons mis une union douanière qui progresse aujourd’hui, les échanges entre les 8 pays se passent relativement bien. Nous avons supprimé les droits de douane pour tous les produits originaires ou agréés des pays membres. Nous avons mis en place un Tarif Extérieur Commun (TEC). Cela veut dire qu’en même temps que nous réalisons notre intégration, nous nous ouvrons à l’extérieur. A l’heure actuelle, certains pays frappent à la porte de l’Union. La CEDEAO a même décidé de s’inspirer de notre réussite dans certains domaines.

Sur le plan sectoriel, nous avons des politiques communes au niveau de l’agriculture, de l’industrie et même au niveau de la culture. A la réunion de Niamey, il y a quelques temps, nous avons adopté un programme économique régional qui nous permet de voir ce que nous pouvons réaliser ensemble. Il ne s’agit pas d’avoir seulement des politiques macroéconomiques, mais de prendre en compte aussi les préoccupations quotidiennes de nos populations. Il y a beaucoup de chantiers sur lesquels nous avançons de façon résolue. Nous avons mis des prélèvements communs en place. Nous avons aussi la surveillance multilatérale... Dans l’ensemble, nous avançons de façon satisfaisante.

S. : La libre circulation des personnes et des biens n’est pas encore une réalité dans l’espace UEMOA, compte tenu des tracasseries de toutes sortes. Peut-on véritablement créer un marché communautaire dans ces conditions ?

S. C. : On peut parler de marché commun mais je pense que le développement, tout comme l’intégration, est un processus. Nous ne pouvons pas le régler en quelques années. L’Union européenne qui est un exemple, est vieille de 50 ans. Elle a mis plusieurs années avant d’avoir une monnaie commune. C’est un domaine difficile dans lequel il faut persévérer. Je suis d’accord que nous sommes en retard en ce qui concerne la libre circulation, le droit d’établissement et de résidence. Nous avons inscrit ce domaine dans nos priorités et nous sommes en train de mettre en place des postes juxtaposés aux frontières pour que les formalités de douane et de contrôle puissent se faire le plus aisément possible d’un pays à un autre. Nous avons prévu la construction de 11 postes. Celui entre le Burkina et le Togo a déjà commencé. Il faut savoir qu’en réalité, ce ne sont pas seulement les gouvernements qui sont concernés mais tout le monde. Il faut que nous allions tous ensemble sur ce chantier et que chacun sache qu’il doit lâcher un petit peu de ses privilèges pour que nous soyons ensemble. Aujourd’hui, le droit de résidence n’est pas une réalité mais c’est un chantier que nous avons ouvert et il faut que nous avançions. La solidarité et la tolérance ne doivent pas être de vains mots. Si nous ne nous acceptons pas les uns les autres au-delà de nos frontières, nous n’allons pas réussir.

S. : Cette absence de droit de résidence ne résulte-t-elle pas d’un manque de volonté politique ?

S. C. : La volonté politique s’exprime au niveau de différentes stades. Dans nos pays, il y a ce qui peut être décidé au niveau de nos gouvernants, mais il vaut mieux communiquer. Il faut faire en sorte que le message passe et arrive jusqu’au niveau du plus petit agent à la frontière. Je ne suis pas sûr que toute la chaîne soit bien comprise, ce qui fait que chaque difficulté à un niveau plus bas est considérée comme une instruction qui vient du plus haut sommet. Il est vrai que des difficultés conjoncturelles peuvent donner des sentiments d’une xénophobie. Il n’y a pas un Etat sur les 8 qui est meilleur (de façon globale) que les autres.

Dans tous les Etats, il existe des blocages. Certains sont plus médiatisés, d’autres plus discrets. Nous devons accepter de tout mettre sur la table et discuter domaine par domaine de façon honnête et objective. Je donne un exemple : un étudiant burkinabè qui s’inscrit au Mali paye peut-être 20 fois plus qu’un étudiant malien. Un étudiant ivoirien qui s’inscrit au Burkina, c’est la même chose. Il ne doit pas avoir de ségrégation dans nos universités. Où est le droit de résidence, où est le progrès, où est la vision pour nos enfants si nous ne sommes pas tolérants à ce niveau, pour ceux qui apprennent et qui vont avoir le pouvoir demain ? Je connais des responsables dont les épouses ne peuvent pas travailler parce qu’ils ne sont pas dans leur pays d’origine. Il y a des agents de l’UEMOA dont les enfants ne payent pas la même somme que les enfants burkinabè dans certaines écoles. C’est inacceptable ! C’est un chantier énorme sur lequel nous devons travailler. Rien n’est acquis définitivement. Il faut que la bonne volonté politique se traduise dans les faits, que les citoyens se l’approprient et que chacun, au niveau où il est, fasse en sorte que nous puissions avancer. C’est un débat difficile. Je le reconnais.

S. : Les populations ne sont-elles pas en avance sur le processus d’intégration prônée par l’UEMOA ?

S. C. : Il y a beaucoup de populations maliennes et nigériennes installées à Ouagadougou qui n’ont pas de problèmes et qui n’auront jamais de problèmes. Elles ont réussi leur intégration bien avant le traité fondateur de l’UEMOA. Des personnes sont installées dans certains pays depuis 50 ans parce qu’à l’époque, la circulation se faisant normalement, les chemins du commerce étaient sans heurts. Il y a eu beaucoup de brassages dans notre sous-région. Moi, j’ai des neveux qui sont Burkinabè. Ma sœur est mariée ici à Ouaga. Il ne faudrait pas que nos politiques nous amènent à occulter la réalité. Les populations doivent avancer et ces tares et blocages ne peuvent qu’arrêter artificiellement les choses. L’intégration est inexorable. Avançons ensemble et faisons en sorte que cela soit source de progrès. Aujourd’hui, aucun Etat ne peut se développer en s’enfermant sur lui-même. Les pays les plus riches donnent l’exemple. Cela veut dire que l’humanité elle-même a besoin de se rassembler. C’est en se connaissant qu’on se tolère, qu’on apprend à connaître l’autre. Si cela n’est pas fait, on arrive aux conflits. Aujourd’hui, il y a tellement de possibilités de progrès que nous devons saisir cette chance.

S. : L’UEMOA a été créée un jour avant la dévaluation du franc CFA. La création de cette Union qui s’est faite dans la douleur, n’est-elle pas un mauvais signe ?

S. C. : Toutes les naissances se font dans la douleur (rires). A l’époque, nous avions une situation très difficile. L’économie était arrêtée, le taux de croissance était négatif, le chômage gagnait du terrain et notre monnaie était surévaluée. Nous avions un pouvoir d’achat artificiel et nos produits d’exportation de base n’étaient pas compétitifs. Le réajustement monétaire devenait absolument une nécessité. La dévaluation n’est pas une tare, c’est un outil de gestion. Il faut savoir seulement faire ces réajustements au bon moment. Après la dévaluation, les économies sont reparties, des filières déficitaires comme le coton ont connu un bond en avant dans les pays du Sahel. Les arriérés de salaires ont été réglés, les fournisseurs qui attendaient depuis longtemps à la porte ont été payés, les trésors publics qui n’étaient pas liquides le sont devenus, une partie de la dette extérieure a pu être épongée...

Tout cela a ramené le sourire. L’économie est repartie mais cela ne suffit pas. Il faut faire des réformes de façon structurelle pour que nous ne connaissions plus la même situation du passé. C’est pour cela que l’Union a été créée. il faut faire des réformes, d’abord au niveau des finances publiques pour qu’elles soient bien gérées et plus transparentes. Il faut ensuite avoir des politiques communes. Il ne sert à rien d’entreprendre tous la même chose. Il y a des pays qui excellent dans certains domaines que d’autres. Il faut les encourager et procéder à des échanges par la suite. Nous vivions des relations basées plus sur l’extérieur que sur nous mêmes.

90% de ce que nous consommons vient de l’extérieur alors qu’on aurait pu mieux échanger entre nous. La viande importée d’Argentine, le riz venu de Thaïlande, on les retrouve dans des pays qui produisent de la viande et du riz. Pourquoi aller rechercher tout cela si loin ? Au lieu de consommer local, on veut consommer « à la parisienne ». Tout cela nous interpelle. Nous avons le pouvoir d’achat qu’il faut mais, nous avons un comportement qui diverge par rapport à nos réalités. Tout ceci peut expliquer la dévaluation. A l’époque, c’était douloureux, voire traumatisant pour nos populations de voir les choses changer brusquement. Nous sommes dans des sociétés de tradition. Chacun fait comme son père, qui lui-même a fait comme son père. On n’aime pas trop le changement. Mais notre monde est en mouvement et aujourd’hui, celui qui n’arrive pas à s’accrocher au mouvement sera délaissé, marginalisé, c’est ce que nous avons compris. La création de l’UEMOA doit nous amener à nous adapter très vite aux différents mouvements. Il faut alors changer de comportement en conséquence pour pouvoir avancer.

S. : Selon la rumeur, le franc CFA sera une fois encore dévalué. Dans ce contexte de mondialisation, quel est l’avenir du franc CFA face à la baisse répétée du cours du dollar ?

S. C. : On dit que l’avenir n’appartient à personne mais, notre avenir nous appartient. Si nous gérons bien notre économie, on aura une monnaie qui convient. Si par contre, c’est la corruption, la gabegie ou la non transparence qui prennent le pas, on aura ce qu’on mérite. Sans nous flatter, nous sommes dans une sous-région qui a connu des progrès remarquables par rapport à l’ensemble des autres sous-régions africaines. Cela ne veut pas dire que nous sommes irréprochables mais nous sommes peut-être ceux qui ont donné de bons signes de progrès par rapport aux autres. Ceci dit, nous sommes dans une sous-région avec des pays enclavés. Cela se répercute sur l’économie d’ensemble de l’Union. Nous sommes aussi dans une mondialisation et nos produits de base ont des difficultés sur le marché mondial. Cela est lié aux subventions, aux politiques commerciales de certains grands pays.

Aujourd’hui, nous avons une monnaie qui se porte bien et sa gestion est irréprochable. Nous avons un taux de couverture satisfaisant, la monnaie est le reflet d’une économie et il faut que cette économie progresse assez bien pour assurer de beaux jours à la monnaie. Parlant de dévaluation, personne ne peut empêcher les rumeurs. Nous venons de tenir une réunion le 5 juillet à Dakar où nous avons passé en revue la situation monétaire de la sous-région. Je peux dire qu’on n’est pas du tout inquiet pour l’avenir. Mieux, nous sommes sereins.

S. : L’une des épines de la défunte CEAO, est le manque de compensation des Etats riches vers les Etats de l’hinterland. Est-ce que le Fonds de compensation mis en place par l’UEMOA à travers le Tarif extérieur commun (TEC) fonctionne réellement ?

S. C. : La différence sur ce point entre l’UEMOA et la CEAO, c’est que nous avons un système de prélèvement qui ne dépend pas directement des budgets des Etats. Tout produit qui entre dans notre zone est taxé à un pour cent ; c’est ce qu’on appelle le Prélèvement Communautaire de Solidarité (P.C.S). Ce montant est destiné à l’Union et il est utilisé pour faire trois choses :

D’abord, à faire fonctionner les Organes de l’Union (Conseil des Ministres, la Commission, la Cour de justice, la Cour des comptes, le Comité interparlementaire, la Chambre Consulaire Régionale...). Ensuite, c’est la compensation au niveau des Etats de l’intérieur et enfin, le dernier volet sert à mettre en place un fonds d’appui à l’intégration sous-régionale. Cela doit permettre d’atténuer les disparités dans les régions les plus difficiles. En ce qui concerne la compensation, nous avons, à partir de l’année 2000, supprimé tous les droits de douane sur tous les produits qui étaient éligibles mais cela s’est fait de manière progressive. Les produits éligibles sont les produits du cru et les produits industriels pour lesquels au moins 30% des valeurs ajoutées sont obtenues dans nos pays. Cela donne un volume de produits éligibles de l’ordre de 2 500. Les 3 Etats les plus concernés par la compensation sont le Burkina, le Niger et le Mali. Mais nous compensons tous les pays y compris la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Ces pays importent certains produits qui étaient taxés auparavant.

Mais nous restons très vigilants car il ne faut pas donner des signes pour décourager et pousser les Etats concernés à réagir. Il y avait des difficultés ; elles existent encore. L’une des premières difficultés était liée à la situation en Côte d’Ivoire. De septembre 2002 à janvier 2004, la Côte d’Ivoire ne versait pratiquement pas le PCS. A ma prise de fonction le 20 février 2004, je suis allé à Abidjan et les autorités ivoiriennes m’ont promis de payer. Et ils le font maintenant. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire paye chaque mois 1,2 milliard de francs CFA (700 millions au titre courant et 500 millions au titre des arriérés).

Cela veut dire que les choses rentrent progressivement dans l’ordre. Ensuite, il y a des Etats qui sont un peu en retard. J’ai été moi-même ministre des Finances et je sais comment les choses se passent à ce niveau. Je pense qu’on va régler cela. La troisième chose, la plus importante par rapport à la CEAO, c’est que ce système de compensation prend fin en 2005. Et la solution que nous envisageons est de négocier avec certains partenaires pour ajuster très vite le secteur afin de résorber ce retard car les Etats restent malgré tout notre premier client. Un avantage non moins négligeable est que nous savons ce qui s’est passé pour la CEAO et cela nous prémunit pour l’avenir.

S. : L’UEMOA s’inspire de l’exemple de l’Union européenne. Dans cet espace économique européen, il y a des pays comme la France, l’Allemagne qui jouent le rôle de locomotive. Ce qui n’est pas le cas dans notre sous-région. Selon vous, quels sont les pays à même de jouer ce rôle dans l’UEMOA ?

S. C. : Je ne pense pas qu’à l’UEMOA, il y a de petits pays. Cela est important parce que nous n’avons pas la même compréhension des notions de petitesse ou de grandeur que les Européens. Il y a des pays chez nous qui jouent un rôle social important, tout simplement parce qu’ils peuvent avoir des populations un peu partout. Je pense au Burkina, au Mali, ... Il y a d’autres pays qui ont un poids économique réel (Sénégal, Côte d’Ivoire). Chacun sa place dans cette Union. Dans le temps, au sein du Conseil de l’Entente, le Président Houphouët Boigny jouait le rôle de leader pas parce qu’il était plus riche, mais peut-être le plus âgé. Il était aussi leader grâce à un certain nombre de critères qui sont des valeurs bien de chez nous. Au temps d’Houphouët, on pouvait accepter certaines choses même si on n’était pas d’accord. Dans notre Union, chacun joue son rôle sans que ce soit tel pays qui doit tout tirer. Certains pays sont leaders dans tels aspects et d’autres mettent l’accent sur tels autres aspects. Je reviens de la Guinée-Bissau qui est le dernier arrivé dans l’Union et considéré comme le plus économiquement faible. Le Premier Ministre de ce pays qui a pris fonction il y a quelques mois a supprimé toutes les barrières sur les axes routiers. Il est leader dans ce domaine. Et c’est comme cela qu’il faut voir les choses pour qu’elles puissent avancer.

S. : Qu’est-ce qui freine jusqu’à présent la mise en place du Parlement de l’UEMOA ?

S. C. : Nous avons le Comité interparlementaire qui regroupe 5 députés de chaque pays, choisis par leur Parlement. Le Président de la Commission rend compte chaque année devant ce Comité interparlementaire. Nous demandons à ce Parlement de jouer un rôle dans tous les domaines. Ensuite, le traité qui doit consacrer la naissance de ce parlement est en train de faire son chemin dans les pays de l’Union pour être ratifié par les parlements. La Côte d’Ivoire traîne un peu les pas à cause des difficultés qu’elle vit en ce moment ; ce traité est déjà arrivé au parlement sénégalais et il est en discussion (NDLR : Le Parlement sénégalais a ratifié le Traité mardi 27 juillet. A ce jour 7 des 8 Etats l’ont ratifié). Mais, il faut attendre que tous les pays le ratifient avant que ce parlement ne voit le jour. Il y aura des élections qui vont désigner ses députés et son siège sera à Bamako au Mali.

S. : Y a-t-il des critères pour adhérer à l’espace UEMOA ?

S. C. : Dans le traité de l’UEMOA, il est prévu que des Etats non membres peuvent être associés à certaines politiques. Nous avons des relations avec la Guinée Conakry dans le domaine de l’artisanat. Ce pays et le Ghana ont dit qu’ils étaient intéressés par tout ce qui est Tarif Extérieur Commun et cela sans être membres de l’UEMOA. Ils peuvent même adhérer à une politique industrielle commune, agricole ou à l’Union douanière. En Europe, il y a la même chose. La Grande Bretagne n’est pas dans l’euro mais elle fait partie de l’Union européenne. Notre volonté et notre souhait sont de voir tous les pays de la CEDEAO réunis ensemble.

S. : Qu’est-ce qui explique le fait que les pays de l’UEMOA soient mal classés dans le dernier rapport du PNUD sur le développement humain durable ?

S. C. : Il faut reconnaître que tous les pays de l’UEMOA sont des pays pauvres. Nous n’avons pas honte de le dire. Nous gardons notre dignité et nous travaillons à sortir de cette situation. Si on ne devait considérer que les critères du PNUD, nous serions tous morts (rires). Mais Dieu merci, nous sommes encore en vie. Nous nous adaptons tout en étant convaincus qu’il existe des difficultés énormes. Il y a une grande partie de nos populations qui vit en- dessous du seuil de pauvreté et nous en sommes conscients. Nous essayons d’améliorer les choses. Un classement reste toujours un classement. Il faudrait peut-être classer les pays par rapport à l’année d’avant pour voir les progrès réalisés. Nous nous battons pour améliorer nos indicateurs et c’est pour cela qu’il est important de s’unir.

S. : « Intégration africaine et bonne gouvernance, opacité et dérives dans la gestion de la Commission de l’Union », tel est le titre d’un ouvrage qui est sorti des arcanes de votre institution. L’avez-vous lu ? Si oui, quelles analyses en avez-vous faite à l’époque et quelles analyses faites-vous aujourd’hui en tant que président de la Commission de l’UEMOA ?

S. C. : Ce livre est sorti avant que je ne sois Président (rires). Je suis au courant des difficultés qu’il y avait. Quelles que soient les organisations, lorsque les hommes sont ensemble, il faut gérer les conflits et les divergences et créer une bonne ambiance. Ce n’est pas toujours facile et parfois même c’est impossible. Quand on arrive à la tête d’une quelconque organisation, on trouve des choses qu’on peut améliorer ou même critiquer. Seulement, il ne faut pas tomber dans la critique facile. Il faut beaucoup d’humilité parce que personne n’est parfait. Les règles sont écrites mais elles sont très difficiles à appliquer. Nous sommes des humains et des mortels et chaque personne à sa sensibilité. Nous essayons de mieux gérer l’Union. Cela est notre devoir. Nous sommes les enfants du pays qui composent l’Union et nous connaissons les difficultés que rencontrent nos populations. Je vous assure que chaque fois que nous voyons des dérives, nous essayons de les corriger. Nous serons intraitables sur ce domaine. L’UEMOA se doit de donner le bon exemple.

S. : Dans cet ouvrage, il était question de cadeaux somptueux offerts aux chefs d’Etat, est-ce que cela continue ou a-t-on mis fin à ces pratiques ?

S. C. : Quand je suis arrivé à la tête de la Commission, la première difficulté pour moi était « comment faire ? ». Quand vous êtes dans ces institutions, il n’y a pas de jour où vous n’êtes pas sollicité. Je serai heureux de faire comme les toubabs qui ne s’entretiennent qu’avec ceux à qui ils ont donné un rendez-vous. Les cadeaux existent partout, on ne peut pas les éviter. Peut-être même qu’en partant d’ici, vous me donnerez un cadeau (rires). Ce n’est pas pour autant que c’est de la corruption. Il faut faire des choses qui sont admises par l’éthique. Il y a des choses qui ont été critiquées, il y en a qui le seront mais l’important est de rester honnête avec soi-même, avec ceux qui vous ont mis là où vous êtes et ceux qui vous regardent même si c’est de loin. Laissez-moi vous dire que la situation est sous contrôle.

S. : Quelle est la place qu’occupe la femme au sein de l’UEMOA ?

S. C. : Nous avons une direction de la Promotion de la Femme et nous avons beaucoup travaillé avec la Banque Islamique de Développement (BID) pour la promotion des femmes entrepreneurs. Tout récemment à Bamako nous avons réuni l’ensemble des ministres chargés de la Promotion de la Femme pour tracer un programme afin d’améliorer les conditions de la femme au sein de l’Union. Nous suivons aussi avec beaucoup d’intérêt les conclusions de Beijing. Nous avons un département « développement social » qui s’occupe de ces aspects mais aussi de tout ce qui concerne l’éducation, la santé, la culture,... Nous n’avons pas les moyens de tout faire mais nous avons un rôle d’impulsion et d’harmonisation. Il faut le faire parce que ces programmes appartiennent aux Etats. Et nous devons faire en sorte qu’il n’y ait pas certaines duplications de façon à faire accélérer ces différents programmes.

S. : Après 9 mois de travail, un Comité de sages avait été mis en place et a déposé son rapport auprès des Chefs d’Etat. Que devient ce rapport ? Est-il dans les tiroirs ou dans les poubelles de l’UEMOA ?

S. C. : Ce que je peux vous dire c’est que ce rapport n’est certainement pas dans les poubelles. A l’UEMOA, les poubelles sont vidées tous les matins (rires). De 1995 à fin 1996 , l’Union était financée par la BCEAO et la BOAD. A partir de fin 1996, on a mis en place le Prélèvement Communautaire de Solidarité (P.C.S.).

Le souci était de se rassurer qu’en 1998, les choses étaient sur les rails. Le P.C.S. a commencé à 0,5% ensuite on l’a amené à 1%. Il y a des retards de compensation et cela était aussi lié à la faiblesse du prélèvement. On a commis ce Conseil de sages pour, face à la modestie financière, proposer une meilleure organisation de nos services. Ce rapport a été exploité pour mettre un certain nombre de choses en place. Quand on a une ambition comme celle de l’UEMOA, il est évident qu’on veuille tout faire et souvent très vite. On a même voulu sauver Air Afrique en injectant 5 milliards de francs CFA dans cette société. C’est donc dire que les choses ne sont pas faciles. Il y a des Etats qui avaient des difficultés liées à l’Union européenne. On a essayé de les aider. Les Etats de l’intérieur qui avaient des retards de compensation ont été aidés par des prélèvements. Toutes les choses ont été prises en compte. Le rapport, que j’ai toujours, a été exploité de manière judicieuse.

S. : Un des talons d’Achille de la Commission est la communication de masse en direction des populations rurales. Quels sont vos projets pour le développement rural dans l’espace UEMOA ?

S. C. : Nous avons défini avec les Etats, une politique agricole de l’Union qui rassemble beaucoup d’aspects.Nous nous appuyons sur une politique de sécurité alimentaire que nous sommes en train de mettre en œuvre avec l’appui de la FAO. Notre ambition est de faire en sorte que pour des produits vivriers comme le riz, que nous ne rentrions pas dans un cycle d’importation sans fin. Un pays comme le Sénégal importe 600 000 tonnes de riz par an et cela fait près de 10 milliards de francs CFA. Je suis sûr que certains pays devraient pouvoir prendre la relève pour atténuer un peu cela. Ceci dit, il faut mieux communiquer. Quand j’ai pris fonction, j’ai dit que l’une de mes priorités sera la communication. Je ne souhaite pas que l’Union reste une affaire entre initiés, ceux qui savent lire et écrire ou une affaire entre les gouvernements.

Nous avons pu réunir l’ensemble des ministres de la Culture et de l’Information pour que nous puissions voir ensemble ce qu’on peut faire. Notre ambition est de travailler avec les médias nationaux pour vulgariser le mieux possible le concept de l’intégration et faire en sorte que cela aille au plus près des populations sur les problèmes qui les intéressent. On a des faiblesses dans ce domaine mais, je peux rassurer les uns et les autres que nous allons travailler et remédier à cela. C’est très complexe car il faut travailler sur les langues nationales, c’est-à-dire transférer le message à un niveau où il sera compris. Le relais que nous pensons utiliser pour arriver à le faire est la radio et la télévision.

Nous voulons nouer des accords avec elles pour faire avancer les choses. Nous avons une émission appelée « Espace UEMOA », elle est suffisamment diffusée sur toutes nos télés locales en français. Nous voulons aller plus loin et arriver à la diffuser en portugais pour les Bissau-Guinéens. Quand on va à la base, on se rend compte à quel point les problèmes de langue peuvent être pénalisants. Déjà les langues officielles des pays de l’Union sont le français et le portugais. Imaginez maintenant ceux qui parlent mooré, bambara, djerma, ... Le chemin est encore long à ce niveau et il y a des efforts importants à faire.

S. : Le mode de désignation des commissaires de l’UEMOA, (n’a pas été évoqué !) n’est pas basé sur la compétence stricto sensu. N’est-ce pas une épine au pied de l’UEMOA ? Qu’est-ce que vous proposez à ce niveau ?

S. C. : Le traité est on ne peut plus clair la dessus (il lit l’article 27 du traité) « La Commission est composée de membres appelés commissaires ressortissants des Etats membres. Ils sont désignés par la Conférence des Chefs d’Etats sur la base de critères de compétence et d’intégrité morale ». Nous sommes tous compétents (rires). L’action de base ici est de faire confiance à la sagesse des Chefs d’Etat. On part du principe qu’ils sont suffisamment sages pour choisir des gens qui peuvent remplir la mission.

S. : La crise ivoirienne a révélé une UEMOA sans bras politique. N’est-il pas plus efficace d’avoir un mécanisme interne plus économique et non moins politique ?

S. C. : A ma prise de fonction, j’ai dit que l’UEMOA n’est pas qu’une affaire économique. Il y a des aspects politiques, sociaux, culturels, environnementaux,... Pendant de longues années, on avait pensé en Afrique de l’Ouest que cela n’arrivait qu’aux autres. Malheureusement nous n’avons pas été épargnés. Nous sommes dans un système de partage de rôle entre nous et la CEDEAO, vu que tout ce qui concernait les aspects politiques était laissé au Secrétariat Exécutif de la CEDEAO. Ils ont une longue expérience en la matière. En 2002 quand la crise ivoirienne a commencé, le président Abdoulye Wade était en même temps président en exercice de la CEDEAO et de l’UEMOA. Les premières démarches et négociations ont été faites par le président sénégalais. Ensuite le président nigérien Mamadou Tanja s’est rendu à Abidjan.

Tout dernièrement, c’est lui qui a débloqué la situation au niveau des manifestations. Mais cela n’est pas vu malheureusement par les médias comme une action de l’UEMOA. Nous avons au niveau de la Commission mis en place une cellule et depuis le 1er juillet 2004, nous avons recruté un conseiller diplomatique qui sera chargé de toutes les questions politiques et diplomatiques. Nous nous sommes rendus compte qu’il y avait un déficit à ce niveau.

S. : Le programme qualité prend fin en 2005. La Commission prend-elle déjà des dispositions pour pérenniser les acquis de ce programme ?

S. C. : Nous essayons de faire en sorte que tous nos programmes ne reviennent pas en arrière. C’est pour cela qu’il est important pour nous que notre système de prélèvement continue et notre autonomie financière puisse s’affirmer davantage. Sur le budget de l’UEMOA, moins de 10% sont financés par l’extérieur. Ce programme n’est pas au-dessus de nos moyens. Mais quand on a une aide extérieure, c’est tant mieux. Il n’y aura pas de difficultés pour suppléer ce programme. Nous allons continuer à chercher l’appui de certains organismes comme l’Union européenne.

S. : Comment est-ce que la crise ivoirienne a été vécue par l’UEMOA ?

S. C. : Quand on a une situation de ce type dans une Union, cela perturbe fortement l’équilibre. Sur l’aspect économique, la Côte d’Ivoire, c’est 40% du PIB de l’Union, c’est là où il y a le plus d’entreprises, plus de produits qui circulent, c’est en même temps le pays qui est le plus peuplé de notre espace économique sous-régional. La crise ivoirienne a été vécue de façon douloureuse et pénible par l’UEMOA. Au-delà des aspects économiques, il y a eu beaucoup de déplacements de populations, des gens ont tout perdu.

Mais le système social a fait que les choses se sont absorbées de façon presque invisible. Cela est au crédit de nos sociétés qui accueillent et aident facilement l’autre. Ensuite il y a eu des pertes en vie humaines et c’est quelque chose d’irréparable. Des circuits économiques ont été aussi fortement perturbés. Cela a induit des coûts supplémentaires. Ceux qui importaient du port d’Abidjan étaient obligés de faire des détours vers certains pays. Ce sont des centaines de kilomètres supplémentaires à parcourir. Cela se répercute forcément sur les produits importés, sur le panier de la ménagère sans compter les tensions politiques, etc. Nous avons beaucoup souffert de tout cela.

Nous avons connu des périodes où nos collègues ivoiriens venaient très peu aux réunions mais Dieu merci, aujourd’hui, cela n’est plus le cas. J’ai même reçu il n’y a pas longtemps, une délégation d’industriels ivoiriens venus faire part des difficultés qu’ils rencontrent dans l’application des accords que nous avons tous signés. Ils savent eux aussi qu’ils ne peuvent pas rester seuls. Ils ont un devoir de solidarité et de participation aux activités de l’Union. Il y avait un retard énorme dans le payement des PCS du côté de la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire paie régulièrement.

Ce pays est le premier contributeur de l’Union. Il paye le plus et du point de vue des compensations, il reçoit le moins. On aurait préféré bien sûr une Côte d’Ivoire en paix. La Côte d’Ivoire a un taux de croissance négatif et la moyenne globale y prend un coup. L’image de la sous-région s’est un peu assombrie avec ces incertitudes. Et cela se répercute sur chaque pays parce que la Côte d’Ivoire c’est le Burkina, c’est le Mali, c’est le Niger. Pour des investisseurs lointains, c’est la même zone, ce sont les mêmes problèmes, les mêmes difficultés. Voilà comment nous avons vécu cela, difficilement, péniblement, mais tout en gardant l’espoir. Il n’y a rien de rompu, les échanges se font ; nous allons en mission là-bas, nous y envoyons également des gens et bientôt d’autres vont encore partir. Ce travail se fait mais, on veut une Côte d’Ivoire unie, une Côte d’Ivoire en paix.

S. : On a l’impression qu’il y a des gens qui se complaisent dans cette situation.

S. C. : Il n’y a pas de pays en guerre indéfiniment. Cela n’existe pas. Combien sont-ils les gens qui ne se complaisent pas dans cette situation ? Ils sont certainement beaucoup plus nombreux que ceux qui s’y complaisent. C’est cela qu’il faut voir, c’est pour cela qu’il faut travailler, qu’il faut se battre pour un retour de la paix en Côte d’Ivoire. Ce ne sont pas ceux qui ont accès aux micros qu’il faut voir. Ceux qui veulent que la Côte d’Ivoire se maintienne dans cette situation ne sont pas les plus nombreux. Il faut ramener la paix, la paix pour tout le monde ; non seulement pour les Ivoiriens mais aussi pour la sous-région.

S. : Croyez-vous à la rencontre d’Accra ?

S. C. : J’espère que j’y participerai. Il y a tellement de bonnes volontés qui travaillent pour que la paix revienne en Côte d’Ivoire. Beaucoup de personnes souhaitent que la paix soit rétablie dans ce pays. Il y a des pays qui ont connu ces mêmes difficultés mais personne ne s’est intéressée à travailler à un retour de la paix. Je pense à un pays comme la Somalie. Ce pays n’existe pratiquement plus. Mais, il y a tellement de sympathie autour de la Côte d’Ivoire. Les Ivoiriens ne peuvent pas ne pas entendre cela. Ce n’est pas possible. Soyons tous optimistes et dirigeons nos prières positives en direction de la Côte d’Ivoire.

S. : Comment expliquez-vous ce silence complice, voire complaisant des institutions de l’Union au début de la crise ivoirienne ?

S. C. : Le premier à intervenir dans cette crise a été le Président de notre Conférence des Chefs d’Etat. C’est le Président Abdoulaye Wade et son ministre des Affaires étrangères. L’Union n’est pas seulement ceux qui sont à Ouagadougou (rires). Ce sont les chefs d’Etat, les ministres, la Commission, la Cour de justice, etc. Ce n’est pas le Président de la Commission qui fait l’Union.

Un Chef d’Etat est plus habilité à parler à un autre Chef d’Etat que « le petit Président de la Commission ». Il n’y a pas eu de silence coupable. Je pense qu’il ne faut pas tout de suite se mettre à juger les gens. Il y a une situation dans un pays qui n’a pas été souhaitée, ni par ceux de Bouaké, ni par ceux d’Abidjan. Je ne suis pas sûr qu’ils aient tous souhaité cette situation. Chacun a pensé peut-être régler un problème. Mais ça n’a pas été le cas. Et quand on veut aider, je ne suis pas sûr que le bruit soit le meilleur chemin. Prendre le micro, dire que telle personne a raison et telle autre a tort, je ne pense pas que ce soit la meilleure manière de procéder.

Il faut que les gens essaient de rapprocher leurs points de vue. Il y a eu Marcoussis, la rencontre de Bamako entre les présidents Laurent Gbagbo et Blaise Compaoré et ce qui en est ressorti. Voilà des chemins de sortie de crise qui ont été proposés. La communauté internationale avec l’appui de nos Chefs d’Etat, a permis la signature d’accords entre les protagonistes. Maintenant, il y a des difficultés d’application de cet accord. Il faut essayer d’avancer. Des étapes importantes ont été franchies. On a pu arrêter l’escalade. Il y avait des gens qui mouraient tous les jours, des armées qui avançaient des deux côtés et on ne savait pas jusqu’où cela allait conduire.

S. : Quelles pourraient être les prévisions catastrophiques pour les pays de la sous-région si la crise devait perdure en Côte d’Ivoire ?

S. C. : Je ne souhaite pas faire de prévision de scénarios catastrophes. Ce qu’il faut faire, c’est œuvrer à ce que la paix revienne parce que si ça se gâte, ça se gâtera pour tout le monde. Et quand on commence à gâter, on ne sait pas où ça s’arrête. Personne ne peut dire jusqu’où ça peut aller.

S. : A la faveur de la crise Ivoirienne, n’y a-t-il pas lieu pour l’Union d’œuvrer pour l’émergence d’autres pôles de développement dans les pays de l’interland ou même favoriser l’émergence des ports du Togo, du Bénin...

S. C. : Nous avons un traité et dans ce traité, l’un des mots les plus importants c’est la solidarité. Ce que nous faisons et auquel la Côte d’Ivoire elle-même contribue, c’est d’aider les zones les plus défavorisées pour qu’elles puissent avoir un pouvoir d’achat. Et la Côte d’Ivoire paie pour cela. Les gens sont pragmatiques. Quelqu’un l’a dit tout à l’heure. Les populations elles-mêmes ont fait l’intégration bien avant qu’on ne signe un traité. Il en est de même pour les opérateurs économiques. Si la paix revient et les conditions en Côte d’Ivoire deviennent meilleures, les gens y retourneront pour faire leurs affaires.

Ce que nous recherchons, c’est vraiment que l’ensemble de la région se développe et aille ensemble. Après, les gens ont la liberté d’aller où ils veulent. Même avant la crise, ils pouvaient aller à Tèma, à Lomé, à Cotonou. Mais, ils regardent les coûts, les tracasseries sur les routes, les problèmes administratifs. Il y a un certain nombre de choses qui font qu’on choisit tel port ou tel autre pour ses affaires. Aujourd’hui, nous poussons les gens à aller un peu partout, mais il faut comprendre aussi que les choses ne sont pas forcément égales. Le port d’Abidjan est aussi grand que les cinq autres ports du Bénin, du Togo...réunis.

Actuellement dans ces ports, bien qu’il y ait un afflux, il y a des embouteillages terribles, des difficultés énormes. Si vous alliez à Abidjan, vous faisiez 15 jours. Mais ailleurs, vous faites trois mois, ce n’est pas du tout facile. C’est vrai que vous avez accès à vos marchandises mais, dans des conditions plus difficiles, donc forcément plus coûteuses. Il faut faire donc en sorte que la paix revienne, que les gens travaillent dans des conditions plus normales. Qu’on développe tout, qu’on agrandisse les ports de Cotonou, de Lomé qu’on fasse en sorte que Téma fonctionne bien. Cela est bien pour notre économie, pour nos populations et pour notre pouvoir d’achat.

S. : N’y a-t-il pas doublon entre l’UEMOA et la CEDEAO ?

S. C. : J’ai souvent dit que l’idéal est qu’il n’y ait que la CEDEAO, qu’il n’y ait que l’Union africaine, qu’il n’y ait que l’ONU et on règle tous les problèmes. Cela veut dire que c’est compliqué. Même nous ici, nous avons le Liptako Gourma, le CILSS ; il y a l’OMVS... Tout cela pourquoi ? Quand les problèmes sont complexes, il faut les aborder de la manière la plus proche possible. La CEDEAO existe depuis 1974, l’UEMOA a été créée en 1994 par les mêmes Chefs d’Etat.

L’UEMOA s’inscrit dans le cadre de la CEDEAO. Ce que nous avons convenu avec la CEDEAO ce sont des rencontres régulières. Nous nous rencontrons deux fois par an. Une fois à Ouagadougou et une fois à Abuja. Ce que nous faisons de mieux, ils nous suivent. Ce qu’ils font de mieux, nous les suivons. Nous essayons d’avoir les choses en commun. Ils ont adopté notre Tarif Extérieur Commun (TEC) et vont essayer de l’appliquer. Concernant les aspects de prévention des conflits, ils font mieux que nous, ils ont plus d’expérience et nous les suivons. Maintenant dans le cadre du NEPAD, la région Afrique a été divisée en sous-régions.

Et en Afrique de l’Ouest, l’organisation qui s’en charge, c’est la CEDEAO. Et nous sommes derrière eux. A l’intérieur de cette CEDEAO, il y a plusieurs programmes : programmes routiers, d’électricité, gaziers, etc., et nous les exécutons ensemble. Actuellement par exemple, nous sommes en train d’initier un programme avec la BAD, qui est un programme routier entre le Mali et le Ghana, en passant par le Burkina.

Mais, c’est nous qui assurons la coordination avec l’accord de la CEDEAO, bien que le Ghana ne soit pas membre de l’UEMOA. Donc, nous nous partageons certaines choses et cela se passe très bien.

C’est vrai que l’on se pose souvent des questions, pourquoi ceci ou cela. Si nous faisons bien, cela profite déjà aux huit (8) pays sur les quinze (15) que compte la CEDEAO. Et ce que nous faisons de bien, pourquoi ne pas le transférer aux autres pays ? Il faut aller dans ce sens-là. Si même à l’intérieur de l’UEMOA, il y a deux pays qui avancent plus vite comme certains l’ont dit, et sont locomotives dans certains domaines, il faut les suivre. C’est de cette façon qu’il faut voir les choses et non en termes d’opposition entre la CEDEAO et nous. A vrai dire, il n’y a aucune concurrence, ni rivalité entre la CEDEAO et l’UEMOA.

S. : Comment est-ce que l’Union s’inscrit dans la dynamique du développement solidaire en Afrique à travers le NEPAD ?

S. C. : Le NEPAD, c’est le grand concept dans lequel on essaie de faire beaucoup de choses. C’est un programme économique régional qui recouvre beaucoup d’éléments : infrastructures sociales, développement humain, environnement, agriculture, etc. Et nous essayons d’être les plus proches possibles des grandes orientations du NEPAD parce que l’Afrique est une. Mais, quand on veut construire un chemin de fer entre Dakar et Djibouti, il faut que chacun des pays traversés apporte sa contribution.

Ce qui est important, c’est la coordination et la vision d’ensemble et que chaque union puisse faire le point. Mais dans le cas du développement solidaire où on est le plus proche possible des populations, ce que nous avons initié et qui me paraît important, c’est la Banque Régionale de Solidarité qui va ouvrir bientôt ses portes et dont le siège sera à Niamey avec des succursales partout. Octroyer des prêts aux plus démunis, à ceux qui n’ont pas accès aux financements bancaires classiques. Voilà qui va beaucoup aider le développement local. Ensuite, il faut continuer avec l’aménagement du territoire.

Nous avons fait signer par les Chefs d’Etat à Niamey, la politique d’aménagement du territoire. Elle consistera surtout à identifier les zones les plus pauvres, les plus défavorisées et faire en sorte qu’un minimum de choses arrive dans ces zones pour que celles-ci s’accrochent au wagon du développement. Troisième aspect, il faut continuer à impulser la décentralisation et faire en sorte que les municipalités jouent leur rôle et soient des partenaires crédibles pour le développement des populations.

S. : L’une des tendances à l’heure actuelle en Afrique, c’est la réforme des constitutions pour pérenniser le pouvoir de certains Chefs d’Etat. Quelle lecture faites-vous des modifications de la loi fondamentale qui mettent à mal la bonne gouvernance ?

S. C. : Ce qui est important, c’est vraiment le respect des constitutions. Mais, je m’interroge toujours sur la façon dont les choses sont abordées dans les médias, parce qu’en fait, une constitution ne peut être modifiée, entre autres, que par un référendum.

Et le référendum, c’est le vote des citoyens. Lorsqu’on organise ce genre de scrutin, les choses se font de façon correcte mais après, on accuse le Chef de l’Etat d’avoir modifié la constitution.

S. : Ce sont les parlements qui modifient la Constitution.

S. C. : Mais cela dépend des pays. Il y a beaucoup de pays où c’est par référendum que l’on modifie la constitution.

La démocratie a cet inconvénient qu’on peut toujours l’utiliser pour faire des choses qui apparemment ne sont pas démocratiques. La Constitution dit : « un mandat est limité ». Mais la même constitution dit « Vous pouvez me modifier moi constitution par tel et tel procédé ». Alors, si j’utilise l’un des procédés prévus par la constitution pour modifier la constitution, je ne l’aurai pas tripatouillée. Ceci dit, la perception donne le sentiment que l’on veut se pérenniser au pouvoir.

Mais quand on observe bien le cas de quelques donneurs de leçons, on se rend compte qu’ils restent longtemps parce que chez eux, ce n’est pas limité. Il y en a qui sont restés vingt (20) ans et même plus en Europe. Maintenant, l’Afrique devient comme une sorte de laboratoire où tout doit être vertueux : nous devons être ceux qui respectent le plus les critères de convergence, les critères macroéconomiques. Nous sommes ceux qui devront faire en sorte que l’Etat joue le rôle minimum. Chez nous, c’est la vertu. Il faut que les budgets soient les plus transparents possibles. Tout doit être vertueux. Mais la vertu ne s’obtient pas du jour au lendemain.

Cela ne veut pas dire que j’approuve ceci ou cela. Je me garde seulement de faire des jugements de valeur. Chaque société, chaque pays malgré tout a ses particularités. Et ce qui m’a le plus choqué quand j’étais ministre des Finances, c’est le fait que la même solution était proposée pour toute l’Afrique. L’Afrique, c’est une diversité. Cela ne doit donc pas se faire. Au Burkina ici, vous ne pouvez pas proposer la même solution pour toutes les régions sur certains problèmes. Souvent, on est vu de façon absolument réductrice.

Cela veut dire que nous devons reprendre les choses en main pour les adapter à notre contexte. C’est vrai que les règles de la démocratie sont universelles, mais je pense que chaque pays, chaque société doit avoir sa gestion. Ce qui est important, c’est le respect des règles qui sont communément acceptées. Si tout le monde accepte une règle, tout le monde doit alors accepter jouer le jeu, y compris le Chef de l’Etat. Comme vous l’avez dit, effectivement il y a des pays où c’est le parlement qui a modifié, mais cela est certainement prévu dans la Constitution qui est toujours approuvée par référendum au départ. Je sais que le secrétaire général de l’ONU est revenu là-dessus. C’est vrai que modifier la constitution donne une mauvaise image, mais l’important, c’est que les choses se fassent normalement.

S. : Il est de plus en plus question aussi d’alternance au sein de certaines institutions de l’Union telles que la BCEAO, la BOAD où apparemment l’alternance n’était pas à l’ordre du jour. Quelle est votre commentaire ?

S. C. : L’alternance ne veut pas dire forcément qu’on change les gens, même si j’en ai bénéficié (rires). Ce qu’il y a, c’est que rien ne l’interdit. Que ce soit à la BOAD, à la BCEAO ou à la Commission de l’UEMOA. Le traité dit que tout le monde peut quitter. Et qui décide ? Ce sont les Chefs d’Etat. On fait confiance en leur sagesse. Ce qu’ils veulent, c’est la bonne marche de ces institutions. S’ils estiment à un moment donné que la mission de telle personne est finie, ils décident dans ce sens. Cela ne veut pas dire qu’à chaque mandat, ils doivent changer quelqu’un. Cela n’est pas écrit. Dès que les gens voient quelqu’un durer un peu longtemps à un poste, ils commencent à s’agiter.

L’important, c’est de savoir si la personne a bien travaillé ou pas, si son maintien est profitable à l’institution ou pas. J’ai dit dans une interview que même si on doit mettre à la place de Charles Konan Banny (NDLR : gouverneur de la BCEAO), un autre Ivoirien parce qu’il est compétent, qu’on le mette. Il ne faut pas forcément dire : « C’est le tour du Mali ou de tel autre pays et chercher quelqu’un de ce pays ». Ce que l’on veut dans cette affaire c’est que celui que l’on pense à un moment donné, qu’il est capable de régler les problèmes, il faut le nommer sans hésiter quelle que soit sa nationalité. Il faut avoir à l’esprit le bien de l’institution. Ce qu’il ne faut pas c’est l’arrogance, une sorte d’installation comme si c’est un droit divin. Nos Chefs d’Etat sont assez informés, de façon générale, pour savoir à un moment donné que peut être telle mission, écourter pour telle ou telle raison.

S. : Dans la plupart des pays de la sous-région, il est question de stratégies de réduction de la pauvreté. Compte tenu de la diversité de ces pays, est-ce qu’au niveau de l’Union, on ne pourrait pas mieux rédiger ces stratégies ?

S. C. : Nous sommes en train de rédiger un document régional de stratégies de réduction de la pauvreté. Nous sommes en train de voir quelque chose de plus large, qui englobe l’ensemble des problèmes de la région. Ceci dit, nous participons et donnons notre technicité à tous les programmes avec la Banque mondiale, le FMI, ceux que vous croyez qu’ils rédigent eux-mêmes leur document de stratégies de réduction de pauvreté, qu’ils consultent leur société civile, etc. Mais ces institutions sont des partenaires. A nous de développer mieux notre capacité de négociation, de pertinence de ce que nous voulons comme objectifs principaux, comme priorités.

Il faut que nous-mêmes sachions ce que nous voulons et que nous le défendons.

S. : On a parlé du NEPAD. Nous avons maintenant l’Union africaine. Finalement on ne sait pas où l’on va, notamment en matière d’intégration économique.

S. C. : Le NEPAD est un programme. Et le « p » est important (rires).

L’Union Africaine est une construction politique qui englobe l’ensemble de ces éléments : c’est comme dans un Etat avec un gouvernement qui a des programmes de puits, de routes etc. Le NEPAD vise essentiellement des programmes qui peuvent aider l’Afrique à émerger, qui dépassent le cadre national. Supposez que l’on construise une route qui traverse le Burkina et qui s’arrête juste à la frontière. Si de l’autre côté, elle ne peut pas continuer, on n’aura pas avancé.

Dans le cadre du NEPAD, on va au-delà des Etats. Si l’on veut une route Bamako-Accra, on traverse en ce moment des Etats et on sait pourquoi on veut aller à Accra. Un des grands projets dans la sous-région, c’est l’énergie électrique, c’est de faire en sorte que le maximum de pays soient interconnectés. Il y a des barrages au Nigeria, au Ghana, du gaz en Côte d’Ivoire etc. Il y a beaucoup de gaz au Nigeria et on est en train d’installer un gazoduc qui va traverser le Nigeria, le Togo, le Bénin jusqu’au Ghana.

Après, on peut le continuer au Burkina, au Mali et au Sénégal. Quand vous avez un désert ici, il n’y a plus de frontière. C’est la même chose pour les maladies. Aujourd’hui, le fait qu’il y a eu des difficultés dans l’Etat de Kano, au Nigeria, tous les Etats sont sous la menace de la poliomyélite. C’est ce qu’il faut voir dans le cadre du NEPAD.

L’Union Africaine est une construction politique qui doit veiller à ce que toutes ces choses se passent, dans le cadre de la bonne gouvernance, des programmes routiers, des préventions des conflits, de paix etc. Il faut que tout cela se fasse dans un ensemble parce que le développement, c’est un tout. S’il n’y pas de paix, vous ne pouvez pas avancer. S’il y a la paix et pas de routes, vous ne pouvez pas commercer. Si vous voulez commercer et qu’il n’y pas de ports qui fonctionnent, vous ne pouvez pas décoller. Et si vous n’avez pas d’opérateurs économiques crédibles vous n’avancez pas et si ceux-ci n’ont pas de banques pour être financés, même résultat. Il y a un peu de tout en même temps.

S. : Que répondez-vous à ceux qui estiment que le président ATT s’est battu pour vous placer à la tête de l’UEMOA parce que vous êtes gênant au Mali ?

S. C. : Gênant pour qui ?

S. : Pour lui et pour la classe politique malienne ?

S. C. : Je ne le crois pas. Dans la vie d’un homme, il y a plusieurs étapes. Il faut à chaque fois savoir ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas faire. J’ai eu beaucoup de chances au Mali, d’avoir occupé des fonctions importantes, d’avoir connu une expérience extraordinaire en étant candidat à l’élection présidentielle parce que ce sont des moments très riches et qu’on ne regrette pas. On apprend beaucoup de choses qui vont largement au-delà de ce qu’on peut lire dans les bouquins. L’homme et la société sont des choses extrêmement complexes.

Le président ATT et moi, nous nous connaissons depuis 1962. Nous avons fait le collège de Mopti au Mali ensemble et nous sommes de très bons amis. Cela n’exclut pas à un moment donné, qu’on veuille la même chose (rires). Ceci dit, il y a un temps pour tout. Il y a le temps de la campagne, il y a le temps de la politique, le temps où l’on accepte les résultats, le temps où l’on tourne la page et on fait autre chose. Il m’a proposé de venir ici et j’ai accepté. Je suis venu vraiment librement. Il n’y a eu aucune contrainte, aucune pression particulière sur moi. Ça ne m’empêche pas d’avoir des amis au Mali et d’y aller.

S. : Mais est-ce que vous avez toujours des ambitions présidentielles ?

S. C. : Les ambitions vont et viennent. Pour le moment, ça ne vient pas (rires).

S. : La prochaine présidentielle malienne va se dérouler au moment où vous serez à un an de la fin de votre mandat à la Commission de l’UEMOA. Allez-vous démissionner pour être candidat ?

S. C. : Vous savez, nous étions vingt-quatre (24) candidats. On peut être candidat et ne pas être élu. En général, tout ce que je fais, je le fais passionnément et entièrement. Aujourd’hui, je suis à la tête de la Commission, j’ai des défis importants à relever. Honnêtement, je m’y consacre. Je ne passe pas mon temps à regarder le rétroviseur quand je conduis. Je me concentre sur la route, je freine et accélère au bon moment. J’évite les piétons et les cyclistes. Je reste là où je suis aujourd’hui.

S. : Quelle a été votre touche personnelle dans le processus d’intégration quand vous étiez ministre des Finances ?

S. C. : J’ai eu la chance d’être le premier président du Conseil des ministres de l’UEMOA. Et aussi la chance ou la malchance d’avoir été celui qui a signé l’acte de dévaluation. Ensuite, c’est moi qui ai installé la première Commission de l’UEMOA. J’ai vraiment participé aux premiers actes et aux choix des premiers hommes au niveau de l’Union. Ceci a fait qu’après, je me sentais beaucoup plus responsable dans la mise en œuvre des chantiers. Et je pense que du côté du Mali, j’ai pu suffisamment œuvrer pour faire passer les dossiers les plus difficiles qui pouvaient exister à l’époque.

Quand on a décidé par exemple de passer la TVA à 18%, honnêtement ce n’était pas chose facile et il fallait le réussir chez nous. Et tous les pays de l’interland, le Mali, le Burkina, le Niger avaient beaucoup de difficultés à faire accepter un certain nombre de mesures. L’un de mes combats que j’ai réussi à l’époque contre la Commission, c’était de faire échelonner le désarmement tarifaire. J’avais l’intuition très forte que si on allait trop vite, on allait se planter. La première idée en 96, c’était d’aller tout de suite à 100 %. J’ai dit non et on est passé d’abord à 30%. Ce n’est qu’en 2000 qu’on est arrivé à 100 %. Et je crois que cela a été heureux de faire les choses progressivement parce qu’il faut de la pédagogie, il faut ramener la confiance. Je ne regrette pas d’avoir mené ce combat en ce moment-là.

S. : Le Mali, votre pays a connu une alternance au sommet de l’Etat qui a été saluée par tous. Comment voyez-vous la suite de la gouvernance politique au Mali, dans un contexte où le président ATT gouverne sans opposition.

S. C. : C’est vrai qu’il y a une situation qui paraît atypique parce que les gens aiment bien les oppositions. Mais, il faut que l’opposition aussi soit crédible, utile, qu’elle fasse attention. Partout, il le faut. Il ne faut pas des oppositions de faire-valoir.

ATT a une dimension un peu spéciale au Mali. Je crois que ceci peut expliquer cela. Je ne suis pas sûr que tout autre homme politique de notre génération puisse bénéficier de cette dimension. Parce que tout simplement en 1991, il a été le héros de la révolution contre le régime de Moussa Traoré. Il est perçu par l’ensemble de la classe politique comme un libérateur. Cela a fait que le ralliement s’est fait plus autour de l’homme qu’autour d’un programme ou de tout autre chose. C’est cette dimension qu’il faut regarder et comprendre. C’est pour cela que je disais, quand on parlait de la constitution, chaque pays a ses spécificités. Ce n’est pas pour autant qu’on peut dire qu’il n’y a pas de démocratie au Mali parce qu’il n’y a pas d’opposition affichée. Il n’y a qu’à lire la presse malienne, on se rend compte qu’ATT lui-même a droit à tout. Ce sont des situations, à mon avis, exceptionnelles. Une sorte de parenthèse démocratique que l’on rencontre dans beaucoup de pays.

Ceci dit, il y a des partis politiques qui se battent. Chacun essaie d’avoir sa place sur l’échiquier national et forcément, ils vont continuer la compétition. Ce que je crois pour le Mali, c’est que les choses ne seront plus jamais comme avant. J’espère vraiment qu’au Mali, on a atteint un point de non-retour du point de vue du processus démocratique.

Personne ne peut plus en imposer de façon arbitraire. La presse est extrêmement libre, les gens se sentent particulièrement libres et les partis politiques jouent un jeu absolument transparent. Maintenant les gens peuvent être mécontents de telle ou telle action mais, ils peuvent de ne pas décider d’aller dans une opposition, tout en restant et en critiquant de façon extrêmement sévère.

L’important, c’est que la démocratie vive à travers les médias, les partis politiques, la liberté d’expression, d’agir dans un pays. Ensuite on critique un programme de gouvernement. Et ce gouvernement doit faire en sorte que les populations s’en sortent.

Les problèmes de gouvernance au Mali ne peuvent pas être occultés. Quand on voit des dossiers dans la presse, quand on voit comment les ministres sont interpellés sur leur gestion, je pense que les choses vont dans le bon sens. Et le Mali fait partie des pays qui ont accepté l’évaluation des pairs. Cela veut dire que le Mali accepte la critique. Chaque année, Transparency international vient au Mali et donne son point de vue sur tout ce qui s’y passe. L’aspect politique doit être vu à travers la personnalité du président.

S. : Vous avez pris fonction il n’ y a pas longtemps. Comment avez-vous été accueilli. Avez-vous trouvé des peaux de banane ? Quelle est l’ambiance au sein de la Commission ?

S. C. : La chance que j’ai eue par rapport à tous les présidents qui m’ont précédé, c’est que j’étais dans la maison. Je suis rentré en mars 2003 dans la maison, donc J’ai fait presqu’un an avant d’être porté à la tête de la Commission. J’ai connu les gens.

J’ai pu avoir des relations particulières avec ces personnes. Et puis elles ont eu aussi à apprécier mon comportement, ma façon d’être.

La deuxième chance que j’ai eue, c’est que j’étais au gouvernement au début de l’UEMOA et la plupart des cadres de ses institutions sont des gens que j’ai connus. Il y a beaucoup de respect entre nous et ceci m’a beaucoup aidé.

Ceci dit quand on rentre dans une posture différente, il est évident que les gens vous regardent brusquement avec un nouvel œil.

Vous êtes là et tout d’un coup vous êtes directeur général. Même ceux qui vous saluaient en passant, commencent à vous saluer autrement.

Vous-même vous vous demandez ce qui a changé.

L’une des premières actions que j’ai eu à mener, c’est de parler avec le personnel. Et cela a été un moment très fort de communion pour mettre les gens à l’aise. Parce qu’il y en a qui croient que comme un tel est parti, on me fera ceci ou cela. C’est de la petitesse et ça n’apporte rien. J’ai géré beaucoup de départements ministériels, j’ai rarement changé les gens. Il faut travailler avec ceux qui sont là.

On ne fait pas une organisation ou un pays avec des gens qui n’existent pas. Si vous n’échangez pas, si vous ne communiquez pas et si vous n’avez pas de relation directe avec les gens, ça ne marche pas. J’ai instauré des réunions régulières avec mon cabinet, mais il y a aussi un espace de dialogue que j’ai ouvert où tous les vendredis après-midi, n’importe quel agent de l’UEMOA peut rencontrer le président sans rendez-vous. Je l’ai fait pendant dix (10) ans au Mali. Souvent je restais au bureau jusqu’à 22 h. C’est bon de parler avec les gens parce que le planton peut vous apporter une bonne information. Ce n’est pas de la délation, mais ce sont des échanges.

C’est la vie qui vous donne la chance à un moment donné d’être en bonne position. Donc, il faut être humble dans nos sociétés.

S. : L’UEMOA sponsorise depuis maintenant plusieurs années, une manifestation dénommée Miss Campus UEMOA. Cette manifestation a été décriée dans certains milieux où l’on estime que l’UEMOA a mieux à faire que d’organiser des concours de beauté. Que répondez-vous ?

S. C. : Oui, c’est vrai. Je me suis posé la même question. Il y a beaucoup de malentendus dans notre sous-région sur ce qu’on appelle sponsoriser. D’abord dès qu’il y a quatre ou cinq pays de la sous-région qui se réunissent , on voit déjà l’UEMOA. Cela donne l’impression que nous sommes derrière tout ce qui concerne les manifestations ou regroupements. Ce qui se passe pour Miss Campus UEMOA comme, pour le Tour du Faso, des matchs de foot, des activités culturelles, c’est que les gens nous écrivent pour nous demander de les aider, etc.

Je suis dans une situation très difficile : soit on est le méchant, on arrête. Soit on est le trop gentil et on fait même plus. Ou alors, on essaie de faire comprendre qu’on a bien envie de sortir de ça et aux promoteurs de comprendre qu’il ne faut pas revenir la prochaine fois. Je préfère cette troisième situation.

C’est quelque chose sur laquelle on est entrain de réfléchir. Mais, dans la vie, il y a tout. Il y a des gens très sérieux, il y en a qui aiment bien s’amuser. Il y a des gens qui vivent de ce genre de manifestations. Il y en a qui aiment Miss Campus UEMOA, d’autres détestent cette manifestation.

Je ne vais pas juger. Mais on va avoir un comportement beaucoup plus responsable à notre sens, en fonction de ce que nous pensons. Je pense qu’on peut aider les universités autrement.

Il faut que les gens comprennent que ce n’est pas nous qui organisons Miss Campus UEMOA. Il y a un promoteur qui est là, qui prend ses contacts, qui cherche de l’argent pour sa manifestion, etc. Mais peut-être que l’UEMOA est plus vendable ?

S. : Apparemment, vous n’avez pas le temps d’aller voir Miss Campus UEMOA ?

S.C. : Non, je n’ai pas l’habitude d’aller à ces manifestations-là et je n’irai pas. Et ça, c’est clair.

S. : N’avez-vous pas le temps aussi d’aller manger le Tchep de la Sénégalaise du quartier ?

S. C. : Il m’arrive d’aller dans un restaurant avec ma famille, mes amis. Je ne vais pas en boîte, en tout cas.

S. : Quel est votre passe-temps favori ?

S. C. : Le Traité de l’UEMOA (rires). Je lis , je fais du sport tous les matins. Je regarde le football que j’aime bien, même si je ne joue plus.

Je regarde le Tour de France en ce moment... (NDLR : l’interview a été réalisé le 20 juillet).

S. : Comment les Burkinabè perçoivent-ils l’UEMOA ?

S. C. : A Ouaga, l’UEMOA est vue comme quelque chose d’important du point de vue de l’emploi parce que les gens sont relativement mieux payés. Du point de vue des marchés, les prix sont élevés quand il s’agit de l’UEMOA.

Ce n’est pas une bonne chose. C’est une erreur, parce que ça nous pousse à consulter partout alors que le fait d’avoir un siège doit aider plus les opérateurs du pays que les autres. Parmi le petit personnel, 99% sont des Burkinabè . Quant aux cadres supérieurs, nous essayons de faire l’équilibre, mais, il y a deux fois plus de Burkinabè par rapport aux autres pays.

S. : Quelle appréciation faites-vous de la presse burkinabè ?

S. C. : Je pense qu’elle est de qualité. Honnêtement !

Je la compare un peu à la presse de chez moi. Elle est moins provocante, un peu plus sage que dans certains pays, et c’est tout à son honneur. Il y a vraiment des journaux de qualité. Et c’est une bonne chose.

Sidwaya

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