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Komyamba Issaka Sawadogo, président de la Confédération ouest-africaine du bétail : “Sans justice,pas d’affaire, pas d’investissement”

Publié le jeudi 24 septembre 2009 à 04h00min

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Les Burkinabè ont vraiment découvert leur compatriote Komyamba Issaka Sawadogo, homme d’affaires installé en Côte D’Ivoire, à travers deux faits majeurs : sa prouesse de faire siffler le train pendant le conflit ivoiro-ivoirien et le feuilleton économico-judiciaire qui l’a opposé à son associé d’hier, Amadou Bocoum. Ce self made man construit peu à peu son “success story” qui pourrait inspirer tout entrepreneur sincère et ambitieux. Cet opérateur économique de 48 ans, né à Zongo dans l’arrondissement de Boulmiougou à Ouagadougou, croit dur comme fer à un avenir radieux des affaires en Afrique, sous la houlette des Africains eux-mêmes et à des relations commerciales sous-régionales prospères animées par des ressortissants du continent, à condition que les pays se bâtissent un environnement juridique sécurisant pour les investissements.

Sidwaya (S) : Comment êtes-vous venu aux affaires ?

Komyamba Issaka Sawadogo (K.I.S) : Sans trop rentrer dans les détails, je suis né le 6 avril 1961 à Zongo dans la commune de Ouagadougou. J’ai commencé mes activités commerciales très jeunes, dès l’âge de 11 ans, dans le Nord de la Côte d’Ivoire, plus précisément à Ouangolodougou en vendant de la cigarette à la gare ferroviaire. Ensuite, j’ai travaillé avec les douaniers. Dans ma collaboration avec la douane pour faciliter les opérations commerciales de nombreux voyageurs, je me suis lié d’amitié avec certains d’entre eux qui m’ont voué leur confiance. Ainsi, je prenais auprès d’eux des marchandises à crédit que je revendais avant de leur remettre leur argent. Dans ce sillage, j’ai évolué petit à petit comme un oiseau construisant son nid. Malgré les difficultés de tous ordres, je me suis toujours accroché parce qu’un entrepreneur qui se décourage ne peut pas réussir.

S. : Dans combien de secteurs d’activités intervenez-vous à l’heure actuelle ?

K.I.S : D’abord, j’ai investi dans l’exportation du bétail. Nous avons travaillé dans ce secteur avec un député de Bouaké à l’époque qui disposait d’une société. Ensuite, j’ai créé ma propre entreprise qui s’occupait de l’escorte des animaux sur pied avec deux partenaires à Ouagadougou. Ils procédaient aux chargements des camions et on livrait les animaux soit au Ghana, soit en Côte d’Ivoire. Nous avons, mes deux partenaires ouagalais et moi, pris l’engagement de travailler ensemble de façon durable. Dans l’évolution de ce partenariat, nous avons eu l’idée de créer une confédération ouest africaine des acteurs de la filière bétail. J’occupais déjà le poste de premier vice-président de la fédération ivoirienne avec Kassoum Koné comme président. La confédération a effectivement vu le jour le 27 décembre 2004 à Bamako au Mali où j’ai été élu parmi trois candidats. Mais avant d’être porté à la tête de cette structure sous-régionale, j’intervenais dans le domaine du transit à travers une société dénommée SOCOCIB qui a environ vingt ans aujourd’hui. Elle dispose au Burkina Faso, de représentations dans les aéroports, les postes frontaliers, les grandes gares ferroviaires et routières de l’intérieur. Il y a un personnel qui y assure des prestations en assistance d’entrées ou de sorties de marchandises. Enfin, j’ai créé la société de transport ivoiro-burkinabè dont l’activité principale est la location de trains voyageurs. Donc, mes secteurs d’activités aujourd’hui, sont le bétail, le transit et le transport ferroviaire.

S. : Quels types de rapports entretenez-vous avec la SITARAIL, le concessionnaire du chemin de fer Abidjan-Ouagadougou ?

K.I.S. : Nous entretenons de très bonnes relations avec la SITARAIL. Nous avons un partenariat basé sur des contrats dans lesquels chaque partie connaît ses engagements et les respecte au mieux. La communication est le fondement de notre collaboration pour aplanir à tout moment, les divergences et aller de l’avant. Pour ce qui concerne ma société, dans le contrat, elle loue un certain nombre de wagons ou des voitures dans des trains qu’elle met à la disposition des commerçants et des voyageurs burkinabè ou ivoiriens. Car il y a souvent certains qui arrivent à la gare avec leurs animaux sans avoir les moyens de s’offrir un wagon pour le transport. Nous avons alors discuté avec la SITARAIL et ma société prend la garantie auprès du concessionnaire pour mettre des wagons à la disposition de tout commerçant qui en éprouve le besoin. Chaque quinze jours, la SITARAIL nous adresse les factures des locations pour règlement. Au niveau de la douane, c’est le même scénario. Il ne s’agit pas d’un dédouanement mais d’une taxe de 3 000 F CFA par tête d’animal exporté. Là aussi, ma société se charge de payer une caution au Trésor public. Essentiellement, nous procédons à un préfinancement des activités des commerçants de bétail auprès de la SITARAIL et de la douane pour leur permettre de pouvoir aller vendre leurs animaux et revenir, plus tard nous rembourser. Depuis 2002, nous sommes dans le train voyageurs, mais pour ce qui est du train marchandises, cela remonte à 15 ans.

S. : Quel a été votre secret pour maintenir la circulation du train entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso au plus fort de la crise ?

K.I.S. : Il n’y a vraiment pas eu de secret. Au début, cela a été une initiative difficile. Que ce soit du côté des loyalistes ou de celui des rebelles, l’on m’a soupçonné d’être de mèche avec l’un ou l’autre camp. Chacun voulait me taper dessus. Puis les deux parties se sont rendues compte qu’elles se sont trompées à mon sujet. Leurs enquêtes ont révélé que je n’avais rien à voir dans ce qui les opposait. Je ne suis pas un politicien, mais un homme d’affaires qui ne cherche qu’à mener mes activités en toute légalité. Je suis seulement guidé que par le souci de maintenir les échanges commerciaux (dont nous sommes les principaux animateurs) entre les deux pays.

S. : Comment avez-vous accueilli l’arrivée du premier Africain, un Burkinabè, de surcroît, Lassiné Diawara à la tête du Conseil d’administration de la SITARAIL ?

K.I.S. : Ce choix va droit au cœur de la plupart des opérateurs économiques burkinabè. A 95 %, ce sont eux qui utilisent le transport ferroviaire, que ce soit le train marchandises ou voyageurs. L’arrivée donc d’un compatriote à la tête de la SITARAIL est une joie pour nous autres. Nous lui souhaitons beaucoup de courage et de succès dans ses projets pour promouvoir davantage les échanges commerciaux par rail entre nos deux pays.

S. : Avez-vous des relations particulières avec les autorités ivoiriennes et burkinabè ?

K.I.S. : Je n’entretiens pas de relations particulières avec les autorités des deux pays. Je suis un homme d’affaires et j’entends le demeurer. Ce qui me concerne, ce sont uniquement mes affaires. Je reste convaincu, jusqu’à preuve du contraire, que si un opérateur économique, d’où qu’il vienne, respecte les lois et règlements partout là où il mène ses activités, il aura la liberté et les mains libres pour mener ses affaires. Je ne cesse de recourir à l’assistance de conseils juridiques pour toujours exercer dans la légalité, quel que soit le pays dans lequel je m’installe. Avant de me lancer dans une affaire, je m’assure à la lumière de la lecture de mes avocats ,que c’est une entreprise légale. Le respect permanent des lois et règlements du pays d’accueil est un souci majeur pour moi. Quand on ne perd pas de vue cet aspect, on n’a pas besoin du parrainage d’une autorité pour mener à bien ses activités.

K.I.S. Toute une journée ne suffirait pas pour relater le feuilleton de l’affaire Bocoum-Sawadogo dont le dénouement judiciaire vient d’être prononcé en ma faveur. Cet épisode dans ma vie d’opérateur économique me comble de douleur et m’inflige une souffrance terrible. Mes affaires dans leur ensemble ont failli en pâtir. Le partenariat entre Samba Amadou Bocoum et moi a été possible grâce à un certain Mahama Fofana, jadis représentant de SITARAIL à Bobo-Dioulasso. Les deux sont venus à Ouangolodougou me proposer de travailler ensemble. J’ai été réticent dès le début car je ne connaissais pas M. Bocoum de jour comme de nuit, pour m’engager dans des affaires avec lui. Deux semaines plus tard, il est revenu avec El Hadj Seydou Sawadogo, ancien président du parc à bétail de Bobo-Dioulasso me voir. C’est ce dernier qui m’a convaincu en me conseillant que puisque M. Bocoum et moi venons du même pays, un partenariat entre nous donnerait plus de force à nos activités. Il avait sa société, COBOF et moi aussi la mienne, SOCOCIB. Nous avons jumelé les deux sous l’œil d’un huissier de justice pour donner l’union des transports SOCOCIB-COBOF avec M. Bocoum comme président du conseil d’administration (PCA). Le dépôt d’une caution auprès de la SITARAIL était nécessaire pour permettre à la nouvelle structure de mener ses activités. Nous avons alors entrepris les démarches auprès de la BIB pour obtenir un prêt de 200 millions FCFA. En tant que PCA, M. Bocoum avait avec lui tous les documents de la nouvelle société qu’il devait acheminer à la SITARAIL.

Quand la caution a été obtenue, il s’est arrangé avec quelqu’un d’autre pour aller la déposer à mon insu en prenant le soin d’abandonner à la SITARAIL les documents qui devait me revenir en tant que partenaire. C’est quand il s’est agi d’une signature de convention que le pot-aux-roses a été découvert. M. Bocoum m’a remis un projet de contrat entre la SITARAIL et nous le 25 février 2006 à l’aéroport de Ouagadougou alors qu’il avait déjà signé le 14 février une convention au nom de sa seule société COBOF. Lorsque j’ai attiré son attention, il m’a fait comprendre que c’était une erreur. La trahison a commencé là. La SITARAIL établissait les factures au nom de la seule COBOF. Quand j’ai cherché à savoir ce qui se passait, les responsables de SITARAIL m’ont répondu que M. Bocoum leur a confié que de commun accord, nous avons décidé à la suite d’une réunion d’adresser les factures à l’entreprise à lui seul. Au même moment, SOCOCIB-COBOF avait entrepris d’acheter de nouvelles voitures voyageurs parce que celles que nous possédions sont devenues vieilles. Comme nous n’avions pas voulu investir ce projet à partir de notre compte commun, le montant a été cotisé et remis à M. Bocoum à Ouangolodougou pour le garder car la localité ne disposait pas de banque. Or, il avait déjà organisé son coup entre Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Un jour, je reçois un document me signifiant une convocation de mon partenaire au Tribunal de Bobo-Dioulasso afin de dissoudre notre société commune. Mon premier réflexe a été d’appeler M. Bocoum pour en savoir plus.

Il me rétorque que c’est Dieu qui a voulu les choses ainsi. A la justice, tout semblait déjà ficelé et personne n’avait plus le temps de m’écouter. L’ancien président du Tribunal ne voulait même pas me recevoir dans son bureau afin d’entendre mes explications. Il s’est entêté à planifier un jugement au cours duquel j’ai été condamné et SOCOCIB-COBOF dissoute. Seulement, j’ai attiré son attention que l’on ne peut pas dissoudre une société sans dresser un bilan. Le président du tribunal a alors désigné un expert comptable pour auditer les comptes de SOCOCIB-COBOF aussi bien à Ouagadougou qu’à Bobo-Dioulasso. Quand celui-ci s’est aperçu que l’étau se resserrait autour de M. Bocoum, il a refusé d’aller jusqu’au bout du bilan. Dieu merci, cet épisode douloureux n’est aujourd’hui qu’un souvenir mauvais qui m’a servi de leçon dans la conduite de mes affaires.

S. : Que devient le projet d’acheter de nouvelles voitures au temps de SOCOCIB-COBOF ? Que suggérez-vous aux actionnaires et dirigeants de la SITARAIL pour améliorer l’état défectueux actuel des rails ?

K.I.S : L’initiative est toujours à l’ordre du jour. Elle suit son cours. J’ai même effectué un voyage en Afrique du Sud dans ce cadre pour négocier avec des bailleurs de fonds. C’était prévu en son temps de les inviter à Abidjan pour procéder à une évaluation du projet avec la SITARAIL avant d’entreprendre quoi que ce soit. C’est à cette étape du projet que M. Bocoum s’est accaparé des sous, plus d’un milliard F CFA, pour tout mettre à l’eau. Mais je reste optimiste, si nous présentons maintenant un dossier suffisamment clair, viable et fiable, les bailleurs de fonds vont adhérer à coup sûr, à la réalisation de ce projet. Malgré la mésaventure, je garde espoir. Il faut avoir confiance en soi pour réussir ce que l’on entreprend. Ce projet s’inscrit dans l’intérêt de tous. Même si je ne suis pas là demain, quelqu’un d’autre continuera sa concrétisation. Les chemins de fer sont l’avenir des transports entre les côtes maritimes et les pays de l’hinterland comme le nôtre. Contrairement au réseau routier, les accidents de trains sont rares. A cela s’ajoute le fait, qu’ils permettent de transporter une grande quantité de marchandises. Un réseau ferroviaire viable reliant le Burkina Faso, le Niger et le Mali entre eux, puis avec les côtes serait un grand soulagement pour ces pays enclavés.

S. : Après l’aventure malheureuse avec Bocoum, quels conseils donnez-vous aux autres opérateurs économiques pour ne pas tomber dans le même piège ?

K.I.S : Que chacun prie Dieu pour qu’il place sur le chemin de ses affaires des partenaires honnêtes et sincères avec lesquels il peut travailler sans regret. Parce qu’aujourd’hui, on ne peut pas entreprendre tout seul. Dans les affaires de maintenant, il faut se fonder sur les conseils des avocats et nouer les partenariats sur la base de documents juridiques authentifiés par des notaires. Une telle prudence permet de se mettre à l’abri de toute surprise désagréable lorsque survient une mésentente. Toutefois, quand un différend éclate entre des associés en affaires, la justice doit en toute indépendance et impartialité dire le droit. Quand un partenaire sait qu’il peut en toute impunité déposséder les autres de leurs biens, il va en faire la clef de son succès. Alors, que la justice prenne ses responsabilités pour instaurer une franchise dans le jeu économique !

S : Quel jugement portez-vous sur le paysage des affaires burkinabè ? Que préconisez-vous pour le rendre plus compétitif ?

K.I.S. : En toute sincérité, le différend entre M. Bocoum et moi a suffi pour que je sois tenté de préférer la Côte d’Ivoire au Burkina Faso, dans le cadre de mes activités d’opérateur économique. Cette affaire à elle seule m’a amené à perdre confiance à mon pays d’origine, en matière de protection des hommes d’affaires et de l’application du droit. Au Burkina Faso, on a souvent l’impression que la justice est manipulée par des opérateurs économiques qui ne sont en réalité que des escrocs. Ce qui m’est arrivé ici est très flagrant. Quoique l’on veuille soutenir actuellement sur mon pays d’accueil, je ne pense pas qu’un tel abus serait possible en Côte D’Ivoire sans que la justice ne prenne ses responsabilités à temps pour condamner le vrai escroc et encourager le partenaire sincère dans ses investissements. J’ai certes, la volonté de participer au développement de mon pays d’origine mais lorsqu’on se fait abuser sans cesse, sans aucune réparation juridique, cela décourage et motive à s’installer ailleurs pour mener en toute quiétude ses activités. Il est temps que l’appareil judiciaire soit digne du rôle qu’il doit jouer dans la promotion des affaires dans ce pays. Là où il n’y a pas de justice, la confiance fout le camp. Aucun opérateur économique, aucun investisseur ne viendra là-bas pour mettre ses ressources financières en insécurité. Les critiques d’hommes d’affaires contre notre système judiciaire commencent à être légion. Ce n’est pas bon pour notre économie en quête de financement. Les bailleurs de fonds vont avoir peur de venir y investir, parce que notre justice ne joue pas sa partition en toute impartialité. La justice est le baromètre des affaires, le levier des investissements.

S. : Avec les mutations dans le milieu des affaires, il n’y a plus de frontières, Comment les opérateurs économiques africains doivent-ils s’y prendre pour mieux se faire entendre ?

K.I.S. : Ce qui manque crucialement aux hommes d’affaires africains, c’est la parole d’honneur. Beaucoup n’en ont pas, si bien que quand des partenaires arrivent sur le continent avec la ferme conviction d’investir en collaboration avec des Africains, ils finissent par se décourager de leurs comportements malsains et abandonnent le projet. J’ai rencontré à Abidjan des Libanais rentrant du Burkina Faso tout abusés par des opérateurs avec lesquels ils ont pris l’engagement de nouer un partenariat d’affaires. Bien que j’ai essayé de les convaincre que la mauvaise attitude d’un seul homme ne suffit pas à jeter l’anathème sur mille autres, ils ne veulent plus entendre parler de notre pays. Des opérateurs économiques africains doivent se résoudre et admettre qu’ils ne peuvent pas prospérer dans les affaires, en trompant leurs partenaires. En plus de se priver de sources de financement, ils barrent la route à d’autres entrepreneurs sérieux. Un homme qui n’a pas de parole d’honneur ne peut pas évoluer dans la vie. La parole d’honneur est le socle de la confiance entre des personnes liées par un partenariat ou un contrat. Il faut que les hommes d’affaires africains apprennent et comprennent cela. Il faut tenir ses engagements vis-à-vis de ses partenaires pour asseoir un climat durable de confiance afin de pouvoir les convaincre à tout moment dans le financement d’autres projets.

Interview réalisée par Jolivet Emmaüs (joliv_et@yahoo.fr) et Rabankhi Abou-Bâkr ZIDA (rabankhi@yahoo.fr)

Sidwaya

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