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Délestage de la SONABEL : « Inch Allah, ça va aller » (Salif Kaboré, directeur général)

Publié le mercredi 19 août 2009 à 02h01min

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Quand un directeur général d’une société hautement stratégique s’entoure d’une partie de son staff lors d’une interview, c’est que « l’heure est grave », comme qui dirait. Replacé dans son contexte, marqué à Ouagadougou par le prolongement du programme de délestage, qui fait couler tant d’encre et de salive, l’entretien, réalisé le mardi 11 août 2009, intervient en effet au moment où le courant ne passe plus, c’est le cas de le dire, entre la nationale de l’électricité et ses abonnés, lesquels n’en finissent pas de pester contre le rationnement du jus auquel ils sont soumis depuis. De l’origine du déficit actuel de production de la Société nationale d’électricité du Burkina (SONABEL) au processus de privatisation de la maison, des projets d’interconnexion avec l’étranger aux bisbilles supposées ou réelles entre sa boîte et son fournisseur en fuel, la SONABHY, du climat social au sein de la société à la procédure de dédommagement en cas de détérioration d’un appareil domestique par suite d’un retour de courant, Salif Kaboré, le directeur général de la SONABEL, à grand renfort de inch Allah (s’il plaît à Dieu en arabe), ne se dérobe à aucune question. Ses explications vont-elles rassurer et calmer des clients qui éructent de colère à la moindre coupure ? Rien n’est moins sûr.

Depuis des mois, Ouagadougou subit un programme de délestage quasi ininterrompu. Après la chaleur précoce, vous invoquez maintenant le manque d’eau. Ce serait donc la faute à Bon Dieu, qui n’ouvre pas suffisamment les vannes du ciel ?

Avant de répondre à la question, je vais prier tous les abonnés de la SONABEL d’accepter toutes nos excuses pour les désagréments qu’ils subissent ces derniers temps. Cela dit, je dois rappeler qu’en mars 2008, j’avais déjà annoncé que 2008 et 2009 seraient des années difficiles pour nous, au regard de la forte augmentation de la demande et du retard pris dans les travaux du grand projet d’interconnexion entre Bobo-Dioulasso et Ouagadougou. En mars 2009, je disais encore que les prochains mois allaient aussi être difficiles parce que nous avions 112 mégawatts disponibles alors que la pointe attendue était de 125. Donc un déficit d’environ 12 mégawatts. Cette pointe a été atteinte au mois de mai à 124 mégawatts. A la SONABEL, nous connaissons deux périodes difficiles : la première va du 15 mars au 30 juin, et la seconde du 15 octobre au 30 novembre. Malheureusement pour nous, à la date du 30 juin, qui était la date prévisionnelle de notre première pointe, la saison des pluies ne s’était pas encore installée. En rappel, il faut dire que nous avons, pour le centre régional de consommation de Ouagadougou (CRCO), deux sources d’approvisionnement :

La première, d’origine thermique, est l’ensemble du parc thermique installé à Ouagadougou et à Koudougou, et la seconde est d’origine hydraulique, c’est-à-dire, les deux grands barrages que sont la Kompienga et Bagré, qui apportent environ 18% de la capacité totale du CRCO. A la date d’aujourd’hui, 11 août 2009, le barrage de Kompienga est à moins 4,41m par rapport à son niveau de l’année dernière. Nous sommes à moins 2,87 concernant Bagré. Du coup, les 20 mégawatts que nous devions fournir en termes d’hydroélectricité sont revenus à 12. Soit un déficit de 8 mégawatts. Pire, la chaleur n’a pas baissé (convenez avec moi que pour des raisons de changement climatique, la canicule a persisté au mois d’août), c’est pourquoi le programme de délestage continue.

Mais nous pensons, inch Allah, que si la saison s’installe convenablement, on va vivre entre le 15 octobre et le 30 novembre la dernière période chaude, la dernière pointe angoissante pour la SONABEL. L’avenir pourra nous dire si, avec les investissements que nous avons faits, on pourra donc répondre à cette demande-là, qui augmente d’environ 10% l’an. Ce qui est une exception dans la sous- région, ce qui revient à un doublement de la capacité de production tous les dix ans. Ça veut dire qu’il faut investir tout le temps.

On souhaite bien, inch Allah comme vous le dites, que les barrages se remplissent. Mais au cas où ce ne serait pas le cas, on fait comment ?

Nous souhaitons tous qu’il pleuve suffisamment et pas seulement pour la SONABEL, parce que le Burkina Faso est un pays agricole et qu’on vit d’élevage et d’agriculture. S’il ne pleut pas assez, je pense que le peu dont nous disposons et la production thermique que nous avons peuvent nous permettre de gérer la petite pointe d’octobre à novembre parce qu’on aura en fait un déficit de 12 à 15 mégawatts selon nos prévisions, et le délestage sera moindre par rapport à ce que nous avons vécu entre le mois de mars et le 2 juin. Si vous avez bien remarqué, le programme que nous avons donné était bien suivi jusqu’au fameux dimanche du 2 juin où une panne survenue sur notre grand groupe a entraîné un délestage plus important durant une dizaine de jours.

Si la source hydraulique, qui ne représente que 18% de l’ensemble des sources de production, nous crée tant de problèmes en ce moment, est-ce que cela ne veut pas dire que le problème se trouve ailleurs ?

Non. Si on prend le plan de production de la SONABEL, nous avons une production thermique qui tourne autour de 64%, une production hydroélectrique qui est de l’ordre de 18% et enfin une production importée qui est également de 18%.La source thermique ne suffit donc pas, alors il faut investir, et nous l’avons fait à hauteur de 65 mégawatts à Kossodo entre 2000 et 2007 en attendant que les grandes interconnexions que nous envisageons avec les pays voisins puissent nous permettre de satisfaire totalement la demande dans le centre régional de consommation de Ouagadougou.

A Bobo, le problème ne se pose plus, puisque depuis avril 2001, nous sommes interconnectés avec la Côte d’Ivoire. Nous avons alors de l’énergie en quantité et même lorsque cette énergie n’est pas toujours disponible pour des raisons d’entretien ou de panne, la réserve froide de 25 mégawatts que nous y avons constituée permet d’alimenter la ville de Sya sans problème. En vérité, malgré nos difficultés conjoncturelles, dans la sous-région, après la Côte d’Ivoire, c’est nous qui avons la meilleure offre de service.

Justement, n’est-ce pas quelque part la fin de « l’exception burkinabé » quand on sait que, dans de nombreux pays de la sous-région, les coupures d’électricité font depuis longtemps partie du quotidien et n’étonnent plus personne ?

Non ! Ce n’est pas la fin de « l’exception burkinabè ». Non. Je pense que nous vivons actuellement ce que j’appelle une crise conjoncturelle.

Une conjoncture qui dure quand même depuis quelque temps.

Cette conjoncture dure depuis deux ans. Nous avons connu nos premières difficultés en 1997. Ensuite, il y a eu celles survenues entre mars et juin 1999. Mais vous conviendrez avec moi que depuis 2000, avec les investissements réalisés, on était dans une situation où on pouvait satisfaire la demande, voilà pourquoi vous parlez « d’exception burkinabè ». Il y avait certes de petits problèmes mais dus à des questions techniques et non de puissance.

Je vous disais au mois de mars que nous avons prévu, avec la communauté des bailleurs de fonds et avec le gouvernement du Burkina Faso, de réaliser la ligne Bobo-Ouagadougou, qui devait être opérationnelle en décembre 2007. Nous avons un projet multibailleurs précisément avec cinq bailleurs internationaux et deux nationaux que sont le gouvernement et la SONABEL. Quand il y a cinq partenaires étrangers, cela veut dire qu’il y a des procédures à respecter en termes de transparence, de passation de marchés et de décaissement. C’est ce qui a entraîné ce dérapage de deux ans. La ligne de transport, elle, est déjà prête depuis le 15 juillet 2009. Il nous reste les postes. Si nous avons ceux-ci à la fin de cette année, alors, avec ce que nous avons comme énergie importée, ajouté à la nouvelle centrale de 18 mégawatts que l’Etat nous a permis de créer à Komsilga, nous pensons, inch Allah, que 2010 devrait pouvoir voir la continuité de la qualité de service de la SONABEL. On ne parlera plus de délestage. On renouera avec ce que vous appelez « l’exception burkinabè ».

Courant 2008, on se rappelle ce qu’on avait surnommé l’Odyssée de « Narcisse », pendant laquelle on a attendu tel le messie une pièce de rechange qui devait venir d’Europe. Cela a été perçu par bien de vos clients comme une forme de pilotage à vue. N’est-il pas possible de prévenir ces situations en ayant en stock des pièces de rechange ?

D’abord, il faut dire que le G8 [NDLR : le plus puissant groupe électrogène, sis à Kossodo] a coûté en plus du génie civil la somme de 22 millions d’euros (NDLR : environ 14 milliards et demi de francs CFA). Avoir toutes les pièces de rechange en stock équivaudrait à dire qu’il faut avoir 10 milliards de francs CFA en stock pour palier toute éventuelle panne. Or, dans une société comme la SONABEL, les gestionnaires, les administrateurs et les commissaires aux comptes sont très regardants sur la gestion des stocks. Il y a non seulement les coûts d’acquisition mais aussi ceux de détention. On évite dans notre métier d’avoir un stock dormant.

Maintenant, il nous appartient, en cas de problème, d’avoir la capacité de réaction nécessaire pour approvisionner le pays en pièces de réparation. C’est ce que nous avons fait avec le galet-poussoir en mars 2008, c’est aussi ce que nous avons fait avec la panne survenue le 2 juin dernier. Si vous vous rappelez, lors de la panne de 2008, il y a eu trois à quatre jours difficiles. Cette année, on a vécu huit à dix jours difficiles. Entre le 2 juin et la date du dépannage, il y a eu dix jours. Imaginez-vous si on avait 20 milliards en stock et qu’après on ne parvenait pas à honorer un certain nombre d’engagements : on dirait aussi que c’est de la mauvaise gestion. Je dis donc qu’au niveau de la SONABEL, ce n’est pas un pilotage à vue mais plutôt une gestion prudente au regard des recommandations qui ont été faites par des cabinets internationaux.

Est-ce à dire donc qu’il n’y a pas du tout de stocks de pièces de rechange à la SONABEL ?

Non. Nous avons des stocks. Aujourd’hui, pour tout ce qui est de la SONABEL, nous avons pour l’ensemble des groupes un stock d’une valeur de 15 milliards de francs. C’est une gestion assez prudente.

On sait que l’électricité nécessite des investissements lourds et coûteux. Mais quand on sait également que le développement d’un pays passe forcément par là, n’avez-vous pas l’impression que c’est une question de choix politique et que peut-être on privilégie autre chose à l’électricité ?

Je pense que nous sommes dans un pays où l’Etat accorde de l’importance au sous-secteur de l’électricité. Ce que notre gouvernement fait pour ce sous-secteur est très important. Bon an mal an, l’Etat burkinabé dégage 21,5 milliards de francs pour subventionner le fuel que la SONABEL utilise. En 2002, lorsqu’une analyse a révélé qu’on allait avoir des problèmes, l’Etat a dégagé 10 milliards pour permettre à la SONABEL d’investir. En 2008, lorsque nous nous sommes aperçus que la ligne allait avoir des difficultés, l’Etat nous a donné 10,5 milliards à investir dans la nouvelle centrale de Kossodo. Au-delà des ces exemples, l’Etat honore ses engagements, c’est-à-dire qu’il paye sa consommation d’électricité.

Il n’y a donc aucun problème à ce niveau ?

Je dis que l’Etat du Burkina Faso, en matière d’accompagnement, joue sa partition pour que l’électricité soit dans ce pays-là.

La SONABEL explore-t-elle assez le domaine de l’énergie solaire afin de diversifier les sources de production ?

Il faut dire que, pour ce qui est de l’énergie solaire, le gouvernement du Burkina a pris l’engagement, après une décision prise en avril 2009, de faire une centrale expérimentale de 20 mégawatts à Mana dans les Balé. Ces 20 mégawatts vont alimenter une mine d’or et l’excédent, c’est-à-dire 10 mégawatts, va être injecté dans le réseau SONABEL. Mais je crois qu’à ce niveau, il faut être aussi prudent. L’énergie solaire c’est bon mais il y a les coûts d’investissement dont il faut tenir compte parce qu’ils auront un impact sur le tarif que nous allons appliquer. Dans les pays développés, on subventionne la production d’énergie solaire. Mais nous, on n’est pas encore à ce stade-là.

Vous voulez dire que l’énergie solaire coûte plus cher que celle produite à partir d’une source thermique ?

Tout à fait. Toutes les études que nous avons menées jusque-là nous montrent que le KWh de l’énergie solaire coûtera plus cher que celui de l’énergie thermique. Mais il existe une volonté politique d’aller vers le solaire. La décision d’avril dernier nous permettra d’avoir notre première centrale en fin 2010.

L’Etat, qui subventionne le carburant de vos groupes, serait redevable de plusieurs dizaines de milliards à la SONABHY, laquelle renâcle à vous fournir le jus. Qu’en est-il au juste ?

Je voudrais rappeler que la SONABEL et la SONABHY sont des sociétés d’Etat. Nous avons un seul actionnaire : l’Etat. Pour revenir à la question, sachez que la SONABEL honore ses engagements vis-à-vis de la SONABHY. Même s’il y a des problèmes, les deux directeurs généraux doivent pouvoir se rencontrer pour les régler. Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu de petits couacs dans nos relations commerciales. Mais on a toujours su faire preuve de hauteur d’esprit, on a toujours mis en avant l’intérêt supérieur des nos sociétés, l’intérêt supérieur des consommateurs. Entre la SONABEL et la SONABHY, il n’y a pas de problèmes.

Vous avez néanmoins évoqué des problèmes mineurs. De quoi est-ce qu’il s’agit ? La SONABEL doit-elle de l’argent à la SONABHY ?

La SONABEL ne doit pas de l’argent à la SONABHY. Nous avons des créances commerciales à régler à 60 jours fin du mois et nous les réglons. Mais la SONABHY souhaite que nous ramenions ce délai à 30 jours fin du mois. Ce qui est difficile pour nous. Mais lors de notre dernière rencontre, nous avons trouvé le juste milieu et tout est rentré dans l’ordre.

Donc on ne vous a pas coupé le jus ?

Laissons tomber la rumeur. Il ne viendra à l’idée ni d’un directeur de la SONABEL ni d’un directeur de la SONABHY de priver le pays d’énergie électrique en coupant le fuel. Il peut y avoir des menaces. Nous appartenons au même actionnaire, donc il n’est pas question qu’un directeur général prenne des décisions dans ce sens. C’est comme si moi on me disait d’aller couper le courant au ministère des Finances ou au ministère de l’Energie et des Mines (NDLR : ministère dont relève la SONABEL). Je ne le ferai pas parce que j’appartiens à cette entité qui est l’Etat.

Au fait, à quel stade se trouve le projet d’interconnexion avec les pays voisins ?

Nous avons connu un retard dans l’interconnexion avec la Côte d’Ivoire. Mais nous serons opérationnels à la fin de cette année. Au premier trimestre de 2010, inch Allah, nous aurons à Ouagadougou de l’électricité en provenance de la Côte d’Ivoire. La ligne de transport est déjà prête. Aujourd’hui, le dernier pylône est à Zagtouli avec tous les câbles y compris la fibre optique. Vous verrez que le volet géni civil des postes est en chantier, et nous pensons que les transformateurs seront sur le site en fin septembre et d’ici la fin de l’année, nous devons avoir l’électricité ivoirienne.

A quoi sont dus les retards ?

Les retards sont dus essentiellement à des problèmes de procédures. Je vous disais tantôt que nous avons cinq bailleurs de fonds auxquels s’ajoutent l’Etat burkinabè et la SONABEL. L’autre problème est lié à la crise énergétique, qui a grevé la demande d’un certain nombre d’items, ce qui a entraîné des retards dans l’exécution des travaux chez des entrepreneurs. Le deuxième grand projet, c’est l’interconnexion avec le Ghana.

La réactualisation de l’étude de faisabilité est déjà finie, les bailleurs de fonds sont déjà positionnés, et cette ligne est attendue à Ouagadougou en 2012. La troisième grande interconnexion, c’est Han (au Ghana) Bobo-Dioulasso-Sikasso-Bamako (au Mali). A ce niveau, c’est une entreprise coréenne qui a été retenue pour l’étude, qui est presque terminée. Il reste à faire la table ronde des bailleurs de fonds. Ce projet est attendu pour 2015. La dernière grande interconnexion est celle avec le Nigéria. Elle prévue pour être effective entre 2017 et 2018. C’est une ligne qui va faire environ 1000 kilomètres. Il y est attendu 100 mégawatts pour alimenter le Burkina Faso.

On voit bien que ce ne sont pas les projets qui manquent et on devrait avoir l’électricité sans délestage ; quand tous ces chantiers seront réalisés, peut-on s’attendre à une baisse significative du kWh parce que, malgré vos efforts, les coûts sont toujours intenables pour les abonnés ?

D’abord, ce qui doit nous réconforter dans la conduite de tous ces projets, c’est ce que j’avais dit, c’est le fait que les bailleurs de fonds soient prêts à nous accompagner. Ensuite, il faut voir que nous travaillons à diversifier nos différentes sources afin d’avoir l’énergie disponible. L’objectif actuel du gouvernement, c’est de faire de telle sorte que nous ayons l’énergie disponible en quantité pour porter le taux d’électrification à un niveau très élevé : 60% en 2015 et un peu plus à l’horizon 2020-2025. Si cet objectif est atteint, il appartient à l’Etat de voir quel sont les éléments à prendre en compte pour réduire le tarif, étant entendu qu’au même moment, ce sont des prêts que nous avons contractés pour faire ces différents investissements, donc viendra l’heure pour la SONABEL d’honorer ses différents engagements.

Si on vous suit bien, la baisse du prix du kWh n’est pas gagnée d’avance ?

Le tarif est du domaine régalien de l’Etat. Seul l’Etat peut prendre la décision de voir quelle sera sa contribution pour permettre donc une baisse des tarifs.

L’interconnexion à outrance ne risque-t-elle pas d’établir une forte dépendance vis-à-vis de l’étranger ? Existe-il un droit international qui protège les pays desservis d’éventuelles mesures de rétorsion de la part des pays fournisseurs en cas de crise entre les deux Etats interconnectés ?

Pour éviter cette dépendance à 100% des pays qui ont une offre plus importante, le gouvernement a décidé de constituer ce que nous appelons dans notre jargon, des réserves froides. Je vous ai parlé tantôt de la réserve froide de Bobo, nous avons 105 mégawatts à Kossodo, une nouvelle centrale est en train d’être construite à Komsilga de 80 mégawatts. Dans notre plan d’investissement, il y a d’autres réalisations que nous allons faire en matière thermique pour que, le jour où la ligne d’interconnexion connaitrait des problèmes, on puisse continuer à fournir l’énergie à partir de la production nationale.

Dans tous les cas, le droit international règle un certains nombre de problèmes liés à cela. Les pays européens sont interconnectés, il y a des conflits là-bas mais l’énergie y coule. Le Niger est interconnecté avec le Nigéria depuis 1983 mais il n’y a pas de problème. La Côte d’Ivoire alimente le Togo, le Bénin et le Ghana, lequel dessert le Togo. Il y a eu des moments de tension entre ces deux derniers pays mais il n’y a pas eu de problème de fourniture d’électricité. Nous sommes connectés avec la Côte d’Ivoire depuis 2001 et tout va bien. Dans le cadre même de la CEDEAO, tous les pays, plus la Mauritanie doivent être interconnectés à terme.

Vous avez parlé tantôt de la centrale de Komsilga qui devait, semble-t-il, être opérationnelle à la fin du premier trimestre 2009. Où est-ce qu’on en est ?

La centrale de Komsilga est financée sur le budget de l’Etat. Nous avons lancé l’appel d’offre. C’est vrai, il y a un retard mais nous sommes en train de tout mettre en œuvre pour qu’elle soit opérationnelle à la fin de l’année. En tout cas au plus tard au premier trimestre 2010, inch Allah.

Comment ça se fait que le kWh dans certaines zones rurales ou semi-rurales soit souvent plus cher que celui des villes alors que le pouvoir d’achat de leurs habitants est en règle générale moins élevé que celui des citadins ?

La question a un intérêt double. D’abord, si je prends le cas de la SONABEL, le gouvernement avait décidé qu’en termes de tarification, c’est le système de péréquation qui est appliqué. Ça veut dire que le client de Ouagadougou, qui devait avoir une énergie moins chère, supporte l’abonné qui est à Boulsa, par exemple, parce que là-bas, on tourne à perte. C’est ça la tarification de la SONABEL. Voilà pourquoi nous avons un tarif unifié sur toute l’étendue du territoire. Ensuite, il faut dire qu’on assiste à une différenciation de tarif pour ce qui est des zones couvertes par le fonds de développement de l’électricité (FDE). Je pense qu’à ce niveau, la SONABEL n’est pas outillée pour répondre à cette question.

Aujourd’hui, quel est le taux d’électrification au Burkina et, dans vos projections, dans quel siècle serons-nous à 100% ?

Non, il ne faut pas parler de siècle. Le taux d’électrification au Burkina est aujourd’hui de 25%. Ces vingt dernières années, on a fait de gros efforts. On est allé chercher des clients dans des zones où on sait qu’il n’y a pas de rentabilité. Mais on apporte le développement dans ces localités-là. Le gouvernement a décidé, dans son programme d’électrification, que le FDE et la SONABEL fassent de sorte que le taux soit de 60% à l’horizon 2015. Cet objectif sera atteint. Le premier semestre de cette année, la SONABEL a électrifié une dizaine de localités. Nous sommes du reste sur un programme qui doit nous permettre d’ici à l’année prochaine d’avoir une trentaine de localités en plus. Je crois qu’au niveau du FDE, il y a un vaste programme d’investissement. Si nous conjuguons nos efforts, avec la confiance que nous avons des bailleurs de fonds, nous sommes convaincus que nous pouvons atteindre le taux de 60% en 2015.

Evoquons maintenant la question de la privatisation de la société. On en parle souvent mais c’est devenu comme un serpent de mer. A quel niveau est ce projet-là ?

Est-ce vraiment un serpent de mer ? Je ne crois pas. A ce niveau, le gouvernement du Burkina a décidé d’aller lentement mais sûrement. On ne veut pas se précipiter au risque de connaître les mauvaises expériences vécues par certains pays. C’est pour cela qu’avec les bailleurs de fonds, nous avons réussi dans un premier temps à dissocier le programme de privatisation du programme d’investissement que nous avions à partir de la lettre de politique de développement du secteur de l’énergie, laquelle a été adoptée le 27 décembre 2000. Partant de là, on a convenu avec les bailleurs de fonds que pour aller à la privatisation, il fallait d’abord connaître le secteur, permettre au futur repreneur de savoir sur quel terrain il pose les pieds.

Le gouvernement a arrêté le 24 mars 2004 la forme de privatisation de la SONABEL, qui dit que la SONABEL actuelle sera transformée en société d’affermage détenue majoritairement par un privé, un partenaire stratégique de référence, et que les 49% restants reviendront à l’Etat, aux travailleurs et à des privés nationaux. On créera ex-nihilo une société de patrimoine qui va porter l’ensemble des actifs du secteur. Je précise l’ensemble des actifs du secteur parce que nous sommes dans un domaine hautement capitalistique où il faut beaucoup d’argent et l’Etat ne peut pas se désengager. Parce que les bailleurs de fonds ne donneront pas au privé de l’argent à des taux concessionnels pour investir. On crée donc une société de patrimoine. En mars 2004, on a convenu de faire des études à mettre dans la base de données. Chemin faisant, il y a des réflexions qui sont menées actuellement et nous avons une grande rencontre en fin septembre début octobre pour voir quel coup d’accélérateur donner à cette privatisation.

Le « détachement » d’EDF (Electricité de France) basé à Ouaga est-il un poste avancé en vue de cette privatisation ?

Il ne faut pas voir ça comme cela. Lorsque nous avons eu le financement pour réaliser la ligne Bobo-Ouaga, il fallait qu’on ait un ingénieur-conseil. Parce que nous recrutons des entrepreneurs pour faire ce travail, on a des collaborateurs qui suivent ce projet. Mais on voulait aussi une personne extérieure qui va être le tampon entre ces entrepreneurs-là, la SONABEL et les bailleurs de fonds. C’est ainsi donc qu’un appel d’offres a été lancé et EDF a été retenue parmi cinq ou six postulants. En même temps, nous avons lancé un autre appel d’offres pour recruter un ingénieur-conseil en vue de faire le renforcement de la ligne 132 kilovolts qui va de Kompienga à Ouaga en passant par Bagré. Là aussi, c’est EDF qui a été retenue. C’est pour cela que vous voyez ce « détachement » d’EDF, pour reprendre votre expression, pour nous aider à mener à bon port ce projet qui est d’importance pour la SONABEL. EDF présente ici n’a rien à voir avec la privatisation de la SONABEL.

N’empêche que le moment de la privatisation venu, elle aura un avantage certain sur les autres, parce que connaissant mieux le terrain.

EDF internationale qui vient ici n’a pas de relations particulières avec la SONABEL. Elle s’occupe uniquement du volet technique de l’opération. Lorsqu’il y aura la privatisation, un appel d’offre sera lancé et je vous informe que dans toutes les privatisations intervenues dans la sous-région, EDF n’intervient pas.

Quand on parle de privatisation, on pense aux travailleurs et aux problèmes sociaux qu’elle entraîne. Est-ce qu’au niveau du projet toutes ces données sont prises en compte pour éviter que ce qui s’est passé ailleurs arrive ici ?

L’avantage que nous avons dans la conduite de la réforme du secteur de l’énergie et dans la privatisation de la SONABEL, c’est que l’ensemble du personnel de la société est impliqué dans toutes les étapes du processus. Lorsqu’un dossier est reçu à la commission de privatisation, nous y allons avec un représentant des travailleurs. Le gouvernement a dit que s’il y a privatisation, cela ne se ferait pas avec licenciement de personnel. Tous ces éléments rassurent les travailleurs. C’est vrai que les débats sont houleux mais je pense qu’on est ensemble, comme disent les jeunes, et on doit pouvoir mener à bon port ce projet-là.

Ces derniers temps, on a eu vent de quelques grincements de dents du personnel par suite de mesures d’austérité prises par la direction générale. Quelle est la nature de ce différend ?

Moi je pense qu’il n’y a pas de différend entre la direction générale et le personnel, dans la mesure où il y a des cadres de discussion qui existent dans la maison. Nous avons trois centrales syndicales à la SONABEL et les discussions sont permanentes. Leurs secrétaires généraux introduisent chaque année des cahiers de doléances qui font l’objet d’analyses. Les décisions qui peuvent être prises par le directeur général, je les prends, celles qui sont du ressort du conseil d’administration, je les soumets à qui de droit. Là où je ne suis pas d’accord avec ceux qui ont écrit dans les journaux et auxquels vous faites sans doute allusion, c’est qu’à la SONABEL on a toujours évolué à visage découvert. C’est-à-dire que quand il y a un problème, les concernés viennent me voir et ensemble on discute. Pouvez-vous être d’accord qu’on permette à un chauffeur de consommer 3 millions de francs de carburant dans le mois ?

Lorsqu’on gère une maison de 1500 personnes, il y a parfois des décisions qu’il faut prendre dans le cadre de la maîtrise des charges. Dans l’élaboration du budget 2009, nous avons annoncé la couleur. Dans un certain nombre de rubriques, nous avons constaté qu’il y avait des problèmes et on a décidé en comité de direction de serrer les vis. A la dernière assemblée générale des sociétés d’Etat, le Premier ministre a encore attiré l’attention des gestionnaires d’entreprise sur la maîtrise des charges. Pour revenir à votre question, il faut dire que concernant la décision que nous avons prise, il n’y a que dix ou quinze personnes qui ne sont pas contentes. Je préfère faire quinze mécontents que de menacer l’avenir de plus de 1400 personnes. Sur ce point, je ne vais pas reculer.

Qu’est-ce que vous avez pris comme mesures ?

Nous avons décidé de faire des analyses assez claires sur les consommations d’électricité, d’hydrocarbure de certains véhicules et en téléphone, les consommations internes dans les bâtiments de la SONABEL et on a constaté qu’il y a du gaspillage. Même si c’est nous qui produisons l’électricité, les consommations internes sont reprises dans notre comptabilité comme des charges. Si dans une villa de la société on a 2000 KWh de consommation mensuelle, convenez avec moi qu’il y a abus. Dans ce cas, il est de mon devoir de manager de prendre certaines décisions. Les mesures ainsi prises ne concernent pas uniquement les agents. Le directeur général que je suis est aussi touché. Ma ligne directe est désormais sur phone cash afin de limiter ma consommation. Si tous mes directeurs et moi nous sommes imposé cette austérité, je ne vois pas pourquoi deux ou trois individus ne seront pas contents.

C’est toujours le problème des fameux avantages acquis que ça pose. Quand les gens sont habitués à quelque chose et qu’on le leur retire par la suite…

Je n’ai pas touché aux avantages acquis des travailleurs. Mieux, ils vous diront que je me suis toujours battu pour que les agents soient dans de meilleures conditions de travail. Mais si, dans l’exercice de nos fonctions, on bénéficie d’avantages pour mieux travailler, il ne faut pas en abuser.

Lorsqu’un appareil domestique est détérioré par suite d’une interruption ou d’un retour de courant, c’est toujours la croix et la bannière pour le propriétaire pour se faire dédommager par la SONABEL. Pourquoi ça coince souvent ?

Le cahier des charges qui lie l’abonné à la SONABEL dit que la société est prête à dédommager le client si ce n’est pas un cas de force majeure, la foudre par exemple. L’abonné a 48 heures pour faire sa déclaration. Si les dégâts sont du fait de la SONABEL, j’ai une équipe qui se déplace pour aller constater qu’effectivement le problème est du fait de la société. Alors notre assurance se charge de dédommager le propriétaire de l’appareil. Par contre, il y a des petits malins, qui ont des problèmes de phase, de disjoncteur, etc. parce qu’ils ont des installations défectueuses dans leur maison, et qui veulent que la SONABEL les dédommage en cas d’ennuis. Et ce sont toujours les mêmes. Si on le fait, à cette allure, aucune maison d’assurances ne voudrait une police d’assurance de la SONABEL.

Entretien réalisé par Ousséni Ilboudo & Alain Saint Robespierre

L’Observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 19 août 2009 à 05:32, par SFC En réponse à : Application de la TVA sur la contribution à l’extension électrique

    Bonjour
    Je profite de cet article sur la SONABEL, pour poser une question à la SONABEL ou à tout autre spécialiste (association des consommateurs) qui veut bien répondre.
    Lorsque l’on demande un nouveau branchement à la sonabel dans la facturation il y a d’une part le coût du branchement qui est de l’ordre de 50000FCFA pour 5 ampères et d’autre part une contribution forfaitaire de 135000 FCFA pour l’extension.
    Si je comprends le bien fondé de la contribution tout à fait normal, je me demande cependant si c’est légal d’appliquer la TVA à cette contribution comme c’est le cas...?
    Merci

    • Le 19 août 2009 à 20:58 En réponse à : Application de la TVA sur la contribution à l’extension électrique

      je n’appelle pas ça une contribution. Car s’il s’agissait d’une contribution, on aurait libre choix de payer ou de ne pas payer. Parlons plutôt des frais de connexion. En fait ce constat est le même pour les pays développés ( EDF en France). la TVA ne va pas dans les comptes de la SONABEL, elle est reversée à l’ETAT.C’est maintenant à l’ETAT de garantir les prix aux consommateurs. Experons trouver une parade adéquate pour palier à ces délestages fréquents.
      Aussi, je pense que la SONABEL fait de son mieux pour satisfaire au mieux sa clientèle. Elle mérite plutôt nos encouragements. Qui parle de production énergétique parle forcement de la présence d’une source froide (eau) conséquente. Ce qui est loin d’être le cas chez nous. pour ce qui est de l’énergie solaire je ne pense pas que ce soit la solution idéale pour le Burkina. les Européens reçoivent environ plus de 50% de subventions et d’aide pour leur projets( du moins pour ce qui est de la France). Dans ces cas ci le temps de retours sur investissement est en moyenne de 7 ans. Aussi, ce temps de retour sur investissement est en réalité écourté puisque solaire coûte 7 à 10 fois plus chère que celle vendue aux clients.....

  • Le 19 août 2009 à 11:53, par Gomezemsé En réponse à : Un peu de patriotisme d’abord

    Bonjour. Le directeur général de la sonabel était où au temps fort du délestage ? De toute façon le peuple reste vigilant. Les problèmes que nous connaissons auraient eu des solutions avant décembre si monsieur Salif KABORE vivait la même galère que nous. Savez vous que dans ce pays où on appelle au pied les citoyens au patriotisme ce monsieur a le courant chez lui malgré les délestages. Un simple geste de compréhension aurait dicté une attitude contraire.

  • Le 19 août 2009 à 15:26, par Beliour En réponse à : Délestage de la SONABEL : « Inch Allah, ça va aller » (Salif Kaboré, directeur général)

    On sait ce que vaut « Inch Allah, ça va aller » sous le chaud soleil et l’obsucure nuit du Burkina. Ce qui est un serment, un engagement, à été dévoyé, édulcoré, pour devenir fuite de responsabilité, désengagement, rénoncement (et tous les ments). « Inch Allah » veut dire au Faso : si ça marche c’est grâce à moi ! Si ça ne marche pas c’est Allah qui l’a voulu ainsi.

  • Le 19 août 2009 à 18:57, par Tapsoba en hollande En réponse à : Délestage de la SONABEL : « Inch Allah, ça va aller » (Salif Kaboré, directeur général)

    Parlons d energie ,d electricite,un secteur aussi strategique que capitale dont un seul etat ne peut relever le defit.D ou le besoin de faire recours aux pays voisins afin de se satisfaire.Et comme l a reconnu le DG de la nationale d electricite,meme les europeens travaillent en synergie pour relever ce defit.Si au niveau de notre sous region ,cela n est plus une vue d esprit,c est deja positif mais insufisant ;car,vu que nous disposons de tous les elements naturels necessaires pour aller encore plus plus loin.C est dommage que le DG evoque la question du solaire a minima alors que nous risquons de payer cher tot ou tard notre manque de vision a long terme.Au lieu de s elancer seul dans cette aventure ,les pays membres de la CEDEAO gagneraient a s investire dans cette voie pendant qu il est encore temps au risque de nous laisser subtiliser cette source naturelle qu est le soleil par d autres ,qui ont deja avance dans ce domaine en l occurence les pays europeens une fois de plus.

    Dans un passe tres recent,une societe allemende specialisee dans ce domaine ,a prospecte la zone saharienne de l afrique du nord comment exploiter l energie solaire et ainsi que la faisabilite . A l issu de cette etude ,il ressort que pour intaller des plaques solaires capables d alimenter toute l europe ,le budget est certe colossale mais rentable a long terme.En effet ,il leur faut a peu pres 400 milliards d euros d investissement.Ce ne sont pas les pays de la sous region qui nous diront quand meme qu ils ne peuvent pas relever ce defit.

    En plus ,le malien de la NASA,sir Modibo Keita a fait du solaire son cheval de bataille pour peu que nos etats sortent de leur egoisme et pseudo-nationalisme afin de l accompagner avant qu il ne soit trop tard car avec les changements climatiques ,il nous est difficile de prevoir l avenir.

    Ayons une vision ,sinon nous serons toujours a la queue du peleton.Et dire que si les europeens nous devancaient ,nous payerons encore l electricite tres tres chere provenant de notre propre continent ,ca doit nous pousser vraiment a refflechir.

    Apprenons a ne plus regreter de nos propres turpitudes.

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