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Luc Marius IBRIGA, maître-assistant de Droit public à l’U.O : "Pour un régime parlementaire au Burkina il faut une reconversion des mentalités”

Publié le mercredi 22 juillet 2009 à 19h02min

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Luc Marius IBRIGA

L’actualité politique nationale ces derniers jours est sans conteste la sortie médiatique de l’ambassadeur Salif DIALLO qui propose entre autres, le passage à une 5e République avec un régime parlementaire. Qu’est-ce qu’un régime parlementaire ? Est-il opportun dans le contexte actuel du Burkina ? Pour avoir des réponses à ces questions et à bien d’autres, votre journal a donné la parole à un technicien du droit en la personne de M. Luc Marius IBRIGA, maître assistant de droit public à l’Université de Ouagadougou. Sur le même sujet, nous avons rencontré des acteurs politiques, de la société civile et des étudiants.

Pouvez-vous nous dire, Professeur, ce que c’est qu’un régime parlementaire ?

Luc Marius IBRIGA (L.M.I) : Le régime parlementaire est un régime de gouvernement dans lequel on applique le principe de la séparation souple des pouvoirs avec un Exécutif qui est responsable devant le Parlement et qui détient par le président de la République le droit de dissolution et un Parlement qui en retour a le pouvoir de renverser le Gouvernement. Donc le régime parlementaire se distingue du régime présidentiel par le fait qu’il y a une collaboration de pouvoirs. La séparation de pouvoirs est une séparation souple contrairement au régime présidentiel où la séparation est rigide. Il y a ce qu’on appelle des contre-poids. C’est-à-dire qu’à la dissolution dont dispose l’Exécutif, répond la motion de censure qui est l’arme de l’Assemblée. Alors que dans le régime présidentiel l’Assemblée ne peut pas renverser le Gouvernement et l’Exécutif ne peut pas dissoudre l’Assemblée. Donc voilà les caractéristiques fondamentales du régime parlementaire, un régime qui prône la collaboration des pouvoirs dans laquelle chaque pouvoir détient une arme contre l’autre. Il y a une sorte d’équilibre des pouvoirs qui fait que si l’Exécutif peut dissoudre l’Assemblée, elle peut renverser l’Exécutif.

Est-ce que c’est dans ce type de régime que l’on parle de "la dictature des partis" si oui pourquoi cette expression ?

L.M.I : Tout dépend de la composition de l’Assemblée. Il est certain que dans un régime parlementaire issu d’une élection dans un scrutin de listes, les partis ont beaucoup de pouvoir parce que pour pouvoir arriver à l’Assemblé déjà, il faut que le parti vous mette en position d’être élu. Donc la discipline de parti, quand on a un scrutin de liste, est très élevée ; ce n’est pas la même chose quand c’est un scrutin uninominal où c’est la personne du candidat qui lui permet d’être élu. Donc dans un scrutin de listes les partis ont des prérogatives très importantes. Ce faisant, si on arrive à l’Assemblée avec une majorité stable, très forte, il est certain que le régime parlementaire qui veut qu’il y ait des contre-pouvoirs, des contre-poids se trouve dénaturé dans la mesure où l’Assemblée nationale n’est plus là comme une structure visant à faire le contre-poids au Gouvernement ; mais, elle devient un allié du gouvernement ce qui fait qu’aujourd’hui, on se rend compte que le régime parlementaire a changé de nature parce que les majorités stables qui se forment au niveau législatif enlèvent toute idée de l’opposition entre la Chambre et le Gouvernement. On a, en fait, aujourd’hui une situation dans laquelle on a un gouvernement qui est appuyé par sa majorité.

Donc le régime parlementaire trouve sa pleine expression dans un système où il y a un équilibre de forces au niveau de l’Assemblée et dans un système où il y a des alliances qui se forment ce qui fait que l’on n’est pas sûr que le Gouvernement va toujours avoir le quitus quand il va devant les Chambres. Et aujourd’hui, le régime parlementaire est dénaturé en plus parce que l’on appelle la rationalisation du régime parlementaire. C’est-à-dire que, compte tenu de l’instabilité dans laquelle le régime parlementaire s’est trouvé du fait des coalitions, on est arrivé à une situation dans laquelle il y a des mécanismes qui ont été prévus dans la constitution pour en fait "brider" le Parlement.

Par exemple, c’est le chantage à la confiance c’est-à-dire que le gouvernement engage sa responsabilité sur un texte et on considère le texte comme adopté sauf si une motion de censure est déposée. Vous voyez bien que dans ce cas, la majorité ne va pas renverser le Gouvernement puisque celui-ci lui force la main en disant "choisis entre moi me renverser et le texte". Il y a le fait que c’est le Gouvernement qui a l’ordre du jour de l’Assemblée, il y a le fait que les amendements faits par les députés avec une incidence financière ne sont reçus que quand les députés ont trouvé les moyens de les financer. Vous proposez de construire un amphithéâtre "donnez-nous les recettes pour le faire". Il y a aussi le vote bloqué c’est-à-dire qu’on discute du texte et on le vote dans sa globalité sans rentrer dans les détails.

Autant d’éléments du régime parlementaire rationalisé qui existent dans notre constitution, dans la constitution française et qui font que, aujourd’hui, on n’a plus réellement de régime parlementaire authentique au plan international. La plupart des régimes parlementaires sont des régimes de majorité stable qui, en fait, ne donnent plus l’essence même du régime parlementaire qui est que l’Exécutif doit se savoir sur un siège éjectable parce que la Chambre peut voter la censure. Le Parlement se trouve aussi toujours dans une situation d’attente parce qu’elle ne sait jamais le jour que l’exécutif peut décider de la dissolution. Donc aujourd’hui la balance penche du côté de l’Exécutif qui a plus de prérogatives par rapport aux chambres. D’ailleurs vous voyez bien que dans les réformes qui sont faites ici et là, on dit qu’il faut réhabiliter le Parlement parce que le Parlement n’est pas dans une situation d’équilibre comme le voudrait le régime parlementaire.

Combien de pays au plan international expérimentent les régimes de type parlementaire ?

L.M.I : Il y a une bonne partie de pays qui expérimentent le régime parlementaire. Si on excepte les Etats-Unis et certains pays de l’Amérique Latine, la plupart des pays expérimentent le régime parlementaire. Le régime parlementaire le plus connu est celui britannique où on a au niveau de l’Exécutif c’est la reine qui règne mais ne gouverne pas. En fait, tous les pouvoirs sont entre les mains du Premier ministre avec les Chambres. Prenons le système français : quand il y a une majorité présidentielle très forte comme c’est le cas actuellement, on tend plus vers un régime présidentiel. Mais il est bien marqué dans la constitution française que c’est le gouvernement qui détermine et conduit la politique de la Nation. Ça veut dire que c’est ce gouvernement-là qui est responsable devant le Parlement.

Mais le régime français, qui est l’exemple du nôtre bien que nous ayons encore corsé le caractère présidentiel est un régime qui de temps à autre bascule vers le régime présidentiel ou vers le régime parlementaire en fonction de la relation qui peut exister au sommet de l’Exécutif. Quand il y a cohabitation, nous sommes dans un régime parlementaire ; mais, quand il n’y a pas cohabitation, le président de la République reprend le dessus. On le voit aujourd’hui, le président SARKOZY éclipse même le Premier ministre dans ses prérogatives. En Allemagne, c’est un régime parlementaire. La tendance est au régime parlementaire mais au régime parlementaire rationalisé. C’est-à-dire que pour éviter l’instabilité politique on a introduit des mécanismes de rationalisation qui empêchent véritablement qu’on aille dans les travers que l’on a connus notamment en France sous la 4e République où certains gouvernements n’ont même pas fait une semaine et ont été renversés.

On parle souvent de régime parlementaire avec des variantes. Que faut-il comprendre par là ?

L.M.I : On parle de régime parlementaire avec des variantes parce que tout dépend. On peut avoir un régime parlementaire avec un exécutif bicéphale. C’est-à-dire un président qui est là, qui règne mais qui ne gouverne pas avec un Premier ministre qui détient l’ensemble du pouvoir. C’est le cas en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Israël, etc. On peut avoir un régime parlementaire dans lequel c’est le chef de l’Etat qui est en même temps le chef du gouvernement. Quand le chef d’Etat est chef du gouvernement et qu’il est responsable devant les chambres, il s’agit d’un régime parlementaire.

On a le régime parlementaire rationalisé qui permet à l’Exécutif de bloquer la capacité de "nuisance" du Parlement. Les députés peuvent décider sur une loi de déposer des milliers d’amendements et comme on doit discuter normalement selon la procédure amendement par amendement, ça veut dire que la loi ne sera jamais adoptée lors de la session. Dans le régime parlementaire rationalisé, le vote bloqué permet de remédier à cela. C’est-à-dire qu’on ne discute pas article par article, on discute de l’ensemble pour éviter aux députés de pouvoir bloquer le travail parlementaire. Il y a aussi des mécanismes qui permettent d’éviter la démagogie ou le populisme des députés. Parce que quand les élections approchent, les députés peuvent êtres tenté de créer des avantages pour la population dans l’espoir d’être élu.

Donc le régime parlementaire rationalisé dit que si vous proposez une dépense, il faut proposer automatiquement des recettes. Si vous pouvez dire, "il faut construire un amphithéâtre", il faut dire "voilà comment on va trouver l’argent pour construire cet amphithéâtre". Ça restreint la possibilité des députés. Le comble même dans le régime parlementaire rationalisé, c’est le chantage à la confiance qui est un mécanisme qui permet au gouvernement de faire adopter une loi sans même que l’on en discute. C’est-à-dire que le gouvernement engage sa responsabilité sur le texte et l’on dit que le texte est censé être adopté sauf si une motion de censure a été votée contre le gouvernement.

Donc quand le gouvernement sait que sa majorité n’est pas favorable à un texte parce que peut-être impopulaire et dont le vote par les députés peut entraîner des problèmes, il engage sa responsabilité et en ce moment les députés sont pris entre deux feux ; soit ils acceptent le texte ou ils renversent le gouvernement. C’est ce qu’on appelle le chantage à la confiance. La plupart des régimes parlementaires aujourd’hui dans le monde sont des régimes parlementaires rationalisés parce que le régime parlementaire de forces, s’il fonctionne véritablement avec un équilibre de forces, il peut être source d’instabilité politique. C’est-à-dire que les petits partis peuvent devenir les grandes forces. Aujourd’hui c’est le cas en Belgique où ce sont les petits partis qui décident avec qui ils vont gouverner et non pas les grands partis qui disent aux petits partis de venir parce que ce sont eux qui ont le petit plus qui va faire la majorité ; situation que nous avons connue au Burkina et qui a fait que quand la majorité était d’une voix sous la 2e ou 3e République, le député détenteur de cette voix était devenu très important parce que c’est lui qui faisait et défaisait les majorités. Tout régime a ses avantages et ses inconvénients.

Dans quel type de régime sommes-nous au Burkina Faso ?

L.M.I : Le régime politique burkinabè est hybride. Un régime hybride dans la mesure où il est qualifié par les uns de régime parlementaire fortement présidentialisé et par d’autres de régime présidentiel avec des éléments de régime parlementaire. Cela pour la raison que le régime parlementaire, comme je vous l’ai dit, suppose que les prérogatives les plus importantes reviennent au Gouvernement. C’est-à-dire que celui-ci est responsable devant le Parlement qui dispose de la possibilité de le renverser. Mais il se trouve que dans notre système burkinabè le régime est fortement présidentiel parce que les prérogatives qui sont reconnues au président du Faso sont très importantes. Et il y a une ambiguïté dans notre système parce qu’on dit que le président du Faso détermine la politique de l’Etat dans ses grandes orientations et que le Gouvernement conduit la politique de la Nation alors que dans la constitution française, il est dit que c’est le Gouvernement qui détermine et conduit la politique de la Nation.

Ici, nous avons donc un régime dans lequel le président, qui est imaginé être le président d’un régime parlementaire parce que politiquement irresponsable du fait que c’est le Gouvernement qui l’est dans les faits, en vient à jouer le principal rôle. C’est le Gouvernement qui est responsable devant l’Assemblée mais il se trouve que c’est la politique du chef de l’Etat qui est mise en œuvre par le Gouvernement. Il y a une première dénaturation à ce niveau. Il y a dans les faits du jeu politique un régime parlementaire mais on a un système dans lequel ce n’est pas réellement un régime parlementaire parce que celui qui conçoit la politique n’est pas responsable de sa politique.

C’est-à-dire qu’on a pris le système français mais on a enlevé la disposition qui aurait fait de cela un régime parlementaire en cas de cohabitation à savoir que c’est le Gouvernement qui détermine et conduit la politique de la Nation. Là on a dit que le président du Faso détermine les grandes orientations de la politique de l’Etat et le Gouvernement conduit la politique de la Nation. Si on veut arriver à un régime parlementaire au Burkina, il faut, en fait, faire descendre certaines prérogatives du chef de l’Etat au niveau du Gouvernement. C’est-à-dire que c’est le Gouvernement qui déterminera la politique de la Nation qu’elle conduira. Le chef deviendra le garant de la continuité de l’Etat et celui qui en fait est au-dessus du jeu partisan comme en Angleterre où la reine règne mais ne gouverne pas. C’est le système en Allemagne.

Si on vous demande qui est le président en Allemagne, on ne le connaît pas. C’est aussi le cas en Israël où Simon PEREZ est le président alors que la réalité du pouvoir est entre les mains du Premier ministre. En fait, si on veut arriver à un régime parlementaire au Burkina ça veut dire que le chef de l’Etat prend de la hauteur et devient quelqu’un qui a une position honorifique. C’est-à-dire qu’il n’intervient pas dans la politique quotidienne et c’est le Premier ministre et le gouvernement qui mènent la politique et qui en sont responsables devant l’Assemblée nationale. Ça veut dire que si on veut que notre pays devienne un régime parlementaire on doit réviser, revoir les prérogatives du chef de l’Etat à la baisse pour les transférer au niveau du Premier ministre et faire en sorte qu’il ne soit plus un fusible qui saute pour éviter que le président en reçoive des coups parce que c’est sa politique que l’on met en œuvre alors qu’il n’est pas responsable politiquement.

Notre système actuel est donc un mélange de régime parlementaire et de régime présidentiel qui fait dire à certains que c’est un régime parlementaire fortement présidentialisé.

Quel est le type de régime qui sied le plus pour des soucis de démocratie et de bonne gouvernance ?

L.M.I : Le régime parlementaire présente à première vue des vertus de reddition de compte dans la mesure où chacun est responsable des actes qu’il pose au plan politique. Du point de vue de la reddition de comptes, il y a véritablement dans le régime parlementaire un élément important parce que chaque fois que le Gouvernement pose un acte, il doit être conscient que cet acte peut être jugé et provoquer même son renversement. De la même manière, quand le Parlement pose des actes, il doit savoir que s’il exagère, il peut arriver à ce que le mandat des députés soit écourté par une dissolution. Donc cela conduit à la modération dans le jeu politique. Mais cela n’est possible véritablement que s’il y a un équilibre au niveau des Chambres, que si le Gouvernement sait que, s’il passe dans telle ou telle voie, il est possible qu’il y ait un changement de majorité à l’Assemblée qui pourrait conduire à ce qu’il soit renversé.

Le régime parlementaire ne peut donner sa pleine expression que dans un système d’équilibre de pouvoirs au sein de la Chambre. Mais quand il y a une force politique qui est ultra-dominante, le régime parlementaire perd son sens dans la mesure où le Gouvernement est assuré d’avoir une majorité qui va le suivre et donc il n’y a plus cette réserve, cette prudence dans l’élaboration des politiques publiques. Donc quand il y a une majorité confortable à l’Assemblée, le Gouvernement peut véritablement faire ce qu’il veut et souvent on dit que le Parlement dans ce cas-là devient comme une Chambre d’enregistrement parce que le Gouvernement n’a pas peur de ce qu’il fait. Cela devient encore plus dénaturé quand nous avons un système avec une discipline de parti. Avec un système d’élection de système de liste, il est certain que, en tant que député, si vous ne suivez pas les orientations du parti, vous risquez fort de ne pas vous retrouver sur la liste aux prochaines élections. La discipline de parti peut aussi dénaturer complètement le régime parlementaire quand il y a un déséquilibre flagrant des forces. Le régime présidentiel peut être intéressant dans la mesure où il permet de voir qui est responsable, dans la mesure où la politique, c’est celle du chef de l’Etat.

Et donc dans le régime présidentiel ni l’Exécutif ni le Législatif n’ont d’arme l’un contre l’autre. C’est-à-dire que le président ne peut pas dissoudre l’Assemblée, l’Assemblée ne peut pas renverser le président. Donc là, ce sont les populations qui sont les censeurs. Si les députés n’ont pas bien fait leur travail aux prochaines élections peut-être que le peuple va envoyer une autre majorité. Si le président n’a pas bien géré c’est le peuple qui va décider. C’est le système qui existe actuellement aux Etats-Unis. Mais c’est un système qui fonctionne bien aujourd’hui parce qu’il n’y a pas de discipline de parti. Les élus sont indépendants et on voit souvent des élus démocrates qui vont voter avec des républicains ou des républicains qui vont voter avec des démocrates. Pour résumer, il n’y a pas un système qui soit l’idéal. Il faut en fait trouver le système qui correspond aux réalités sociologiques et au niveau de compréhension des populations. C’est toute une culture politique qui conduit à l’acclimantation d’un régime politique.

On ne peut pas dire c’est tel régime politique qui est le meilleur. A un moment donné, tel régime politique peut être le plus indiqué et quelques temps après il devient un régime qui est dépassé parce que les mentalités, les mœurs politiques ont changé et ne correspondent plus à cette réalité. C’est comme la question de la limitation des mandats et autres. A un moment donné ça peut être nécessaire mais il se peut que ce ne soit pas nécessaire par la suite. Dans certains pays, il n’y a pas eu mais les gens ne font pas des mandats très longs. Et dans d’autres ça existe et on continue de le garder parce que l’on considère que c’est un élément important. Ici au Burkina Faso si on veut regarder les mentalités et la réalité du jeu politique, il faudrait bien que l’on clarifie notre système en allant vers un régime présidentiel parce que quand on élit le président au suffrage universel direct, on lui donne une stature alors que dans le régime parlementaire, le président de la République n’est pas élu au suffrage universel direct. Il est élu au suffrage indirect par les Chambres. Ça veut dire que dans la conception que les gens ont du pouvoir au Burkina aujourd’hui, disons du chef au Burkina, si on veut coller aux réalités de la conception du pouvoir dans notre pays, ce serait le régime présidentiel et d’ailleurs c’est ce que le président TANDJA veut faire. C’est-à-dire se donner un régime présidentiel alors que le régime nigérien est un régime parlementaire.

Le régime présidentiel, s’il fonctionne bien dans certains pays (Etats-Unis), se voit souvent dévoyé en Afrique dans son fonctionnement et devient un régime présidentialiste. En fait, la concordance des majorités présidentielles et des majorités à l’Assemblée font en sorte qu’il y a un déplacement du pôle du pouvoir au niveau du président de la République qui devient si important que les règles, mêmes fondamentales, d’exercice du pouvoir sont violées. Dans ce cas, le régime parlementaire est souvent vu comme celui qui peut éviter les excès du pouvoir. C’est-à-dire éviter que celui qui a le pouvoir considère qu’il a tout le pouvoir et que ce faisant, on passe d’une conception institutionnelle à une conception patrimoniale du pouvoir.

L’Ambassadeur Salif DIALLO a souhaité dans une sortie médiatique que l’on tende vers ce régime. Est-ce que le contexte sociopolitique burkinabè s’y prête ?

L.M.I : Je dirais que pour que l’on mette en place un régime parlementaire, il faut en amont réviser pas mal de choses. Il faut premièrement que l’on arrive à une situation de pouvoir équilibré. Cela veut dire que le régime parlementaire aurait pu bien fonctionner dans la législature passée où on avait un équilibre des forces. En ce moment, il est certain qu’on a une possibilité d’arriver à une situation de contre-pouvoirs. C’est-à-dire que le Gouvernement sent que sa majorité n’étant pas très large, elle doit pratiquer la modération. Ça voudrait dire qu’il y a tout un système à mettre en œuvre pour avoir, comme l’ambassadeur Salif DIALLO a eu à le dire, des élections dans lesquelles le problème de la légitimité du chef de l’Etat, des conditions de vote, de la transparence des élections ne posent pas problème, etc. Ça suppose que du point de vue du découpage électoral, on fasse des réformes pour essayer d’instaurer une sorte d’équilibre qui va permettre d’asseoir la philosophie du régime parlementaire.

Comme l’a souligné le député Mahama, dans une situation de déséquilibre très fort, le régime parlementaire n’a pas sa raison d’être dans la mesure où véritablement on a des députés qui peuvent donner leurs points de vue au gouvernement mais le gouvernement ne dispose pas dans notre constitution d’assez d’éléments pour forcer la main aux députés. Donc ça suppose un certain nombre de révisions. Ça suppose aussi une évolution des mentalités du personnel politique parce que jusqu’à présent au Burkina on a l’impression que la manière de gouverner, ceux qui ont la majorité doivent la garder et faire ce qu’ils veulent. L’idée même d’une opposition qui puisse être crédible n’a pas été la chose la mieux partagée du Burkina. Au contraire la tradition a été de laminer l’opposition pour la ramener à sa plus simple expression.

Dans un système qui a été qualifié de "Tuk-guili" au Burkina, le régime parlementaire n’a pas sa place. comme on dit, une reconversion aux vertus de la démocratie à savoir l’idée d’acceptation de la différence et d’une opposition conséquente. Il faut aussi que du point de vue de la conception, comme l’ambassadeur lui-même l’a dit, qu’on fasse des sacrifices. Ces sacrifices ont déjà été refusés par le CDP, parce que les élections de la dernière législature avec le découpage régional avait conduit à une sorte de rééquilibrage qui n’a pas été bien vécu par le CDP et on est revenu à la circonscription électorale de la province qui a permis au CDP de reprendre des couleurs dans la présente législature.

Donc c’est d’abord un changement de mentalité par rapport à la manière de concevoir et de percevoir le pouvoir et ensuite du point de vue des élections il n’est pas certain que même si on faisait une constitution qui soit pour un régime parlementaire on dit à l’arrivée un régime parlementaire dans la mesure où cela suppose aussi que l’opposition pour aller dans un régime parlementaire aille en rangs serrés pour avoir son mot à dire et peser dans les décisions.

Si on a une opposition éclatée comme c’est présentement le cas, il n’est pas certain que même si on avait un régime parlementaire qui dise comme au Niger dans l’ancienne constitution que le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation, que le régime parlementaire puisse fonctionner. Il n’est pas aussi certain qu’à l’arrivée on n’ait pas à l’Assemblée plus de 75% de députés CDP. En fait, c’est tous ces changements-là qui sont nécessaires avant d’envisager un régime parlementaire.

On ne peut pas décréter un régime parlementaire. On peut le concevoir dans la constitution mais la réalité du régime parlementaire c’est la décision des électeurs. Quand la majorité est écrasante dans les Chambres, les parlementaires deviennent ce qu’on appelle des "parlementaires godillots" c’est-à-dire, qu’il faut que ces parlementaires-là suivent la volonté du Gouvernement. Ce n’est pas une mauvaise chose un régime parlementaire au Burkina mais ça suppose beaucoup de reconversions des mentalités pour que la mise en place de régime véritablement parlementaire puisse être vécue au Burkina.o

Angelin DABIRE (stagiaire)

L’Opinion

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