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Commentons l’événement : "Patrimonialisation", ce mot qui fait si mal

Publié le lundi 20 juillet 2009 à 00h30min

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Salif Diallo

Une interview explosive donnée par un homme peu banal sur des sujets délicats pour ne pas dire tabous sous la IVe République ; la presse privée qui s’en saisit selon les clivages politico-médiatiques habituels ; un parti au pouvoir d’autant plus en émoi qu’il préparait tranquillement son congrès ordinaire sur des thèmes éculés et qui se retrouve soudain groggy après cette salve inattendue ; les grandes oreilles du régime et ses fins limiers qui scrutent les moindres faits, gestes et communications des différents protagonistes à la recherche d’on ne sait quoi ; l’interviewé, qui se trouve être ambassadeur du Burkina à Vienne et premier vice-président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), finalement suspendu jusqu’à nouvel ordre de tous les organes et instances du parti à l’issue de quelques auditions...

Il ne manque guère plus que l’accusation d’atteinte à la sûreté de l’Etat pour que le scénario de ce polar des tropiques soit parfait. Nous sommes en plein dans le feuilleton politique de l’été burkinabè, qui réveille une classe politique et une opinion nationale plutôt engourdies par la torpeur hivernale, et c’est peut-être tant mieux.

En soumettant Salif Diallo à un interrogatoire serré après son interview dans L’Observateur paalga du mercredi 8 juillet 2009 (1), ses camarades voulaient sans doute montrer que tout premier vice-président qu’il est, il n’en demeure pas moins un militant comme les autres et, de ce fait, soumis aux statuts et règlement du parti, susceptible donc d’être entendu comme le dernier des sans-grades.

En le suspendant, on veut lui faire comprendre "qu’il n’est rien". Le président du CDP, Roch Marc Chrisitian Kaboré, qu’on disait être un homme de compromis et de consensus, sachant arrondir les angles, on l’a rarement vu aussi pugnace et incisif que lors de la conférence de presse convoquée dare-dare vendredi après-midi. C’est la preuve, s’il en est, que l’heure est grave. Gorba a peut-être perdu son sang froid, les autres caciques du parti majoritaire aussi. Il faut reconnaître que Salif n’a pas fait dans la dentelle, et nombreux sont ceux qui se demandent s’il a remué la langue sept fois avant de parler.

Passe encore qu’il fasse des propositions allant dans le sens du renforcement de la démocratie, mais parler de "patrimonialisation" du pouvoir, ce mot qui fait si mal, certains, à commencer par son mentor et son frère François, qu’on suspecte sérieusement, n’en déplaise, de vouloir succéder à son aîné, certains, disons-nous, ne pouvaient que se sentir morveux et se sont mouchés, bruyamment. On peut donc raisonnablement penser que la suspension de ce grand militant a forcément reçu l’onction de Kosyam, car Roch et les autres ont beau être autonomes dans la gestion quotidienne du parti, on doute fort qu’ils aient pu prendre une telle décision, tout seuls comme de grands garçons.

Autant dire que le suspendu, déjà en quasi-rupture de ban avec le système après de longues années de services rendus et de complicité, aggrave son cas, et lui qu’on disait insubmersible pourrait toucher le fond à tout moment. Habitué depuis des lustres aux lambris dorés de la République, "l’exilé" de Vienne vit-il si mal sa mise à l’écart au point d’avoir "disjoncté" ? Le chargé de l’orientation et des questions politiques s’est-il trompé... d’orientation ? On ne saurait le dire.

Une chose est sûre cependant, après son limogeage spectaculaire à la Pâques 2008 du gouvernement Tertius, où il était ministre d’Etat chargé de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques, suivi de son expédition dans la capitale autrichienne, le natif de Kolonkom, avec cette sortie jugée inopportune par ses procureurs, a offert à ses contempteurs une occasion en or de lui porter l’estocade et ce n’est sans doute pas fini. Il ne reste plus en effet, puisque le ministère des Affaires étrangères l’accable de manquement au devoir de réserve, qu’on le remplace dans la capitale autrichienne et que le prochain congrès du mégaparti alourdisse la peine (une exclusion ?) pour que la prophétie s’accomplisse.

"JJ" rappelle ce dicton dans son dernier numéro :"Quand le chêne est par terre, tout le monde peut s’improviser bûcheron". Tous à vos tronçonneuses donc et qu’on en finisse ! En attendant, la sanction qui frappe Gorba semble procéder d’abord de la volonté de dépolluer le congrès, car, suspendu, il ne pourra pas y participer et donc partager ses idées "subversives" si tel était son plan. A ce qu’on dit, c’est moins, au fond, les problèmes soulevés par l’interview (qui auraient été déjà évoqués en privé) que le principe de sa réalisation qui poserait problème, et à ses inquisiteurs, qui le pressaient d’avouer qu’il avait fait une faute grave, Salif se serait, sur la forme, excusé et demandé pardon à ses camarades tout en maintenant dans le fond ses "suggestions personnelles".

Car, en vérité, dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler "l’affaire Salif", ce sont deux grilles de lecture de la situation nationale qui s’affrontent : d’abord celle selon laquelle il n’y a pas le feu à la maison pour qu’on éprouve le besoin de refonder pour ainsi dire la démocratie burkinabè comme le suggère Salif Diallo. Il est vrai que la crise qui a secoué le Burkina après le drame de Sapouy et qui a permis d’arracher quelques réformettes est derrière nous depuis belle lurette ; que les mauvaises habitudes ont repris de plus bel et que ceux qui se terraient roulent de nouveau des mécaniques comme on le voit depuis quelques jours à la faveur de cette histoire. Pourquoi donc passer, comme on l’entend déjà, à une Ve République si tout baigne sous les soleils de la IVe ?

A côté de ces adeptes de la dolce vita à la sauce burkinabè, il y a ceux qui pensent, surtout que la fracture sociale déjà béante s’élargit d’année en année, qu’il faut savoir anticiper et agir en amont au lieu d’attendre les crises pour (ré) agir ; et qu’il vaut mieux, dans l’optique du retrait du grand sachem de la vie politique, remettre les choses à plat.

Or sauf à nous convaincre que Blaise Compaoré va modifier de nouveau la Constitution ou qu’il a déjà des plans tout prêts pour laisser en héritage un pays stable et apaisé, 2015, c’est dans six petites années, et c’est vite arrivé. Faut-il donc dormir, l’âme en paix et se réveiller le moment venu sous prétexte qu’il n’y a pas crise et que rien ne presse alors que gouverner c’est prévoir ? Au lieu donc de chercher des boucs-émissaires et des faux-fuyants, le parti majoritaire, pour son bien même, gagnerait à réfléchir à l’après-Blaise et, tout bien pensé, les "propositions personnelles" de Salif pouvaient servir de base de travail, quitte à ce que ceux qui ont d’autres idées les mettent sur la table pour enrichir le brainstorming politique. Las !

Bien sûr, un "loup ne deviendra pas un agneau" (dixit Roch) et celui qui a, depuis toujours, été présenté comme le fidèle des fidèles du président du Faso (même si, en politique, les mots fidélité et amitié n’ont aucun sens) ; qui a souvent été l’exécuteur des hautes œuvres du régime, spécialiste, dit-on, des coups-bas et tordus, celui-là ne peut pas ne pas être comptable de l’actif et du passif de l’ère Compaoré. Mais un peu comme les pires anticléricaux se recrutent parfois parmi les anciens séminaristes, c’est parce qu’il connaît le système de l’intérieur qu’il en connaît les atouts et les faiblesses, les acquis et les insuffisances.

Qu’il ait attendu de traverser son désert, de faire sa cure d’opposition interne pour ruer dans les brancards n’enlève rien au mérite de celui qui semble vouloir dépoussiérer le régime, dont le pire ennemi n’est autre que son indolence.

A ce titre, ce qui se passe au CDP est politiquement intéressant et, après la crise des refondateurs, cette nouvelle zone de turbulences que traverse l’appareil du Rocco est quelque part salutaire, puisqu’il peut faire bouger les lignes. Or c’est du CDP, au regard de la physionomie actuelle de la scène politique burkinabè, que viendra le salut de la démocratie burkinabè. Ils ont beau s’en défendre, cette nouvelle donne, qui apporte des couleurs et de la chaleur à un paysage politique désespérément terne, est aussi révélatrice de l’impitoyable guerre de positionnement que se livrent dans l’ombre les différents étoiles de la galaxie Compaoré.

Et Salif KO, l’empêcheur de succéder en rond mis à la touche par petites touches successives, c’est Roch, Simon et François qui se retrouvent requinqués. En attendant le prochain "gbang-gbang", car, plus 2015 approchera, et c’est déjà demain, plus les masques tomberont.

En vérité, ceux qui ont instruit son procès auraient voulu victimiser davantage le "repenti du CDP" et l’ériger en martyr qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement, car, malgré son lourd passif, certains, même parmi ses contempteurs, se surprennent à nourrir une petite sympathie pour celui dont tout le monde reconnaît le courage politique et qui est coupable aujourd’hui de vouloir faire pièce à la "patrimonialisation" du pouvoir.

Ne pas être un "yes man", c’est bien, mais ç’a aussi de gros inconvénients, et Salif Diallo vient une fois de plus d’en faire l’amère expérience. Car ce qui se passe présentement est la preuve que, quand on est assis à la table du seigneur de Ziniaré, il est des choses dont on ne parle pas, excepté dans le secret des chaumières. C’est ce que l’autre, présumant sans doute de la réceptivité de ses amis, n’a pas compris, et vu la bourrasque qui le secoue en ce moment et qui menace de l’emporter, ce n’est certainement pas Blaise qui parlait par sa bouche comme certains analystes étaient enclins à le penser.

La rédaction

 Notes : (1) L’interviewé y proposait notamment la dissolution de l’Assemblée nationale, l’instauration d’un régime parlementaire et une remise à plat des institutions.

L’Observateur Paalga

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