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Privatisation de la SONABEL : "Une catastrophe en vue"

Publié le vendredi 9 juillet 2004 à 15h10min

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"Le Pays" : Comment se porte le secteur de l’électricité au
Burkina ?

George Kouanda : Il ne se porte pas très bien. Des réformes
sont actuellement en cours et n’augurent pas de lendemains
meilleurs. Certains acteurs sont en train de se désengager de
la SONABEL. Cela sera inéluctablement préjudiciable aux
consommateurs.

Voulez-vous parler de la privatisation de la société ?

Bien sûr ! Nous avons des appréhensions surtout que cela
concerne un secteur stratégique, notamment la SONABEL.
Nous avons, dans un premier temps, cherché à comprendre le
processus de la réforme. Aujourd’hui, les études menées à ce
sujet montrent que cette réforme ne peut en aucun cas être
bénéfique à l’Etat burkinabè et de façon spécifique au
personnel de la SONABEL.

Que révèlent ces études ?

Lors d’un Conseil des ministres, le gouvernement a décidé de
faire de la SONABEL, deux entités : une entreprise dénommée
Société des patrimoines, détenue entièrement par l’Etat et où
travailleront seulement une cinquantaine d’agents de la
SONABEL. L’autre entité, la SONABEL, sera une société
d’exploitation . La majorité de ses actions sera détenue par un
opérateur privé. En clair, l’Etat, contrairement aux
recommandations de l’Assemblée nationale, n’aura pas la
majorité des actions.

Le ministre de l’Energie, des Mines et des Carrières, Kader
Cissé, avait pourtant rassuré les députés...

Le Conseil des ministres dit tout à fait le contraire. La majorité
des actions est réservée à des privés. Le Conseil précise
même qu’un actionnaire stratégique aura la majorité des
actions. La part de l’Etat devient ainsi minime. D’autres
actionnaires, notamment des opérateurs économiques
burkinabè et étrangers ainsi que le personnel de la société, se
partageront la part restante avec l’Etat.

Cela risque d’avoir un coût social et économique important...

Les conséquences, à notre avis, seront dramatiques. La raison
est simple : de 1994 à aujourd’hui, la SONABEL n’a pas
augmenté un centime sur le prix du kwh. Mais la décision du
gouvernement de privatiser la SONABEL a conduit des
partenaires tel le Danemark à exiger que leurs dons reviennent
à l’État et non à la société. Les dons déjà faits par le
Danemark ont été convertis en dettes et doivent être payés par
la SONABEL.

Si l’on ajoute à cela, la fluctuation des prix des
hydrocarbures, la SONABEL devrait envisager une étude tarifaire
afin d’ajuster ses prix.

En outre, un partenaire financier n’intervient pas pour les beaux
yeux des populations. C’est plutôt pour faire des profits. Une
telle situation entraînera des augmentations de prix qui ne
seront pas facilement supportables par les populations.
Actuellement, l’électricité coûte déjà cher. Si l’on privatise la
SONABEL, elle coûtera encore plus cher pour la population.

Comment pourra-t-on amortir le choc ?

La SONABEL est une société stratégique. L’Etat ne devrait pas
se désengager de ce secteur, au risque de créer une situation
difficile à gérer pour le consommateur et, partant, pour le
Burkina.
J’ai assisté à un forum international organisé par l’association
"Droit à l’énergie", organisé du 19 au 22 juin au Maroc.

La
conclusion adoptée est claire : l’accès des populations à l’énergie
ne peut être une réalité que si l’Etat est partie prenante de la
gestion de ce secteur. Or, au Burkina, il est en train de céder une
part importante de ce secteur à d’autres opérateurs. Il est temps
que l’Etat burkinabè sache que les pays ouest-africains qui se
sont aventurés de la sorte ont été entraînés dans des
conséquences souvent dramatiques.

Le Mali par exemple ?

L’option choisie par ce pays est la même que la nôtre. Le
président Amadou Toumani Touré a même reconnu que c’est la
plus grosse bêtise que l’Etat malien ait pu faire. Pour stabiliser
le prix du kwh à un niveau acceptable pour la population, le pays
est obligé de verser chaque année au repreneur, cinq milliards
de F C FA. Et il doit le faire pendant vingt ans. Evidemment, cela
est préjudiciable à la population malienne.

Au Burkina, grâce au soutien de certains partenaires et
opérateurs économiques, nous pouvons permettre à l’Etat de
rester maître du secteur de l’énergie. Le projet ZACA (Zone
d’activités commerciales et administratives, ndlr) est un exemple
palpable. L’Etat a pu trouver les moyens nécessaires pour sa
réalisation. Il peut, de la même manière, en trouver pour que la
SONABEL reste une société de service public.

L’interconnexion électrique Ouaga-Bobo avait suscité de
l’espoir...

Au début de la réforme du secteur de l’énergie, les institutions
financières ont décidé de soutenir l’Etat avec une puissance
additionnelle de 30 mégawatts. Nous sommes aujourd’hui à
14 mégawatts. Son acquisition est conditionnée par le fait que
l’Etat décide de céder à un partenaire stratégique, 51% des
actions. Cela pose problème. Et les travailleurs de la SONABEL
entendent réagir dans les jours ou semaines à venir.

Y a-t-il des risques que des travailleurs se retrouvent dans la
rue ?

La situation qui prévaut dans quelques pays de la sous-région
nous interpelle. Dans certains, il y a eu des licenciement, dans
d’autres, l’effectif des entreprises a été diminué de façon
subtile. Concernant la SONABEL, l’Etat nous a affirmé que la
grande majorité des travailleurs sera maintenue. Mais cela ne
signifie pas que la totalité des travailleurs continueront d’y
exercer leur métier. Nous sommes donc inquiets parce que le
gouvernement ne nous a pas donné des garanties fermes
d’assurance.
Deuxième problème : l’Etat ne pourra pas empêcher le
repreneur d’augmenter les prix.

Si, aujourd’hui, de nombreuses
personnes n’arrivent pas à payer le coût de trois ampères, avec
les augmentations de prix en perspective, elle retourneront
inéluctablement à la lampe tempête. Ce sera à l’évidence, un
recul social pour notre pays. Notre gouvernement a-t-il le droit de
mener une telle politique ?

La SONABEL est aujourd’hui un
établissement de service public. Il a donc un caractère social.
Avec la privatisation, seule la recherche du profit sera à l’ordre
du jour. En réalité, ce n’est pas parce que la SONABEL n’est pas
actuellement rentable qu’on privatise. Cela relève plutôt d’une
option politique. On estime que les unités de production coûtent
chers et c’est d’ailleurs pourquoi l’Etat a officiellement décidé
de privatiser la SONABEL.

Mais la privatisation telle qu’elle est envisagée ne s’inscrit pas
dans cette logique. En fait, la société de patrimoine sera
détenue par l’Etat qui continuera d’y investir. La partie juteuse,
l’exploitation notamment, sera confiée à un opérateur privé. Ce
dernier n’aura pas de charge élevée à supporter.
En réalité, dans les autres pays de la sous-région qui se sont
engagés dans cette voie, il y a eu des augmentations de prix.

En
Afrique centrale, notamment au Gabon, le repreneur est à sa 5e
demande d’augmentation de prix. Au Mali, les populations ont
déjà marché pour demander la réduction du coût de l’électricité.
Il y a eu également des marches au Cameroun. Les
manifestants ont demandé à l’Etat de reprendre la société
privatisée. Jusque-là, la privatisation des sociétés d’électricité
en Afrique a été préjudiciable aux populations.

Que comptez-vous faire face à cette situation ?

Ce problème ne concerne pas seulement les agents de la
SONABEL. Il a une envergure nationale. Les usagers de la
société auront du mal à honorer leurs factures. Ce sera une
vraie catastrophe parce que le prix ne fera que monter. Nous
lançons donc un appel pressant à la classe politique, aux
associations des consommateurs et autres structures afin
qu’ensemble, nous oeuvrions à arrêter la privatisation de la
SONABEL. L’Assemblée nationale avait recommandé que l’Etat
soit l’actionnaire majoritaire mais c’est le contraire qui est en
train de se produire. Cela est vraiment dommage.

Propos recueillis par Hervé D’AFRICK
Le Pays

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