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Cherté des céréales : Du jamais vu en ville comme en campagne

Publié le jeudi 22 janvier 2009 à 16h37min

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Il a plu des hallebardes au cours de la campagne agricole écoulée. Si les Burkinabè s’accordent sur cet état de fait, il n’en est pas de même sur les récoltes, jugées exceptionnelles par les prévisions des autorités compétentes, mais considérées en deçà des attentes par les cultivateurs et les commerçants de céréales. Alors que la polémique enfle sur le sujet, une évidence s’impose : les prix des céréales en ce mois où les tiges ne sont pas encore totalement séchées sont plus élevés que par le passé à cette même époque. De Sankariaré à Kokologho en passant par Taonsgho et Vipalgo, nous en avons fait l’amer constat le week-end dernier.

Le 5 novembre 2008, le ministre de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques, Laurent Sédogo, a annoncé, au cours d’un point de presse, les prévisions de la production céréalière, qui s’élevaient à quelque 4 millions de tonnes. Comparée à l’année 2007/2008, la production, selon les mêmes sources, est en forte augmentation, de 38% et 27%, par rapport aux cinq dernières années. Le riz enregistre la plus forte augmentation avec une production prévisionnelle de plus de 235 000 tonnes, soit une hausse de 242% ; l’arachide, le sésame, le haricot... toutes les spéculations, à l’exception du soja, enregistrent des performances records.

Ces chiffres, relayés abondamment par la presse nationale et internationale, ont suscité un immense espoir au sein de la population, durement éprouvée par la flambée des prix des produits de première nécessité, qui avait engendré les émeutes de la faim courant février 2008. Mais la désillusion est, pour le moment, pour le moins grande. En effet, l’an passé à cette même période, malgré la campagne déficitaire, le sac de maïs de 100 kg coûtait entre 8000 et 9000 FCFA alors que cette année, il flirte avec les 17 000 FCFA.

Explication du gouvernement : ce sont les producteurs et les commerçants qui retiendraient les céréales dans leurs stocks à des fins spéculatives. Au cours d’une rencontre des ministres du Commerce, Mamadou Sanou, et de l’Agriculture, Laurent Sédogo, avec les commerçants et les producteurs, ces derniers ont été exhortés à ne pas stocker la production et à s’organiser pour ne pas permettre aux commerçants des pays voisins « d’imposer leur loi ». « Sortez vos céréales, Dieu nous aidera, le gouvernement vous soutiendra », a lancé à cette occasion le grand « Kob naaba », le premier des cultivateurs. Son appel a-t-il été entendu ? Rien est moins sûr, car le renchérissement impose toujours sa loi sur les marchés.

« Je n’ai jamais vu cela »

A Sankariaré, où nous nous sommes rendu le vendredi 16 janvier, les magasins étaient à moitié vides. Le commerçant de céréales Abdourasmané Sawadogo nous explique la situation du marché : « Cette année, on ne voit même pas les céréales pour en acheter alors que l’année passée, à pareil moment, chacun achetait autant de sacs voulus ; il a plu beaucoup certes, mais les récoltes ont été en deçà des attentes.

Les producteurs pourraient mieux en attester ; ni les commerçants ni les autorités qui sont dans les bureaux ne peuvent nous fixer sur la réalité ». Moussa Ouédraogo, qui est rentré de la province du Bam, où il s’était rendu pour acheter le bainga (haricot), dit ne pas comprendre la rareté du produit cette année de bonne pluviométrie. Le sac de 100 kg coûte 20 000 F, largement au-dessus du prix auxquel on se serait attendu à cette période.

Le vieux Kafando, vendeur de céréales en détail, lui, n’a pas caché son chagrin : « J’ai une trentaine d’années d’expérience dans le commerce de céréales, je pense que c’est la première fois qu’un plat de maïs se vend à 500 F à Ouagadougou en janvier et je me demande ce qu’il coûtera dans les mois à venir. J’ai de la peine, et mon âme saigne à chaque fois que j’en annonce le prix aux clients ». Pour Madou Banao, qui est rentré de Houndé le 15 janvier avec 200 sacs de 100 kg de maïs, le sac y coûte 13 000 F, et le prix de revient, y compris le transport, est de 14 000 F alors que l’année précédente, à cette époque, il était de 11 000 F.

Et de poursuivre : « J’ai fait un mois à Houndé avant d’avoir le nombre de sacs nécessaires pour le chargement, c’est dire que la denrée n’est pas disponible alors que le nombre d’acheteurs s’est accru ; ce qui est inquiétant, c’est que les prix vont s’envoler lorsque les cotonculteurs vont commencer à payer les produits nécessaires à leur alimentation ».

Au marché de Kokologho dans le Boulkiemdé, le samedi 17 janvier, c’est la diversité des denrées qui nous a d’emblée frappé. Petit mil, sorgho blanc, sorgho rouge, maïs, arachide, riz local, sésame, noix de karité, bainga ou niébé si vous préférez... On y trouve tout ou presque. Mais les prix sont au centre des conversations, et c’est à se demander de quoi demain sera fait. Le vendeur de sorgho rouge François Nikièma, avec 21 ans d’expérience dans le métier, dit n’avoir jamais vu un tel renchérissement du produit à cette période de l’année.

A l’en croire, en 2008, le prix du plat de sorgho rouge a atteint son point culminant à 350 FCFA pendant la saison pluvieuse alors qu’il coûte déjà 400 F CFA. Comment explique-t-il ce phénomène ? Pour lui, les greniers ont été tous vidés pendant la période de soudure, et à cela s’ajoute le fait que les dernières pluies ont fait défaut au moment de l’épiaison. Ce qui a fait que les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs.

Les dolotières (vendeuses de bière de mil) de Kokolgho subissent de plein fouet le renchérissement du sorgho rouge, leur matière première. « L’activité me rapportait des revenus nécessaires à assurer la scolarité de mes enfants et à appuyer mon époux, mais cette année, nous ne pourrons pas tenir, surtout que les clients réclament beaucoup le lainga ou le gouter-voir. Si nous n’y trouvons pas de solution rapide, nous allons arrêter, et ou la place du dolo dans nos villages, cette perspective est pour le moins catastrophique », dit, inquiète, Elise Nana. Les plats de riz local et d’arachide coûtent respectivement 1000 F et 350 F.

Cette cherté fait bien entendu l’affaire de celles qui viennent au marché avec la calebasse ou le plat pleins de céréales. Est de celles-là Adjaratou Kinoré, qui, en attachant ses 8 000 FCFA au pan de son pagne, n’a pu s’empêcher d’esquisser un large sourire. Sa joie se justifie selon elle, d’autant plus qu’elle retournera à la maison avec des habits neufs. Mais elle a tempéré sa satisfaction face à la cherté des produits de première nécessité importés, tels l’huile et le riz.

Le prix de cette céréale cristallise la colère des femmes. Ayant appris que nous sommes un journaliste, elles se sont choisi spontanément une porte-parole pour s’adresser à nous : « Tant que le prix du riz ne va pas baisser, soyez sûr que celui des céréales que nous produisons maintiendra cette tendance haussière ; avant le riz était notre recours pendant la période de soudure, mais maintenant, même pendant les fêtes, on ne peut pas s’en procurer. Voici le fond du problème, il n’y a pas d’autres explications », dit-elle péremptoirement.

Au marché de Vipalgo, village de la commune de Komki-Ipala, Ablassé Ilboudo, cultivateur de son état, nous a parlé avec une franchise désarmante et sans détours : « Le maïs et le mil ne sont pas encore chers, nos greniers sont pleins, nous attendons que les prix montent plus que ça pour en vendre.

Ainsi, nous ressemblerons à des fonctionnaires comme vous et pourrons acheter le riz, les pâtes alimentaires, les boîtes de conserve, l’huile, le savon, qui sont maintenant hors de prix au regard de nos pouvoirs d’achat actuels. Plus de 90% des Burkinabè sont des cultivateurs qui souffrent pour nourrir les citadins. Nous devrons bénéficier d’abord des fruits de notre production », a-t-il martelé sous les applaudissements de quelques spectateurs.

Le vieux Tasséré Song-Naaba, la soixantaine bien sonnée, n’a pas non plus sa langue dans sa poche : « Avant, dit-il, les soins étaient gratuits, tout était accessible à la population, mais maintenant, tout se vend cher et vous voulez que nous bradions nos récoltes. Ceux qui nous écoutent savent que j’ai fait de bonnes récoltes comme chaque année d’ailleurs, mais j’attends un meilleur moment pour vendre.

Tous mes enfants ont fui la daba pour paresser à Ouagadougou. Hier, un d’entre eux est venu avec du pain sec pour me le donner et demander du haricot. Je lui ai dit que le produit est disponible, mais que je n’ai pas le temps de le servir. Si nous fuyons la terre alors que nous n’avons pas une bonne raison pour le faire, la souffrance sera notre part ».

Au marché de Taonsgho, dans la commune de Tanghin-Dassouri, nous avons surpris deux femmes. Toutes vendeuses de tourteaux d’arachides séchés, bien connus sous l’onomatopée « koura koura ». L’une, du nom d’Elisabeth Bélemnaba, demande à l’autre, Mariam Kaboré, si elle arrive à faire des bénéfices parce qu’elle, Elisabeth, vient de perdre son capital. Celle-ci confie qu’elle aussi éprouve des difficultés vu la cherté de l’arachide.

« Mais qu’allons-nous faire » ? s’interroge la première, et la deuxième de répondre : « Si nous ne voulons pas laisser tomber l’activité, il va falloir que nous diminuions la circonférence du produit (NDLR : le koura-koura souvent confectionné sous forme de bracelet) et même la grosseur ».

Pendant cette conversation, une troisième arrive, elle se plaint du prix du mil. Se sentant obligée de trouver une solution aux angoisses de ses interlocutrices, Kaboré Mariam lance : « Vous savez, maintenant, le Blanc ne doit même plus nous sensibiliser à faire le planning familial, dans la situation actuelle, chacun doit en comprendre la nécessité impérieuse ». Dans ce marché, le « koura-koura » ne sera pas le seul à dégrossir au détriment du consommateur.

Il y a aussi le « foura » ou boules d’akassa. Sita Dera, qui en vend, dit qu’elle va continuer dans cette activité par habitude, en revoyant évidemment le volume de chaque boule. Avec cette situation, inédite sur le marché, c’est un préavis de disette qui s’est annoncé contrairement donc à ce que nous titrions dans notre livraison du 6 novembre 2008 : « Campagne agricole 2008-2009, préavis d’abondance ». Les regards sont maintenant tournés vers le gouvernement. Mais ce dernier est-il le seul à être interpellé dans cette affaire ? N’est-ce pas un défi à relever par tous en ces temps où une campagne tous azimuts est menée, invitant les Burkinabè au civisme ?

Abdou Karim Sawadogo

L’Observateur Paalga

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