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Sidya Touré (ex-Premier ministre guinéen) : « Blaise est un bâtisseur »

Publié le mercredi 14 janvier 2009 à 02h36min

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Curieuse coïncidence : lorsqu’autour de 16h 30 en ce 6 janvier 2009 nous avons été accueillis par Sidya Touré dans sa résidence au quartier chic de Minière, il nous a déclaré avant même que nous ayons pris place : « Je viens de raccrocher avec le président Blaise Compaoré il n’y a pas 5 mn ». Du coup d’Etat de Noël, du capitaine Dadis Camara et de Blaise, de sa lutte et de celle des autres opposants, de ses rapports avec l’ex-président Conté, des massacres de janvier 2007 et de... son avenir politique, l’ex-Premier ministre de la Guinée de 1996 à 1999 et actuel patron de l’Union des forces républicaines (UFR) évoque ces sujets sans passion mais avec la conviction de quelqu’un qui croit dur comme fer à l’émergence rapide du pays des méandres de la pauvreté.

Que devient Sidya Touré depuis qu’il a quitté les affaires, notamment la Primature ?

Je me porte bien. Depuis mon départ du premier ministère, j’ai été élu président d’un parti politique, l’Union des forces républicaines (UFR) en 2000. Nous essayons depuis de faire de cette formation politique un parti qui compte en Guinée. L’UFR est un parti transversal, c’est-à-dire qui n’a pas d’ancrage ethnique ou régional, et cela est très important en Guinée. Le parti est implanté dans les 4 coins du pays.

C’est un parti qui compte aujourd’hui, et cela nous permet de participer à la vie politique du pays. Nous n’avons pas participé aux dernières législatives, mais les prochaines, dans le cadre de la présente transition, nous y prendrons part et nous nous préparons à cet effet. Nous avons soutenu le CNDD (Comité national pour la démocratie et le développement), qui a pris le pouvoir le 23 décembre dernier.

Vous venez d’avoir un entretien téléphonique avec le président du Faso, Blaise Compaoré. Quels sont vos rapports avec lui ?

J’ai beaucoup d’admiration pour le président Blaise Compaoré pour ce qu’il fait au Burkina Faso. Je l’ai rencontré plusieurs fois avant d’être Premier ministre et étant chef de gouvernement aussi. Le Burkina Faso, que j’ai revu il y a deux ans après dix ans d’absence, est extraordinaire, c’est un pays qui a un peuple travailleur, la qualité de ses fonctionnaires est remarquable et il a un bon taux de croissance... Plusieurs fois d’ailleurs, j’ai eu des débats avec des grands responsables sur le cas de votre pays et du Ghana, qui donnent l’exemple en Afrique de l’Ouest en matière de développement.

Car on savait où était ce pays il y a 20 ans. Tout cela, on le doit aussi à Blaise Compaoré, et ce que je dis n’a rien de diplomatique. Blaise, qu’on le veuille ou non, est un bâtisseur, c’est un chef naturel qui ne force pas.

Vous avez surtout marqué l’esprit des Guinéens lors de votre passage comme Premier ministre, en ramenant rapidement l’eau et l’électricité dans le pays, en particulier l’éclairage public à Conakry. Quel a été votre secret ?

C’était une question d’expérience. J’avais l’expérience des crises. Il ne faut pas oublier que j’ai été directeur de cabinet d’Alassane Dramane Ouattara (ADO) en Côte-d’Ivoire de 1990 à 1993. Et avant ce poste, j’ai servi 20 ans dans l’Administration ivoirienne (Trésor, Commerce, Plan, Industrie) et dans de multiples conseil d’administration. J’ai été surtout responsable de la restructuration de la dette pendant 6 ou 7 ans. Je savais donc ce que j’avais à faire en arrivant comme chef de gouvernement en Guinée. Nous avons à l’époque essayé d’aller très vite comme nous l’avons fait dans le comité interministériel en Côte d’Ivoire.

Ainsi, en 6 mois, nous avons bouclé un certain nombre de programmes d’urgence, notamment le programme économique avec le FMI. J’avis mis en place un conseil interministériel pour former des fonctionnaires à faire ce travail.

L’eau et surtout l’électricité, qui étaient absentes du pays depuis 20 ans, ont été retablies. J’ai été nommé en juillet 96. En octobre, on avait pratiquement un programme avec le FMI. Nous avons fait l’assainissement du fichier de la fonction publique, renoué avec l’Union européenne, et en l’espace d’un an on a pu avoir accès à 258 milliards de dollars de financement.

Notre secret donc, c’est un peu de bonne volonté et beaucoup d’expérience (nécessaire dans ce pays). C’est avec cela que nous avons essayé de remettre le pays sur les rails. Malheureusement, peu de temps après notre départ, tous ces acquis ont été liquidés. Ce qui explique d’ailleurs mon combat. C’est un cri de révolte qui m’a incité à me mêler du combat politique en Guinée.

Quelle appréciation faites-vous de cette seconde irruption de la grande muette dans la vie politique guinéenne ?

D’abord nous avons soutenu ce coup d’Etat dès les premières heures. Ce qui était grave pour nous et aurait été inacceptable pour les populations, c’est la continuation du régime de Conté avec d’autres personnes. Ç’aurait été la poursuite de la destruction de ce pays les 15-20 ans à venir. Nous avons, dans le passé, souhaité une transition civile ; nous n’avons pas pu l’avoir, et lorsque les militaires sont arrivés nous avons dit tant mieux. Surtout qu’on est en présence de jeunes militaires qui ont un langage qui ressemblait étrangement à ce que nous avons écrit en son temps, notamment lors des journées de réflexion et de concertation des forces vives, qui se sont déroulées en mars 2006.

Mais il ne faut pas penser que nous sommes dans le même schéma qu’en 1984. C’est une autre Guinée avec des jeunes gens qui ont fait l’université, qui connaissent Internet, la télévision par satellite, le téléphone cellulaire... sans oublier que la société civile veille au grain. Je pense que plus personne ne pourra confisquer le pouvoir comme du temps de Conté.

Avez-vous senti un parfum de sincérité chez le capitaine Moussa Dadis Camara, autrement dit pensez-vous réellement que dans les 24 mois au plus tard il va rejoindre la caserne comme il l’a promis ?

Oui. Pour le moment, je n’ai aucune raison de douter de lui. Je l’ai dit : nous sommes en présence d’une autre Guinée que celle de 1984. Nous avons une communauté internationale forte, notamment la CEDEAO, l’UE, l’UA, et toutes ces institutions sont actives et efficaces. En ce qui nous concerne, nous voulons travailler avec l’armée pour mettre en place des institutions démocratiques. Nous allons y contribuer, et à un certain moment on va se prononcer sur la restitution du pouvoir aux civils. Beaucoup de choses concourent, de ce fait, à ce que le schéma de la Guinée de 1984 ne puisse pas s’appliquer. Nous œuvrerons à ce que la Guinée renoue avec une vie constitutionnelle normale.

Pensez-vous que la pression internationale est pour quelque chose également dans l’attitude de la junte ? Par exemple, la France, à travers les propos du ministre Alain Joyandet, que vous avez rencontré le 3 janvier dernier, insiste sur la tenue rapide d’élections crédibles.

Oui, il ya sans doute cet aspect. Je vous ai dit que cette communauté internationale est très forte. Nous avons entendu le président du CNDD parler de 2 ans puis de18 mois pour la durée de la transition. A notre niveau, nous avons produit un document des partis politiques, dans lequel nous avons proposé une transition de 12 mois. Je dois vous dire qu’à propos de ce document, il y a un accord général de tous les partis politiques sur un certain nombre de problèmes : durée de la transition, formation d’un conseil national de transition qui se chargera de réviser la Constitution et les textes subséquents et, peut-être au bout de cela, organisera un référendum pour aboutir à une nouvelle République, puis aux élections. Nous sommes tombés d’accord que les partis puissent participer au gouvernement. Cependant nous avons un point de divergence entre d’un côté 11 partis politiques et de l’autre 8 formations dont je fais partie : ce point concerne le calendrier électoral. Les 11 souhaitent que nous ayons des législatives avant la présidentielle.

Nous, nous sommes pour le contraire. Parce que nous estimons que la Guinée est un pays qui a besoin de réformes profondes. Après 50 années d’appauvrissement, de régime communiste ou patrimonial, nous avons besoin de réformes au niveau des institutions et de l’économie. Nous pensons qu’il faut aller donc à la présidentielle avant. Nous avons le CNDD qui assure le pouvoir d’Etat. En faisant les législatives avant, on n’arrêtera pas les actions de la junte. Nous nous inspirons des cas de figure de certains pays qui nous entourent, le Mali, le Niger...

Le seul cas, il est vrai, qui a fait une présidentielle avant, c’est la Mauritanie, dont le président s’est retrouvé sans majorité à l’Hémicycle et a été renversé. Mais vous voyez que le régime en Mauritanie parle de présidentielle pour s’en sortir et non de législatives. Ma conviction est que nous avons plus besoin d’un président de la République, qui se cherchera une majorité pour pouvoir réformer ce pays. Sur cette question, nous sommes divisés au niveau des partis politiques. Mais ce n’est qu’une proposition, puisque la décision finale se prendra entre les partis politiques, la société civile et, bien sûr, le CNDD.

C’est un constat : ces dernières années en Guinée, c’est toujours la société civile qui donne de la voix, l’opposition semble murée dans un silence défaitiste. Pourquoi ?

• Non ! C’est une mauvaise lecture de la situation réelle en Guinée. L’opposition s’est battue pendant des années pour le changement, et cette lutte a donné sous Conté naissance à la CENI, aux radios FM, et à d’autres avancées significatives, toutes choses à mettre à l’actif de cette opposition-là. L’idée de concertation de mars 2006, qui a abouti à cette situation d’aujourd’hui, était un fait réalisé par les partis politiques, et c’est à partir de cette date que nous avons demandé aux syndicats de nous rejoindre, et dans le cadre de cette lutte, nous leur avons dit d’emprunter la voie des grèves pour faire entendre raison au régime Conté, qui était totalement allergique à toute idée de débat politique. En Guinée, beaucoup de gens savent cela. Souvent on entend autre chose à l’étranger, mais ce n’est pas la réalité. Pour nous, seul importe le changement.

Soyons plus précis : en janvier-février 2007, ce sont les syndicats qui étaient en première ligne lors des marches qui ont abouti à la boucherie que l’on connaît. On n’a pas vu les opposants mouiller la chemise, mieux, offrir leur poitrail aux balles du pouvoir...

Parce que nous l’avons mouillée avant, la chemise, pour la simple raison que nous étions en prison entre-temps. Et ce qui avait été arrêté comme stratégie, c’est la lutte syndicale. Nous étions convenus que si les politiques s’en mêlaient, le débat avec le président Conté deviendrait politique. Vous savez bien aussi que, pour une raison ou pour une autre, quand les contestations ont commencé, elles n’étaient pas relatives au prix du pain, mais à la question du changement, ce qui veut dire que la main de l’opposition n’était pas loin. Ce que les syndicats ont fait donc était aussi un mot d’ordre politique.

Y a-t-il déjà une personnalité dans l’opposition qui pourrait fédérer autour de son nom tous les autres pour aller à la présidentielle ?

Non, je ne crois pas. Comme partout, ici aussi, il y a des partis qui sont plus importants que d’autres. Mais l’essentiel pour nous dans ce pays, dont la Constitution s’inspire de celle de la France de 1958, est qu’à la présidentielle, qui se fait à deux tours, si l’un d’entre nous arrive au second tour, il soit soutenu selon les alliances que nous aurons arrêtées. Pendant des années, les alliances étaient faites contre le régime en place. Pour cette présidentielle, j’espère que ce sera des alliances faites sur la base de programmes. Il n’y a donc pas de problème. Au premier tour, je crois qu’on aura une multitude de candidatures, mais cette fois-ci, le parti au pouvoir n’est plus une menace, ce sera une lutte entre partis politiques.

Votre parti, l’UFR, a-t-il été contacté pour entrer dans le gouvernement du Premier ministre, Kabiné Komara, qui doit être connu incessamment ?

• Nous avons rencontré le Premier ministre hier soir (ndlr : soit le 5 janvier 2009). Ensuite, j’ai eu un entretien particulier avec lui. L’idée qui circule à leur niveau est la mise en place d’un gouvernement de technocrates. Nous avons demandé que le choix soit clair : qu’un tel gouvernement puisse refléter la société guinéenne dans sa totalité. Et si ce n’était pas le cas, l’UFR s’y opposerait et le dénoncerait. De prime abord, ce n’est pas vers cela que l’on s’oriente. Attendons donc de voir, et nous nous prononcerons sur la question au vu de la liste de ministres qui sera publiée.

Croyez-vous aux audits que promet le CNDD, surtout à leurs résultats ?

Ecoutez, c’est surtout la société civile et la jeunesse de ce pays qui demandent, qui poussent à cela. Ce qui s’est passé dans ce pays, vous ne pouvez pas tout simplement l’imaginer. Ça n’a strictement rien à voir avec ce que les pays de la zone franc ont connu. Vous savez, la Guinée ne participe pas à une zone monétaire. Il y a eu dans ce pays non pas de détournement de deniers publics mais un pillage systématique de l’économie par des gens qui travaillent dans l’Administration et le gouvernement mais également par des commerçants et des hommes d’affaires.

On a signé des contrats miniers dans ce pays à des conditions inacceptables. Toutes ces choses ont poussé la Guinée dans une situation de pauvreté inimaginable. Moi, j’ai quitté la primature en 1999. Entre cette date et 2003, la Banque mondiale a publié un rapport montrant que, durant ces 4 ans, le pays avait perdu 30% de son PIB. On en est à 40% depuis cette date. Pendant que la population s’accroit, le PIB baisse.

Pourquoi ? Parce que les ressources de ce pays sont totalement détournées. Il est important pour les Guinéens qu’il y ait un signal fort qui dise qu’il y a eu des cas de corruption, de détournement et de pillage économique et qu’on sanctionne les coupables. Et la jeunesse pousse énormément à cela, car elle veut savoir pourquoi son avenir a été compromis et par qui.

Serez-vous candidat à la présidentielle ?

Cela dépendra des alliances avec les partis qui nous soutiennent. Mais, bien sûr, notre objectif fondamental, étant leader d’un parti, est de mettre à la disposition de la Guinée nos capacités managériales, de réflexion politique, bref notre capacité à faire tout ce que nous pouvons pour aider ce pays à sortir de cette situation difficile et envisager vraiment l’avenir avec plus de bonheur. Si l’occasion se présente, on sera heureux de servir la Guinée pour cela.

Interview réalisée à Conakry par Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana

L’Observateur Paalga

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