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Guinée-Conakry : Paysage après putsch

Publié le mercredi 7 janvier 2009 à 01h23min

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Il y a tout juste donc deux semaines (23 décembre 2008) que le capitaine Moussa Dadis Camara (44 ans) a eu le jarret ferme pour prendre le fauteuil laissé vacant par feu le général Lansana Conté, décédé la veille. A la tête du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), le président autoproclamé promet, entre autres, après des rencontres tous azimuts avec les forces vives de la Nation, des élections et des audits pour voir clair dans l’exploitation des mines d’or. Ambiance des premiers jours postcoup d’Etat.

A 24 ans de distance, l’histoire s’est répétée en Guinée-Conakry : le 26 mars 1984, Sékou Touré meurt dans un hôpital de Cleveland aux USA. Le 30, il est inhumé officiellement au mausolée des Héros à Camayenne à côté de son alter ego Saifoulaye Diallo. Le 3 avril 1984, celui qui était alors son chef d’état-major, le colonel Lansana Conté, s’empare du pouvoir. Le 23 décembre 2008, ce qui s’est passé ressemble mutatis mutandis aux événements d’il y a 24 années. Moussa Camara a pris lui aussi le pouvoir suprême sur le cadavre encore chaud de son devancier.

A la seule différence que lui et ses compagnons n’ont pas attendu que « Fory » (le sage Conté ) ait des obsèques comme le grand Silly, pour s’emparer du sceptre suprême guinéen. Dès les premières heures de ce coup du père Noël guinéen, Conakry s’apparentait à une ville en état de siège : patrouilles de militaires dans des VELERA, sur des chars, l’arme bien en vue, sans oublier les checks-points, qui se sont multipliés dans la capitale.

Dadis Camara et Cie craignaient, à juste raison, un contrecoup imminent. Deux semaines après, il n’en est rien de tout cela, et plus de patrouilles. Par exemple, de l’aéroport de Conakry Bessia jusqu’au centre ville, on ne dénombre aucun barrage. Aucun militaire donc pour importuner les passants. Même s’il est vrai que le 1er janvier 2009, l’ex-PM, Cellou Dalein Diallo, a eu la visite de plusieurs soldats, partis perquisitionner son domicile.

Une erreur, semble-t-il, vite corrigée avec la présentation des excuses de la junte à l’intéressé. Le discours musclé du nouveau maître de la Guinée est-il pour quelque chose dans ce relatif bon comportement des soldats ? Sans doute, car devant les leaders politiques, les syndicats et ses frères d’armes, le capitaine Moussa Camara a lâché quelques phrases qui rappellent encore les premières heures de l’ère Conté (ce dernier disait en substance en 1984 que si l’un de ses compagnons est vu dans un véhicule de luxe ou une maison du genre, c’est qu’il a volé).

« Nous voulons mettre fin à la corruption... si quelqu’un s’enrichit sur le dos de l’Etat, si on le prend, il sera châtié... si une personne tue, elle sera tuée... », martèlera aussi Moussa Dadis Camara. Puis il ajoutera qu’il n’est pas assoiffé de pouvoir sinon après les événements de janvier 2007, il aurait pu le prendre ; ils (les militaires) sont venus pour rendre au peuple sa dignité et lui permettre de vivre dans le bonheur, foi du capitaine.

Le lundi 30 décembre 2008, en compagnie de son épouse, de sa mère et de ses enfants et face à la presse, le président autoproclamé tiendra un langage dur envers les pilleurs du pays, ceux qui volent et mettent leur butin de côté pour leurs enfants : « Personne, a-t-il laissé entendre, ne veut naître de parents pauvres, mais c’est Dieu qui décide, regardez mes enfants et ma mère ici présents, ils ne sont pas hors du pays, je n’ai pas volé pour eux... ». Tout en invitant les hommes politiques à lui proposer des projets de société et surtout un calendrier électoral pour les législatives, il a martelé : « Si nous vous imposons quoi que ce soit, vous allez dire que nous sommes des dictateurs »

Ce storytelling du capitaine-président tient-il la route ? Autrement dit, son histoire a-t-il convaincu ses concitoyens et la communauté internationale ? De nombreux hommes politiques, sans doute fatigués par les deux décennies du règne de Conté, après avoir rencontré le nouvel homme fort de Guinée, saluent son « discours de rupture » tels les ex-Premiers ministres Sidya Touré et Cellou Dallein Diallo. Idem du patron du RPG, Alpha Condé.

L’intraitable figure actuelle du syndicalisme guinéen, Rabiatou Serah Diallo, se montre attentiste, et prévient que « s’ils dévient, ils nous trouveront sur leur chemin ». Même tonalité chez l’archevêque de Conakry, Vincent Coulibaly, qui se montre, lui, circonspect en affirmant : « Vous savez, les promesses du début sont toujours alléchantes, mais il faut attendre la suite... ». Quant aux jeunes Guinéens, ils semblent accorder un brin de confiance au nouvel homme fort comme en témoigne le fait qu’il a été fortement acclamé lors de sa rencontre avec ces derniers le 4 janvier dernier au palais du peuple. Qu’en pensent ses frères d’armes ?

En ce 6 janvier 2009, nous voici donc au camp Alpha-Yaya- Diallo, qui est pour le CNDD ce que le Conseil de l’entente fut pour le CNR : l’épicentre du pouvoir d’Etat, où ce natif de Nzérékoré (Guinée forestière) et ses collègues putschistes ont pris leur quartier. En cela, ils n’ont en rien innové, puisque Lansana Conté, depuis qu’il avait échappé au coup d’Etat manqué du 3 février 1996, avait abandonné le petit palais de Boulbinet pour s’établir dans cette caserne militaire. C’est ici donc que le nouveau patron reçoit ambassadeurs, ministres et envoyés spéciaux des chefs d’Etats.

Nous y avons retrouvé notre confrère Cheick Yerim Seck de Jeune Afrique, qui est bien connu par l’entourage du maître des lieux. Aux alentours de 13 heures, nous voilà dans l’antichambre des bureaux du capitaine. Si Yerim Sek, qui accompagnait une personne, était là pour « des raisons personnelle », nous y étions, nous, pour tenter d’arracher une interview. Lui d’ailleurs avait réalisé son entretien le 25 décembre, lequel était passé dans le dernier numéro de JA, que l’intéressé a distribué à quelques militaires proches du « patron ».

Signalons qu’ il fallait avoir le cœur bien accroché, car ça grouillait de soldats partout, kalachnikov au point, avec des lunettes noires et souvent un peu nerveux. Tous pratiquement font chorus derrière le nouveau patron. Plusieurs fois, on nous annoncera que nous allons le voir, puis plus rien. Finalement, nous nous en irons sans voir le capitaine Dadis.

On nous apprendra que grands et petits sont reçus là dans ce bureau, situé dans une grande bâtisse. Le 31 décembre dernier, il aurait dû même y recevoir le président Abdoulaye Wade, qui semble bien disposé à l’égard de la junte, depuis qu’il a reçu un coup de fil du capitaine l’appelant « PAPA ». Au finish, Gorgui ne fut pas au rendez-vous, ayant fait faux bond à la dernière minute. En lieu et place, c’est le Guide de la Révolution qui débarquera deux jours après en escale refueling, semble-t-il.

Nous voici dans le saint des saints. Mais sans avoir pu voir le chef. Tout juste avons-nous eu droit à quelques bribes d’informations. Il faut dire que la junte a d’autres chats à fouetter, car, avec la suspension de la Guinée par l’Union africaine et la condamnation du coup d’Etat par la communauté internationale (USA, UE..), elle doit manœuvrer dur pour se faire accepter.

De ce fait, le nouveau pouvoir « travaille » la France au corps pour qu’elle soit son avocat auprès de la communauté internationale. Ce qui explique par ailleurs le séjour du ministre français délégué à la Coopération et à la Francophonie du 3 au 4 janvier 2009 à Conakry ; par ailleurs, on a assisté également à une tournée effectuée par le numéro 2 du CNDD et par ailleurs ministre de la Sécurité, le colonel Mamadouba Totto Camara, dans la sous-région.

Et même que le capitaine Dadis Camara himself devait se rendre chez Blaise Compaoré le 1er janvier dernier à Ouagadougou, mais son déplacement a été reporté in extremis, « car trop précipité », nous apprend-on ici à Conakry. Sans oublier que le nouveau gouvernement du PM, Kabinet Kamara, appelé le 30 décembre à la rescousse, est très attendu au pied du mur. Son gouvernement devrait être connu cette semaine.

Et le Guinéen Lamda dans tout ça ? Engoncés dans une sorte de résignation quasi rédhibitoire qu’explique sûrement plus de 20 ans de « contisme », les Guinéens cultivent enfin l’espoir : « Nous espérons que Dadis fera avancer ce pays », nous confie Biyao, le taximan qui nous amène au camp Alpha-Yaya-Diallo, « Qui d’autres que les militaires pouvaient prendre le pouvoir ? ...les généraux se sont trop enrichis, il faut arrêter cela », dit, dépité, NDiaye, tenant d’une dibiterie sur l’avenue Diallo-Telly à côté du marché Niger.

Deux semaines après le début de cette transition militaire en Guinée, les militaires putschistes bénéficient donc d’un préjugé favorable, et ils gagneraient à résoudre les problèmes quotidiens de leurs compatriotes tout en ne faisant pas trop durer cette transition. Car la grande interrogation basique demeure toujours : la Guinée est-elle sortie de l’ornière avec ce deuxième coup d’Etat de son histoire ? Les prochains mois, le capitaine Dadis et ses compagnons nous fixeront.

Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana A Conakry

L’Observateur Paalga

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