LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Sylvia Serbin, auteur de "Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire" : "Les femmes noires ont toujours été dans les combats pour leur société"

Publié le mardi 25 novembre 2008 à 00h39min

PARTAGER :                          

Sylvia Serbin

La VIIIe édition de la Foire internationale du livre de Ouagadougou (FILO) a connu la participation de nombreux hommes de culture dont Sylvia Serbin, journaliste, historienne et auteur de "Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire" qui nous a accordé une interview le vendredi 21 novembre 2008
à Ouagadougou.

Sidwaya (S). : Qui est Sylvia Serbin ?

Sylvia Serbin (S.S.) : Je suis journaliste, historienne et auteur de "Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire".

S. : De quoi est-il question dans cet ouvrage au titre évocateur ?

S.S. : C’est un ouvrage qui relate la vie des femmes qui ont vécu de l’antiquité jusqu’au début du XXe siècle et qui ont marqué l’historie de l’Afrique et des peuples noirs en général. A titre illustratif, vous avez les portraits des reines qui ont véritablement dirigé des royaumes en Afrique. Entre autres, la reine Zinga d’Angola, la dernière reine du Sénégal et une reine de Madagascar.
En outre, des femmes d’influence comme cette grande commerçante nigériane du XIXe siècle qui avait le monopole du commerce d’huile de palme entre la Grande- Bretagne et le Nigeria ont œuvré pour le rayonnement de l’Afrique. Aussi, les amazones du Dahomey qui étaient des femmes guerrières ont vaillamment résisté à l’esclavage. Toute chose qui montre que même si on lui a toujours donné une image un peu effacée et un peu en retrait, la femme a toujours participé aux événements majeurs de sa société.

S. : Quelles ont été vos motivations dans la rédaction de cet ouvrage ?

S.S. : Les raisons sont multiples. Tout d’abord, il y a cette histoire de mon enfance au Sénégal puisque j’y suis née et y ai grandi. Les grands parents de mes camarades nous racontaient les histoires des grands royaumes de l’ancien temps et des grandes figures de l’Afrique. Ces récits m’ont beaucoup intéressée et ce fut une de mes passions.
Mais je n’ai plus jamais entendu parler de ces histoires.

En effet, l’historiographie occidentale qui dirige les études classiques nous faisait croire que les peuples de l’oralité n’ont que des mythes. Toute chose qu’une correspondance d’un officier français à sa hiérarchie dément. Un jour, alors que je travaillais sur des archives militaires du XIXe siècle, je trouvai la lettre dans laquelle, l’officier racontait que c’est une reine, la reine de Teyala du Walo, qui dirigeait la résistance contre les troupes de Faiherbe. Après lecture, je me suis dit que certainement, l’histoire de cette reine que j’avais déjà entendue n’était pas un mythe puisque les Blancs en parlaient.
Et à partir de cet instant, j’ai décidé de collecter toutes les informations de sources écrites et orales relatives aux personnages féminins qui ont marqué l’histoire de l’Afrique.

Ce fut le point de départ de "Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire". Ce qui m’a poussée à en faire un livre, c’est la question que ma fille m’a posée un jour alors qu’elle venait de suivre un dessin animé sur l’histoire d’une princesse indienne. Perturbée, elle me dit : "Tous les grands pays ont des personnages célèbres : Jeanne d’arc, la reine Victoria en Angleterre et même les Indiens ont Poka Antas... et nous ? Est-ce qu’on n’existait pas avant ?"
Cette question m’a beaucoup interpellée parce que l’Afrique est le continent le plus anciennement peuplé de l’humanité et voilà qu’aujourd’hui , les afrodescendants pensent qu’ils ont dû arriver après les autres peuples. C’est parce qu’il n’y a rien dans l’histoire qui symbolise des références de personnages importants d’Afrique. Pour combler ce vide historique, j’ai écrit "Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire".

S. : "Reines d’Afrique" est-il un ouvrage qui participe de la promotion de la femme ou de la réhabilitation de l’image de la femme noire ?

SS. : C’est une forme de réponse aux femmes du monde entier qui pensent que ce sont les Européennes qui ont aidé les femmes noires à atteindre un certain niveau. Dans les années 70, lorsque le féminisme occidental prenait de l’ampleur, je me rappelle, j’étais à l’université à Paris où des dames blanches, des intellectuelles nous incitaient à la révolte. Pour elles, les femmes noires sont infériorisées dans des sociétés qui ne les considéraient pas. Contrairement à ce qu’elles pensaient, les femmes noires étaient plus féministes que ces Européennes qui n’ont eu le droit de vote qu’en 1945 pour certaines. "Reines d’Afrique" vient également dire à nos jeunes filles et femmes d’aujourd’hui qu’elles doivent prendre l’exemple de leurs ancêtres qui ont relevé avec courage le défi de l’histoire. Elles doivent s’affirmer davantage pour mieux relever le défi de celles qui ont vécu avant elles.

S. : Quel sens donnez-vous à la FILO et au thème de la VIIIe édition qui, quelque part, vous interpelle ?

S.S. : J’ai été très honorée par l’invitation du ministre de la Culture, du Tourisme et de la Communication et de toute son équipe qui ont manifesté leur soutien à la femme de culture que je suis. En même temps, j’ai trouvé courageux qu’un pays malgré les difficultés actuelles sur le plan international (crise financière et difficultés pour nos pays), continue de promouvoir la culture, la littérature qui est un vecteur important pour la jeunesse.

Le thème de la FILO 2008 qui est un pont dressé entre l’Afrique et la diaspora des Antilles est très important. Il intervient après la mort de Césaire qui a eu des hommages, un peu partout dans le monde. Ce qui est une bonne chose d’autant plus que le thème a été choisi avant sa mort. Aussi sommes-nous très contents de célébrer l’avènement d’un Obama, notre jeune frère, qui dirige le pays le plus puissant du monde. Je pense que c’est aussi l’aboutissement du combat mené par Césaire, Senghor qui nous ont appris à relever la tête après des siècles d’esclavage de colonisation, de clichés négatifs sur la race noire, à relever la tête, retrousser les manches et montrer que nous sommes à égalité dans ce monde d’échanges et dans toutes ces civilisations où nous avons notre place.

S. : Que représente Césaire pour les Antillais ?

S.S. : Césaire a été contesté par les jeunes générations. Ce qui est normal car on veut toujours tuer le père (complexe d’Œdipe).

Mais il demeure ce jeune homme noir qui dans les années 30 est allé en Europe poursuivre ses études. Là il se trouva confronté au racisme. C’était un moment important parce que ce fut le déclic. Il commençait, en effet, à se poser des questions sur d’où il venait, trouver ses racines africaines et trouver cette force dans ses recherches pour donner au peuple noir la volonté de résister à tous ces clichés qu’on avait forgés sur eux. On a voulu faire de nous, une race infériorisée, incapable de se mettre au même niveau que le reste du monde.
Césaire a dénoncé cela. Il a été le premier à utiliser des mots si forts pour mettre l’Occident face à ses responsabilités. Il leur a fait comprendre qu’ils n’avaient plus le droit de continuer de maintenir dans la servitude intellectuelle et morale une partie de l’humanité. Ce qui a donné des armes aux générations suivantes pour lutter contre tout cela.

S. : Pensez-vous que les Africains et les Antillais ont une chance de s’en sortir dans ce monde de tourmentes économiques ?

S.S. : Je pense qu’il ne faut même pas qu’on se focalise sur notre nature de noirs ou d’africains ou d’antillais. Nous sommes dans un monde globalisé et chacun doit prendre sa part dans la construction de ce monde. Le travail que j’ai fait, montre qu’avant la colonisation, il existait de grands royaumes et que le continent africain se suffisait à lui-même. Pendant des millénaires, il n’a pas attendu la France ou l’Occident pour le nourrir, pour faire vivre ses populations. C’est donc un continent plein de vitalité qui a trouvé en lui-même des forces pour continuer à conduire ce monde. Je pense que nous devons retrouver cette force qu’avaient nos ancêtres et montrer que nous sommes capables de conduire nos affaires. L’exemple d’un Obama peut nous servir à nous dire que nous pouvons faire la même chose mais pour nos pays. C’est pour cela que des gens comme Césaire ont éclairé nos idées. L’hommage qu’on peut leur rendre c’est de retrouver le sens de nous-mêmes et de nous mettre au travail.

S. : "Reines d’Afrique" couvre l’antiquité jusqu’au début du XXe siècle. Et les XXe et XXIe siècles ?

S.S. : Je travaille actuellement sur un deuxième livre qui parle des pionnières noires du XXIe siècle. Ce sera également le portrait de femmes de différents pays du monde, des femmes noires toujours qui ont participé aux grands mouvements politiques d’affirmation des noires, c’est-à-dire la lutte contre la colonisation, la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, la lutte pour la visibilité des Noires. Cela pour apporter des références aux gens du monde entier. C’est un témoignage qui va montrer que les femmes noires ont toujours été présentes dans les combats pour leur société.

Une interview de Boubakar SY et Nongzanga Joséline YAMEOGO Stagiaire)

Sidwaya

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Dédougou : Le FESTIMA 2024 officiellement lancé