LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Marie Aminata Ouédraogo-Masi : « L’Internet est devenu indispensable même dans l’artisanat »

Publié le mercredi 5 novembre 2008 à 09h54min

PARTAGER :                          

Marie Aminata Masi-Ouédraogo

Le SIAO bat son plein depuis le 31 Octobre et se poursuit jusqu’au 09 Novembre 2008. Visiteurs et acheteurs professionnels y sont au rendez-vous. Pour les professionnels le salon a gagné en maturité dans l’organisation mais les artisans ne suivent pas toujours le mouvement de la modernité. Cela se ressent surtout dans les transactions selon la franco-burkinabè Marie Aminata Ouédraogo-Masi, acheteur professionnel et propriétaire dune galerie à Paris, la galerie Princesse Yennega.

Lefaso.net : Dites-nous qui est Madame Masi ?

Marie Aminata Ouedraogo-Masi : Je suis Madame Marie Aminata Ouedraogo-Masi. Je vis à Paris et je suis propriétaire d’une galerie dans le douzième arrondissement. C’est une galerie qui cherche à faire la promotion de l’artisanat et de l’art contemporain burkinabè. Je l’ai ouvert en 2005. C’est mon occupation à temps plein. Nous sommes deux à gérer cet espace.

Lefaso.net : Depuis quand évoluez- vous dans ce domaine ?

Marie Aminata Masi Ouédraogo : Depuis 2005. J’ai commencé à travailler dans ce domaine par l’ouverture de cette galerie. Avant cela, j’avais un parcours tout à fait classique de consultante en gestion des ressources humaines pour de grands groupes Français. Puis à un moment donné, j’ai décidé de me réorienter et de m’intéresser plus particulièrement à l’aspect artistique et artisanal du Burkina Faso.

Lefaso.net : Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à embrasser spécifiquement et exclusivement l’art et l’artisanat ?

Marie Aminata Masi Ouédraogo : C’est le résultat d’un parcours tout à fait personnel, d’un cheminement. En tant que métis franco-burkinabè mais ayant toujours été élevée en France, j’ai ressenti le besoin de me rapprocher de mes racines burkinabè. Pour moi, l’art et l’artisanat ont été des sentinelles qui m’ont permis de faire le pont entre la France et le Burkina. C’est la raison pour laquelle, je me suis intéressée particulièrement à ce domaine. Et de manière encore plus anecdotique, c’est au moment de mon mariage où on m’a offert de nombreux objets d’artisanat d’art et plusieurs toiles de peintres contemporains burkinabè. J’ai vraiment mesuré à partir de là l’ampleur de la richesse de ces artisans, de ces plasticiens. Cela m’a vraiment donné l’envie d’essayer de les promouvoir dans cet espace à Paris.

Lefaso.net : Que peut-on bien trouver dans cette galerie Princesse Yennéga ?

Marie Aminata Masi Ouédraogo : Cette galerie se divise en deux espaces : un espace qu’on qualifiera de boutique où on peut trouver tout ce qui est objet d’artisanat. il y a beaucoup de bronze du Burkina mais également de la vannerie, des masques, des bizous, des tissus, des sculptures en bois ; bref tout ce qu’on peut trouver au village artisanal de Ouagadougou ou encore au SIAO. Ça, c’est le côté boutique. En progressant, on a l’espace galerie qui est dédié à l’art contemporain africain plus particulièrement et même essentiellement burkinabè. Là on expose des peintres comme Christophe Savadogo, Bernard Bationo ou encore Marie Blanche Ouédraogo... on essaie ainsi de promouvoir leur image à travers notre travail de communication, à travers des expositions monographiques, thématiques et donc l’organisation de vernissages.

Lefaso.net : Comment arrivez-vous à vous approvisionner ?

Marie Aminata Masi Ouédraogo : En général, je profite du SIAO pour faire mes achats, pour prendre des contacts. En dehors des périodes du SIAO, j’ai une structure ici pour le relais et qui passe les commandes avec les artisans et procède à l’expédition en direction de Paris. Ça c’est pour la partie achat. Pour la partie galerie, on a des partenariats avec les artistes qu’on expose, qui nous font confiance. En contre- partie, ils nous prêtent des toiles et ainsi la galerie acquiert des œuvres. C’est ainsi que nous constituons nos expositions. On a à cœur d’essayer de valoriser l’art contemporain burkinabè. Par conséquent, il faut qu’on aide d’une certaine manière les plasticiens en valorisant leurs œuvres. Cette valeur leur permet de continuer à créer.

Lefaso.net : Dites-nous, Madame Masi Ouédraogo, il n’y a que des œuvres venant exclusivement du Burkina dans votre galerie ?

Marie Aminata Masi Ouédraogo : Oui on peut le dire. Elles viennent quasi-exclusivement du Burkina. Mais parfois au sein de cette galerie, on décide de faire la carte du métissage. On peut exposer d’autres peintres qui ont un lien avec l’Afrique. Il est intéressant d’avoir des regards croisés. Il nous est arrivé d’exposer par exemple un photographe européen, Français ayant un regard pertinent sur l’Afrique qui avait fait une série de photographies sur le Mali. Ce fut une expérience très enrichissante.

Lefaso.net : En tant que professionnelle de l’art et de l’artisanat africain quel regard portez- vous sur les différents objets artistiques exposées au SIAO ?

Marie Aminata Masi Ouédraogo : Il y a du tout. Je regarde ce qui est exposé en fonction de mon propre prisme, c’est-à-dire en fonction de ce que je recherche. Et ce que je recherche c’est valoriser l’artisanat du pays des hommes intègres. Je veux les présenter à Paris dans une vitrine qui leur rend hommage, c’est-à-dire qu’on a une conception relativement élitiste des choses. On essaie de montrer aux gens que ce qu’on fait au Burkina, ce n’est pas de petits trucs qu’on fait au bord du goudron, c’est un vrai savoir faire. Il y a beaucoup de travail de conception, de réalisation. Par conséquent quand je me promène dans les allées du SIAO, j’ai un regard très sélectif. Je ne sélectionne que des choses qui correspondent à un véritable travail et j’ai besoin de savoir quelle est l’histoire du produit que je vais sélectionner, à quoi il correspond. C’est ce que mes clients demandent lorsqu’ils viennent dans ma galerie. Ils ne viennent pas acheter simplement un objet parce qu’ils veulent faire un cadeau. Ils viennent aussi pour trouver un accompagnement, des explications, disons ce que leur transmet l’artisan. J’essaie en fait d’être le porte parole de ce savoir faire. Par conséquent, je ne sélectionne que les meilleurs.

Lefaso.net : Qu’avez-vous trouvé de meilleur actuellement ?

Marie Aminata Masi Ouédraogo : Ca fait un bon temps que je travaille avec un artisan qui fait des pintades en terre cuite. Pendant ce SIAO, je découvre qu’il a élargi sa gamme et maintenant, il fait des poules en terre cuite. C’est une innovation qui m’a épatée. J’ai aussi apprécié les colliers en perles de verre, en perles de terres cuites que j’ai vus avec un groupe de femmes. Ce sont des perles traditionnelles qu’elles fabriquent elles mêmes. C’est très original et ça m’a emballée. Il y a aussi une série de sacs en wax et en Bazin pour remplacer les sachets plastiques. Vous savez que le monde est atteint de cette maladie de sachets plastiques qu’on a décidé de combattre. J’ai trouvé ça très original et très bien ressenti par ce groupe avec lequel je travaille depuis quelques temps. J’ai aussi été très intéressée par tous ceux qui travaillent sur le coton biologique ou le textile biologique. Ceci est un axe de développement très intéressant. Pour tout ça, je dis que le SIAO est très bien. Il y a aussi des choses qui ne correspondent pas du tout à ce que je recherche. Je recherche des choses qui sont de qualité, des nouveautés surtout.

Lefaso.net : Peut-on donc dire que le SIAO a gagné en maturité ?

Marie Aminata Masi Ouédraogo : Bien sûr, même dans la manière dont les choses sont organisées. Il y a une prise de conscience qu’il y a des acheteurs et il faut leur donner ce qu’ils viennent chercher dune part et aussi qu’il faut les surprendre d’autre part en proposant des nouveautés. Certains artisans l’ont compris et arrivent à très bien le faire. Pour les acheteurs professionnels que nous sommes, qui avons l’habitude de beaucoup circuler et de voir plein de choses, être surpris dans un salon, c’est de bon augure parce qu’on a tendance à être saturé.

Lefaso.net : L’art nourri difficilement son homme au Burkina, peut-on dire la même chose de la France, votre premier pays ?

Marie Aminata Masi Ouédraogo : Les choses sont un peu difficiles partout pour les artisans et pour les artistes. C’est seulement le statut qui change. En France, l’artiste a un statut relativement valorisé. Même au niveau institutionnel, il y a des budgets conséquents pour la promotion de l’art contemporain. De ce fait, l’artiste a parfois un statut enviable. L’artisan aussi d’une certaine manière. De nombreuses structures travaillent à la promotion de l’artisanat et le message qu’on fait passer c’est que l’artisanat est le résultat d’un véritable savoir faire. Il y a même un élitisme de l’artisanat d’art. En revanche depuis un certain temps les choses sont difficiles d’un point de vue économique pour les artisans et les artistes. Ils ont beaucoup de mal à vendre leurs œuvres. Ceux qui ont connu des périodes de prospérité connaissent actuellement des périodes de vaches maigres.

Lefaso.net : Parlant économie, nous vivons une période de crise financière, est-ce qu’elle se ressent sur le salon ?

Marie Aminata Masi Ouédraogo : Très clairement. Cela se ressent et à tous les niveaux. Pour moi, ce SIAO est un salon qui marque un peu le pas. Naturellement, en tant qu’acheteur je viens avec des prévisions d’achat moindres par rapport à l’édition précédente. La crise financière a provoqué une crise économique dans la sphère européenne puis mondiale. Par conséquent, nous acheteurs professionnels nous hésitons à engager d’énormes lignes de trésorerie parce qu’on ne sait pas si la clientèle sera finalement au rendez-vous. On a tendance à acheter moins ou à être plus exigeant. On peut résumer les choses en disant : « less is more ». Il faut qu’on ait des choses très pointues au bon prix si non on laisse tomber.

Lefaso.net : Quelle appréciation faites-vous de l’organisation ?

Marie Aminata Masi Ouédraogo : J’ai été agréablement surprise sur des détails très anecdotiques comme par exemple des badges. Même le design a changé. Ça donne le ton sur le travail professionnel qui a été abattu. L’édition passée je m’étais plainte auprès d’un cabinet qui avait été chargé de faire un audit sur l’organisation. Je m’étais plainte sur le manque d’aide logistique à l’expédition pour les acheteurs professionnels. Cette année, tout est parfait pour l’instant. J’ai été agréablement surprise côté achat, j’espère que je n’aurai pas à me plaindre pour le côté expédition également.

Lefaso.net : Que faut-il aux artisans pour l’amélioration de leur productions et pour suffisamment s’ouvrir aux marchés internationaux avec professionnalisme ?

Marie Aminata Masi Ouédraogo : Côté organisation, RAS. Par contre pour les artisans il y a des choses à améliorer. Pour nous acheteurs professionnels, nous avons certains réflexes d’achat et d’organisation. Ce n’est pas pour nous faire plaisir mais parce qu’ils correspondent à la marche du monde. Travailler avec des artisans qui n’ont pas accès à Internet, c’est rédhibitoire. On ne peut pas continuer à faxer des commandes qui sont plus ou moins lisibles. On a besoin d’échanges par internet. Par e-mail, on envoie nos commandes, par e-mail les artisans peuvent nous faire leurs propositions. Les négociations par e-mail sont d’une souplesse et d’une fluidité extraordinaires. On a de moins en moins de temps. On ne peut pas continuer à travailler avec le fax qui prend énormément de temps (environ 3 semaines). L’Internet est devenu indispensable même dans l’artisanat, surtout dans l’artisanat.
On a aussi l’impression que pour acheter au SIAO, il faut venir avec une mallette de billets. Pourtant la plupart des transactions se font maintenant par carte de paiement. L’organisation doit creuser dans ce sens pour nous faciliter les taches. Pire certains artisans n’ont même pas de compte bancaire, c’est compliqué. Pour pérenniser les relations, on ne peut pas toujours passer par Western Union, c’est onéreux et archaïque. Les artisans doivent donc passer à plus de professionnalisme.

Lefaso.net : Le mot de fin ?

Marie Aminata Masi Ouédraogo : La galerie Princesse Yennega est située à Paris XIIe. Tout burkinabè basé à Paris ou de passage peut passer voir comment sont valorisés les produits d’artisanat d’art du Burkina ainsi que les artistes burkinabè contemporains. Ce sont des artistes qui ont énormément de talent et de pertinence. Ils ne sont pas des artistes seulement ancrés dans le contexte burkinabè, ils interrogent aussi l’universel. C’est très important de savoir interroger l’universel tout en manifestant son appartenance à une culture, c’est la caractéristique des peintres que nous exposons à la galerie Princesse Yennéga. Tous ceux qui s’intéressent à la culture burkinabè peuvent y faire un tour.

Interview réalisée par Moussa DIALLO
Lefaso.net

P.-S.

Lire aussi :
SIAO 2008

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina : Une économie en hausse en février 2024 (Rapport)