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Déchets toxiques : Le procès de la déchéance morale

Publié le mardi 21 octobre 2008 à 03h25min

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La Côte d’Ivoire est en campagne électorale et les états-majors des partis politiques sillonnent monts et vallées pour vendre au mieux leurs projets de société. Pourtant une catastrophe écologique et humanitaire s’annonce et personne ne semble s’en soucier. Le procès des déchets toxiques qui devrait attirer l’attention de tous les Ivoiriens est relégué au second plan au profit de l’activisme politique.

Le procès des déchets toxiques s’est ouvert devant la cour d’assises d’Abidjan le 29 septembre 2008. Cette scandaleuse affaire remonte au 19 août 2006.

Cette nuit- là, 580 m3 de déchets toxiques ont été déversés dans au moins dix-sept points différents de la ville d’Abidjan. Aussitôt après, une forte odeur monte au ciel, devient irrespirable et même mortelle. Dans la ville s’élèvent des cris de douleur. La panique s’empare de tout Abidjan.

Le coupable de cet ignoble forfait est vite trouvé. C’est la société Tommy. C’est elle qui a déversé les déchets toxiques au travers de la ville. Pour le moment, il y a tellement de zones d’ombre que seul le procès ouvert le 29 septembre 2008 permettra de les éclaircir. Pourquoi avoir fait ça ?

Quelles étaient les réelles intentions de cette forfaiture ? De quelles complicités les bandits environnementaux ont-ils bénéficié et moyennant quoi ? Voilà autant de questions dont les Ivoiriens aimeraient avoir les réponses. A l’ouverture du procès, l’atmosphère était tendue. Mais l’autorité et l’expérience du magistrat Mathurin N’Zi ont permis de ramener le calme et la sérénité dans la salle d’audience. La lecture de l’acte d’accusation a permis à l’auditoire de connaître les motifs de l’inculpation des 12 accusés dont 9 seulement étaient à la barre.

En fait, tous sont poursuivis pour les mêmes motifs : infraction aux lois portant codes de l’environnement et de la protection de la santé publique contre les effets des déchets industriels, toxiques et nucléaires et des substances nocives. A la barre, deux accusés comparaissent : il s’agit de Salomon Ugborugbo, directeur général de Tommy et de Essain Koua dit Désiré de la Société Waibs.

Pour mieux suivre le débat, il faut signaler que ces deux personnes ont été contactées par Trafigura, une société basée à Londres par l’intermédiaire de N’Zi Kablan, son représentant à Abidjan.

Trafigura voulait décharger des slops (eaux souillées des navires) et cherchait un consignataire de son navire, le Probo Koala, dans la capitale économique ivoirienne. Essain Koua, qui a eu vent de l’Affaire, va trouver N’Zi Kablan pour lui dire qu’il a déniché une société capable de décharger les slops.

Il s’agit de Tommy. Entre-temps, pour préparer les esprits, Trafigura dira que les slops en question contiennent des produits toxiques qui nécessitent des traitements spéciaux. Le DG, sentant la bonne affaire, brandit des documents signés par le ministre des Transports selon lesquels sa société peut traiter les déchets en question.

Il donne même l’assurance qu’après traitement les déchets seront entreposés dans un site bien aménagé. La suite de l’histoire, on la connaît. Crapuleusement, la Société Tommy ira dans la nuit du 18 au 19 août pomper la pourriture du Probo Koala qu’elle fera transporter par des camions-citernes pour être déversés dans différents quartiers de la ville d’Abidjan. Le bilan est lourd : dix-sept (17) morts et cent mille (100 000) personnes intoxiquées, sans oublier les conséquences écologiques désastreuses.

A la barre, le DG de Tommy prétend qu’il a été induit en erreur, parce qu’il ne connaissait pas la dangerosité du produit qu’il est allé déverser. Il reconnaît néanmoins devant le tribunal qu’il a senti que c’était une affaire de gros sous.

Selon ses propres aveux, le directeur du Centre antipollution, monsieur Doh André, lui a fait savoir que l’affaire ne le concernait pas, parce que c’était une affaire de milliards. Mais le DG de Tommy de conclure qu’il n’a pas encore perçu les 9,5 millions de Francs CFA qu’on lui doit pour l’enlèvement des déchets toxiques.

A l’audience du 6 octobre comparaissaient à titre de témoins deux éminentes personnalités. Il s’agissait du directeur général du Port autonome d’Abidjan (PAA), monsieur Marcel Gossio, et de l’ex-directeur général de la douane, monsieur Gnamien Konan. Le premier témoin à comparaître était le DG du PAA.

Pour monsieur Gossio, une des étoiles de la galaxie Gbagbo (1), ce n’est que le 20 août 2006 qu’il sera informé de la situation, et c’est le 21 août qu’il recevra, dans son bureau, le directeur du centre antipollution et le commandant du Port qui viendront confirmer les faits.

Selon le sieur Gossio, les documents qui lui ont été soumis n’indiquaient pas la nature exacte du contenu du Probo Koala. Pour s’en laver les mains, le DG du Port avance qu’il revenait au directeur du centre antipollution de faire des analyses appropriées pour détecter la nature du produit.

Quant à l’ex-directeur général des Douanes, il adoptera lui aussi la tactique de son devancier. La douane est là pour faire rentrer l’argent dans les caisses de l’Etat, elle n’a donc pas vocation à vérifier les produits chimiques. Ici comme ailleurs, les bancs sont fermés.

On passe aux suivants. Outre les accusés et les témoins, sont convoqués aussi à la barre les experts scientifiques pour qu’ils donnent leur avis. A écouter ces hommes exposer leurs sujets devant les jurés, on ne peut s’empêcher d’avoir des sueurs froides. Comment vivre aujourd’hui à Abidjan ? Comment manger et boire sans risque de se voir contaminer ?

Pour le docteur Sangaré Tigori, toxicologue, à moyen et long terme le taux d’avortements des femmes se trouvera anormalement élevé. On constatera beaucoup d’anomalies et de malformations chez un nombre élevé de nouveau-nés. Les cancers seront de plus en plus dépistés chez de nombreux patients.

Quant à monsieur Yao Kouamé, spécialiste en pédologie et aménagement des sols, la forte concentration des déchets en plomb, en souffre, etc. présente des dangers réels pour la population ; il a souligné qu’il y a également des risques sérieux de voir la nappe phréatique contaminée par les déchets toxiques.

Fait notoire dans ce procès, Trafigura, pourtant au courant de cette affaire, ne comparaît pas à la barre ni en tant que témoin, ni en tant qu’accusé. Pour éviter toute poursuite judiciaire, elle a payé 100 milliards de francs CFA à l’Etat ivoirien au titre des dommages et des réparations de tous ordres.

Ainsi va l’Afrique. A l’audience du mercredi 16 octobre, elle a cependant produit une lettre qui a été lue publiquement. Cette lettre est une charge supplémentaire à l’égard de la Société Tommy qui était bel et bien au courant de la nature des déchets. Suspendu après l’audience du mercredi, le procès a repris hier lundi 20 octobre.

Jules Ouédraogo à Abidjan

L’Observateur Paalga

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