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Dépôt d’ordures près de la tombe de Thomas Sankara : Une honte nationale

Publié le mercredi 15 octobre 2008 à 07h15min

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« Thomas ne peut pas être enterré ailleurs qu’au cimetière des militaires. Le Front populaire va d’ailleurs prendre les dispositions pour cela. » C’est l’engagement pris par le Capitaine Blaise Compaoré, quelques deux semaines après son accession au pouvoir suite à l’assassinat du Président Thomas Sankara, dans une interview qu’il a accordée à l’hebdomadaire Jeune Afrique.

Cela fait bientôt 21 ans et cet engagement devant l’opinion publique nationale et internationale semble être renvoyé aux oubliettes. Le Front populaire a disparu du paysage politique Burkinabè sans avoir tenu la promesse de son chef. Celui-ci demeure encore, 21 ans après, Président du Faso, auréolé depuis décembre 1991 de la tunique de démocrate. Ce n’est donc pas le temps qui a manqué. Puisque le camarade Capitaine Compaoré a eu le temps, après avoir pris une disponibilité de l’armée, de passer à « son excellence Monsieur Blaise Compaoré ». Sankara, lui, est mort militaire. Il est, jusqu’à preuve du contraire, enterré à Daghnoën et non au cimetière des militaire.

Le Front populaire et son Président n’ont pas pris les dispositions promises pour transférer la dépouille mortelle de Sankara au Cimetière militaire. Mais, cela aurait été sans intérêt si la dernière demeure du Président Sankara reflétait son statut de chef de l’Etat. C’est du reste le seul Président Burkinabè qui est mort dans ses fonctions. Logiquement, il aurait du avoir une sépulture à la hauteur de la fonction de Chef de l’Etat. Malheureusement ! Malheureusement encore !

Le cimetière de Daghnoën, où il a été inhumé (officiellement c’est là que ceux qui l’ont éliminés l’ont enseveli la nuit même de son assassinat avec ses douze compagnons) est aujourd’hui un véritable dépotoir d’ordures. Sans respect aucun pour nos morts et leurs dernières demeures, des individus transportent des ordures de toutes sortes pour les déposer dans le cimetière. Le passant ou le visiteur des lieux, se surprend de constater, la mort dans l’âme, que jusqu’au pied de la tombe du premier Président du Faso (c’est sous Sankara que la Haute-Volta est devenue Burkina Faso), des individus sans foi ni loi déversent des ordures. Ironie du sort ?

Sankara qui avait fait de la salubrité publique l’un des axes forts de sa politique nationale, doit dans son repos éternel, cohabiter avec des tas d’immondices. Si c’est pour lui faire mal jusque dans sa tombe, l’on peut dire que ces individus ont réussi. Mais Sankara, lui est mort. On ne peut pas lui faire plus de mal que de l’avoir assassiné et diabolisé. Ceux qui souffrent encore plus de cette situation ce sont surtout les riverains qui constatent avec amertume que les ordures des autres sont déversées à leurs portent avec toutes ses odeurs nauséabondes surtout en saison des pluies.

Courant septembre des riverains de ce cimetière, ont publiquement interpellé les autorités communales de Ouagadougou sur leur détresse. Après ces interpellations nous sommes rendus sur les lieux pour constater de visu la réalité. Une fois sur les lieux, et dépité, nous réalisons que l’interpellation des riverains doit aller au-delà des autorités communales.

Le drame qui se joue à Daghnoën est une honte nationale et doit interpeller la conscience collective. Car, au-delà du cri de l’appel au secours de citoyens de la Commune de Ouagadougou à leurs gouvernants locaux, le fait que la tombe d’un ancien chef de l’Etat, quel qu’il soit, se retrouve non entretenue et à côté des tas d’immondices est moralement inacceptable et politiquement incorrecte. Il ne s’agit pas ici d’aimer Sankara ou non. Il a été Premier ministre et Président du Burkina Faso, donc a occupé les plus hautes fonctions de l’Etat. Mieux encore, il reste aux yeux de beaucoup de Burkinabè et non burkinabè celui qui aurait suscité tant d’espoir pour son pays, pour l’Afrique. C’est certainement pour toutes ces raisons qu’il a été élevé à titre posthume, à la dignité de héro national. Comment comprendre que malgré tout cela, il faille, frayer difficilement son chemin entre des herbes sauvages et des touffes de buissons, marcher sur des immondices pour pouvoir s’incliner sur sa tombe ? Même les Sankaristes ne semblent s’y intéresser que le temps de commémorer les anniversaires de son assassinat. D’aucun diraient que c’est déjà bon mais certainement insuffisant.

Bref, peu importe maintenant où il est enterré, cimétière militaire ou Daghnoën, le lieu où repose un ancien chef d’Etat d’un pays qui se respecte doit être tout sauf un dépotoir d’ordures. Ça devrait être une affaire d’Etat. Ce qui se constate à Daghnoën porte une atteinte grave à son image du Burkina Faso. La propreté autour de la tombe de Sankara, ce n’est pas une affaire des sankariste qui d’ailleurs n’y vont que les 15 octobre. La peinture défraichie, l’environnement répugnant du fait des ordures sont des signes que depuis l’historique liesse populaire du 15 octobre 2007 à l’occasion de la commémoration du vingtième anniversaire de son assassinat, peu de monde s’est bousculé en ces lieux.

Ce mercredi 24 septembre, quand nous sommes arrivés aux pieds des 13 tombes, nous n’avons pas pu nous empêcher de nous interroger sur ce que l’Etat représente pour ce qui nous gouvernent. Quelle image croient-ils donner au Burkina quand ils ne sont même pas capables de donner une bonne sépulture à un ancien Président ? Croient-ils que les ressortissants des autres pays nous respecteront quand ils viendront trouver que celui qui reste l’un des fils les plus célèbres et les plus adorés, plus de vingt ans après sa mort, dort à jamais au milieu de poubelles sauvages ? Est-ce une légèreté, une méchanceté, ou une insouciance à la limite de l’inconscience ? C’est simplement révoltant et il faut que tous les Burkinabè qui aiment réellement ce pays dénoncent cette situation avec la dernière énergie.

Peu importe que l’on ait aimé Sankara ou non de son vivant, qu’on l’ait connu ou pas, que l’on soit sankariste ou non. Il a été président de notre pays et à ce titre et par respect pour notre pays, nous ne pouvons pas accepter une telle injure à la mémoire collective. Ce n’est parce que c’est Sankara. Autant l’on doit le faire pour Sankara autant nous devons être capables de le faire pour Maurice Yamégo, Sangoulé Lamizana, Saye Zerbo, Jean-Baptiste Ouedraogo, Blaise Compaoré et tous ceux qui viendraient à présider aux destinées de ce pays. Pour avoir dirigé ce pays, chacun de ses hommes doit avoir, quand viendra l’heure du repos éternel, une dernière demeure à la hauteur de la fonction présidentielle qu’ils ont occupée.

La meilleure diplomatie est d’abord celle liée aux comportements, à l’image de notre pays et de nous-mêmes que nous donnons aux autres. En permettant à des individus sans morale ni éthique ou à des incultes de jeter les ordures jusqu’à une dizaine de mètres de la tombe de Thomas Sankara, c’est l’image de notre pays que nous jetons à la poubelle. Souvenons-nous que beaucoup de visiteurs de ce pays demandent à voir la tombe de Thom Sank quand ils viennent pour la première fois dans ce pays. Souvenons-nous aussi que nous ne sommes que des mortels et que personne ne souhaite être enterrés dans un dépotoir. Ne perdons pas notre humanisme et notre humanité.

Cherchons-nous, comme dirait l’autre. Mais nous ne nous trouverons jamais tant que nous ne sacraliserons pas le respect du aux défunts qui le méritent. Et la mémoire de notre défunt Président mérite respect ! Nos inimitiés et nos propres ressentiments ou calculs politiques, ou encore nos boulimies ne doivent nous conduire à perdre notre dignité et notre lucidité. Du reste, l’Etat ne saurait souffrir des infantilités ou de l’inconscience de qui que ce soit. Le cas du cimetière de Daghnoën et de la tombe de Thomas Sankara interpelle individuellement et collectivement l’ensemble des citoyens et des autorités au plus haut niveau de ce pays : le Président du Faso, le Premier ministre et son gouvernement, les députés toutes tendances confondues, toutes les institutions républicaines, les organisations socioprofessionnelles, les communautés religieuses et coutumières, les partis politiques, les médias.

Veillons à ce que jamais, un président de ce pays quelles que soient les conditions dans lesquelles il perd la vie, ne subissent pas les mêmes diabolisations « post-mortum » que Thomas Sankara. L’Etat doit veiller à ce qu’il leur soit réservé une dernière demeure digne de l’image que nous voulons donner de notre si beau pays.

Par Boureima Ouédraogo

Le Reporter

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Vos commentaires

  • Le 16 octobre 2008 à 15:51, par Pierre Jêkinnou, Béninois, Consultant. En réponse à : La tombe de Thomas Sankara au milieu d’imondices : Où est passée l’intégrité ?

    J’avais toujours été fier de citer ce pays ami qu’est le Burkina Faso comme exemple d’intégrité morale. J’avoue que cette fierté a du mal à survivre depuis ma dernière visite à Ouaga.

    En effet, j’ai été très déçu de constater que le Président Thomas Sankarra et les autres ont toujours et depuis si longtemps, leurs tombes dans un tas d’immondices !

    Il faut le voir pour y croire. Etre obligé de se boucher les narines et de choisir les espaces où déposer ses pieds si l’on veut visiter la tombe de celui qui a été et restera une référence de courage et de clairvoyance, un véritable Chef d’Etat.

    C’est très gênant comme témoignage du respect dû à un Chef d’Etat qui (en plus !) a conféré en héritage à son pays, le Burkina Faso, le label ’’pays des hommes intègres’’.

    La mémoire de Thomas Sankara et des autres ne mérite certainement pas un tel traitement de la part ni des autorités, ni de mes nombreux amis burkinabé qui ont toujours adulé (était-ce seulement en parole ??) ce héros national, que dis-je, ce héros africain.

    Le traitement fait à un Chef d’Etat (reconnu comme tel) est aussi un indicateur de la valeur qu’accordent à un pays, ses propres dirigeants.

    Quelle est la valeur d’un engagement pris devant l’opinion publique ?

    A quel niveau est ravalée l’intégrité ?

    Je voudrais continuer à citer le Burkina Faso en exemple en matière d’intégrité !

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