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CELEBRATION DU 15 OCTOBRE : A quand la réconciliation véritable ?

Publié le mercredi 15 octobre 2008 à 02h26min

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S’il existe une date qui ne fait pas l’unanimité dans l’esprit des Burkinabè, c’est bien celle du 15 octobre. Elle sépare, divise et fait se dresser deux camps qui se regardent en chiens de faïence, inflexibles, intransigeants et jusqu’au-boutistes, chacun emmuré dans ses convictions, chacun des camps s’étant persuadé que l’histoire lui donnera raison. La célébration de cette même date, il y a une année, a été l’occasion de se rendre compte à quel point le fossé qui les sépare est immense.

Alors que d’un côté, on acclamait avec force jubilation et liesse les "20 ans de la renaissance démocratique", de l’autre côté, on commémorait dans la tristesse et les larmes le "20e anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara". Une même date, deux célébrations, deux états d’esprit et peut-être même deux nations. Un immense gâchis, assurément. Car on aurait pu (dû) faire plus et mieux. On aurait dû saisir l’occasion des 20 ans de l’événement pour sceller une réconciliation vraie dans le coeur des Burkinabè et conduire ainsi la nation entière à un pardon sincère, condition sine qua non pour une paix durable qui apaise, console et réconforte. Tel n’a pas été le cas et aujourd’hui, avec le 21e anniversaire du 15 octobre 1987, s’ouvre un nouveau cycle du même anniversaire, fêté par les uns, pleuré par les autres, la nation toujours divisée en deux par le même fossé qui, au fil des ans, va, s’approfondissant et risque de se révéler infranchissable à plus ou moins long terme.

On doute que le Burkina ait vraiment besoin de cette intransigeance suicidaire. De Thomas Sankara, nul ne peut dire qu’il aura été un ange ou un saint. Des idées professées par l’homme demeurent après lui et se révèlent aujourd’hui d’une pertinence quasi prophétique, surtout dans le contexte actuel de crise du pouvoir d’achat que vient aggraver depuis peu le cataclysme financier qui secoue la planète entière. Mais le ventre mou du régime révolutionnaire aura été sans conteste celui des atteintes aux libertés et aux droits de l’homme. Thomas Sankara aura été un homme, tout simplement, avec ses forces et ses faiblesses, ses qualités et ses défauts, les défauts de ses qualités et les qualités de ses défauts. Lui dresser aujourd’hui le bûcher serait injuste. Tout comme il relèverait de la même injustice de lui ouvrir un procès de canonisation.

Bien aimée des dieux, la nation qui aura su aborder sereinement certains pics cruciaux de son histoire. Se refuser à le faire condamne à s’y voir obligé un jour ou l’autre. Le récent passé du Burkina révèle que deux moments propices se sont présentés pour une réconciliation salutaire pour tous les habitants de ce pays : la Journée nationale de pardon, en mars 2001 et le 20e anniversaire du 15 octobre, il y a une année. Deux occasions que l’on a, sinon refusées, du moins, peu considérées, et dans tous les cas, pas suffisament mises à profit. Par intransigeance et inflexibilité, toutes procédant d’un manque de tolérance ainsi que d’un hyper égoïsme avérés. De grandes nations, de par le monde, ont eu, au cours de leur histoire, de difficiles caps à surmonter. La France de Louis XVI a connu sa révolution et ses tourmentes, l’Angleterre, la décapitation de Charles I par Cromwell et ses sans-culottes. L’Amérique encore frêle a enduré sa guerre de sécession. Bien d’autres pays avant ou après eux, ont dû affronter de grosses tempêtes qui affectèrent profondément la marche de leurs nations.

De graves problèmes peuvent se poser dans l’histoire d’un pays. Toute la question réside cependant dans la manière dont on s’y prend pour les résoudre. C’est connu, le Burkinabè s’est fait une réputation désormais légendaire : courageux, travailleur, respectueux de l’autorité. Il est cependant radical et inflexible lorsque l’occasion se présente. Et c’est bien là que réside le danger. Comment concilier les inflexibilités de camps si opposés, pour que naisse une réconciliation qui réunisse les uns et les autres autour de l’essentiel ? Comment, quand, par quels moyens, et avec quels acteurs ? L’entreprise ne sera sans doute pas une sinécure, mais toute nation est amenée, à un moment ou à un autre de son histoire, à accomplir des exploits. Ne serait-ce que pour sa propre survie, tout simplement. Il lui faut alors se faire le devoir de se poser courageusement les questions difficiles, dans le but de les affronter, en toute vérité, sans complaisance.

Qu’est-ce qui conduisit au résultat mitigé de la Journée nationale de pardon ? On se rappelle qu’au soir du 30 mars 2001, devant une foule venue de toutes les provinces du Burkina Faso, à laquelle s’étaient jointes autorités coutumières, religieuses et politiques, le chef de l’Etat s’était adressé à l’ensemble de la nation en ces termes : " Peuple du Burkina Faso, en cet instant solennel, en notre qualité de président du Faso assumant la continuité de l’Etat, nous demandons pardon et exprimons notre profond regret pour les tortures, les crimes, les injustices, les brimades et tous autres torts commis sur des Burkinabè par d’autres Burkinabè". La cérémonie a certes eu lieu. Mais déjà à l’époque, la procédure a fait l’objet d’une controverse, avec ses partisans et ses adversaires. Et chaque année qui passe, la date du 15 octobre est l’occasion de griefs, d’angoisses, de tourments et de discours peu conciliants.

C’est un devoir pour l’ensemble des Burkinabè de sortir de cet engrenage infernal qui tient du cercle vicieux. Aucun deus ex machina n’ayant la possibilité de le faire à leur place, ils devront se persuader que la tâche leur revient. L’Afrique du Sud a su panser de bien profondes meurtrissures, et à ce prix, a retrouvé la voie de la réconciliation et de la sérénité. Ce qui s’est fait ailleurs peut se réussir ici. C’est de l’avenir du Burkina entier dont il est ici question et cela mérite sans doute quelques instants de saine introspection.

"Le Pays"

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