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SALEH KEBZABO (opposant tchadien) : "Le seul obstacle à la paix au Tchad, c’est Idriss Déby"

Publié le mardi 14 octobre 2008 à 00h08min

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L’opposant tchadien, Saleh Kebzabo, était dans nos murs le 6 octobre dernier. L’homme qui a une partie de sa famille au Burkina Faso depuis la chasse aux opposants organisée par le régime de Déby suite à l’attaque rebelle du mois de février, a bien voulu se prêter, le 6 octobre 2008, aux questions de la Rédaction du "Pays". Avec une certaine lucidité, il revient sur le problème tchadien, jette une pierre dans le jardin des démocraties africaines incapables, selon lui, de se prendre totalement en charge. Cet ancien journaliste, reconverti en homme politique, croit dur aux vertus de la démocratie et s’oppose à tout usage de la force pour accéder au pouvoir.

"Le Pays" : Comment êtes-vous passé du journalisme à la politique ?

Saleh Kebzabo : J’ai effectivement commencé par le journalisme. J’y ai fait une petite carrière et j’ai dû quitter à cause de la politique. Quand j’ai fondé N’Djamena Hebdo en 1989, c’était dans des conditions très difficiles. Il faut avouer qu’on marchait sur des œufs à cette époque-là, donc on n’a pas fait n’importe quoi. Puis il y a eu le changement de régime, la floraison de partis politiques. C’est dans ce contexte qu’avec des amis, on a créé un parti politique. Et en moins d’un an, le camarade qui présidait le parti a estimé qu’il ne pouvait pas continuer. C’est ainsi que le congrès m’a désigné pour assumer la présidence du parti. On était en 1991. Je me suis alors demis de mes responsabilités au niveau du journal.

Comment avez-vous vécu les événements du mois de février qui ont vu la rafle des opposants de la part du régime de Déby ?

J’étais fort heureusement à un colloque à Dakar. J’étais d’ailleurs avec Ibni Oumar Mahamat Saleh qui y avait été également invité. On devait rentrer le même jour le 29 janvier 2008. La veille, je lui ai dit que je voulais profiter du fait que Bamako n’était pas loin pour aller rendre visite à un ami victime d’une attaque cardiaque. On a voyagé ensemble, c’était un mardi, lui dans le vol pour N’Djamena et moi dans celui de Bamako.

Je devais revenir le 31 janvier pour prendre le vol de Ethiopians Airlines pour N’Djamena. Voilà comment Ibni et moi nous nous sommes séparés. Je me suis donc retrouvé en dehors des événements. La rafle du 3 février au soir a donc visé les opposants. Les militaires sont passés chez moi. Pendant qu’ils interrogeaient les membres de ma famille à l’intérieur, mon petit-frère, qui était à l’arrière de la cour, a voulu rejoindre le reste de la famille. Lorsqu’il est tombé sur les militaires, il a paniqué et a voulu s’enfuir. C’est ainsi qu’il a pris une balle dans la cuisse. On l’a évacué au Cameroun où il a été soigné. A partir de ce moment, les choses se sont compliquées pour moi. Il fallait mettre la famille à l’abri. J’ai voyagé avec mon épouse, les enfants étaient tout seuls là-bas. J’ai donc demandé qu’on évacue toute la famille au village. Ce qui a été fait un dimanche. Et c’est le soir que la grande vague des arrestations a commencé. Dans la nuit de dimanche à lundi, pas moins de 100 mille personnes ont traversé la frontière en direction du Cameroun. Au village, on m’a signalé un mouvement suspect de militaires chez moi à N’Djamena. J’ai donc pris des dispositions pour que ma famille quitte le pays la même nuit.

Comme la situation n’était pas trop claire au Tchad et vu la proximité avec le Cameroun, j’ai préféré les éloigner. J’ai choisi de les installer en Afrique de l’Ouest. J’ai exclu Dakar et choisi Ouagadougou. Ma femme a dû arrêter ses activités provisoirement pour venir s’occuper des enfants. Ils sont quatre. L’aîné est à Bamako et les autres à Ouaga. J’avoue que cela crée une situation qui n’est pas facile. Je suis rentré au Tchad fin avril. Début mai, on a restructuré le comité de suivi des accords du 13 août que j’ai intégré parce que nos amis qui sont allés au gouvernement devaient être remplacés. Les camarades m’ont nommé comme porte- parole adjoint de la CPDC (Coordination des partis politiques tchadiens pour la défense de la Constitution). Il était indécent de parler du remplacement de Ibni en ce moment-là. Aujourd’hui, la thèse de son assassinat est plus ou moins admise après la publication du rapport de la commission d’enquête.

Vous considérez donc que Ibni est mort ?

Je crois qu’il faut malheureusement se rendre à l’évidence. Depuis le 3 février, on n’a plus eu de nouvelles fiables de lui jusqu’à la date d’aujourd’hui. Les autres ont été repérés et lui, non. Il s’est forcément passé quelque chose. Quand Lol Mahamet a été libéré sous la pression de Sarkozy et que Yorongar aussi a été libéré dans des conditions rocambolesques, le régime de Déby avait alors une bonne occasion de se dédouaner en le libérant aussi s’il était toujours vivant. Le gouvernement lui-même a tellement tergiversé sur la question qu’on a tous compris qu’il y avait un problème. Le gouvernement aurait dû l’assumer tout de suite, de mon point de vue, et trouver une porte de sortie dès le départ.

Aujourd’hui, c’est une question très grave au niveau de l’opposition tchadienne qui n’entend pas baisser les bras. Si la commission d’enquête a été créée, c’est parce qu’il y avait un problème. La commission a été créée sous la pression de Sarkozy. Ses conclusions n’apportent pas de réponse claire sur la situation de Ibni. Mais elles révèlent des choses très graves que sont les pillages, les viols de femmes avec des témoignages directs. Il y a aussi ce que nous appelons des crimes de guerre. Des villages ont été attaqués par l’armée de l’air sans discernement. Tout cela va constituer un dossier. Les juristes s’y attèlent pour voir quelles sont les voies de recours possibles. D’ailleurs, la commission elle-même a conclu que justice doit être rendue aux nombreuses victimes de ces exactions.

L’opposition ou une partie d’elle n’était –elle pas de connivence avec les rebelles du point de vue du régime, d’où cette rafle ?

Il faut donc que le régime assume le fait que c’est lui qui a organisé les rafles. Si tel est son point de vue. Il a toujours nié être à l’origine des enlèvements. Si le régime dit qu’on pêchait en eau trouble, c’est donc lui qui a voulu mettre la main sur nous pour nous empêcher de le faire ? Il ne peut d’ailleurs pas en être autrement. Nous connaissons le système tchadien. Rien de ce genre ne peut être entrepris sans son consentement, sans qu’il ne soit au courant. C’est un pouvoir absolu et personnel. Il n’y a pas de partage de responsabilités. Aucun militaire tchadien ou homme politique dans ces circonstances-là ne peut prendre sur lui de dire, "allons arrêter les opposants", en dehors de Déby. Si vous lisez le rapport, vous verrez que le mode opératoire pour enlever les opposants était le même, et on se demande si ce ne sont pas les mêmes personnes qui ont opéré cette nuit- là. Les langues se délieront tôt ou tard et on saura toute la vérité. Pour nous, le chef de l’Etat est impliqué dans ces enlèvements. La question ne se pose même pas. Il aurait dû s’assumer, cela lui aurait donné une sortie plus honorable.

Y avait-il une raison particulière pour que le régime élimine Ibni ?

Nous nous posons aussi la question. Pourquoi lui et pas les autres ? Mais je ne voudrais pas me livrer à des comparaisons inappropriées. Tout ce que je peux dire, c’est que Ibni est un opposant de haut niveau. C’est pour cela que nous l’avons désigné comme notre porte-parole. Sur les mobiles de son élimination, on se pose encore des questions. L’arrestation d’un opposant en elle-même n’est pas rationnelle à plus forte raison son élimination. Nous nous battons sur un terrain qui est connu. C’est celui de la démocratie.

Le 13 août 2007, nous avons signé un accord avec le parti majoritaire pour améliorer la démocratie au Tchad, sous l’égide de l’Union européenne. Nous participons aux élections, prenons part au débat national. Nous ne sommes pas des rebelles. Le pouvoir connaît les rebelles. Nous n’en sommes pas. Les rebelles sont venus militairement pour renverser le pouvoir dans la capitale ; nous les avons toujours renvoyés dos à dos, eux et le pouvoir. Même Déby aurait voulu qu’on prenne parti pour lui. Pour nous, le pouvoir ne se conquiert pas par les armes. Nous ne pouvons aussi soutenir un régime qui est arrivé par les armes et qui organise des élections truquées. Le régime tchadien est un régime militaire qui ne dit pas son nom. On ne comprend pas qu’il veuille nous traiter autant, sinon pire, que les autres. Il y a des rebelles qui sont entrés au gouvernement, comme Mahmat Nour, qui ont un certain nombre d’avantages au-dessus de nous.

Avez-vous des contacts avec la famille de Ibni ?

Oui. Lorsque la commission a déposé son rapport, des gens sont allés présenter leurs condoléances à la famille parce qu’ayant conclu à l’assassinat de Ibni. Là aussi, ils ont rencontré la police du régime sur les lieux qui leur a demandé sur la base de quelles informations, ils venaient présenter leurs condoléances. Voyez de quelle façon cruelle et cynique le régime continue d’entretenir ce problème. En fait, il est interdit de déclarer que Ibni est mort.

N’est-ce pas ces va-et-vient des opposants dans les gouvernements, à l’image de Nour et de bien d’autres, qui confortent aussi le régime de Déby ?

Je pense qu’il faut connaître la nature profonde du régime avant de porter un tel jugement sur l’opposition. Vous savez que la caractéristique principale du régime est que c’est un pouvoir personnel. Nous sommes entrés dans des gouvernements pour tenter le changement à l’intérieur du système. Cela n’a pas marché. Dans les cas de ce genre, vous y perdez vos plumes parce que le système est tellement verrouillé que vous ne pouvez rien faire du tout. Aucun changement d’ordre qualitatif n’est possible.

Vous faites face à des murs d’opposition au changement. Déby gère pratiquement le pays avec sa famille. C’est un clan qui va se conforter avec le boom du pétrole. Il n’est pas juste de dire que quelqu’un qui a participé au gouvernement de Déby est comptable du bilan actuel. On sait comment le pays fonctionne. Au Tchad, même le Premier ministre n’est pas comptable de quelque chose. Le Tchad est à son 13e Premier ministre en 18 ans. Soit une moyenne d’un Premier ministre tous les 13 ou 15 mois. On a vu des Premiers ministres rester seulement trente ou quarante- cinq jours. De quoi ce dernier ou un ancien ministre est-il comptable ? Vous n’avez même pas eu le temps de déposer vos cartables. Certains ministres ont pu apporter quelque chose. Cela est certain, mais pas les opposants. Le régime veille tellement au grain qu’il est difficile de faire quoi que ce soit. A quoi cela sert-il d’aller perdre son âme dans un système où vous n’avez aucun épanouissement matériel, intellectuel et politique ? C’est bien pour cette raison que lors des dernières consultations nous avons refusé d’entrer au gouvernement.

On a eu une expérience du système. On va y retourner pour faire quoi ? Participer au pillage et à la prédation du pays ? Non. Nous avons créé nos partis politiques pour apporter notre contribution au développement du pays dans le moindre des cas et, dans le meilleur, conquérir le pouvoir d’Etat et le gérer sur la base de nos programmes politiques qui sont clairs. Je récuse donc cette façon de voir les choses. J’ai participé à plusieurs gouvernements. Le premier, c’était en 1993 à l’issue de la conférence nationale. Au bout de 6 mois, le président nous a renvoyés. Ensuite, je suis sorti 3e de l’élection présidentielle de 1996. Le president a demandé qu’on le soutienne. Cela nous a encore ouvert les portes du gouvernement. On a dû se séparer très rapidement. A la veille de l’élection de 2001, il a demandé que l’on fasse un ticket commun, j’ai refusé. Et depuis, on ne s’est plus retrouvé et je pense qu’on ne se retrouvera pas de sitôt. Sauf s’il s’agit d’un gouvernement d’union ou de transition.

Les chances d’une alternance au Tchad existent-elles dans ce cas surtout que la manne pétrolière aiguise les appétits ?

Quand on connaît la nature de ce pouvoir, les perspectives d’alternance sont effectivement minces. Mais il faut choisir. Nous, nous avons choisi la voie démocratique. Avec les moyens dont nous disposons, il faut former nos militants et les citoyens aux vertus démocratiques. D’autres n’y croient pas. Quand vous n’y croyez pas, comme beaucoup de Tchadiens, vous prenez les armes malheureusement. Mes amis et moi ne croyons pas à cette façon de faire : la violence comme moyen de dévolution du pouvoir. C’est une période qui est révolue. Le combat démocratique est un combat de longue haleine. C’est une réalité. Les Africains sont souvent trop pressés, malheureusement. On plante un arbre et dès le lendemain on en veut des fruits. Il faut du temps. Aujourd’hui, nous qui sommes des acteurs politiques devons nous dire que nous travaillons pour demain, pour nos enfants. Il y a là un champ qui est ouvert à la réflexion : la démocratie. Sommes-nous véritablement en mesure de dire que nous appliquons les règles démocratiques sans y laisser des plumes ? La question reste posée aux intellectuels africains. Il ne faut pas seulement prendre le bon côté de la démocratie. Il faut la prendre dans sa globalité. Comment l’Africain de base l’entend ? Qu’est-ce que l’Etat ? Le gouvernement et les institutions ?

On a l’impression qu’une infime minorité a pris la majorité en otage et nous enferme dans un système dit démocratique. De mon point de vue, c’est quand la majorité des Africains aura assimilé tout cela, que nous parlerons tous de la même chose. C’est alors qu’on pourra parler de démocratie. Un pays comme la France a connu une époque où des citoyens de ce pays étaient incultes et ne se sentaient pas concernés par la démocratie. Ces gens-là étaient un vivier pour les élections. Un parti comme la droite a su profiter de de cette situation pendant longtemps. Aujourd’hui, la situation a radicalement changé et les Français connaissent ce que c’est que la démocratie et le poids de leur vote. Regardez comment d’une élection à l’autre les électeurs français sanctionnent les partis politiques et leurs représentants. Il faut que les Africains cessent de s’installer dans ce confort intellectuel qui est trop simple. Faisons l’effort de la réflexion.

Depuis le premier président tchadien, François Tombalbaye, le pays vit une instabilité chronique qui, d’ailleurs, est fréquente dans les pays francophones qui ont du mal à surmonter les crises internes. Peut-on parler de malédiction ?

Non, absolument pas ! C’est pour cela que je dis qu’il faut réfléchir à nos problèmes. Ce n’est pas aux autres de le faire. Nous ne nous assumons toujours pas. A ce jeu-là, on ne s’en sortira jamais. Tout près d’ici, en Côte d’Ivoire, vous avez vu ce qui s’est passé. Si celui qui gagne les élections demain en Côte d’Ivoire tente d’appliquer ses solutions à lui, le fond du problème ne sera pas réglé. Chez nous les francophones, il y a ce manque d’aptitude à aborder les problèmes et à leur trouver des solutions idoines. Nous sommes restés trop théoriques ou théoriciens. Et là où le bât blesse, nous sommes restés dans des théories qui ne sont pas les nôtres. Nous nous complaisons dans celles des autres qui, aujourd’hui, nous créent d’énormes problèmes. Mais, il ne faut pas trop accabler les francophones, même si les problèmes sont réels. Le cas du Kenya est là pour nous rappeler que les anglophones aussi ont leurs problèmes.

Mais, ils sont plus pragmatiques.

Oui, je vous l’accorde. Si on prend le cas du Nigeria, avec 150 millions d’habitants, c’est un pays qui marche. Il a su mettre en place une démocratie à la base qui marche plus ou moins bien et qui est acceptée par tous. La fraude existe certes, mais même aux Etats-Unis on en parle. C’est une question d’ampleur. L’essentiel est que tous sont d’accord avec une fédération d’Etats qui a évolué au fil du temps, de 6 à 36. Nous nous sommes enfermés dans la solution unitaire tout en sachant que dans nos Etats il y a une floraison de nationalités à l’intérieur de nos frontières. La question, c’est comment arriver à un consensus de vie commune. Je suis désolé de le dire. Mais il ne faut pas rire ou sourire de ce qui arrive aux autres pays parce qu’aucun de nos pays n’est à l’abri de soubresauts qui peuvent mettre à mal son équilibre. Peut-être même que ces soubresauts sont nécessaires quelquefois pour tendre vers cet équilibre tant souhaité. L’équilibre actuel de certains Etats est précaire. Avec l’usure du pouvoir, vous verrez qu’on est à l’orée de confrontations très graves. D’un point de vue intellectuel, on refuse d’affronter ce problème. Mais on va y arriver tôt ou tard. Il faut accepter les différences. Il y a des problèmes de nationalités. Cela saute aux yeux.

Que pensez-vous de l’action de la France sur le continent ?

Comme je suis opposant et que j’aspire au pouvoir, je ne vous en dirai rien (rires). Je vais vous racontez une anecdote. A la présidentielle dernière, quand des amis ont lu mon programme, ils m’ont dit : "Tu veux le pouvoir et tu dis des choses comme ça ?" Je n’ai pas dit autre chose que ce que Sarkozy dit aujourd’hui. J’ai dit que les accords de défense sont anachroniques, désuets. Chaque pays doit pouvoir défendre sa souveraineté, ce n’est pas à un autre pays de le faire. J’ai annoncé que je mettrai à plat tous ces accords de défense. A l’époque, j’avais également dit qu’on ne parviendra pas au développement souhaité avec la Banque mondiale et le FMI qui ont un mandat des grandes puissances. Je le pense encore aujourd’hui. On ne se développera pas si notre monnaie est gérée par quelqu’un d’autre. L’instrument de l’expression de la souveraineté est la monnaie. Nous nous complaisons dans le système du franc CFA jusqu’au jour où l’Europe nous donnera un coup de pied. Après plus de quarante ans d’indépendance, il est temps que nous nous assumions. Je ne reproche rien aux Français, c’est aux Africains de s’assumer. Pourquoi voulez-vous qu’ils nous permettent de nous épanouir si nous-mêmes ne savons pas ce que nous voulons ? Dès lors que nous saurons ce que nous voulons, ils nous respecteront.

Est-il possible de remettre en cause certains accords avec des institutions comme la Banque mondiale, le FMI ?

Bien sûr. Ce ne sont pas des accords fermés. Il y a des mécanismes de révision. C’est une question de volonté. Il y a des pays à qui la Banque mondiale ne peut pas imposer ce qu’elle veut.

L’UA a donné un ultimatum à la junte militaire pour restaurer l’ordre républicain. Que vaut cet ultimatum ?

Sur le fond, l’UA a raison. On ne peut plus permettre que dans un pays des gens se lèvent et prennent le pouvoir sur la base d’intérêts purement personnels. Qu’un quarteron de militaires s’insurgent et mettent fin à un processus démocratique unanimement accepté à l’intérieur et à l’extérieur, c’est une situation inacceptable qui mérite d’être sanctionnée. Au nom de quoi, des militaires qui ne sont pas d’accord avec un pouvoir doivent-ils le démettre et s’octroyer le droit de dire que ceci ou cela ne marche pas ? La souveraineté, tout comme la volonté, est populaire. Elle s’exprime à travers les urnes. Et ceux qui ne sont pas d’accord doivent attendre les élections pour sanctionner à travers leur vote. C’est le mauvais exemple de ce qui ne doit pas être fait en Afrique.

Maintenant que l’ultimatum a expiré, quels types de sanctions vont être pris et véritablement mis en œuvre ?

La Mauritanie, ce n’est pas les Comores où il suffit d’un petit commando pour aller rétablir l’ordre. Les militaires mauritaniens sont très décidés d’autant qu’ils se sont alliés une bonne partie de la classe politique. Je pense que l’UA va se mettre avec les grands pays, l’Union européenne et les autres, pour ramener les militaires à la raison. Il ne faut surtout pas leur demander de déposer les armes et de se rendre. Je pense qu’il faut leur trouver une porte de sortie honorable. On peut leur demander de se retirer, tout comme le président de la république, et organiser une très courte transition gérée par d’autres personnes pour revenir à l’ordre constitutionnel.

Ce coup d’Etat a été pourtant qualifié de salutaire par certains !

Il n’y a pas de coup d’Etat qui soit bon. On est démocrate ou on ne l’est pas. Le coup d’Etat salutaire, c’était le précédent (NDLR : celui de Ely Ould Val) qui a mis fin à une dictature. Celui-là n’est pas un coup d’Etat salutaire puisque nous étions dans un système démocratique que tout le monde a accepté. Si le président actuel gère mal, ayons la patience d’attendre la fin de son mandat pour que le peuple sanctionne. C’est un système qu’on a choisi. Assumons nos choix. Il y avait tout un mouvement démocratique même de contestation qui était en cours. Il fallait laisser les institutions jouer leur partition.

Quelle peut-être la parade contre les coups d’Etat, selon vous ?

Je n’ai pas de solutions. Le problème, c’est que nous avons mal phagocyté la démocratie. Si dans un pays, les forces armées vont se donner le droit d’intervenir dans le jeu politique, on n’est pas sorti de l’auberge. Notre système n’est pas bon. La grande muette doit l’être jusqu’au bout. Si les militaires veulent venir dans le jeu politique, qu’ils quittent leur tenue, comme le veut la loi, et qu’ils viennent souffrir la démocratie avec nous. Le coup d’Etat de Val était à la limite acceptable parce qu’il a ouvert la voie à la démocratie. Je pense que parmi les militaires, il y en a qui ont des ambitions personnelles mais qui utilisent les armes de la nation pour les assouvir.

Hissen Habré, ancien président tchadien, est poursuivi par les victimes ou parents de victimes de sa répression quand il était au pouvoir. Cela vous réjouit-il de voir que ses crimes ne resteront pas impunis ?

C’est une question délicate. On ne peut pas rester dans son confort intellectuel et essayer de réfléchir à la question sans offenser certaines personnes. Il y a les familles des victimes et même des victimes qui sont là. Quel que soit le temps, justice doit être rendue. Cependant, il y a la réalité politique des choses. Habré va être jugé à l’étranger. Probablement au Sénégal. Pour le Tchadien, est-ce qu’il y a justice ? S’’il est condamné, il y purgera sa peine. Pour moi, la bonne justice est qu’il soit jugé sur les lieux du crime, dans son pays. La bonne loi voudrait qu’on le ramène chez nous. Mais, comme vous le savez, au Tchad, il y a un certain Déby qui fut le bras armé de Hissen Habré pendant longtemps et qui a d’autres comptes à régler avec ce dernier. Cela fait 20 ans qu’il a quitté le pouvoir. Est-ce qu’en le condamnant, cela va changer grand-chose ? Dieu l’a puni. Le fait qu’il a fui et qu’il vit en exil est en soi une punition. Si on tient à le juger, qu’on le fasse. Personnellement, je suis contre l’impunité, mais quelque part, je suis gêné. Et en tant qu’homme politique, je regarde tous ces potentats sur le continent. Croyez-vous qu’ils vont partir, si c’est pour rejoindre le TPI ? C’est cela l’effet boomerang du TPI.

Comment voyez-vous la sortie de crise au Tchad ?

Cela passe par un dialogue avec toutes les composantes du pays : les politico-militaires, comme on les appelle, et la société civile pour discuter et trouver une solution à la guerre et aborder les solutions d’avenir. La caricature que l’on fait du Tchad, c’est un Etat sans Etat, c’est un Etat informel, qui n’a pas d’armée. On a plutôt affaire à des clans et des milices armés qui s’opposent. L’armée actuelle compte plus de 300 généraux. Après chaque bataille, on accroche des étoiles à des officiers, c’est de la rigolade. Le seul obstacle aujourd’hui à la paix, c’est Déby. Même dans son propre camp, il y en a qui le reconnaissent. C’est lui qui s’entête à surarmer le pays. Vous avez vu l’armement qu’il a fait défiler lors de la fête de l’indépendance ? C’est pour faire la guerre contre qui ? Il ne va quand même pas tuer jusqu’au dernier des Tchadiens ! Je pense que seul un dialogue inclusif peut nous conduire à la paix. L’accord du 13 août est une référence d’un point de vue électoral. Il faudra régler les questions de désarmement et de cantonnement des combattants et leur réinsertion, etc.

L’Afrique centrale, notamment le Congo démocratique, est tiraillée par des conflits interminables. Comment peut-on y mettre fin ?

Malheureusement, je ne suis pas en mesure de vous donner la solution. Ce que je peux dire, c’est que cette instabilité trouve sa complexité dans le voisinage de l’Ouganda, le Rwanda, etc. La RDC est tiraillée en fait par ses voisins qui ont fait main basse sur les régions les plus riches du pays qu’ils exploitent. Il y a ici de la matière pour les organisations internationales qui sont promptes à résoudre nos problèmes. Il y a 16 mille Casques bleus en RDC. Ça sert à quoi ? A gérer le problème plutôt qu’à lui trouver des solutions.

C’est la même critique que je fais concernant le Darfour. Les Américains, contre tout bon sens, ont décrété qu’il y a un génocide au Soudan. Alors qu’il y a trois ans, une mission des Nations unies déclarait qu’il n’en était rien. Voilà pourquoi il y aura 26 0000 hommes au Darfour. Ce sera la force la plus importante au monde. Il faut qu’on arrête de se laisser imposer des solutions par les autres, notamment à travers l’UA. On a de grands pays tels le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Congo, l’Egypte, l’Algérie et même le Soudan. Et le risque est grand de voir ce dernier pays éclater en plusieurs Etats. En RD Congo, il y a effectivement des problèmes de nationalités. Il faut en tenir compte dans la gestion du pouvoir et des communautés. Si ce n’est pas bien fait, on assistera toujours à des soulèvements.

La campagne électorale américaine bat son plein. Croyez-vous aux chances effectives de Obama ?

J’y crois tellement que je n’ose même pas le dire. (rires) Chaque fois que je me réveille, je me dis : "Ne t’exprime pas trop sur cette question." Nous avons tous cette forte envie de voir Barack l’emporter qu’il faut qu’on freine nos espoirs. On ne sait pas ce qui peut arriver même à 48 heures de l’élection. C’est l’homme de la situation. C’est l’homme qu’il faut aux Etats-Unis. Quel que soit l’anti-américanisme qui habite certains, il faut se dire que ce n’est que là-bas seulement que cette aventure peut arriver. Nous autres, quand on retourne en France, même munis d’un doctorat, on est bon pour être balayeur (rires). Il faut rendre hommage au système américain qui permet cette forme d’intégration. Pour nous Africains, il y a des leçons à tirer. Je me rappelle que quand j’étais candidat à l’élection, on a voulu remonter à mes origines au Cameroun pour prouver que je ne suis pas Tchadien. C’est pour cela qu’il est important que Obama soit élu.

Un commentaire sur la crise financière internationale ?

J’aurai aimé que l’on parle de la vie chère que de cette crise qui est d’abord américaine, même si elle ne va pas manquer d’avoir des conséquences en Europe et en Afrique. C’est un problème de la grande finance, du capitalisme. Comme nous n’avons rien choisi, en principe, on va subir. Je ne suis pas économiste, mais je me dis que quand les Etats-Unis vont contenir cette crise, c’est à ce moment que nous allons sentir les contre-coups au niveau des finances dans les pays européens. Et nous après. Ce sont les investissements qui seront réduits puisque les crédits risquent de coûter cher. Comme pour la vie chère, c’est un phénomène qui risque de s’installer dans la durée. Et en tant qu’Africains, il nous faut des réponses propres. Un responsable burkinabè disait dans vos colonnes qu’« il faut produire et consommer burkinabè ». Il ne croyait pas si bien dire. Maintenant, donnons-nous les moyens de le faire. Il faut que nous assurions notre alimentation. Revenons au mil, à la patate et autres. Pourquoi importer du riz et des pâtes.

Il faut qu’on arrête de vivre au-dessus de nos moyens. Manger simple, mieux et bio. On a des chercheurs compétents, donnons-leur les moyens. Pour finir cet entretien, je voudrais dire, concernant votre pays, que chacun de mes voyages au Burkina me remplit de satisfaction : incontestablement, c’est un pays en devenir qui mérite les encouragements de tous. Votre pays a un sous-sol pauvre (pour le moment) mais votre richesse humaine est exploitée très judicieusement par des dirigeants visionnaires. La simplicité, l’humilité, la discipline et la volonté de réussir qui caractérisent le peuple burkinabè feront de ce pays un grand pays en Afrique. Il faut maintenir le cap en sachant négocier les virages et répondre par avance aux attentes légitimes d’un peuple fier et exigeant.

Le Pays

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