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Béatrice Damiba, nouvelle présidente du CSC : “Mon marabout, c’est Dieu, le plus grand et le plus fort...”

Publié le lundi 13 octobre 2008 à 01h11min

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Béatrice Damiba, présidente du Conseil supérieur de la communication : “l’esprit de corps, dans le métier et la solidarité confraternelle m’ont souvent servi de bouclier à ma liberté de ton (...)”

Avant sa prestation de serment pour ses nouvelles fonctions, Madame Béatrice Damiba, présidente du Conseil supérieur de la Communication (CSC), s’est confiée en exclusivité à Sidwaya… Qui est le marabout de Béatrice Damiba ; qu’est-ce qui explique une telle ascension ; sera-t-elle une présidente partisane de la propagande et de la communication ou plutôt une adepte de l’information ; comment compte-t-elle répondre aux défis de la régulation à l’heure des nouveaux médias, quelles sont ses priorités pour les médias burkinabè ; regrette-t-elle sa carrière de journaliste, … ? Dans l’entretien qui suit, sans détour, elle répond, à ces questions...

S. : Journaliste, rédactrice en Chef de Carrefour africain, plusieurs fois ministre, Conseiller du Président du Faso, ambassadeur dans plusieurs capitales…. Aujourd’hui présidente d’institution, une carrière toujours ascendante. Au fait, qui est votre marabout ?

B. D. : (…) De quelle ascension parlez-vous ? On n’est pas en montagne et je ne suis pas alpiniste. Cela dit, mon marabout, c’est Dieu, le plus grand et le plus fort de tous les marabouts... Je suis très heureuse de rentrer au pays après tant d’années passées à l’extérieur, à servir ma patrie. J’ai accompli avec beaucoup de bonheur, cette mission que m’avait confiée le Président du Faso, Blaise Compaoré. Ma mission actuelle est toute aussi exaltante et j’ai jugé utile de prendre immédiatement contact avec mes collaborateurs qui m’attendaient impatiemment. L’état des lieux se dresse, comme me l’a, du reste, déjà peint mon prédécesseur et confrère Luc Adolphe Tiao. J’ai rencontré des collègues Conseillers et des travailleurs de l’administration mobilisés, déterminés à poursuivre et à engager des défis nouveaux. C’est dire que les services ont bien fonctionné pendant la transition.

S. : Après avoir passé plusieurs années à servir hors du pays, n’êtes-vous pas quelque peu « déphasée » pour conduire une institution qui est chargée de réguler un secteur aussi mouvant que la communication ?

B. D. : Aujourd’hui, je suis riche d’une expérience de relations internationales et, sans doute, avec la maturité de nombreux nouveaux printemps sur mes épaules. Je n’ai jamais été tout à fait absente du pays. Pour les sujets d’intérêt majeur touchant à la vie et à la marche de mon pays, que j’avais à gérer dans mes précédents postes, il était capital pour moi d’être en phase avec l’évolution quotidienne de mon pays. Je vous rappelle qu’être ambassadeur d’un Etat, c’est représenter son premier magistrat à l’extérieur et pour ce faire, il faut suivre constamment les différentes évolutions. C’est vrai, il n’est pas facile de conduire une institution chargée de réguler un secteur aussi mouvant que la communication. Mais je donnerai le meilleur de moi-même pour m’acquitter de cette mission avec l’aide de l’ensemble des conseillers, de l’administration du Conseil supérieur de la communication et de tous les acteurs du secteur.

S. : Quelles seront vos priorités dans vos nouvelles fonctions ?

B. D. : Je vais reprendre cette formule bien connue de Maître Titinga Pacéré à savoir que « tant que la termitière vit, elle se doit d’ajouter de la terre à la terre… ». Sous l’impulsion de mes prédécesseurs, le CSC a connu un envol transfrontalier. Il convient d’abord de maintenir ce niveau de respectabilité, ensuite de poursuivre l’achèvement de chantiers tels que la convention collective, la carte de presse, le professionnalisme dans le secteur de la publicité, et d’ouvrir de nouveaux chantiers pour un plus grand élargissement des espaces de liberté et un meilleur exercice de la profession. Ouagadougou doit toujours être une plate-forme référentielle en matière de régulation de la communication.

S. : Comment comptez-vous garantir la liberté de la presse et gérer les dérives de certains médias ?

B. D. : En vérité, la formule d’appel à candidatures adoptée ces dernières années par le CSC offre déjà une forme de régulation. C’est donc a priori des acteurs et des partenaires conscients de leurs responsabilités sociales qui s’engagent aussi bien dans le cadre associatif, communautaire que commercial. En outre, l’institution a inscrit ses actions dans une dynamique d’accompagnement qui ira en se renforçant. Cette démarche à laquelle s’ajoute la formation des animateurs du paysage médiatique contribuera à réduire les dérives qui pourraient être observées dans les médias.

S. : A quand la finalisation de « la convention collective », un dossier mis en chantier par votre prédécesseur, Luc Adolphe Tiao ?

B. D. : Le gros œuvre de ce chantier a déjà été posé grâce à l’engagement déterminant et décisif du Conseil supérieur de la communication et de nombreux acteurs concernés par la question. Il reste quelques ajustements et des finitions en vue d’aboutir à une convention la plus consensuelle possible, avec un échéancier d’application qui soit le plus réaliste possible.

S. : Serez-vous en mesure d’assumer le défi de « l’opérationnalisation de la carte de presse » attendue par les journalistes depuis plus de 10 ans ?

B. D. : Des défis (…), je n’ai pas peur. A la vérité, la carte de presse et la convention collective sont liées. Au stade actuel, elle est achevée et le texte est en train de subir un dernier toilettage en vue de son passage en conseil des ministres. Sur ce point précis comme, du reste, sur la convention collective, tout est vraiment bien avancé.

S. : Quel type de contrôle faut-il envisager pour les médias électroniques qui diffusent parfois des images pornographiques, obscènes ou même macabres ?

B. D. : Les problèmes de société inhérents aux médias électroniques sont une grande préoccupation qui interpelle la nation tout entière dans toutes ses composantes. Elle ne saurait être réglée dans le cadre stricto sensu d’une institution comme le CSC. Elle pose la question de la responsabilité parentale, de l’éducation et de la santé de la reproduction, du retour à la foi, de la diversité culturelle, etc. Mais je pense qu’il faut prendre tous ces éléments en compte et relire les dispositions législatives et règlementaires afin d’être suffisamment outillés pour faire face à ces défis. C’est dans cette optique que le Conseil a déjà adopté la signalétique qui vise surtout la protection du public jeune. Et puis n’oublions pas qu’avec la globalisation, certains contrôles échappent malheureusement à un pays, à une institution, à une société donnés.

S. : Que pensez-vous de la dépénalisation des délits de presse au Burkina ?

B. D. : La dépénalisation des délits de presse s’entend des mécanismes à mettre en place pour que les journalistes ne soient pas inquiétés quant aux opinions qu’ils émettent dans le cadre de leur profession. Mais cela dit, la dépénalisation doit s’accompagner d’une culture de la responsabilité et du professionnalisme car le journaliste ne doit pas se comporter comme une personne qui est au-dessus de la loi. Il doit pouvoir exercer librement son travail à travers une critique constructive et une saine information des citoyens.

S. : On parle de plus en plus de presse au service du développement. Que doit-on entendre par là ?

B. D. : On parle aussi de diplomatie de développement par exemple. En réalité, ce concept n’est pas nouveau. Il s’agit de travailler à ce que la presse puisse de manière pratique s’inscrire dans les logiques de sensibilisation, de vulgarisation, d’accompagnement des projets et des politiques de développement. En effet, pour des pays en développement comme les nôtres dont les défis sont énormes, il est indispensable d’impliquer la presse dans les vastes chantiers de développement. Et comme vous le savez, les médias peuvent œuvrer qualitativement au changement des mentalités des populations, lequel est un facteur capital pour l’amélioration de leurs conditions de vie et à la formation d’une conscience citoyenne.

S. : Mais alors, quel modèle de communication préférez-vous pour le Burkina Faso ; la communication pour le développement ou le journalisme ?

B. D. : Un journaliste, à mon sens, est aussi un communicateur et, dans le cas de notre pays, forcément un communicateur pour le développement. Aussi, je ne pense pas qu’il faille appréhender ces questions en termes d’antagonisme. Autant notre pays a besoin d’une presse libre portée par des journalistes qui informent et qui critiquent dans le strict respect des principes d’éthiques et des règles déontologiques, autant le Burkina Faso a besoin de médias animés par des hommes et des femmes soucieux d’éduquer, d’éclairer et de guider les choix des populations. Et ce, pour un mieux-être individuel et un épanouissement collectif des Burkinabè. La communication pour le développement et le journalisme (dans son acception première) sont complémentaires, ont leur place dans la bataille pour la consolidation de la démocratie et le développement dans notre pays.

S : Serez-vous une Présidente partisane de la propagande et de la communication ou plutôt une adepte de l’information ?

B. D. : Je considère votre question comme provocatrice. Et de toutes les façons, il faut éviter de s’inscrire dans des combats d’arrière-garde ou de se figer dans des postures inappropriées. J’entends, dans la mission qu’il a plu au Président du Faso de me confier, animer une institution qui veille à la promotion de la communication, à la protection de ses principaux acteurs, à leur professionnalisation et à leur épanouissement ainsi qu’à la protection des citoyens contre les abus de cette communication. Dans ce sens, le Conseil supérieur de la communication que je dirige doit être regardant sur la qualité de l’information et les contenus des programmes proposés au public.

A côté du CSC, il y a des institutions qui mettent l’accent sur la communication institutionnelle et elles sont dans leur rôle. C’est du devoir des gouvernants de rendre compte aux citoyens des succès comme des échecs dans la gouvernance, en temps de paix comme en temps de crise. Comme vous le savez, il n’y a rien de pire que la rumeur et lorsque l’on ne communique pas suffisamment, elle s’enfle et si l’on ne prend garde, la pagaille s’installe. Je voudrais dans cette optique saluer la mise en place du Service d’information du gouvernement (SIG) qui est en réalité une structure fédératrice de la communication gouvernementale.
Même si Sidwaya, la télévision et la radiodiffusion du Burkina, pour ne citer que ceux-là, peuvent servir d’instruments pour la mise en œuvre de cette communication, ils ne demeurent pas moins des médias de service public.

S. : Peut-on exercer dans un média de service public tout étant maître de sa liberté et de son objectivité ?

B. D. : J’ai été heureuse de constater que certains médias, jadis considérés comme des relais du pouvoir en place, sont en train de réussir leur mutation en médias de service public. La difficile mutation est liée à notre histoire récente et je suis convaincue que ce constat ira grandissant. Et de toute façon, le caractère privé d’un média ne garantit pas forcément la liberté, ni l’objectivité de ses animateurs. Il est erroné de le croire. Car la liberté, la responsabilité et l’honnêteté (je préfère ce concept à l’objectivité) sont les valeurs premières d’un journaliste professionnel, qu’il exerce dans un organe privé ou dans un organe de l’Etat. Très souvent, c’est l’autocensure qui fait penser que le ministre en charge de la communication ou le directeur général de tel ou tel média donne des instructions sur le traitement de tel sujet. Mais je sais qu’il existe encore des pesanteurs que nous travaillerons progressivement à corriger aussi bien au niveau du service public qu’à celui de la presse privée.

S. : Quel regard portiez-vous sur la presse burkinabè depuis l’étranger ?

B. D. : Etant moi- même de la profession, vous comprenez que j’étais attentive à l’évolution de la presse au Burkina Faso. J’ai constaté qu’il y a plus de professionnalisme au niveau des médias, une grande maturité et une liberté de ton qui peuvent être cités en exemple, même en Europe. J’étais contente d’observer la richesse des lignes éditoriales et le nombre sans cesse croissant des médias. Mais le plus important est de ne pas dormir sur ses lauriers, en acceptant de se remettre permanemment en cause, de combattre l’amateurisme et rechercher toujours l’excellence, surtout dans le contexte nouveau créé par la mondialisation.

S. : Croyez- vous que la situation des journalistes burkinabè s’est améliorée ou s’est-elle dégradée ?

B. D. : Tout dépend de l’angle sous lequel on aborde la question. Avec les technologies de l’information et de la communication, les journalistes ont aujourd’hui beaucoup plus de facilité dans la recherche de l’information, qu’il s’agisse de recueillir ou de traiter cette information. Les journalistes burkinabè profitent également de ces technologies qui permettent de gagner en temps et en efficacité. S’agissant de la formation, de nombreuses écoles, aussi bien dans le public que dans le privé, offrent des modules intéressants. Avec les nombreuses difficultés existentielles liées à la croissance de la population, à la cherté de la vie et à la non viabilité de nombre d’entreprises de presse, beaucoup de journalistes burkinabè vivent dans des conditions précaires. Mais ce sont là des obstacles surmontables si l’ensemble des acteurs en prennent conscience et se donnent toutes les chances pour y parvenir.
C’est un combat perpétuel et de longue haleine car les journalistes de ma génération et ceux d’avant peuvent vous dire que même de leur temps rien n’était acquis...

S. : Qu’est-ce qui vous a marquée positivement lorsque vous étiez encore reporter ?

B. D. : Avant tout, l’esprit de corps dans le métier et la solidarité confraternelle m’ont souvent servi de bouclier à ma liberté de ton, à l’époque inacceptable. Sur le terrain du reportage, c’est l’échange avec ceux qu’on appelle les « petites gens ». Je veux parler des marchands de légumes, des casseuses de pierres… J’aimais bien faire des dossiers de presse sur ces milieux socio-économiques. Voici des gens qui, au quotidien ? font des efforts au-delà de toutes mesures pour faire vivre des familles, envoyer des enfants à l’école. Quand vous prenez le temps d’écouter ces personnes de l’informel, vous tirez beaucoup de philosophie de la vie basée autant sur l’expérience que sur l’observation minutieuse des choses.
En outre, lorsque vous avez une équipe de rédaction soudée avec des responsables attentifs, vous ne pouvez que donner le maximum de vous-même et aimer véritablement ce que vous faites. Cette solidarité et cet esprit confraternel comme je l’ai dit, sont des choses qui marquent positivement.

S. : Que regrettez-vous de votre carrière de journaliste ?

B. D. : Je ne sais pas s’il est nécessaire de s’attarder sur des regrets ou des satisfécits. Je pense plutôt que nos succès et nos échecs doivent constituer pour nous des occasions de questionnement dans le seul but d’aller de l’avant dans l’accomplissement de soi et dans le service d’autrui. Je retiens seulement que le journalisme est un métier exigeant mais noble et exaltant. Cependant, si je puis exprimer des regrets, c’est le fait que les moyens n’aient jamais permis ni ne permettent de nos jours d’assurer nous-mêmes les couvertures des grands événements aux quatre coins du monde en tant qu’envoyé spécial, correspondant permanent… En embrassant ce métier, noble et exaltant, j’en avais rêvé (...).

S. : Robert Ménard quitte la direction de l’organisation de défense de la liberté de la presse, Reporter sans frontière, après 23 ans de gouvernance. Quelle image gardez-vous de lui ?

B. D. : Je ne l’ai pas personnellement connu de près. Aussi, je ne peux pas porter de jugement sur l’homme. Il me semble que monsieur Robert Ménard a essayé d’apporter sa touche à Reporter sans frontière dans la défense de la liberté de la presse dans le monde. En tant que professionnelle de l’information et de la communication, je ne peux que me réjouir des acquis engrangés par cette organisation sous sa direction malgré quelques dérives. J’exhorte enfin toutes les structures associatives et professionnelles de défense de la liberté de presse, d’ici et d’ailleurs, à plus d’abnégation dans leur noble combat pour plus d’espace de liberté et de meilleures conditions d’exercice du métier de journaliste.

S. : De votre passage dans le monde diplomatique en tant qu’ambassadeur, quels enseignements pouvez-vous retenir ?

B. D. : Cela a été une expérience exaltante pour moi. J’en suis ressortie renforcée, dans mes convictions, que rien ne vaut le contact humain pour venir à bout de toutes les barrières qu’elles soient linguistiques, biologiques, culturelles ou économiques. Un autre enseignement est le constat du niveau de respectabilité international auquel le Président du Faso a hissé notre pays qui, bien que peu nanti par la nature, est devenu en l’espace de deux décennies une figure référentielle dans bien des domaines.
Je retiens également que les Etats du monde sont interdépendants et que nous avons tous besoin les uns des autres. Il n’y a pas de petit pays, mais évidemment l’union faisant la force, la solidarité de groupe telle qu’à travers le Groupe africain, le Groupe des 77 ou le Mouvement des Non- alignés est importante et j’ai eu à l’apprécier dans le cadre de mes activités multilatérales.

S. : Quelles sont les principales qualités d’un ambassadeur ?

B. D. : Un ambassadeur, comme vous le savez, est l’envoyé au plus haut niveau de son pays dans un autre Etat. C’est le représentant personnel du président de son pays et pour ce faire, il doit avoir des qualités humaines indéniables pour bien accomplir cette mission de confiance. Il doit aimer son pays, en être fier et le promouvoir en toutes circonstances. Il doit aussi faire preuve d’une grande capacité d’écoute et d’une attention soutenue sur l’évolution des questions d’intérêt au niveau national et international. Il doit, en outre, être très loyal, discret, courtois, mais ferme sur la défense des intérêts de son pays.

Interview réalisée par Ibrahiman SAKANDE
Email : ibra.sak@caramail.com

Sidwaya

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