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Les amis de l’Art nègre : Pillards du patrimoine africain

Publié le jeudi 9 octobre 2008 à 00h51min

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Pendant longtemps, l’Occident a considéré l’Afrique noire comme une terre sans histoire ni culture et ses masques et statuettes comme d’horribles fétiches, totems ou idoles utilisés dans des rituels cannibales. Il a fallu que des anthropologues, des écrivains et des artistes découvrent que ces objets étaient des œuvres d’art pour que le regard de l’Europe changeât...

Parmi ces amis de l’Art nègre, Marcel Griaule, André Malraux, Pablo Picasso et autres. Parmi les pillards de l’Art nègre, on dénombre aussi Marcel Griaule, André Malraux, Pablo Picasso et autres. Derrière la main amie se profilent les serres du rapace, derrière le sourire amical, le rictus envieux du trafiquant. Comment expliquer ce paradoxe ?

Le Dogon blanc

Sur les hauteurs de la falaise de Bandiagara, en une nuit froide et sans étoile se déroule une cérémonie inhabituelle. Ce sont les funérailles d’un personnage très important parce tous les masques dogons sont là, des plus profanes aux plus sacrés, même ceux qui ne sortent que lors des grands désastres. Et, à la lumière des flambeaux qui se tordent sous le souffle du brouillard, des vieillards de Sangha réunis autour du Hogon (prêtre supérieur) pleurent la mort d’un des leurs. Mais, fait inhabituel, il n’y a pas de dépouille.

Ce sont des funérailles symboliques. Celui qu’ils honorent ainsi est un membre de l’élite dogon qui est mort à Paris, chez lui : c’est l’ethnologue Marcel Griaule qui vécut pendant quinze ans en leur sein et montra au monde la splendeur et la profondeur de la culture dogon.

Grâce à des entretiens sur plusieurs années avec un vieux chasseur aveugle Ogotommêli, il livrait à travers son ouvrage "Dieu d’eau" l’architecture de grande complexité de cette société dogon et sa cosmogonie riche qui n’avait pas à rougir de la comparaison avec l’Olympe grec. Aujourd’hui encore, les guides touristiques montrent avec fierté la maison du Dogon blanc.

Il est indubitable que Marcel Griaule a aidé à la reconnaissance de la culture dogon et partant, la reconnaissance de l’africain comme être de culture. Et "Dieu d’eau" a fait du pays dogon une grande destination touristique et de Griaule le meilleur Tour operator du Mali. Voilà, en somme un ami très fréquentable !

Mais quelle stupeur quand on lit "l’Afrique fantôme" de Michel Leiris. Dans un passage, Leiris raconte comment Griaule et lui s’introduisirent dans un sanctuaire Kono pour dérober des objets de culte à Kéméni en 1931. « Griaule et moi demandons que les hommes aillent chercher le Kono. Tout le monde refusant, nous y allons nous-mêmes, emballons l’objet saint dans la bâche et sortons comme des voleurs, cependant que le chef s’enfuit ».

Et suit la relation par Leiris d’une longue série de vols d’objets sacrés sous les ordres du chef de mission… Marcel Griaule. Et voilà comment se tient Griaule dans l’histoire de l’ethnologie africaine : tel un iceberg dont la partie visible est empreinte de bons sentiments et l’immense partie cachée soigneusement cachée sous les eaux révèle un pillard, un soldat de la coloniale qui ne recule devant aucune rapine. Et ce sont des milliers d’objets d’art ou de cultes que l’expédition de Griaule pilla à travers le continent.

Malraux, un gentleman voleur ?

Tout le monde connaît le ministre de la culture du Général De Gaulle qui mit en place la politique de démocratisation de la culture et qui inspira fortement l’Unesco dans la lutte pour la préservation du patrimoine mondial. On lui reconnaît le mérite d’avoir amorcé le dialogue des civilisations et d’avoir conceptualisé l’universalité des cultures à travers La tentation de l’Occident et Le Musée imaginaire de la sculpture mondiale.

Peu se rappellent que Malraux fut un pilleur de sites archéologiques, un vandale et un trafiquant sans scrupules qui entra dans la littérature avec un casier judiciaire de petit filou. En effet dans sa jeunesse, André Malraux s’est rendu au Cambodge pour piller les statuettes d’Angkor et les revendre à Paris. Arrêté, il faudra une mobilisation des artistes et écrivains à Paris pour le faire sortir de prison. L’ancien vandale reconverti en défenseur des arts et du patrimoine s’est-il assagi ?

A-t-il regretté son acte ? Pas sûr ! car au soir de sa vie, Malraux recevait dans sa résidence des Verrières-le-buisson, entouré des masques et statues de tous les continents. On y trouvait évidemment des Bouddha d’Angkor, mais aussi des masques Fang du Gabon et des statuettes dogon. Si l’on peut penser qu’il n’en faisait plus recel, il est néanmoins sûr qu’en recevant d’œuvres d’amis ou en les acquérant dans les ventes des galeristes, il se souciait peu de la manière dont ces objets étaient obtenus et en cela participait tacitement à ce trafic.

Picasso, Braque, Matisse, Vlaminick, Giacometti et Cie…

Voilà des artistes qui ont révolutionné les arts plastiques du 20e siècle. Ils ont fait voler en éclats la perspective, déstructurer les canons traditionnels de la peinture et de la sculpture. Le cubisme fragmenté de Picasso et la statuaire dégingandée de Giacometti sonnaient le renouveau de l’Art occidental. Quel fil relie tous ces créateurs ? L’Art nègre. Pardi !

Tous faisaient leur marché à la Galerie Carrefour tenue par Pierre Vérité à Paris. Picasso a piqué ses formes à la représentation stylisée du masque, Braque a braconné sur les terres du patrimoine africain… De sorte que l’Art occidental du 20e n’a pas été seulement influencé par l’Art africain, il l’a quelques fois détourné comme Duchamp détourna l’urinoir pour en faire une œuvre d’art. C’était du « ready made » avant l’heure.

A voir les visages des Demoiselles d’Avignon ou des portraits des femmes de Picasso, on comprend que ces œuvres sont plus proches du plagiat que de la ré-création. Même si tout le monde sait que cet art moderne est sorti de l’art africain comme le poussin de l’œuf, nul aveu de cette filiation de la part de ces artistes. On se rappelle de Picasso plein de condescendance disant à un journaliste ahuri : « L’Art nègre ? Connais pas ! ». Et ironie du sort, on se retrouve aujourd’hui avec des artistes africains qui, s’inspirant de leur patrimoine, se voient taxer de faire du cubisme ou de l’art naïf entendu comme un ersatz d’art.

Griaule, Malraux, Picasso… De ce compagnonnage entre l’Art nègre et ses amis, il en a résulté un cas unique dans l’histoire de l’humanité. L’Afrique est le seul continent dont 90% du patrimoine se trouve en Occident, dans les Musées et entre les mains de collectionneurs privés. Ce qui en fait un continent déboussolé, car dépossédé de son passé et de sa mémoire.

Et la saignée continue de plus belle à travers les œuvres d’art soustraites des Musées exsangues et offertes aux « nouveaux amis de l’Art africain » : hommes politiques et chevaliers d’industrie qui parcourent le continent ! A regarder le désastre engendré par ces amitiés très intéressées, on pourrait souscrire au propos qui dit : « Dieu, préservez-moi de mes amis. De mes ennemis, je m’en charge »

Barry Saïdou Alceny

L’Observateur Paalga

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