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Palais de justice de Ouagadougou : La petite corruption fait son petit bonhomme de chemin

Publié le jeudi 2 octobre 2008 à 02h31min

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Vous voulez établir rapidement un casier judiciaire ? Un certificat de nationalité burkinabè ? C’est simple et facile. Il suffit de partir au palais de justice de Ouagadougou et de passer par un circuit parallèle d’établissement de l’une ou l’autre de ces pièces moyennant une certaine somme d’argent.

Ce circuit, formé par une chaîne de complices comprenant des agents de la Fonction publique travaillant au palais, mais aussi des intermédiaires se faisant passer à la fois pour des parqueurs (gardiens de cycles),...

des vendeurs de timbres fiscaux et/ou de cartes de recharge téléphonique, existait dans l’ancien palais de justice et a suivi le déménagement de celui-ci à Ouaga 2000. Des citoyens ahuris et indignés par cette pratique ont informé le Réseau national de lutte anticorruption (REN-LAC), via le 80 00 11 22, le téléphone vert. En septembre 2007, des enquêteurs du REN-LAC dépêchés sur les lieux font le triste constat, édifiant… Constat qui cadre bien avec le thème de cette rentrée judiciaire.

Un jour de septembre 2007, il est 8 heures, le palais de justice de Ouagadougou, situé à Ouaga 2000 grouille de monde. A l’arrivée, les enquêteurs du REN-LAC, déjà avisés, s’adressent au monde gravitant autour du parking, histoire de s’informer pour savoir comment faire si l’on veut établir un casier judiciaire au palais de justice.

Sans aucune gêne, un revendeur de timbres les tire de côté et leur propose le marché. vous déposez votre demande directement au palais, vous aurez votre casier judiciaire dans une semaine. Mais si vous voulez, vous payez 1500 francs CFA par demande timbrée à 200 francs CFA et vous revenez à 17 heures, vous avez votre casier judiciaire. Les enquêteurs tentent de négocier une réduction du prix de la corruption, mais en vain ; leur interlocuteur est catégorique, car, dit-il, il ne gagne pas grand-chose.

Les enquêteurs font la fine bouche et se rendent à l’intérieur de la cour du palais de justice. Là, à première vue, les choses semblent se dérouler normalement. Des demandeurs de casiers judiciaires, de certificats de nationalité et autres pièces sont alignés devant la porte d’un bureau situé côté nord du bâtiment.

Dans le bureau, une jeune dame réceptionne les dossiers et procède à la vérification des différentes pièces. Elle ne reçoit, pour l’établissement d’un casier judiciaire, qu’une demande timbrée à deux cents (200) francs CFA, un acte de naissance et le paiement de la modique somme de cent cinquante-cinq (155) francs CFA. Les enquêteurs déposent auprès de cette dame trois demandes d’établissement de casiers judiciaires et rendez-vous leur a été donné dans une semaine, pour le retrait desdites pièces.

Retour auprès de l’intermédiaire, vendeur de timbres fiscaux et de cartes de recharge téléphonique. Faisant semblant d’avoir compris qu’il avait bien raison sur les délais d’une semaine, les enquêteurs lui remettent cinq demandes d’établissement de casiers judiciaires déjà timbrées avec la somme de sept mille cinq cents (7500) francs CFA. Rendez-vous est pris à 17 heures 30 pour entrer en possession des pièces demandées.

Des usagers interrogés sur place n’ignorent pas l’existence des pratiques de corruption qui ont cours au palais pour l’obtention de certaines pièces. Il est peu probable que cette façon de faire connue des usagers soit ignorée des responsables du palais de justice.

Présents au palais à 17H30, comme convenu, les enquêteurs constatent avec amertume que les sept mille cinq cents (7 500) francs CFA remis le matin ont fait leur effet : les cinq casiers judiciaires étaient bel et bien établis. La preuve est ainsi faite que nos interlocuteurs indignés du téléphone vert avaient raison : du racket à ciel ouvert qu’on opère au palais de justice de Ouagadougou, ce temple chargé de la moralisation de la vie publique. Il faut avoir du culot ou bénéficier de complicités bien placées pour oser le faire sans être inquiété !

Si l’on suppose que les racketteurs et leurs complices établissent en moyenne dix (10) casiers judiciaires par jour, les agents corrompus du palais de justice empocheraient indûment deux cent mille (200 000) francs par mois et l’intermédiaire cent mille (100 000). Ceci expliquerait-il cela ?

Au terme de cette enquête, le Secrétaire exécutif du REN-LAC a, par lettre en date du 6 novembre 2007, saisi monsieur le ministre de la Justice. Par cette saisine administrative, le REN-LAC visait d’abord à informer les premiers responsables du ministère des pratiques sus- citées en cours au palais de justice de Ouagadougou.

Le REN-LAC voulait ensuite susciter éventuellement une enquête de l’inspection technique pour vérifier les faits incriminés. Enfin, le REN-LAC espérait que par cette saisine administrative, les autorités du ministère de la Justice prendraient les dispositions nécessaires pour mettre fin à ces pratiques si les allégations du REN-LAC étaient confirmées.

Malheureusement, le constat est amer, jusqu’au moment où nous écrivons ces lignes, le ministère de la Justice n’a même pas daigné accuser réception de la saisine administrative du REN-LAC et encore moins y donner suite.

En août 2008, douze (12) mois après la première enquête, des enquêteurs du REN-LAC sont retournés au palais de justice pour effectuer une enquête de vérification ; le constat est plus écœurant : non seulement la pratique est toujours en vigueur, mais pire, la somme à débourser est passée de mille cinq cents (1 500) à deux mille (2 000) F CFA par casier judiciaire.

Sans doute que la vie chère est passée aussi par là ! Quel cynisme ! Le nombre de personnes collectant les dossiers dans le circuit irrégulier a aussi augmenté. Assis sous un arbre à côté du parking des cycles, les collecteurs de dossiers exercent leur juteux métier dans une quiétude totale.

En ces moments où l’emploi est une denrée rare, avec en prime la vie chère, peut-on vraiment s’en prendre à ces derniers ? Les vrais coupables sont à rechercher parmi les agents publics partie prenante du circuit, car sans l’adhésion de ces derniers, l’existence d’un tel circuit serait impossible.

Si le circuit existe, c’est parce que des travailleurs sans vergogne se sucrent, aidés en cela par des intermédiaires contents de cette manne, même si selon certains collecteurs de dossiers, ils n’ont en rien bénéficié de l’augmentation du prix de la corruption, car ils perçoivent toujours cinq cents (500) F CFA par cassier, les mille cinq cents (1 500) F CFA revenant aux signataires de l’acte.

C’est dans un tel contexte que monsieur Zakalia Koté, ministre de la Justice, garde des Sceaux déclare : (Cf. Sidwaya n° 6229 du 31 juillet 2008). La saisine administrative du REN-LAC dormait dans les tiroirs du ministère de la Justice au moment où le garde des Sceaux déclarait : « Lorsque vous êtes victime d’un acte de ce genre, on ne vous demande pas de venir avec une vidéo montrant par exemple un magistrat en train de prendre de l’argent.

On peut venir avec un ensemble d’indices et l’inspection se chargera de faire des investigations nécessaires pour établir s’il y a des présomptions sérieuses. A partir de ce moment, la procédure sera engagée. Mais si l’on se dit que les magistrats sont entre eux et vont se protéger et qu’on se contente de crier dehors sans rien faire, je pense qu’on ne s’aide pas soi-même, et on n’aide pas le pays. Il faut avoir le courage de dénoncer lorsque l’on est victime. Et c’est après avoir dénoncé que l’on va se plaindre si l’on ne voit pas de suite » Cf. "Le Pays" n°3980 du 23/10/2007.

Monsieur le ministre invite les citoyens victimes d’acte de corruption à avoir le courage de dénoncer les corrupteurs pour lui permettre de sévir ! Quel genre de dénonciations souhaite recevoir monsieur le ministre ? Si les citoyens ne dénoncent pas les actes de corruption dont ils sont victimes ou témoins, ce n’est pas parce qu’ils manquent de courage, mais tout simplement parce qu’ils n’ont pas confiance aux institutions chargées de dire la loi. Ils sont convaincus que, comme celle du REN-LAC, leurs dénonciations resteraient sans suite.

C’est le lieu d’interpeller le corps judiciaire sur l’image négative que de telles pratiques véhiculent. La justice, en principe chargée de veiller sur la morale publique (agents assermentés), doit-elle permettre que certains de ses éléments descendent dans la fange peu reluisante de la déchéance morale ? Il y va de l’honneur de tout un corps, même si la brebis galeuse ne fait pas le troupeau.

Le fait que ce soit des usagers du palais qui aient interpellé le REN-LAC sur l’affaire prouve que les citoyens de ce pays sont contre la corruption. Mais le phénomène est tellement englobant que certains pensent qu’ils n’ont d’autres portes de sortie que de participer à ce jeu ignoble. Il faut briser le cercle vicieux de la corruption qui se nourrit de cette complicité et de l’impunité.

Pour lutter efficacement contre la corruption, tous les acteurs doivent s’y investir. Le gouvernement et l’Administration publique (principalement judiciaire) ont le devoir et l’obligation de donner un signal fort en sanctionnant sans complaisance les corrupteurs et les corrompus.

L’essentiel n’est pas de donner l’impression de sévir en tirant seulement les oreilles aux agents indélicats du palais de justice. On attend surtout que les responsables de la justice, les autorités politiques et administratives attaquent le mal de la corruption à la racine et mettent en place un mécanisme de veille et de dissuasion permanent.

Le secteur privé, les opérateurs économiques, la société civile et les citoyens doivent se convaincre que la corruption, qui est un obstacle au développement économique et social de notre pays, n’est pas une fatalité ; ils doivent s’engager à la dénoncer et à la combattre.

Le REN-LAC se propose de publier vos réactions, vos suggestions, vos dénonciations, si cela est conforme à la déontologie et à l’éthique professionnelle. Vos critiques et suggestions sont les bienvenues. Pour toutes informations et suggestions, contactez-nous à l’adresse suivante : Réseau national de lutte anticorruption (REN-LAC) 01 BP : 2056 Ouagadougou 01, Tél. : 50 -33- 04- 73, Email : renlac@renlac.org, site : http: //www.renlac.org Tél. vert : 80-00-11-22 (gratuit).

L’Observateur Paalga

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