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Projecteurs : « Il va pleuvoir sur Conakry » de Cheick Fantamady Camara

Publié le jeudi 11 septembre 2008 à 08h41min

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C’est le premier long métrage du réalisateur guinéen Cheick Fantamady Camara. Ce film a obtenu le prix du public au Fespaco 2007. Passant actuellement sur les écrans du Neerwaya, il fait toujours salle comble. Autopsie d’un succès.

Il va pleuvoir sur Conakry fait penser au film politique Il pleut sur Santiago sur le sanglant putsch qui mit fin au régime de Salvador Allende et massacra des milliers d’étudiants chiliens- Gavras.

Et on se dit qu’il va pleuvoir sur la Guinée parce que le ciel versera des larmes et Dieu chialera à verse sur le pays du Général Conté où la soldatesque tire à balle réelle sur la jeunesse pendant les manifs sur la vie chère.

Mais à voir la proportion de femmes et surtout d’adolescentes dans les files devant les guichets, on se demande par quel miracle l’autre moitié du ciel connue pour son addiction aux films à l’eau rose est devenue subitement accro de films politiques.

Mais dès le générique, on comprend qu’on s’est fourvoyé. Car si ce film aborde les problèmes politiques, il exploite surtout un topos vieux comme le monde, celui de l’amour contrarié ou impossible.

A la Roméo et Juliette ou Tristan et Iseult. En effet, Il va pleuvoir sur Conakry raconte une histoire d’amour compliquée entre Bangali, un jeune caricaturiste du journal l’Horizon, et Kesso, une informaticienne et fille de l’employeur de Bangali.

Bangali est fils de Karamoko, l’imam de Conakry, qui a décidé que Bangali ira à la Mecque pour des études islamiques en vue de prendre sa succession. Pourtant Kesso est catholique et est un produit d’une classe moyenne européanisée. Aussi, Dieu et la classe sociale s’opposent à leur amour. Et une grossesse inopportune viendra compliquer bigrement cette relation. Etant entendu que l’Imam ne tolérera jamais un enfant illégitime dans sa bigote lignée !

Quoique Cheick Fantamady soit à son premier long métrage, il est au parfum des petits ingrédients qui font recette et remplissent la cassette d’un réalisateur. Il a choisi le triptyque sex, sea and sound. Dès l’entame, un travelling passe des toits de Conakry à la mer pour finir sur le plumard de Bangali. La nudité des corps envahit l’écran : Bengali nu hennissant tel un étalon entre les cuisses de Kesso roucoulante.

Et tout au long du film le spectateur sera servi en gros plans sur des popotins qui se trémoussent, des lolos à l’aréole sombre qui pendouillent, quelques propos salaces dites par une petite donzelle et qui iraient mieux dans la bouche d’une tapineuse avachie et ici et là ça couchaille à donf. Et en sus un peu de saphisme : un french kiss entre deux musiciennes.

La mer aussi est omniprésente avec sa plage qui sert de cadre à la romance des jeunes tourtereaux. Et la musique est bien enlevée : du rap, de la world un brin jazzy et des belles sirènes qui dansent, offrant au voyeurisme du téléspectateur leur plastique de rêve. Une bande son très in. En somme un cocktail très aguicheur.

Et cette histoire d’amour alambiquée rebondit entre problèmes politiques, manipulation des citoyens par les politiques ( une opération saaga truquée), les petits arrangements entre la presse et le pouvoir, les conflits de génération, les difficiles conciliations entre modernité et traditions…A défaut d’être original, Cheick Fantamady Camara offre avec ce premier film une œuvre plaisante qui questionne l’Afrique contemporaine sans tomber dans le militantisme vociférant.

Ce film a beaucoup de qualités, mais aussi les faiblesses d’une première œuvre. La multiplicité des thèmes abordés est consubstantielle à la première œuvre qui est toujours la matrice de toutes les préoccupations du créateur et contient de ce fait toutes les œuvres à venir du réalisateur ou de l’auteur. Mais du fait de cette multiplicité des thèmes qui amène l’intrigue à se ramifier dans tous les sens, le spectateur parfois se perd dans cette prolifération de saynètes.

Au risque de heurter les sensibleries des spécialistes du cinéma, ou de passer pour un dangereux cinéphile adepte du massacre à la tronçonneuse de l’art, on aurait aimé que le monteur ait la main plus audacieuse et les coups de ciseaux moins parcimonieux.

A cause des longueurs qui donnent parfois des langueurs à l’intrigue. Que les séquences qui se déroulent au studio d’enregistrement, en boîte, et celle de la rivière avec les laïus féministes de deux commères soient raccourcies ou coupées.

Et cric, cric, que l’on tailla amplement dans le film pour le resserrer autour de l’essentiel. Ce qui aurait donné plus de force au film et rendu le climax plus intense. Même le happy-end semble subsidiaire. Avis que contesteront avec raison les fleurs bleues formatées par les romances hindi et les telenovelas. Il est une chose admirable dans ce film.

C’est le refus des stéréotypes au niveau des personnages. Ici aucun manichéisme, rien n’est tout noir ou tout blanc, ce qui rend les personnages plus vrais et plus humains. Bangali est amoureux de Kesso mais cela ne l’empêche pas d’accueillir une ex dans son lit, Le dirlo de l’Horizon crée un chou au nom de la liberté d’expression mais il s’autocensure pour ne pas se mettre à dos les politiques, l’imam Karamoko est aussi gardien des fétiches et s’il croit au ciel promis par Allah il ne crache pas sur les félicités terrestres offertes par la femme, les jeunes bien que modernes croient à la prophétie des cauris et des rêves…

C’est la une peinture assez exacte car on sait que l’humain n’est pas fait d’une pièce mais d’ombre et de lumière, d’idéal et de chair… On espère, après avoir vu ce premier long métrage de Cheick Fantamady Camara qu’Il va pleuvoir sur la Guinée, non à cause de la mistoufle politique mais pour que s’enracine dans le sol de ce pays et pousse haut une graine de réalisateur qui pourrait dans les années à venir s’imposer comme un baobab du cinéma africain. Parce que Cheick Fantamady Camara est talentueux et a compris toutes les ficelles du cinéma populaire

Barry Saidou Alceny

L’Oservateur Paalga

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