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Jean de Dieu Somda : "La CEDEAO est une belle bête qui dort ..."

Publié le lundi 1er septembre 2008 à 20h52min

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Jean de Dieu Somda, Vice-président de la commission de la CEDEAO

Le vice-président de la commission de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) était l’invité des Editions "Le Pays", le vendredi 22 août 2008. Notre compatriote Jean de Dieu Somda qui a été accueilli par le Directeur général des Editions "Le Pays", Boureima Jérémie Sigué, a d’emblée félicité le journal pour ses progrès qu’il a qualifiés d’impressionnants. Le fonctionnaire de la CEDEAO qui dit lire "Le Pays" au quotidien depuis le building de la CEDEAO à Abuja (Nigeria), sur Internet, a également félicité l’ensemble du personnel des Editions "Le Pays", en particulier la rédaction du journal, pour le travail de très bonne qualité abattu tous les jours.

L’occasion faisant le larron, l’équipe de rédaction des Editions "Le Pays" lui a posé quelques questions. Pendant plus d’une heure d’horloge, Jean de Dieu Somda a dû satisfaire la curiosité de la rédaction de votre journal sur des questions telles que les tracasseries routières dans l’espace CEDEAO, l’avènement de la monnaie unique dans la communauté, les accords de partenariat économique (APE) avec l’Union européenne, etc.

Le Pays : La vice-présidence est un poste nouveau à la CEDEAO. Qu’est-ce qui a motivé la création de ce poste que vous occupez et quelles sont vos attributions ?

Jean de Dieu Somda : Il n’existait effectivement pas de vice-présidence à la CEDEAO. Les chefs d’Etats membres de la communauté ont décidé de commun accord de la création de ce poste pour l’exécution des affaires courantes. En ma qualité de vice-président de la CEDEAO, je suis chargé de suppléer le président de la commission, d’assurer les missions déléguées par lui. J’ai des fonctions spécifiques et des fonctions d’impulsion, de coordination des questions techniques. En d’autres termes, j’assume des fonctions qui me sont propres en tant que vice-président et des fonctions déléguées par le président.

On entend souvent parler de la CEDEAO des peuples. Que faut-il comprendre par cette expression ?

L’idée est partie du fait que depuis notre prise de service le 1er septembre 2007, nous nous sommes posé la question de savoir ce que nous allons faire des pouvoirs qui nous sont confiés. Il fallait se donner une feuille de route. Pour ce faire, nous avons fait une sorte de retraite pour réfléchir sur la méthode de travail à imprimer à chaque commission, pendant les 4 ans de mandat, et également au-delà de cet intervalle de temps. Nous avons réussi à faire une vision, un programme et un plan d’actions opérationnel.

C’est une sorte de feuille de route de 2007 à 2025. Nous voulons travailler de sorte à passer d’une CEDEAO des Etats à une CEDEAO des peuples. Nous faisons certes, des efforts dans le domaine du maintien de la paix. Ce fut le cas en Sierra Leone, au Libéria, au Togo, etc. Mais nous voulons davantage aller vers l’intégration entre les peuples. Ainsi donc, nous avons réussi à faire de l’espace CEDEAO l’unique région d’Afrique où l’on peut voyager sans visas. C’est un acquis énorme. Nous avons examiné ce qui marchait et ce qui ne marchait pas. Et ce qui ne marchait pas, c’était les conférences, les colloques, etc.

Nous nous sommes engagés à attaquer également les problèmes des tracasseries routières, car il ne fallait pas se contenter des succès engrangés dans le domaine du maintien de la paix. Nous travaillons à avoir des avancées significatives en matière de respect des droits humains. Nous voulons désormais que lorsqu’on parle de la CEDEAO, que les gens sachent que c’est quelque chose de bien.

De nos jours, pour aller de Cotonou à Lomé, de Ouagadougou à Abidjan, etc., il y a beaucoup de tracasseries routières et vous en êtes certainement conscient. Que prévoit la CEDEAO pour enrayer définitivement ce fléau ?

Vous me permettez là de rentrer dans le concret, comme on le dit. Pour mieux comprendre la situation, nous nous sommes dit que nous devons faire l’expérience nous-mêmes par la route. C’est ainsi que nous avons entrepris de faire le tour des 15 Etats par la route. Et j’ai moi-même vécu cette expérience. Il y a des endroits que j’ai traversés à pied. A certaines frontières, des éléments disposent des boîtes. Il faut y jeter une pièce d’argent avant de passer.

Même si vous avez des documents d’identité, on n’en a cure. Lorsque je suis arrivé à ce corridor, j’ai vu des gens jeter de l’argent dans la boîte avant de se voir autoriser le passage. Et moi, j’ai refusé de le faire et je me suis fait gronder par le policier qui ne m’avait sans doute pas reconnu, puisque je portais un jeans. Nous nous sommes donc rendu compte que les passagers avaient des problèmes pour traverser les frontières. Or, dans le protocole sur la libre circulation des personnes et des biens, il est prévu que la pièce d’identité nationale, le passeport, le permis de conduire, ou toute autre pièce permettant d’identifier le citoyen, peut permettre de passer la frontière.

Mais il se trouve que les pays anglophones ne connaissent pas la carte d’identité. Donc, il vous faut y présenter le passeport. A la limite, vous pouvez passer les frontières avec le permis de conduire, mais pas la carte d’identité qu’ils ne connaissent pas. Lorsque je suis arrivé, je leur ai présenté ma carte d’identité ; ils m’ont dit : "Mais monsieur ! on ne peut pas mettre de tampon sur votre pièce ! en plus, c’est plastifié ! Comment pouvons-nous enregistrer votre passage ?" Je leur ai dit : "Mais… il faut trouver un mécanisme ! peut-être photocopier la carte". Ils m’ont demandé si je voulais leur montrer leur travail.

Il m’ont alors demandé mon passeport et j’ai répondu "no passport". Alors ils m’ont dit : "No passport, you will no go" (ndlr : sans passeport, vous ne passerez guère). C’est pour vous dire que nous avons souvent des problèmes. Pour régler tout ça, nous avons réfléchi et nous avons commencé à mettre en place des comités nationaux de suivi de la mise en œuvre du protocole sur la libre circulation des personnes. Ce comité est composé de personnes-ressources, de journalistes, de magistrats, d’avocats, des personnes de bonne volonté qui sont suffisamment instruits et qui connaissent les textes que nous mettons en place à chaque poste frontalier, auprès de la comités de la CEDEAO.

Nous les avons équipés en ordinateurs et en téléphones cellulaires. Nous allons lancer le premier comité à Lomé très prochainement dès la reprise, et bientôt, on aura ces Comité-là dans tous les postes frontaliers, surtout terrestres, car c’est là-bas que se situe le gros du problème.

Que feront-ils concrètement ?

Ils seront là pour enregistrer les violations du protocole sur la libre circulation des personnes. Nous avons prévu des sanctions immédiates. Cela pour que les premiers cas fassent école et dissuadent les autres. Il faut que les gens aient déjà peur. Il faut qu’ils prennent conscience que s’ils violent le protocole, ils courent de graves risques d’être saisis, d’être punis, et ensuite nous allons faire tout un tapage pour dire qu’ils ont été de mauvais éléments. Par contre, nous avons prévu également un mécanisme d’encouragement. Nous nous sommes posé la question de savoir pourquoi les gens rackettent. Les réponses sont quasi invariables : les mauvais salaires, les mauvais équipements, etc. Les éléments sont aigris or, ils ne peuvent rien faire à leur hiérarchie.

C’est comme ça qu’ils se rabattent sur les pauvres passagers. Nous nous sommes dit donc qu’il faut créer une certaine émulation. Nous avons prévu 500 dollars par mois et par agent qui aurait été reconnu par le même comité d’observation comme étant un agent exemplaire. Et nous allons prendre trois par corps de service : police, gendarmerie, douane et eaux et forêts. Et une fois par trimestre, nous allons nous rendre à ces postes-là pour récompenser les heureux élus. Nous innovons ainsi parce que si on se contentait de leur donner des distinctions, ou des prix honorifiques, ça ne fait pas bouillir la marmite comme on le dit.

C’est pourquoi nous avons voulu que ça soit du sonnant et du trébuchant. 500 dollars, ça n’a l’air de rien. Mais multipliés par 3, ça fait 1500 dollars, et pour certains pays un salaire de 1500 dollars, ce n’est quand même pas mal. Voilà des mesures très concrètes que nous comptons expérimenter et bien sûr avec l’appui de la société civile, des jeunes, des gens qui voyagent beaucoup, des commerçants qui subissent les tracasseries, etc. Avec ces mesures, nous sommes convaincus qu’on va arriver à bout de ces tracasseries.

Les chefs d’Etat ont renouvelé plusieurs fois la volonté d’appliquer concrètement le principe de libre circulation des personnes et des biens. Et ce principe de libre circulation des personnes est reconnu depuis le temps de Kankan Moussa qui est allé à la Mecque sans que l’on lui demande de visa. Aujourd’hui, les décideurs sont d’accord. Les populations ne demandent que ça. Qu’est-ce qui manque pour que ça fonctionne ?

Le problème se situe au niveau de l’échelon intermédiaire constitué par ceux qui sont chargés de l’application des mesures sur le terrain. Nous avons creusé le problème, nous avons mené des enquêtes. Certains nous ont dit : "Ecoutez ! moi, j’ai pas reçu mon salaire depuis 6 mois. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ?" Il y en a qui montrent leur tenue pour dire : "Regardez, j’ai une tenue en haillons. Je dois m’acheter une tenue. Je vais le faire avec quoi si ce n’est la contribution des passagers qui me font réveiller à 2 h du matin…". Ce sont des plaintes très concrètes.

Est-ce que la question de la monnaie n’est pas un des obstacles à la réalité de la CEDEAO des peuples quand on sait qu’entre deux pays en dehors de l’UEMOA, il peut toujours y avoir des difficultés lors des transactions financières. Alors, à quand la monnaie unique de la CEDEAO ?

Pour vous répondre tout de go, je dois vous dire que les chefs d’Etat ont pris la décision que la nouvelle monnaie de la CEDEAO est envisageable à l’horizon 2009. Pour ce faire, ils ont commis la commission composée des gouverneurs des banques centrales, des ministres en charge des questions monétaires, de mener toutes les études et de faire des propositions concrètes.

Et comme vous le savez, pour créer une monnaie, c’est pas sorcier ; il suffit de décider, c’est un acte souverain tout comme le drapeau, comme l’hymne national. On peut même ne pas faire d’études. Quand on créait le franc CFA, on n’a pas mené mille études ! On a simplement décidé qu’on créait le franc CFA et on l’a fait. Il y a dans l’espace CEDEAO, 8 autres monnaies en plus du franc CFA.

Alors, on peut, soit décider de créer une nouvelle monnaie, soit décider de mettre en cohérence les 8 autres monnaies et il sera ensuite plus facile de créer une monnaie unique. On va dans ce cas demander aux pays non membres de l’UEMOA de faire une convergence de leur monnaie et quand ils auront atteint un certain équilibre macroéconomique, on pourra en ce moment fusionner avec le CFA pour créer une monnaie unique. La troisième voie possible, c’est de voir parmi les 15 Etats ceux qui peuvent constituer une masse critique. On peut considérer 2, 3, 4 ou 5 Etats qui, mis ensemble, pourraient prendre la décision de créer une monnaie commune.

Ça sera suffisamment solide et crédible pour déjà lancer la monnaie et les autres pays à économie beaucoup moins importante s’aligneront progressivement derrière cette monnaie-là. Si les pays constituant la masse critique représentent environ 70% de l’économie de l’espace CEDEAO, les autres Etats n’auront pas d’autre choix que de s’aligner derrière la monnaie unique qu’ils auraient créée. Vous voyez, lorsque l’Euro par exemple a été créé, on a mis à peu près 10 ans pour faire disparaître les autres monnaies. Ce sont donc les trois scénarios possibles pour aller vers la monnaie unique de la CEDEAO. En attendant cela, nous avons, au niveau de la CEDEAO, immédiatement mis en place un mécanisme de coordination de ces différentes monnaies-là.

En Sierra Leone, nous avons créé une direction délocalisée d’Abuja qui, tous les jours, fait le rapport des mouvements des capitaux de banque centrale à banque centrale, entre les 8 monnaies. Donc déjà, tous les jours, à partir de mon bureau, je peux vous dire matin comme soir, le nombre de Cédis rentrés au Burkina, le nombre de CFA partis au Ghana, etc. On a la situation au jour le jour. Deuxièmement, on essaie de faire la cotation des monnaies. C’est un peu déjà comme une espèce de serpent monétaire ouest-africain que nous avons, qui n’a peut-être pas encore de règles rigides, mais qui permet déjà de connaître le cours de ces différentes monnaies entre elles au jour le jour.

Le directeur de ce service basé en Sierra Leone a l’obligation, tous les jours, de m’envoyer la situation monétaire de la sous-région que je retrouve toujours dans ma boîte mail parmi les documents les plus urgents. Nous avons par ailleurs mis en place un autre mécanisme qui va aider les pays qui n’ont pas le CFA, de créer ce que nous appelons la deuxième zone monétaire basée à Accra au Ghana, qui a élaboré des critères de convergence pour ces pays-là, afin que leurs économies convergent. Car, comme vous le savez, la monnaie est adossée à une économie. Cela nous permettra de créer notre monnaie unique qui va tenir la route, qui soit crédible, qui soit respectée et qui soit transférable.

Avez-vous un délai de travail pour lancer cette nouvelle monnaie ?

C’est l’horizon 2009. Nous espérons que d’ici à 2009 nous aurons terminé toutes les études et que nous allons soumettre les différents scénarios aux chefs d’Etat avec les avantages et les inconvénients de chaque scénario.

La CEDEAO a-t-elle un système ou une politique de communication ?

Aujourd’hui, aucune politique de développement, aucune politique d’intégration sérieuse ne peut se mettre en place avec un minimum de chance de succès sans une bonne communication. Je crois que celui qui n’a pas compris que la communication est au début et à la fin de tout processus de développement a déjà raté son décollage. Il faut communiquer ne serait-ce que pour amener les gens à adhérer à votre programme. Par exemple, je parlais plus haut de comité de suivi de la mise en œuvre du protocole sur la libre circulation des personnes. Si les gens ne sont pas informés, comment voudriez-vous qu’ils puissent nous appuyer dans ce programme ?

Ce n’est pas depuis ma tour à Abuja que je pourrai tous les jours être à tous les corridors ? Il faut donc que les gens soient informés. Pour ce faire, nous avons commencé par redynamiser le département de la communication et de l’informatique de la CEDEAO. Lorsque je suis arrivé, même le site de la CEDEAO était fermé depuis longtemps. Il n’y avait aucun journal de la CEDEAO ; on ne parle même pas de radio, encore moins de télévision. On se contentait seulement de communiqués de presse après chaque sommet. Nous avons donc songé à redynamiser le département de la communication, mais nous sommes confrontés à des difficultés énormes, d’abord en terme de ressources humaines. Car il n’y avait pratiquement personne, pas de journalistes confirmés. Il n’y avait qu’un seul francophone, alors que les pays francophones sont majoritaires à la CECEAO.

Il n’y avait que des anglophones dont la plupart étaient sans grandes notions journalistiques. Ils passaient des commandes des journaux du monde entier pour les faire lire, mais ils ne produisaient pratiquement pas des journaux. Alors, la première des choses que nous avons faite, c’est de relancer complètement l’appareil. On est actuellement en train de faire des recrutements. Donc, si vous suivez, vous verrez bien qu’il y a des appels à candidature pour étoffer ces départements-là. Nous avons également lancé les recrutements au niveau de l’informatique, parce qu’on ne peut pas communiquer aujourd’hui sans l’instrument informatique.

Mais en attendant, nous avons créé trois organes qui nous permettent déjà de communiquer provisoirement. Nous avons créé un support écrit qui est Eco de ECOWAS. C’est un hebdomadaire en couleurs qui paraît tous les lundis, avec des publications sur les principales activités de la CEDEAO. Nous allons bientôt le mettre sur le site internet. Nous n’avons pas encore les capacités de créer un quotidien comme vous autres (rires). Vous avez ensuite Impact CEDEAO. Nous avons pris attache avec un organe audiovisuel qui suit nos activités, qui assiste à toutes nos cérémonies, qui fait des montages et une fois par mois, envoie la copie à tous les Etats membres qui, eux-mêmes, diffusent au niveau interne. Il est produit en trois langues.

L’anglais, le français et le portugais. Vous avez ensuite le site internet qui est eco.int. Il fournit des informations générales comme particulières. Par exemple, vous pouvez y découvrir la vie de tous les commissaires jusqu’à leurs photos. Nous sommes actuellement en train de faire le toilettage de ce site pour le réactualiser pour que vous puissez par exemple avoir l’organigramme, les CV de tous les dirigeants de la CEDEAO.

Les différents organes de la CEDEAO, les parlements, la Cour de justice, pour savoir comment c’est organisé et comment ça fonctionne. Ensuite, les avis de concours, les avis de recrutement, la liste des concours, etc. Il y a donc une multitude d’informations et en plus la monographie de tous les pays membres. Vous retrouverez chaque pays avec son drapeau, son hymne, la superficie, etc.

Nous voulons rendre le site plus alléchant et à la hauteur de la CEDEAO qui, aujourd’hui, fait largement près de 300 millions d’habitants, et 5 millions de kilomètres carrés. Comme j’aime à le dire, la CEDEAO, c’est une belle bête qui dort ; il ne faut pas la réveiller subitement, sinon elle risque de casser les porcelaines à son réveil. Mais, il nous faut résolument la réveiller ! Et si on arrive à la réveiller, on obtiendra des choses extraordinaires. Mais actuellement, c’est une belle bête qui dort. Actuellement, elle commence à sortir de sa torpeur. On doit donc lui donner un peu de temps, pour lui permettre de se réveiller totalement.

Quels sont les rapports d’intégration que la CEDEAO entretient avec les autres institutions internationales telle que l’UEMOA ?

Nous avons estimé que si nous pratiquons la synergie entre les institutions, nous allons tirer le maximum de possibilités pour accélérer le développement. Bien que l’Union africaine ait décidé que désormais, il n’y aura plus que 8 organisations sous- régionales en Afrique. Et nous, nous avons la chance qu’en Afrique de l’Ouest il n’y en a qu’une : la CEDEAO, officiellement reconnue comme l’organisation d’intégration, de développement de l’Afrique de l’Ouest. Nous avons l’intelligence de dire que toutes les forces peuvent concourir à accélérer l’intégration et le développement.

Nous prenons en compte le savoir-faire de ce qui existe déjà. Je veux parler du CILSS, du Liptako Gourma, du Conseil de l’Entente, de l’UEMOA, etc. Nous avons mis en place un mécanisme de coordination et de suivi, un secrétariat conjoint qui coordonne, qui tient régulièrement des réunions. Le plus souvent c’est à Ouagadougou ici que nous envoyons nos techniciens qui les rencontrent et qui tiennent des réunions de coordination et de suivi d’activités pour voir là où on peut faire des économies d’échelle ; là où on peut faire fonctionner le système de la subsidiarité.

Quand l’UEMOA réussit quelque chose de bien, ce n’est plus la peine d’inventer encore la roue. On voit comment on peut étendre cette expérience réussie à la CEDEAO. Au début, j’avais des difficultés eu égard à la susceptibilité de certains qui disent que l’UEMOA est francophone. J’ai fini par comprendre, et l’astuce que j’ai eue, consiste à ne plus dire que l’expérience venait de l’UEMOA. Je laissais faire et ce n’est que lorsque tout le monde se mettait à dire que c’est fantastique, que j’apportais la précision que ça venait de l’UEMOA. C’est autant de mécanismes que nous avons mis en place pour économiser nos énergies et utiliser au maximum la subsidiarité. Ce qui est déjà bien fait, il ne faut pas recommencer parce que c’est une perte d’énergie.

Et qu’en est-il au niveau interne des Etats ?

Nous n’avons pas pour habitude de rentrer dans les questions spécifiques aux Etats. Ce n’est pas notre rôle. Nous sommes plutôt des facilitateurs de tout ce qu’il y a de positif dans les Etats pour les booster vers le renforcement de la démocratie, la bonne gouvernance si bien que nous n’apportons jamais de jugement de valeur sur les politiques internes des Etats. Ceci étant, nous pensons que l’exemple doit venir de nous- mêmes. Il nous faut mettre d’abord en place un bon service d’information au niveau de la CEDEAO, et s’appuyer sur ce service d’information efficace pour rayonner et éclabousser le reste.

L’exemple doit venir de la CEDEAO qui, pour le moment, n’est pas un gouvernement fédéral. Ce serait mon souhait qu’il le soit un jour. Mais en attendant, nous devons travailler à donner le bon exemple, à éclabousser les structures semblables dans les Etats et d’accompagner les mouvements positifs. Ce qui est négatif, nous le regrettons bien sûr. Mais il ne nous appartient pas de juger les Etats.

Votre regard en tant vice-président de la CEDEAO n’est certainement pas le même que celui que vous aviez en tant que ministre au Burkina…

Je dois rappeler qu’effectivement avant d’aller à la CEDEAO, j’ai exercé d’autres fonctions ministérielles. J’avais même tenu les départements chargés des questions de la CEDEAO aux Affaires étrangères. J’ai été ministre délégué pendant plus de 5 ans. Pour moi, ça été quelque chose de fantastique parce que je voyais beaucoup de choses qu’il était possible de faire pour faire évoluer la CEDEAO.
C’est vous dire avec quel enthousiasme j’ai débarqué à Abuja pour enfin mettre en pratique ce que je savais faire déjà au niveau d’un Etat, et faire partager cette expérience au niveau de 15 Etats. Pendant plus de 5 ans, j’ai eu le temps de voir les avantages et les tares de la CEDEAO. Donc, je savais à peu près par où il fallait déjà attaquer. Bien sûr, en tant que ministre de l’Intégration qui était mon dernier poste gouvernemental ici, j’ai fait de mon mieux pour, non seulement mériter la confiance de ma nation et pour bien défendre les intérêts de mon pays, mais aussi défendre des intérêts au niveau des 15 pays ; c’est encore plus valorisant.

Au début, j’avais toutes les difficultés du monde parce qu’il fallait gérer 15 méthodes administratives différentes, 15 cultures administratives différentes avec 3 langues différentes, parce que les documents arrivent indifféremment en anglais, en français et en portugais, et il faut tout de suite travailler et donner des ordres dans ces langues-là. Quand vous apportez les méthodes sahéliennes où on reconnaît quand même que nous travaillons beaucoup, à des gens qui n’ont pas l’habitude de travailler beaucoup, ça pose problème.

Quand vous imposez un conseil hebdomadaire à des gens venant de pays où on peut faire 6 mois, voire un an sans conseil, ça pose problème. Et comme parmi les commissaires, j’ai jusqu’à 3 anciens ministres qui avaient l’habitude de flaimarder au niveau de leur pays, quand je leur ai apporté la touche sahélienne, ça a posé problème. Quand j’ai imposé qu’il fallait limiter les jours de mission à pas plus de 10 jours par mois, et que chaque mission doit faire l’objet d’un rapport en conseil, ce n’était pas évident pour des gens qui n’avaient pas l’habitude des papiers.

Au début, ça protestait de tous les côtés. Il y en a qui faisaient des ordres de mission pour aller à Paris, et vous les retrouvez après à Lagos où ils vont faire leur week-end et ils reviennent. Quand vous leur demandez de faire un rapport de mission, ça pose problème. Pire que ça, j’ai instauré le système de bonne gouvernance à la burkinabè : quand vous revenez de mission, on veut voir les photocopies de votre billet d’avion ou de votre titre de voyage, on veut voir le nombre de jours et s’assurer que ça correspond aux perdiems que vous avez perçus. Si c’est moins, vous remboursez le différentiel. On vous remet tout de suite un ordre de recette. Travaillez les jours de fête, les week-ends, ce n’était pas évident. Au bout d’un an et demi on fait faire une évaluation par des bureaux d’études norvégiens et américains. Les résultats ont montré que 85% du personnel a pris le pli et les gens travaillent ! Si vous venez à la CEDEAO à 22h, vous verrez bien que les lumières sont allumées, les gens travaillent. Travailler de 9 h à 22 h, c’est désormais courant.

Nous avons instauré le système de travail par objectifs. Ils ne sont pas habitués à ça. Le niveau intellectuel joue beaucoup également. Il y a des gens qui ont de faux diplômes. Quand ils tombent sur du concret, ils vous ferons un travail qu’il faut faudra mettre à le poubelle. Sinon là-bas, chacun a au moins 3 doctorats mais ils ne sont pas capables de vous faire un travail correct.

On n’a pas trop entendu la CEDEAO sur le coup d’Etat en Mauritanie. Pouvez-vous nous dire quelle réaction ce coup de force a suscitée au niveau de la CEDEAO ?

C’est tout simple ! La Mauritanie n’est pas membre de la CEDEAO. Nous n’allons pas aller acheter la bagarre des autres.

Pour revenir aux routes, il y a une faille sur la route reliant ce pays à ses voisins du nord. Que prévoit la CEDEAO pour résoudre définitivement cette angoisse des conducteurs ?

La route Bobo-Boromo, la route Niamey-frontière du Burkina, et la route Koupela jusqu’à la frontière du Togo constituent le réseau routier que nous sommes en train de mettre en place. On appelle ça le réseau de la CEDEAO. Il correspond au programme routier du NEPAD. Et comme le NEPAD est tombé dans ce que vous savez, nous avons récupéré tout ce qu’il y avait de positif, notamment le projet infrastructures. Nous en avons fait le programme de la CEDEAO.

Nous sommes en train d’interconnecter tous les réseaux routiers d’abord. Il y a des plans. D’abord le corridor maritime qui fait Lagos –Cotonou- Lomé – Accra – Abidjan. Et d’Abidjan, on continue sur le Libéria, la Sierra Leone, Conakry, la Guinée Bissau, la Gambie, pour regagner Dakar. Nous sommes en train d’exécuter ce projet par tronçons. Ce sont des routes standard, comme ce que vous avez sur la route de Bobo.
Ce sont des routes très solides et à l’entrée de chaque grande ville, elles se transforment obligatoirement en autoroutes. Il y a également le grand dossier de l’autoroute de la CEDEAO qui est actuellement confié entre les mains des ministres des Transports. C’est également un grand projet car cette route prévoit partir de Lagos pour remonter sur Abuja jusqu’à Niamey, qui rentre dans le territoire burkinabè, qui redescend sur la côte avec des bretelles sur Niamey et Bamako – Dakar. Ça fait à peu près 5000 kilomètres. C’est ce que nous appelons l’interland sahélo-saharienne.

Mais la grande côtière également est en chantier. Il y a un autre projet d’interconnexions en chemin de fer. Pour ce projet, nous allons impliquer le secteur privé.

Où en est-on avec la signature des Accords de partenariat économique (APE) entre la CEDEAO et l’Union européenne ?

Vous vous souvenez sans doute qu’à l’occasion du dernier sommet de la CEDEAO tenu ici même à Ouaga, cette question des APE était à l’ordre du jour. C’est aussi là l’un des problèmes de la communication. La question était à la mode. Nous, nous travaillons, tout en prenant en compte tous ces inputs. Parce que ce qu’il y a de bon, c’est que les gens parlent, critiquent, émettent des idées. Nous nous mettons à l’écoute de tout ce qui se passe, les associations qui ont eu à manifester, etc. Nous avons réussi à convaincre l’Union européenne que si nous signons les APE avec son seul volet commercial, cela n’intéresserait pas l’Afrique. Simplement parce que pour le moment, nous n’avons rien à vendre.

Même pas nos matières premières dont nous n’avons pas d’emprise sur les prix. Les prix sont fixés à Londres, New York, etc. Donc si ce n’est qu’un APE uniquement basé sur le seul volet commercial, cela n’intéresse pas l’Afrique. Par contre, si c’est un APE basé sur le développement, ça, par contre, nous en sommes preneurs. Nous leur avons dit : « Vous, vous subventionnez vos agriculteurs, ce qui fait que les nôtres ne peuvent plus vendre. Mais si vous nous aidez à nos rendre compétitifs, à transformer nos matières premières avec une valeur ajoutée marchande, leur permettant d’être compétitives faces aux produits des pays développés, en ce moment-là, c’est du développement et ça devient intéressant.

Ça nous permet d’aller sur le marché avec des produits qui peuvent compétir. C’est ça qui nous intéresse. En clair, nous avons dit à l’Union européenne que APE d’accord, mais APE basé sur le développement. Et pour que ça soit basé sur le développement, il faut d’abord mettre à niveau nos industries. Et faire en sorte que lorsqu’on produit par exemple un savon à Ouaga avec l’huile de coton, que ce savons puisse être reconnu et accepté par l’espace de l’Union européenne, sans qu’on mette des barrières non tarifaires en disant qu’il n’est pas hygiénique, qu’il risque de donner le cancer de la peau, alors que nous avons leur savon ici et nous n’avons aucun système de vérifier s’il est cancérigène ou pas. Il nous faut donc mettre nos industries aux normes et nous n’avons pas les moyens de le faire.

Lorsque l’Union européenne s’est ouverte à l’Europe de l’Est, on a mis des centaines de milliards d’euros. Pour les APE, ils nous proposaient à peine deux ou trois milliards. Nous avons dit que ça ne nous intéressait pas. Il faut mettre sur la table des choses sérieuses ! Nous avons des matières premières stratégiques tels que le coton, le café, le cacao, qu’il ne faut pas s’amuser à brader ! A la CEDEAO, nous sommes sereins, lorsque nous discutons avec l’Union européenne à Bruxelles ou à Abuja lors de nos réunions alternatives. Nous avons beaucoup moins de pression politique ; nous n’en avons d’ailleurs pas du tout !

Nous savons que derrière nous, il y a nos 300 millions d’habitants qui constituent quelque chose de solide à laquelle nous sommes adossés. Actuellement, l’Union européenne a accepté le volet commercial et nous avons mis en place un calendrier, un chronogramme qui va de la fin de l’année 2007, jusqu’à juillet 2009. Et si les choses continuent d’évoluer comme c’est le cas actuellement, puisque nous avons prévu la dernière grande réunion à Nouakchott (Pour les APE nous négocions toujours en tant que CEDEAO plus Mauritanie), tout finira par s’arranger et nous irons progressivement vers la signature des préaccords. Il convient de souligner que ce que la Côte d’Ivoire et le Ghana ont signé, ce ne sont pas des accords, mais des préaccords.

Il ne s’agit même pas de signature, mais de paraphes que ces pays-là ont déposés. Cela veut dire que la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigeria avaient l’obligation de se conformer à l’ouverture généralisée du marché pour compter du 1er janvier 2008, étant donné qu’ils ne sont pas classés parmi les pays les moins avancés. Il fallait qu’ils donnent des paraphes pour matérialiser leur volonté de finaliser un accord ! Mais cet accord n’est pas prêt. Et comme du point de vue juridique, si vous ne présentez aucun document à la date indiquée, vous tombez immédiatement sous les sanctions de l’OMC, il fallait que ces pays donnent des paraphes. C’était juste une astuce que nous avions trouvée pour ces Etats pour leur permettre d’éviter des sanctions au 1er janvier 2008.

L’accord définitif sera global et va concerner tous les 15 pays à la fois. Et comme nous n’avions pas des organes de presse avec nous pour bien expliquer, les gens n’ont pas compris et en ont fait tout un tas de problèmes. Sinon, les négociations sont toujours en cours et nous sommes en très bonne voie pour aboutir à un accord global définitif des 15 pays, d’ici juillet 2009. Et on est dans le timing.

Et pourquoi ne pas aller vers le principe de 15 Etats, une voix ; ce qui aurait pour avantage d’éviter que l’Union européenne vienne négocier séparément avec les Etats ? Surtout que l’inverse est inimaginable…

Je comprends bien votre préoccupation et je la partage. Seulement, on fait face à des réalités internationales. On n’a pas encore une capacité de négociation forte, pour faire face à ces gens-là. Sinon ce serait très simple. Mais je pense que l’absence de la puissance de négociation devrait être comblée par la puissance de l’intelligence et ça au moins, ils ne peuvent pas nous l’enlever. Nous jonglons avec cette intelligence pour accompagner les Etats individuellement ou collectivement. A la CEDEAO, nous avions mis en place un comité qui travaillait de façon très cool avec les autorités ivoiriennes et ghanéennes pour leur monter les crocs-en-jambe qu’il faut éviter. C’est ça le rôle de la CEDEAO. Il nous faut donc travailler avec beaucoup d’intelligence.

Peut-on savoir comment le vice-président de la CEDEAO a accueilli la déclaration du Guide de la Révolution libyenne qui a prôné la suppression des organisations sous-régionales dans les perspectives de l’Unité africaine ?

Ça, c’est la question du sabre ou quoi ? (Rires). Comme vous l’avez dit, c’est une déclaration, pas plus que ça ! Vous savez qu’un responsable politique du niveau d’un chef d’Etat a le droit de faire des déclarations que lui inspire le moment. Mais ce n’est pas une décision ! Et tant que ce n’est pas une décision, il n’y a pas de problème ; ça fait partie de la démocratie internationale : la possibilité de dire ce qu’on pense et accepter que d’autres personnes pensent autrement. C’est tout ! Nous prenons ça comme tel ! Pas plus que ça, ni moins que ça d’ailleurs. Toujours est-il que ça participe de l’exercice de la diplomatie internationale.

Entretien réalisé par la Rédaction. Retranscription : Paul-Miki ROAMBA
Le Pays

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