LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Prises de positions de Mgr Jean-Marie Compaoré : Une analyse à l’aune de la culture moaga

Publié le mardi 19 août 2008 à 12h26min

PARTAGER :                          

Mgr Jean-Marie Compaoré

A la suite de son article sur Monseigneur Compaoré, San Finna a reçu une réaction qui apporte une autre perception du message du prélat. Elle conseille d’aller au-delà du vocabulaire stricto sensu pour replonger dans notre culture afin de comprendre qu’il arrive souvent chez les Mosse d’avoir des propos, des comportements qui sont souvent loin de ce que peut croire celui qui n’est pas immergé dans la culture moaga.

Chers amis,

Mon analyse sur la sortie de Monseigneur Jean Marie Compaoré est toute autre : Dans ce cas de figure, pour moi, il y a l’homme dans toute ses dimensions culturelles et religieuses à considérer. Dans la première, il est tenguêbiiga (NDLR : enfant du pays). Donc avec toute la philosophie que peut regorger ce groupe des yonyonsé (NDLR : autochtones) dans ses valeurs positives. Être prélat ne signifie pas renier ses origines. Il n’y a pour cela qu’à considérer ses armoiries d’évêque. Dans la dimension religieuse, nous venons de dire qu’il est évêque. Donc une personnalité de l’Église catholique romaine. Mgr Jean Marie a bien dit qu’il n’a pas parlé en tant qu’évêque, mais en tant que lui, Jean Marie, dans ses limites humaines. Mais pour nous en effet et sous-entendu à notre bons sens à tous, il ne niera pas avoir parlé en religieux. Ce qui veut dire que s’il avait engagé l’Église, il parlerait uniquement pour les chrétiens. Mais en n’engageant pas l’Église, il ouvre un débat à toutes les âmes de bonne volonté pour faire passer la parole de Dieu en tant que baptisé. Mais comment ? Et c’est cela même la question car une chose est d’avoir un message, une autre est de le communiquer. La chose est d’autant plus difficile que les hommes de nos jours le plus souvent ignorent (les symboles ne privilégiant que la seule vérité scientifique)

Ceci dit, revenons à la fameuse déclaration. Remarquons que Monseigneur a parlé avec le temps passé. Je propose de reprendre phrase par phrase ses déclarations et en les traduisant en langue nationale moré avec tout ce que cela induit comme représentations propres au terroir moagha : « en faisant de telles déclarations, j’avais tout simplement joué la vérité » (Heï ed togs taab siida).« Je suis à 110% pour l’alternance » : (m’da tulgamé bala n’na yéelé ti tékran, mam yin data nor koabga n’dol piiga).« mais je ne suis pas pour l’alternance pour l’alternance... » (la Tekr pa tekd ti y a raab yé). En d’autre termes Mgr Compaoré pourrait avoir pensé qu’ on ne fait pas d’alternance sur la simple volonté de faire de l’alternance. Cela pourrait relever d’un pur caprice. On ne joue avec le pouvoir. Ce qui confirme que pour qu’il y ait alternance, il faut une nécessité même absolue. Or dans ce cas présent, y a-t-il nécessité ? La nécessité est absolue (pour le vérifier, il suffit de passer en revue toutes les homélies, les lettres pastorales de l’homme, surtout depuis l’assassinat de Norbert Zongo où il n’a eu de cesse jusqu’à nos jour, de dénoncer l’impunité, la corruption, la mal gouvernance etc.) à 110% = 10x10+10. Un chiffre divin dans la trinité de Dieu, dans la mentalité africaine : 10x10 représente l’éternité de Dieu et +10 Dieu dans ses relations avec les hommes. C’est là tout le mystère que renferme le langage humain qui ne peut contenir toute la parole de Dieu et demande d’autres interprétations.

Pour ma part, je pense que l’adresse vise d’abord le pouvoir : il faut tout d’abord que Blaise accepte de reconnaître la nécessité de l’alternance. Ensuite, quand bien même il accepterait ce principe, il doit le poursuivre selon les règles de l’art que requiert une bonne démocratie et non pas parce qu’il veut assurer ses arrières à lui (pour se convaincre de cette bonne volonté de Mgr Compaoré, il n’est que de relire Ecclesia in Africa du Pape Jean Paul II sur le synode africain et les appréhensions exprimées à ce sujet et sur le processus démocratique en Afrique par les évêques africains dont Mg Jean Marie était alors Président de la Conférence épiscopales Burkina-Niger). Souvenons-nous de ce qui s’est passé dans d’autres pays, Cuba, la Russie et tout dernièrement le Kenya, le Zimbabwe avec Mugabe etc. Ce qui veut dire en effet que l’alternance pour l’alternance ne nous fait pas sortir de l’auberge. Cela explique aussi et sans doute la suite : « il faut qu’on choisisse quelqu’un capable de présider aux destinées d’un pays. Changer pour changer n’est pas la solution ».

Maintenant du côté de l’opposition qui réclame à cor et à cri l’alternance : Que feront-ils une fois arrivé au pouvoir ? Là également les exemples abondent : prenons le cas du Sénégal après Abdou Diouf ou du Niger après Maïnassara pour ne citer que ceux-là, et à quel prix on paie pour cette alternance sans pour autant l’acquérir ? Puis Mgr Jean Marie Compaoré ajoute : « je suis certes pour l’alternance ». Ce qui veut dire qu’il ne démord pas de l’idée d’une alternance. « Mais en analysant la situation actuelle ». Dites moi s’il vous plaît si la situation, en ce moment, malgré les promesses et réformes bidons de Tertius Zongo qui ne va pas à l’essentiel et se contente du menu fretin comme coup d’éclat, a vraiment changé depuis l’élection de Blaise en 2005 ?

Souvenons-nous de l’accueil que son Mgr Compaoré et son équipe ont réservé aux membres du gouvernement lors des émeutes contre la famine en février dernier. Tout simplement éloquent ! « J’ai dit (NDLR : Monseigneur) donc que le Burkina n’avait rien à gagner avec l’alternance » en moré ceci ramène à « Kuuni wend Tékré bi am kam fâan tala a rênda ». Si le président Blaise Compaoré doit plier à l’idée de l’alternance en nous imposant sa manière à lui en mettant à sa place son homme qu’il pourra à volonté manipuler, autant qu’il reste au pouvoir, le Burkina n’a pas besoin de ce type d’alternance. Il en est de même si l’opposition n’arrive pas à proposer quelque chose qui puisse permettre une vraie alternance avec quelqu’un « capable de présider aux destinées d’un pays ». Un capable qui sache accepter les transformations nécessaires permettant qu’avec la voix du peuple, il puisse résister aux pressions extérieures et à la corruption. Donc il avait dit. Mais il y avait de cela trois ans. Le temps est passé…

Il y a trois ans encore, on ne parlait pas de concertation avec les confessions religieuses et coutumières, encore moins de refondation. Rappelez-vous sa rencontre avec les refondateurs au cours de laquelle il a précisé qu’au début il avait cru à une ruse des hommes politiques. En effet que de ruses les politiques n’emploient pas pour abuser de l’honnêteté de tout le monde ? Blaise nous a précisément eu par ces ruses-là. Que n’a-t-il fait pour solliciter l’Église, les coutumiers, les religieux, pour les aider à sortir d’impasse ? Que n’a-t-il fait pour solliciter des hommes politiques pour participer à ses gouvernements, des intellectuels pour faire des recherches, des journaux … pour asseoir son pouvoir tant au plan national qu’international ? Au fond, que reprochent les refondateurs CDPistes ?

Quasiment la même chose. Mais il y a le langage qui est empreint de politesse détournée envers le chef de l’État qu’il est. En d’autres termes, on lui rappelle –tout en imputant les fautes aux autres- qu’il avait promis et qu’on a accouru à son appel à lui pour voir aujourd’hui celles-ci reléguées dans les calendes grecques. Disons au passage que traiter les refondateurs CDPistes d’anciens CNPPistes n’est pas un mal en soi. A l’époque où il fallait élaborer l’avant projet de la Constitution, les CNPPistes ont été, avec d’autres ténors qui ont ouvert la voie comme ceux du MDP, ceux qui se sont battus corps et âme et contre vent et marée pour faire rayer la non limitation des mandats. Et ce fut grâce à l’Église que le principe de la deuxième chambre qui devait servir de Sénat aux coutumiers religieux et professions avait acquis. Aujourd’hui qu’en est-il de cette institution dont même le Collège de sages a recommandé l’amélioration.

En résumé, je voudrai faire remarquer que dans la sagesse africaine, nous devons apprendre à découvrir à travers des affirmations leurs contraires. Un exemple, pendant la révolution, Hado la cantatrice du Larlhé-Naba chantait dans les chaînes de la radio nationale : « Pourquoi devrai-je suivre les vieux, je suivrai bien les jeunes pour qu’on bâtisse notre pays ». J’étais furieuse contre cette cantatrice qui hier encore louait la sagesse des vieux, et qui chantait maintenant les hauts faits des jeunes contre les vieux. Ce retournement de veste me révoltait au plus haut degré. Mais ma mère et les vieilles qui étaient là me rétorquèrent : « Si les révolutionnaires laissent circuler la chanson, c’est qu’ils n’ont pas encore saisi le message lancé à tous le Burkina contre eux, car depuis quand a-t-on vu des jeunes construire sans vieux. Ils démolissent tout, la preuve...Hado lance un cri d’alarme à tout le Burkina ». En effet quelque temps après la chanson fut retirée car les déguerpissements, les exécutions sommaires, les dégagements de la fonction publique faisaient rage. Toute chose que les vieux n’auraient pas avalisée. Pire, nous vivons encore ces situations.

La question se pose alors de savoir que pouvons-nous en effet de nos jours attendre (compte tenu des circonstances) d’une alternance tant attendue dans son absolu à 110% ? On peut donc dire du langage de Mgr Jean Marie Compaoré qu’il a parlé comme la défunte Hado en Moré (ya Moré)Ya Moré ne désigne pas nécessairement et uniquement la langue des Mossé. C’est aussi le style particulier fait de nuances, de demi-mots… Le Moagha qui dit « Ya Moré » renvoie quelque peu aux utopistes qui, pour critiquer, dépeindre la réalité, empruntaient des symboles, se plongeaient dans l’imaginaire pour échapper aux foudres des régimes tyranniques d’alors. Ce qui peut signifier aussi « c’est du Gourounsi, du Bobo, de Lobi et même du peulh (je dis même parce que les Mossé pensent que les peulhs sont encore plus rusés) etc. »(Sê bé Mossin wân m’bé buzinnin wa, sê bé Mossin wan m’bé silmissin wa).
Ce qui fait que dans les traditions africaines, quand un sage parle, c’est de la pentecôte.

Toutes les autres ethnies comprennent ce qu’il veut dire. La pentecôte est une manifestation de l’esprit à l’universel après s’être d’abord manifesté à un groupe par un messager qui en principe subit l’incompréhension dans son propre groupe. C’est pourquoi, je puis affirmer que je ne me fait pas l’avocat du diable, en voulant coûte que coûte prendre la défense de Mgr Jean Marie Compaoré (il y a de toute manière des personnes mieux placées pour le faire), mais tout simplement pour partager ma vision et ma compréhension en tant que chrétienne catholique recevant un message d’un dignitaire de l’Église.

Ne croyez pas, chers amis, que je vous fais le reproche de la mauvaise compréhension des paroles du prélat. Au contraire, cela permet de récolter les différentes interprétations que peut avoir un texte dans son contexte donnée et dans une situation donnée, dans sa sémantique comme dans sa sémiologie, et cela est très instructif. Cela aussi est très journalistique. En plus, la langue française le plus souvent ne se prête pas facilement aux nuances de nos langues. Mais la balle est surtout dans le camp de ceux qui promettent l’alternance.

Qu’ils nous promettent seulement les 100 % et promettent encore qu’ils laisseront les 10 % à la performance de l’équipe qui suivra. C’est à ce moment que nous pourrons saisir la portée des paroles de Mgr Compaoré et le réhabiliter. Nous ne pouvons pour le moment que l’encourager à supporter son martyr. Mais moi je dis gare à une campagne électorale ou aux déclarations fracassantes contre les religieux et les coutumiers comme certains leaders politiques l’ont fait jadis. Ce serait comme on dit en moré mettre de la fiente dans son semoir. Ce qui sera loin de convaincre la population burkinabé dans sa majorité.

Marie Mechtilde GUIRMA
marieguirma@yahoo.ca

San Finna

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique