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Mauritanie : Autopsie d’un coup d’Etat

Publié le mardi 19 août 2008 à 11h51min

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L’article ci-après, comme son titre l’indique, est une autopsie du coup d’Etat intervenu en République islamique de Mauritanie, le 6 août 2008. L’auteur, Kuseblè K. Marc Somda, tout en condamnant le coup de force, invite les différents médiateurs à mettre du tact dans leurs interventions.

En renversant le président démocratiquement élu, les ex-généraux ont prétendu avoir agi pour sauver la démocratie et préserver la sécurité du pays. Ce faisant, ils tentent ainsi de remettre au goût du jour le concept éculé, désuet et fallacieux de "coup d’Etat légal", qui se caractérisait par la prétention des putschistes de respecter tout ou en partie les règles constitutionnelles ou de mieux défendre les droits du peuple.

Cet oxymore, aussi dangereux que provocateur de coup d’Etat légal, avait aussi été justifié, dans le temps, par des actions hardies et extraordinaires que les princes sont contraints d’exécuter contre le droit pour le bien public, et qui sont nécessairement légales dans une monarchie où la volonté royale doit non seulement commander selon les lois, mais encore aux lois mêmes si la nécessité le requiert.

Dans l’histoire, le concept de coup d’Etat légal avait été évoqué dans les années 1639, puis ultérieurement appliqué au coup d’Etat de Napoléon Bonaparte du 9-10 novembre 1799, devenu par la suite l’Empereur Napoléon 1er, caractérisé alors de "coup d’Etat légal du 18 brumaire An VII". Le même coup d’Etat légal sera utilisé plus tard par son frère Louis Bonaparte qui devint Napoléon III le 2 décembre 1851. Mais ce dernier utilisera le terrain parlementaire pour pouvoir concilier l’emploi de la violence et le respect de la légalité, faisant dire plus tard à monsieur C. Malaparte dans son ouvrage "Technique de coup d’Etat", Grasset, Paris 1931 que "seul le Parlement peut, en effet, aider les conjurés à insérer le fait accompli dans l’ordre constitué par une greffe de la violence sur la légalité constitutionnelle".

En ce début du deuxième millénaire, rien ne saurait encore justifier la prise du pouvoir par le recours à la force ou la menace d’y recourir. Le coup d’Etat se définit comme la prise de pouvoir par des moyens illégaux ou comme la tentative inconstitutionnelle ou illégale réussie ou non de conquête ou de reformulation du pouvoir politique, fondée sur l’usage ou la menace de la force. Ce qui s’est passé en Mauritanie n’est autre chose qu’un coup d’Etat opéré par des hommes pour se venger d’un président démocratiquement élu qui les a destitués. Reste maintenant la tentative de légitimation.

Les facteurs de succès d’un coup d’Etat

La réussite d’un coup d’Etat réside dans l’attentisme ou la caution implicite des forces armées ou des forces politiques. A cet égard, les ex-généraux semblent avoir le soutien de l’armée. Quant à la classe politique, au lieu d’être unie pour dire non à l’arrêt brutal d’une jeune démocratie jugée exemplaire en Afrique, elle s’est divisée, ce qui menace dangereusement la cohésion nationale, la stabilité et la paix du pays.

Mais faut-il s’en étonner dans cette Afrique où, pour certains hommes politiques, il n’y a pas de principes, ne parlons surtout pas d’idéologie ; il ne semble avoir que d’événements. Il n’y a pas de Constitution ou de lois qui vaillent d’être défendues envers et contre tout ; il n’y a que des circonstances au gré desquelles il faut agir selon le sens de ses intérêts égoïstes, la recherche de la meilleure planche alimentaire oblige. Le respect des intérêts du peuple, ce peuple qui les a investis d’un mandat ? On verra aux prochaines joutes électorales.

La réussite du coup d’Etat dépend aussi du silence des médias, du mutisme des intellectuels et de la passivité des populations. Toutes choses qui donnent le temps au temps, facteur fondamental de l’acceptation du fait accompli. Sur ce plan, les actions et appels enregistrés ça et là ressemblent à des cris dans le désert. Les généraux semblent décidés à n’entendre que leur raison.

La réussite d’un coup d’Etat repose enfin sur la reconnaissance du nouveau pouvoir par les gouvernements étrangers et les organisations internationales. Là, la communauté internationale, notamment l’Union africaine, a le dos au mur. Depuis la date fatidique du 6 août 2008, la diplomatie est certainement en marche. Mais l’entêtement des généraux à instaurer leur ordre, avec à la clé la nomination d’un Premier ministre, sonne comme un signe annonciateur de l’échec ou alors de l’impuissance de cette diplomatie. Mais, sachons espoir garder, car en matière d’actions diplomatiques, il faut aller lentement parce qu’on est pressé.

Autre temps autres mœurs

De la période des empires et de l’absolutisme à l’esprit de La Baule en passant par la déclaration universelle des droits de l’homme et l’histoire politique tumultueuse parfois tragique des Etats africains, il y a des alchimies et des trompe-l’œil que nos gouvernants ou ceux qui aspirent à nous gouverner devraient désormais s’interdire de servir au peuple. L’histoire n’est plus à réinventer. La démocratie, l’Etat de droit démocratique, le respect des droits humains ne sont plus l’affaire des seuls gouvernants ou de quelques supposés rédempteurs.

Ils transcendent les frontières nationales pour devenir des valeurs chères à toute la communauté internationale. Ils possèdent en eux-mêmes les principes et procédés légaux de règlement des conflits qui leur sont inhérents ou des déviations éventuelles. Dans la démocratie, le peuple choisit les dirigeants qu’il mérite. Il se trompe rarement. Alors, il ne faudrait pas que sous prétexte de sauver cette même démocratie, ou de servir ce même peuple, on desserve toute une nation en lui imposant d’autres sacrifices, l’instabilité, l’incertitude des lendemains, le retard dans son développement socio-économique et culturel. Il faut guérir les maux de la démocratie par plus de démocratie, dit-on.

Au nom du respect des valeurs républicaines et des droits de l’homme, le président démocratiquement élu doit être rétabli dans ses fonctions. Le système constitutionnel doit être rétabli. Respect des droits humains, car la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont nous fêtons en cette année 2008 le soixantième anniversaire, énonce en son article 23 que la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes.

Respect des droits humains, car la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dispose que tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays soit directement soit indirectement par l’intermédiaire de représentants librement choisis ce, conformément aux principes édictés par la loi (article 13). Respect des droits humains enfin, parce que ce sont les intérêts de tout un peuple qui sont aujourd’hui hypothéqués, menacés. En somme, ce coup d’Etat est un déni des droits humains du peuple mauritanien. Sans tomber dans un "droits-de-l’hommisme" débridé, les défenseurs des droits de l’homme de tous les pays devraient conjuguer leurs efforts pour obtenir le rétablissement de l’ordre constitutionnel en Mauritanie.

Il faut y mettre du tact

Les intervenants, quel que soit leur statut, devront, cependant, formuler des propositions qui ménagent l’orgueil des usurpateurs et jouer avec leurs suiveurs ou ceux acquis à leur cause pour qu’ils ne se sentent pas ridicules ou exclus une fois la situation revenue à la normale. La grandeur d’un homme réside aussi dans sa capacité non seulement à assumer correctement ses responsabilités, mais aussi à reconnaître que l’on peut se tromper. Les ex-généraux doivent se ressaisir. Il faut éviter au peuple mauritanien l’épreuve des sanctions économiques qui se profilent ; il faut lui éviter les sacrifices d’une autre élection, dont personne n’ignore le coût et les péripéties. Mais au juste, quelles élections, dans quelles conditions et avec quels candidats ? On ne vote pas à reculons !

Kuseblè Somda K. Marc Juriste rivksomda@yahoo.fr

L’Observateur

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