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Orodara : Les mangues ne pourrissent plus la vie des producteurs

Publié le mardi 19 août 2008 à 11h40min

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La localité de Orodara dans le Kénédougou produit abondamment des fruits. On l’a d’ailleurs baptisée "Verger du Burkina". Dans cette partie ouest du pays, des milliers de producteurs de mangues surtout tirent un profit substantiel des vergers, à une période qui correspond généralement à celle de la soudure chez les sahéliens.

C’est cette abondance de la production fruitière qui a justifié l’implantation à Orodara d’une unité de transformation de fruits tropicaux à vocation d’exportation. Pour l’instant, l’usine "consomme" annuellement 6 000 tonnes de mangues, sur sa capacité annuelle installée de 12 000 tonnes. Cette capacité devrait passer à 36 000 tonnes dans quelques années. Finie donc la période des mangues pourries à Orodara. Mais tout n’est pas rose car les producteurs manquent d’organisation, de formation, d’encadrement technique, de sensibilisation...

Orodara, 5 août 2008. La saison des mangues tire vers sa fin. On cueille crues les dernières variétés communément appelées "Keitt", "Krouba-Krouba", "Brooks" et "Retard". Des camionnettes de type 7 et 10 tonnes ramènent de la brousse les derniers stocks de mangues qui sont majoritairement acheminés vers Bobo Dioulasso, distante de 76 km. Et comme chaque année, ce sont des milliers d’exploitants de vergers qui se frottent les mains. Le bilan global de la campagne en finition est connu : la saison a été assez bonne, de l’avis de tous les exploitants de vergers. Mais moins bonne que celle de 2007, au cours de laquelle les manguiers ont été beaucoup plus féconds. Une situation qui n’étonne pas Boureima Barro qui gère un verger familial de plus de 80 hectares de manguiers dans la "brousse" de Djiguèra, dans le Kénédougou. Selon lui, il est habituel que les mauvaises saisons succèdent aux bonnes saisons. "L’année dernière, explique-t-il en langue bambara, nous (ndlr : propriétaires de vergers) riions tous à pareille période. Mais cette année, la moisson est moins satisfaisante. Mais on n’a pas à se plaindre, c’est comme ça. C’est sûr que l’année prochaine, nous allons nous réjouir de nouveau..."

La mouche de fruit s’est invitée à la cueillette !

Paul Ouédraogo, coordonnateur de la Coopérative paysanne du Kénédougou (COOPAKE), parle le même langage. "Après la très bonne campagne que nous avons eue l’année dernière, nous devrions nous attendre à une mauvaise campagne", dit-il. Avant d’avancer une deuxième raison beaucoup plus scientifique : l’attaque parasitaire par le Diptera tephritidae, la mouche dite de fruit. Ce parasite, qui est indéniablement la contrainte majeure, responsable de pertes de production considérables pour le manguier, s’est invité cette année dans les vergers de Orodara. C’est une mouche qui s’attaque à la mangue et qui, y pond ses oeufs. Dans certaines zones, des vergers entiers ont été attaqués par la mouche de fruits qui détruit la mangue avant même qu’elle ne mûrisse. Et en cas d’attaque parasitaire quelconque, les producteurs ne prennent généralement plus le risque d’exporter leurs productions. Car en Europe, lorsqu’on y découvre la moindre larve, c’est la cargaison tout entière qui est détruite et l’exportateur gère tout seul les pots cassés, a indiqué le coordonnateur de la COOPAKE.

Mais une mauvaise saison de mangues dans le "Verger du Burkina" n’est pas pour autant synonyme de rareté ou de surenchère du fruit. Les manguiers de Orodara ont produit cette année pour le Burkina, ses voisins et même l’Europe, pas moins de 60 000 tonnes de mangues de différentes variétés. Et comme chaque année, la mangue vendue au détail n’a presque pas de prix dans le fief des Sénoufo et Siamou. Sur la place du marché principal de Orodara, Aminata Traoré, vendeuse de mangues, confie qu’au mois de juin, il n’est pas possible à un enfant de 6 ou 7 ans, de transporter tout seul un panier de mangues de 500F CFA achetées au marché de Orodara. "A cette même période, en cas de bagarre dans le marché, on se sert des mangues vertes comme armes. Les bagarreurs se jettent les mangues dessus", rigole Awa, sa voisine, comme pour dire qu’il y a un trop plein de mangues au marché de Orodara en cette période de l’année.

A Dieu, l’époque des stocks pourris

Jadis, la mangue pourrissait sur le marché de Orodara et ses environs, en raison de la mévente. Cela a été reconnu par tous nos interlocuteurs. Amadou Coulibaly, qui appartient à une famille de producteurs de mangues de Orodara, se souvient de la situation en 1978 : "A cette époque-là, il y avait beaucoup de mangues à Orodara, mais le marché était presqu’inexistant. Pour l’exportation, nous avions le Niger comme destination privilégiée. Mais pour nous, c’était la croix et la bannière. Pire, nous n’étions jamais sûrs de rentrer de Niamey avec de l’argent, tant le marché y était capricieux. Mais les choses se sont nettement améliorées de nos jours, surtout avec l’implantation de l’usine à Orodara (...)".

Aujourd’hui, en effet, la mangue ne pourrit plus que sous l’effet des attaques parasitaires. Car des initiatives ont été développées depuis les 15 dernières années, visant d’une part, à mieux organiser l’exportation, et d’autre part, à booster la transformation locale. En l’espace de quelques années, des unités de séchage de mangues ont poussé comme des champignons à Orodara et à Bobo Dioulasso. Et, cerise sur le gâteau, Dafani SA qui a transformé sa première mangue le 14 juin 2007, a mis fin à l’époque des mangues pourries à Orodara. Et ce sont les producteurs qui s’en réjouissent les premiers ; eux qui ont vite fait de signer avec Dafani SA, plus de 480 contrats individuels et des contrats par groupement, engageant au total plus de 2000 d’entre eux ! A côté de cette unité à vocation d’exportation, et bien avant elle d’ailleurs, des structures telles que la Coopérative paysanne du Kénédougou, née depuis 1963, ont fait de l’écoulement des productions fruitières, leur cheval de bataille. Ainsi, la COOPAKE, selon son coordonnateur, compte 150 producteurs membres, exploitant plus de 1400 hectares. Ceux-ci procurent chaque année à la coopérative une quantité suffisante de mangues, destinée soit à la vente auprès des exportateurs ou sur le marché national, soit à la transformation dans les unités de séchage de la COOPAKE qui fonctionnent depuis 1994.

Implantée dans la banlieue de Orodara, l’usine de transformation de fruits tropicaux se porte très bien sur le plan commercial. Mais cette unité à vocation sous-régionale qui n’a jusque-là fonctionné qu’à 70% de sa capacité réelle, est déjà confrontée à un problème crucial sur le plan industriel que son directeur général a résumé en ces termes : "Les producteurs de mangues de la région de Orodara ne sont pas encore bien formés pour fournir à Dafani la mangue de qualité qu’il lui faut, et au moment où il faut". Du coup, Dafani SA est obligée d’aller suivre l’évolution de "sa" matière première depuis les manguiers, jusqu’à s’assurer qu’elle est "mature". Pour ce faire, un service d’encadrement est créé et déployé dans les 4 provinces (Kénédougou, Houet, Comoé et Léraba) pour encadrer les producteurs, afin de leur donner le réflexe du respect des normes de qualité de Dafani. Ce service d’encadrement s’intéresse spécifiquement aux 5 variétés transformées par l’unité que sont : Amélie (ou gouverneur), Lipens, Retard, Kent, et Keitt. Il s’agit exclusivement des variétés communément appelées greffes. Une fois mature (pas forcément mûre), la mangue est récoltée et stockée chez le producteur pendant 2 à 3 jours au terme desquels elle est collectée, pesée et transportée à l’usine par les camions de Dafani. A partir de ce moment, poursuit le DG de Dafani SA, le producteur peut même suivre le camion jusqu’à Orodara où il pourra toucher son argent dans un délai maximum de 24 heures. A l’usine, les mangues sont transformées après avoir été sur place mûries, triées, et lavées.

S’organiser ou périr !

Les producteurs eux-mêmes ont reconnu ce manque de professionnalisme qui les handicape sérieusement. Boureima Barro pense que les exploitants de vergers de la région de Orodara gagneraient à être autant organisés, formés, et encadrés que le sont déjà les producteurs de coton. Pour lui, il est impérieux de songer à la création d’une union nationale des producteurs de mangues du Burkina, afin de donner leur chance aux exploitants de vergers, de bénéficier d’un encadrement technique de l’Etat et d’éventuels partenaires. "Des coopératives existent, avoue-t-il, mais elles ont déjà montré leurs limites dans le domaine du suivi des vergers". Amadou Coulibaly pense lui aussi qu’il faut former les producteurs afin de faire de la filière mangues un véritable instrument de lutte contre la pauvreté dans le Kénédougou. "Tant que les producteurs iront en rangs dispersés, prévient-il, il n’y aura de rentabilité ni pour eux, ni pour Dafani. Et dans le meilleur des cas, c’est Dafani qui pourra à la longue profiter de cette inorganisation..." M. Coulibaly estime qu’il appartient aux jeunes producteurs de très vite penser à s’organiser, de se donner la main, car il y va de leurs intérêts. Il dit avoir en projet d’organiser les jeunes producteurs et les amener à prendre conscience du fait que les vergers du Kénédougou peuvent constituer une "mine de diamant", surtout avec l’arrivée de Dafani.

La production annuelle de mangues au Burkina est estimée à 80 000 tonnes, dont 60 000 transformables. Dafani SA a une capacité d’absorption de 12 000 tonnes de mangues. Elle se plaint pourtant de pénurie de matière première ; ce qui fait qu’elle ne fonctionne qu’à 70% de sa capacité réelle. Le Directeur général, Dieudonné Manirakiza, explique ce paradoxe par le fait que "tout le monde ne se comporte pas de façon équitable sur le marché". Ainsi donc, l’usine ne tourne pas à plein régime même en début de campagne, au mois d’avril et mai, car en ce moment, la plupart des producteurs se tournent vers l’exportation. Si bien qu’il n’y a que très peu de mangues pour Dafani qui ne tourne alors que 3 à 4 jours par semaine. Il faut donc attendre la fin mai pour avoir la mangue en quantité suffisante et faire tourner les machines à plein régime.

En tout état de cause, Orodara qui mérite bien l’appellation de "verger du Burkina" peut se targuer d’avoir, depuis toujours, la palme de la production de mangues au Pays des hommes intègres. Et en plus du fruit qu’elle exporte à l’état "brut" et à l’état transformé (jus de mangue, mangues séchées, etc.), la localité de Orodara produit également des plants de manguiers de différentes espèces. Cet autre produit est également commercialisé, principalement dans les autres villes à l’intérieur du Burkina. Une générosité sur toute la ligne !


Où vont les produits Dafani ?

En tant qu’unité à vocation d’exportation, la loi fait obligation à Dafani d’exporter au moins 80% de sa production totale. Pourtant, les produits qui n’ont que 6 mois de présence sur le marché sont demandés à hauteur d’au moins 50% de la production totale sur le marché burkinabè. L’autre moitié est distribuée entre les pays de l’espace UEMOA en plus du Ghana et du Nigeria. Et, comme pour se racheter vis-à-vis de la loi, Dafani complète le manque à gagner pour l’exportation, avec la purée de mangue qui est d’ailleurs entièrement destinée à l’exportation vers l’Europe et les pays arabes.

P.M.R


Histoire des vergers de Orodara

L’histoire retient que la tradition de l’agriculture fruitière dans le Kénédougou remonte à 1934, sous l’impulsion de la Mission catholique. Depuis lors, les producteurs n’ont jamais baissé la garde et ont, en l’espace de quelques années, réussi à faire du Kénédougou, surtout sa partie sud, un gigantesque verger dont une grande partie de la production est acheminée vers l’intérieur du Burkina, le Niger et la Côte d’Ivoire. Et il n’y a pas que la mangue à travers ses différentes variétés, même si c’est ce fruit qui, depuis la nuit des temps, est le plus en vue.

Car la production fruitière chez les Sénoufo et Siamou concerne également l’orange, la banane, la papaye, l’anacarde, le bissap, etc. Le producteur Amadou Coulibaly qui ne néglige pas ce rôle joué par les missionnaires, pense par ailleurs que l’on ne doit pas passer sous silence le nom de Sy Traoré dans l’histoire de la promotion de la production de mangue à Orodara. Cet homme qui n’est plus de ce monde depuis près d’une vingtaine d’années se serait pratiquement sacrifié pour encourager les Orodaralais à planter sans cesse des manguiers.


La mangue, 6e fruit mondial

Le monde entier produit 26,3 millions de tonnes de mangues chaque année. Ce fruit est ainsi le 6e le plus produit au monde après la banane, le raisin, l’orange, la pomme, et la banane plantain. 89 pays dans le monde, dont le Burkina, sont producteurs de mangues. Avec une production annuelle qui a franchi la barre de 10 800 000 tonnes, principalement consommée sur place, l’Inde est le premier pays producteur de mangues au monde. Il est suivi de loin par la Chine qui produit annuellement 3 622 000 tonnes. En Afrique, c’est le Nigeria qui détient la palme avec 720 000 tonnes de mangues par an ; ce qui lui vaut le 9e rang mondial. Il est classé après d’autres pays tels que la Thaïlande, le Mexique, le Pakistan, les Philippines, le Brésil et l’Indonésie.

P.M.R


Concurrence avec le Mali ?

La province du Kénédougou fait frontière avec la partie sud-est du Mali, également productrice de mangues. Les deux régions partagent presque les mêmes marchés à l’exportation. A en croire le coordonnateur de la COOPAKE, des producteurs de Orodara ont été victimes de leur stratégie, cette année en début de campagne. Ils auraient voulu attendre que les prix montent et atteignent ceux de l’année dernière, avant de cueillir leurs productions. Et pendant ce temps, les producteurs maliens livraient déjà leurs marchandises, ce qui aurait occasionné une ruée des exportateurs vers l’autre côté de la frontière. Et le marché burkinabè des mangues étant ciblé par les exportateurs sur une période de seulement 3 semaines, les producteurs qui voulaient faire plus de profit se seraient retrouvés presque sans acheteurs étrangers, et auraient finalement accepté de se contenter de la moitié du prix qu’ils espéraient au début. Cela est sans doute l’une des nombreuses conséquences du manque d’organisation chez les producteurs de mangues de Orodara.

Par Paul-Miki ROAMBA

Le Pays

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