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Retrocession de Bakassi au Cameroun : Le plus dur reste à venir

Publié le lundi 18 août 2008 à 12h20min

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Vendredi dernier a pris officiellement fin un conflit dont on aurait pu craindre les pires développements. Le monde et l’Afrique en particulier ont la mémoire chargée de ces contestations territoriales qui finissent par embraser des nations. Comme on le répète à raison, les colonisateurs ont laissé derrière eux, sur le continent noir, des bombes à retardement qu’à l’occasion, ils savent allumer : en traçant des frontières sans fondement historique, ils ont créé des pays et des Etats dont l’existence est rendue précaire par l’irrationalité du découpage territorial qui les a fait surgir dans l’histoire.

Des peuples, des familles ont été arbitrairement séparés ou rassemblés, de sorte que les entités territoriales et politiques ainsi constituées auront, pour longtemps, des limites contestables et... contestées.

Et quand de telles contestations surgissent, l’habitude est de penser que c’est la force qui doit décider du droit. Partout, dans le monde, les nations ont tendance à appuyer leurs prétentions territoriales par la force. D’autant que, dans des conflits de ce type, on voit généralement s’affronter deux logiques, deux droits équivalents dans une mesure assez large. L’exemple le plus emblématique est évidemment celui de l’éternel conflit qui déchire "les terres saintes". Et, sur cette question, il est évident que les clivages Est-Ouest, Occident-Tiers-Monde, ... sont sans pertinence. Entre l’Espagne et le Maroc, entre l’Argentine et l’Angleterre, entre la Russie et le Japon, le conflit est larvé sans que l’idée d’un recours à un arbitrage international ne soit à l’ordre du jour. On se souvient que c’est par la force que l’Angleterre a imposé, à l’Argentine, sa souveraineté sur les Malouines. Et, quand on analyse prosaïquement les événements, on s’autorisera à considérer que ce sont, en dernière instance, des données de ce genre qui expliquent, en dernier ressort, le conflit qui a amené, en pleins jeux Olympiques, les armées russes à une cinquantaine de kilomètres de la capitale de la Géorgie.

Or, de ce point de vue, l’histoire devra retenir que ce sont deux pays africains qui ont renouvelé l’esprit grec de l’Olympisme antique : le Nigeria et le Cameroun ont mis un terme à un conflit qu’ils ont géré, il est vrai, depuis une quinzaine d’années, dans un esprit de responsabilité, et dans un sens aigu de la nécessité de régler les différends, quels qu’ils soient, par la discussion, la négociation et l’arbitrage en fonction de la règle du droit.

L’Afrique, à cause peut-être du fait que ce problème se pose avec acuité sur son sol, donne maintenant l’exemple. Régulièrement, des Etats africains conviennent de se tourner vers des juridictions internationales pour trancher ce genre de différends. Le Burkina et le Mali, après des affrontements malheureux, ont convenu de soumettre la cause à la Justice de la Haye. Et ils se sont pliés aux décisions de la cour internationale. Le Nigeria et le Cameroun sont passés tout près du conflit armé en 1994 et 1996 à propos du territoire de Bakassi. La faute aux colonisateurs britannique et allemand qui ont tracé les frontières de ces deux pays, et aussi au pétrole et au gaz dont regorge le sous-sol de Bakassi. Il y a là tous les ingrédients pour une explosion durable, pour une guerre, pour le déferlement des chauvinismes que savent exploiter tous ceux dont l’appétit est particulièrement glouton.

Il faut rendre hommage au Nigeria et à celui qui présidait alors ce pays, Olusegun Obasanjo. Non seulement ce pays est un géant, mais encore son armée était déjà sur place, puisqu’il y a quinze ans, il a envoyé des troupes occuper des villages de Bakassi. Qui plus est, le président Obasanjo pouvait exploiter ce conflit pour s’ouvrir un boulevard pour le pouvoir. C’est une recette bien connue : entretenir un conflit ouvert est un moyen efficace pour prendre des libertés à l’égard de la légalité et pour susciter la passion nationaliste d’un pays qui fera instinctivement bloc derrière son chef. C’est George W. Bush qui a dit qu’on ne change pas le général en chef en pleine bataille. Et l’on sait que, au Nigeria, diverses forces ont essayé de s’opposer au processus de règlement devant la Cour internationale de justice.

On peut dire, il est vrai, que le Nigeria aspire à une place permanente au Conseil de sécurité, et qu’une action si dommageable à la paix ne pourrait pas contribuer à lui octroyer un bon curriculum vitae. Néanmoins, on conviendra qu’il faut un sens élevé des responsabilités pour donner priorité aux intérêts politiques et diplomatiques de son pays sur ses intérêts personnels. Cela n’aurait pas été la première fois qu’un politicien (même chef d’Etat) s’occupe de sa carrière personnelle au détriment de son pays.

Il faut rendre hommage aussi au Cameroun. Le pays de Paul Biya a évité de trop hausser le ton ; et il a, très tôt, pris l’initiative d’un arbitrage international. Et puis, quand les juges de la Haye lui ont donné raison en 2002, il a eu la sagesse d’admettre que le Nigeria ne puisse pas déménager immédiatement. Enfin, il a eu le triomphe modeste, contenant sa joie pour ne pas froisser les Nigérians outre mesure. Bon prince, il a même accueilli avec empressement la délocalisation au Nigeria de la cérémonie de rétrocession. Mais enfin, il a gagné.

Et c’est maintenant que tout commence. Les Camerounais vont devoir administrer un territoire assez éloigné de leurs côtes, et dont la population est majoritairement nigériane. Seront-ils sages suffisamment longtemps pour ne pas, dès demain, froisser les sentiments de ces populations dont on imagine la frustration plus ou moins grande ? Déjà, des mouvements sécessionnistes se manifestent, réclamant le maintien du territoire sous juridiction nigériane. Il est clair qu’il y a beaucoup de gens dont les intérêts politiques ou économiques les poussent à s’opposer à la perte de Bakassi et à pêcher en eau trouble pur amener l’histoire à faire machine arrière. On parle aussi de l’insécurité qui est grande sur le territoire. Le Cameroun aura fort à faire pour juguler le banditisme, ce genre de territoire constituant souvent un paradis pour des trafiquants en tous genres. Sans compter que le pétrole aiguise des appétits peu soucieux de la nécessité de la paix et des impératifs du développement.

Le Pays

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