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Ismaïla Sidibé, PDG de la chaîne Africable : “On n’a pas besoin de pointer un fusil sur quelqu’un pour avoir une fréquence”

Publié le mercredi 13 août 2008 à 11h55min

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Ismaïla Sidibé, PDG Africable

Ismaïla Sidibé est le PDG de la chaîne Africable, la chaîne qui efface les frontières. Très dynamique, il a les pieds sur terre, croit à ses idées, entreprend toujours avant de chercher une aide quelconque. Il croit fort aux capacités des Africains à prendre en charge leur destin et à se dessiner des lendemains meilleurs. A la faveur d’un séjour à Bamako sur son initiative, dans le cadre de l’émission de télé-réalité "Case Sanga 2", nous avons pu échanger avec lui. Lisez plutôt !

Sidwaya (S.) : Dans un contexte où les télévisions nationales africaines sont en proie à des difficultés, vous installez Africable. Quelles ont été vos motivations ?

Ismaïla Sidibé (IS) : Il faut d’abord comprendre ma vision des choses dans cet environnement dans lequel nous vivons. A l’instar de Neerwaya Multivision, je suis un câblo-opérateur. J’ai une société au Mali qui s’appelle Multicanal et qui vend des décodeurs, livre des abonnements.

Dans ces bouquets et chaînes, l’on constate qu’il y avait rarement des chaînes africaines ; la télévision nationale n’était pas encore sur satellite, etc. L’on se battait alors pour avoir les chaînes du Nord. Mais tout compte fait, étant au premier plan, nous sommes mieux placés pour voir l’impact de ces cultures étrangères véhiculées par les télévisions étrangères sur nos jeunes. La demande du public grandissant par rapport à l’information africaine, aux séries africaines, nous nous sommes dits qu’il était temps d’offrir quelque chose mais pas à un seul pays ; étant donné que nous sommes câblo-opérateur. Il s’agissait de quelque chose à travers lequel toute l’Afrique se reconnaîtrait. Le problème réel est que nous ne nous connnaissons pas. Lorsqu’on veut par exemple avoir des informations sur le Burkina Faso, c’est la télévision nationale qui monte un petit élément à envoyer à AITV ; qui recommente comme ça leur plaît et qui renvoie l’élément à son tour par le système CFI à toutes les télévisions nationales. C’était inadmissible. Nous nous sommes dit que l’information africaine, nous la prenons et toutes les télévisions partenaires ont chacune quinze (15) minutes chaque jour pour le Journal Télévisé (JT). Sans altération. Un Burkinabè qui a loupé le 20 h, peut deux à trois heures plus tard, trouver l’essentiel de l’information de chez lui en 15 mn sur Africable. En même temps, il a aussi toute l’actualité des pays voisins.

La deuxième motivation est d’ordre culturel. Il est inimaginable que nos enfants continuent à porter des chaussures de 20 kg avec des chaînes qui pendent au cou. Nos enfants passent le temps à mimer les 50 cent, parce que c’est la télévision. Est-ce que nous ne devons pas aujourd’hui donner d’autres repères à nos enfants ? Qui ils sont ? D’où ils viennent ? N’est-ce pas utile pour eux d’apprendre à connaître la place de l’indépendance à Dakar, la place des cinéastes à Ouagadougou ? Qui peut faire cela ? C’est la télévision. Enfin, je ne crois pas à une télévision locale. Nos économies ne sont pas assez fortes et la culture d’entreprise n’est pas assez forte. Nous avons décidé de créer une télévision continentale. Nous avons compris que si nous ne le faisons pas, ce sont encore ceux du Nord qui vont le faire à leur manière comme cela a été le cas avec CFI-TV, TV5, RFI. Est-ce que vous pensez que nos opérateurs n’ont pas assez d’argent pour créer une radio continentale ? Si. Pourquoi on devrait toujours laisser les autres faire ? A-t-on réellement besoin de pointer un fusil sur quelqu’un pour avoir une fréquence ? Nous sommes toujours convaincus qu’on ne peut rien faire.

S. : Sur quoi comptez-vous pour mettre en œuvre toutes ces idées ?

I.S : Nos propres moyens évidemment ! Lorsqu’on lançait Africable, nous n’avions même pas de caméras mais nous n’étions pas complexés. J’avance que Africable est un chantier ; comme tout chantier, il peut manquer du sable ou du ciment. Au moins, nous avons le mérite d’entreprendre ; et d’entreprendre suivant nos moyens. Nos ancêtres disent toujours que pour tuer quelqu’un, il faut le nourrir. Se laisser nourrir par les autres est pire que la colonisation. Quarante ans après les indépendances, nous avons toujours l’esprit mendiant = tendre la main. La science et la technologie étant universelles, nous avons la chance d’avoir le numérique. Aujourd’hui, Africable s’est étoffée grâce à cela. Nous y avons toutes les nationalités.
Certains gouvernements ont compris cela, comme celui du Burkina Faso qui n’a pas tardé à nous donner une fréquence. C’est le cas aussi au Sénégal, en Guinée-Conakry, au Niger, au Bénin, au Togo.

Nous avançons petit à petit avec nos moyens. Notre credo est que nous ne demandons jamais ni subvention, ni aide. Ceux qui veulent nous aider, qu’ils nous donnent du boulot et l’on l’exécutera bien et ils nous paieront. C’est du business !
Certains ont emprunté des milliards pour créer une compagnie de transport routier, construire des hôtels.
La télévision, c’est notre créneau d’investissements parce que nous sommes des Africains. Aujourd’hui, nous avons ouvert une brèche parce que nous croyons que nous pouvons.
Ceux qui nous ont toujours mystifiés disent la télé c’est des milliards, on va les surpasser. On peut aller à Dakar par la navette spatiale Columbia ou par Air Burkina, l’essentiel c’est d’arriver à temps.

S. : Nos Etats ont eu des projets communs qui ont malheureusement échoué avec le temps. Des projets comme Air Afrique, Africa N°1. Quelle peut être la particularité d’Africable qui relève du privé ?

I.S. : La particularité d’Africable est justement le fait d’être privée, car elle n’est pas soumise à la pression des Etats qui ont des quotas de ressortissants, mauvais payeurs de crédit.
D’autre part, l’existence d’une compagnie africaine ou d’une chaîne de radio panafricaine n’arrangeait pas ces Etats-là, ça n’arrange pas non plus aujourd’hui que l’on montre l’Afrique à l’Afrique, ou qu’on montre l’Afrique à l’Europe. Depuis une semaine, on a le bouquet Adewep télé, les australiens regardent Africable. C’est le droit de tout le monde de défendre son intérêt et son pain. Il y a eu des chaînes de télévision africaines privées qui ont tout fait pour contrer l’installation d’Africable dans ces pays, parce qu’ils n’ont pas compris. Nous ne venons pas retirer le pain de quelqu’un, nous avons nos propres difficultés comme tout le monde mais nous cherchons et trouvons des solutions.
C’est un chantier qui ne doit pas s’arrêter, Africable avance. Je n’aimerais pas qu’on nous compare à RFI ou Africa N°1, nous avons notre politique et souhaitons que la presse nous soutienne à aller de l’avant car Africable appartient à tous, à l’Afrique toute entière.

S. : Pour l’instant, Africable couvre la zone francophone et son concurrent direct est TV5. Est-ce que vous considérez TV5 comme concurrent ?

I.S. : TV5 n’est pas notre concurrent. Sur 85 ou 90% des images diffusées par TV5 il n’y a pas d’Africains. TV5 ne diffuse pas "Case Sanga", C’est moi la plus belle ou le Journal télévisé des télévisions africaines. Il n’y a pas de comparaison à faire. TV5 a autant sa place parce qu’installée ici depuis 1993, diffusée gratuitement dans tous les Etats. Depuis 15 ans, nous avons installé nos émetteurs de TV5, ils ne sont jamais revenus voir si tout marchait correctement. Nos Etats font tout pour maintenir ce système en vie, pendant que Africable installée en tant que chaîne privée fait 100 fois plus.

S. : La Télévision Africable a apporté des innovations dont les émissions de télé réalités comme "C’est moi la plus belle, "Case Sanga 2". A l’évocation de "Case Sanga", l’on remarque la joie qui vous anime. Est-ce que vous comptez beaucoup sur cette émission ?

I.S. : Pas obligatoirement. Nous avons en Afrique de l’Ouest, des Etats et des institutions d’intégration. La dotation de 3 000 puits par l’UEMOA à la Guinée-Bissau, ou la diffusion sur Africable de la culture du blé par le Burkina Faso, me font extrêmement plaisir, de même la réunion de 6 pays, 14 nationalités dans une case, me ravit, d’autant plus que je m’attelle à conscientiser notre jeunesse afin qu’elle sache qu’elle a la solution entre ses mains. j’aime bien répéter que ce n’est la faute à personne. On ne doit pas passer notre temps à se culpabiliser, à se prendre pour des victimes. Tout est libre, personne n’a le monopole de quoi que ce soit. Nous donnons des alternatives : au lieu de s’arracher les séries brésiliennes, nous mettons le téléspectateur africain au cœur de l’activité, du jeu. Est-ce que nous devons dire à nos enfants que ce sont les Brésiliens qui doivent fabriquer nos films. Ce qui nous pose problème, ce sont les systèmes créés. Le champ est ouvert, il nous suffit de nous lever et de construire notre Afrique, chacun par ses moyens. Le FESPACO, les fêtes d’indépendance, Africable a eu l’initiative de les diffuser sur tout le continent. Lorsque vous me comparer à TV5, depuis quand TV5 a déjà diffusé le FESPACO en direct, nos fêtes d’Indépendance ?

S. : Comment vous arrivez financièrement à vous en sortir ?

I.S. : C’est du sponsoring ! Par exemple sur l’émission. "C’est moi la plus belle", nous avons perdu un peu d’argent. Nous avons un gros problème. Les Africains ne croient pas en eux-mêmes. Lorsque vous avez une idée, rares sont ceux qui désirent appuyer cette idée-là. A la première édition de "Case Sanga", nous n’avons même pas eu plus de 20 millions CFA comme budget. Cette année, vous constatez avec moi qu’il y a beaucoup de sponsors. Tout simplement parce que nous avons réussi la 1re édition. Nous, notre credo, c’est que nous entreprenons toujours avant de chercher du soutien. Vous verrez qu’il y a près de 100 millions de jeunes africains qui ont des projets comme celui d’Africable. Le hic, ils n’entreprennent pas.

S. : Vous avez pu mobiliser combien de millions de francs CFA pour cette 2e édition de "Case Sanga" ?

I.S. : Ça, je ne vous le dirai pas ! En tout cas, nous avons des sponsors. Nous avons demandé du soutien de gauche à droite. Les uns et les autres n’ont qu’à prendre leur responsabilité. L’essentiel, c’est que nous avons montré à nos Etats et aux gouvernants africains que nous pouvons réunir des jeunes africains et que c’est le chemin le plus court (la culture) pour l’intégration.

S. : "Case Sanga" n’a pas intégré certains pays comme le Bénin, le Togo, la Côte d’Ivoire. Quelles sont les raisons ?

I.S. : Oui ! Oui ! Lorsqu’on lançait "Case Sanga", nous ne diffusions pas encore dans ces pays-là. Ensuite, nous n’avions pas non plus les moyens nécessaires pour faire participer tous les pays. Les castings dans les pays, nous avons assumé toutes les charges. Il nous a fallu faire un choix. C’est tout !

S. : Quelle est la politique même de Africable en matière de promotion de la culture africaine ?

I.S. : Montrer les Africains aux Africains ! C’est simple comme formule. Aujourd’hui par exemple, les Yeleen peuvent faire un concert réussi à Dakar parce que Africable y est. Sans Africable, Yeleen serait peut être dans son coin à Ouagadougou, à moins d’avoir la chance de passer sur une chaîne internationale. Nous avons toujours été aux côtés de la culture africaine. Il n’y a pas de grand festival en Afrique que nous ne couvrons pas. Je voudrais que ce que nos devanciers n’ont pas pu faire, que notre génération puisse le faire pour l’Afrique. Tout est d’abord une question d’acceptation et de fierté. Nous avons les moyens et les capacités de nous prendre entièrement en charge.

S. Est-ce que vous recevez souvent des encouragements de la part des gouvernants ?

I.S. : Ah oui ! Toujours ! Le président Abdoulaye Wade par exemple a pris un avion pour venir visiter Africable. Les encouragements sont de plusieurs formes. Mais je ne crois pas que donner de l’argent publiquement est une solution si en face nous ne créons pas une valeur ajoutée par rapport à cet argent-là. Pour moi, la meilleure manière de nous aider, c’est de nous donner du travail. Tous les gouvernements africains ont besoin de communication et de promotion. Je n’aime pas l’esprit mendiant : donne-moi, donne-moi ! Pourquoi ? En face, il faut toujours quelque chose, un boulot avec une rémunération.

S. Quel est votre rêve actuel pour Africable ?

I.S. : Que nous soyons cent fois mieux que CNN. Là-dessus je n’ai aucun complexe. Aujourd’hui, nous sommes sur trois satellites. Nous sommes vu sur toute l’Afrique, sur le bouquet web TV, dans le Moyen-Orient, au Magrheb. C’est aussi mon rêve, une coopération avec toutes les télévisions nationales africaines.

S. Est-ce que vous avez des projets pour des pays africains où on ne parle pas le français ?

I.S. : J’aimerai bien diffuser à Accra Africable en français et non en anglais. Par contre, créer des modules en anglais pour des Anglophones qui sont dans nos pays. Actu+ a une vision anglaise par exemple. Cela nous rapportera beaucoup plus. Celui qui a vu Actu+ à 20h, peut le regarder après en anglais. Cela va même aider nos étudiants. Mon principal souci aujourd’hui, c’est qu’il ne faut pas que les autres nourrissent nos enfants. Nos parents ont laissé les autres nous nourrir. Le faire à notre tour serait le pire des échecs. Nous ne devons pas accepter que le riz qui nous nourrit vienne de la Chine.
Ce n’est pas une affaire de gouvernement seulement. C’est notre responsabilité à tous.

Entretien réalisé par Ismaël BICABA (bicabai@yahoo.fr)
Envoyé spécial à Bamako

Sidwaya

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