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Djibril Diop Mambéty : Un autre cinéma

Publié le jeudi 24 juillet 2008 à 12h45min

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Hier, 2 3 juillet 2008, cela fait dix ans que le cinéaste Djibril Diop Mambéty nous quittait, emporté par un cancer du poumon. Homme d’écart et artiste d’éclat, il a apporté la poésie, le rêve et la fantaisie dans le cinéma africain longtemps accroché à une esthétique réaliste et sans aspérité. Ce qui en fait un cinéaste d’avant-garde adulé par la critique, mais dont les films restent incompris du public africain. Après dix ans, serait-ce l’heure des retrouvailles entre cette œuvre magistrale et son public ?

Ah ! Les mains de Djibril…

Il est des rencontres qui restent indélébiles dans la mémoire d’un homme. Sont de celles-là, la visite que nous fîmes au cinéaste, Djibril Diop Mambéty, lors du Fespaco 94. Emballé par ses films « Touki Bouki » et « Hyène », et par la lecture de quelques articles sur l’artiste, nous rêvions de le rencontrer. Il était déjà un mythe pour le jeune cinéphile que nous étions. A vingt-sept ans, il avait déjà fait « Touki Bouki » qui avait séduit à Cannes et imposé par son originalité.

Et puis, plus rien. A moins de 30 ans, il semblait avoir épuisé son capital de création. Pour nous, il appartenait à la famille des artistes tels Rimbaud, Verlaine ou Musset dont Heine a pu dire dans une formule très cruelle : « C’est un artiste qui a un passé prometteur ». Un silence de vingt ans. Et pendant qu’on le croyait perdu pour la création, le voilà qui ressurgit avec un film majeur unanimement salué par la critique. Insubmersible et incontournable.

Grâce au badge prêté par un étudiant commis à l’accompagnement d’invités anglophones du Festival nous avions eu accès à l’Hôtel de l’Indépendance. Devant nous, Djibril Diop Mambety.

Il était assis, sa longue carcasse pliée dans un fauteuil du hall et entouré par une cohorte de journalistes. D’emblée, j’ai été frappé par ses yeux bouffis, le regard vide et la voix d’outre-tombe, un murmure caverneux et paresseux à la recherche d’un souffre rare. Intimidé par cette figure entre le clochard et le fakir, nous baissions les yeux sur nos chaussures et quelquefois, nous nous enhardissions à lever les yeux et à les poser sur les mains de Mambéty.

Gros plan sur ses mains. Ah, ses mains ! Sur ses genoux, elles reposaient. Longues, avec des doigts longs et émaciés comme ceux d’un pianiste. Mais des doigts brûlés, les bouts et les ongles noircis par la braise des cigarettes ou des pétards. Pendant une heure, dans une immobilité de sphinx, il parlait de son film dans un langage si surréaliste que nous doutions que les auditeurs en comprissent mot.
Nous, nous regardions ses mains. Elles dormaient sur ses genoux, mais parfois elles s’éveillaient, s’étiraient, allaient l’une vers l’autre, s’étreignaient tels des amoureux pendant un moment, se séparaient à regret, et retombaient dans le sommeil sur les genoux. Parfois les doigts s’entrecroisaient dans une mêlée de lutteurs et on entendait les articulations craquer et les mains se quittaient lentement.

Après, elles allaient, chacune de son côté, fendre l’air, appuyer une parole, chercher un souffle et revenaient entremêlées se poser doucement sur les genoux. De notre rencontre avec Djibril Diop Mambéty, nous n’avions retenu aucune parole. Pourtant, il était poète dans ses propos, maître de la formule et de la métaphore jusqu’à l’indicible.
Il nous reste le film de ses longues mains exécutant un étrange ballet ! Et le souvenir d’un géant à la gestuelle d’une lenteur de yogi qui traduit, peut-être, la volonté du cinéaste de ne pas se soumettre aux choses du dehors. Et d’imposer son rythme au monde extérieur.

Un cinéaste original…

Si « le style c’est l’homme » comme le disait Buffon, alors c’est à partir de ces aspects du personnage qu’il faut décrypter l’œuvre du cinéaste. La virtuosité des mains imprime à sa caméra une façon de filmer très particulière. Une caméra qui danse. Entre virevolte et fulgurance.

Ce qui donne à ses films un cachet si particulier, un montage psychédélique si éloigné de la continuité narrative de fleuve tranquille du cinéma africain.
De son allure dépenaillée de Mbaye Fall athée et de beatnik, il y a la revendication d’une appartenance au monde des dépossédés. Il fut le cinéaste de Kolobane, le quartier mal famé de Dakar qui fut celui de son enfance et qui servit de cadre à tous ses films. Et tous les personnages de ses films sont des êtres à la marge.

A la marge de l’économie, de la famille, de la société. Dans « Touki Bouki » ce sont un berger et une étudiante qui se démènent pour s’arracher à un quotidien peu reluisant. Dans « Le Franc » c’est un musicien fauché, Marigo, sur le point d’être expulsé par son locataire, qui rêve de gros gain à la tombola ; « la petite vendeuse de soleil », c’est une enfant de la rue, dans « hyène », Linguère Ramatou est une paria qui revient dans son village peuplé d’individus que tenaille une tenace misère.

L’originalité de Djibril Diop Mambety, c’est que pendant que la plupart des cinéastes francophones sont influencés par le cinéma russe ou français, lui est séduit par le néoréalisme italien et par les films de Pasolini et de Visconti. D’où le recours à des comédiens non professionnels, et un certain onirisme qui en fait un anti-Sembène.
Ce sont surtout les métaphores et le symbolisme qui essaiment ses images qui font sa particularité. Dans « Touki Bouki », il établit un parallélisme entre les taureaux que l’on égorge dans les abattoirs et les misérables que l’on exploite et il alterne les séquences entre Mory qui tente d’échapper à un policier et le taureau traqué par les bouchers.
Pour dire que l’homme est aussi une bête traquée. Il y a aussi le parallélisme entre les troubles du musicien Marigo et le déchaînement de l’océan avec ses vagues géantes qui ballottent la frêle pirogue du pêcheur. Même l’érotisme est transposé sur les éléments de la nature.

Ainsi, l’étreinte passionnée des amants Mory et Anta est montrée au spectateur par le détour du brasier avec ses langues de feu qui brûlent intensément, et le ressac violent des vagues se brisant sur les rochers dit la montée du désir jusqu’à l’explosion orgastique, enfin l’apaisement des corps rassasiés est montré à travers le foyer éteint plein de cendres.

La démarche du nain dans « Le franc » est juxtaposée à celle de l’oie qui se dandine. Rapprochement d’un grand effet comique ! Paradoxalement, cette grande inventivité a longtemps dérouté le public africain habitué à une narration moins compliquée.
Dix ans après sa mort, le temps est venu pour son œuvre de prendre la place qui doit être la sienne auprès du public africain. Car après le cinéma solaire de Sembène Ousmane, il est temps d’essayer celui lunaire et paradoxal de Djibril Diop Mambéty. Un cinéma qui invite à explorer de nouvelles voies et témoigne de la possibilité d’une autre esthétique et d’un autre cinéma pour l’Afrique.

Djibril Diop Mambéty est une école. Abderrhamane Sissako semble le seul cinéaste à l’avoir compris. Avec ses films « En attendant le bonheur » ou « Bamako » et surtout « La vie sur terre », il apparaît comme l’héritier putatif. La folie et les excès de l’aîné en moins.

Barry Saidou Alceny

L’Observateur

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