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Maison d’arrêt de Niamey : 5 minutes avec ... Moussa Kaka

Publié le jeudi 17 juillet 2008 à 11h23min

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Le samedi 28 juin 2008, j’ai rendu visite à Moussa Kaka à la Maison d’arrêt de Niamey où il est écroué, depuis près de dix mois, pour « complicité d’atteinte contre l’autorité de l’Etat ». Au parloir où j’ai pu échanger avec lui, l’homme, qui se « considère maintenant comme un détenu politique », m’a parlé de ses conditions de détention et de ce qu’il pense de cette affaire pour laquelle il est en train de moisir en prison avant tout jugement.

En foulant le sol nigérien le 21 juin 2008 pour deux semaines, je nourrissais le secret espoir de pouvoir rendre une visite confraternelle au journaliste Moussa Kaka, correspondant de RFI (Radio France internationale) et Président directeur général (PDG) de la chaîne des radios Saraounia. Cela m’apparaissait comme un devoir. Le devoir de manifester ma compassion à un confrère qui traverse une dure épreuve. Mais comment rencontrer l’homme qui dérange tant le régime de Mamadou Tandja ?

Heureusement pour moi, j’avais eu la chance de rencontrer son épouse Djamila en 2004 à Dakar et à Conakry où nous avions participé à un séminaire d’une dizaine de jours sur la lutte contre la corruption. Je ne l’avais plus revue depuis, mais je savais qu’elle gérait la radio de son mari depuis septembre 2007, lorsqu’il a été déféré à la prison civile de Niamey.

Ma semaine étant particulièrement chargée, c’est finalement le week-end que j’ai pu dégager un temps libre pour aller la voir. J’ai sauté dans un taxi, direction, radio Saraounia.
Là, j’ai été conduit au bureau de la directrice par intérim, Mme Djamila Moussa Kaka. Après des salutations d’usage, je lui demande comment allait son mari et quand elle l’avait vu pour la dernière fois ?

Contrairement à ce que je pensais, elle m’a annoncé qu’elle voyait son mari tous les jours et pratiquement à trois reprises : matin, midi et soir. Et moi de lui demander si je pouvais également rencontrer son époux ? Sans être affirmative, elle me promet de m’arranger ça. Une demi-heure plus tard, à peine le temps qu’il faut pour « écluser » une « conjoncture » ainsi qu’on baptise ici la bière locale, nous étions à bord de sa voiture en partance pour la Maison d’arrêt de Niamey.

La prison est située à un jet de pierre de la radio. C’est un vieil édifice aux allures coloniales. En guise de mur d’enceinte, un grillage de moins de 2 m de haut si bien que du dehors, on a une vue sur une partie de la cour carcérale. Une minuscule ouverture dans ce grillage fait office de porte d’entrée.

Des gardes de la sécurité pénitentiaire (GSP) sont assis sur un banc et filtre les entrées des visiteurs. On y entre par petits groupes, pour juste quelques minutes. Une dizaine tout au plus. A l’ombre d’un arbre, je patiente, le temps que Djamila aille plaider ma cause auprès des GSP. Quelques instants plus tard, elle revient avec la bonne nouvelle : « on pourra voir Moussa Kaka pour cinq petites minutes. Mais pas d’appareil photo, pas de dictaphone ». C’est la consigne. Et je m’y conforme volontiers, me disant in petto, « c’est déjà ça de gagné ».

Précédé par la ravissante conjointe de l’illustre embastillé, j’entre dans la cour après avoir laissé mon appareil photo auprès des GSP. Sous le hangar, Moussa Kaka, averti de notre visite, attendait déjà. L’entrevue s’est passée « debout-débout » comme on dit.
L’homme semble en forme malgré le poids de la prison qui pèse visiblement sur lui, même s’il a failli de peu quitter l’univers carcéral le 23 juin dernier, lorsque le juge d’instruction lui a délivré une ordonnance de mise en liberté provisoire. Mais comme on le sait, le parquet avait immédiatement fait appel de cette ordonnance. Résultat des courses : Moussa Kaka restera en prison jusqu’à ce qu’une cour d’appel tranche sur son éventuelle libération.

Qu’à cela ne tienne, le correspondant de RFI s’accroche à sa courte victoire : « Le dossier est vide. Le juge qu’ils ont choisi pour me noyer m’a blanchi. Il a écouté les cassettes et il n’a rien trouvé dedans qui justifie mon arrestation. C’est pour cela que, désormais, je me considère comme un prisonnier politique. On doit me libérer, mais on me retient pour des raisons politiques ».

Il s’est dit très confiant en la justice de son pays, car les magistrats, malgré les entraves du parquet, montrent qu’ils maîtrisent bien leur travail. « Si le droit est dit, je serai libéré parce qu’au fond, il n’y a rien contre moi ».

Au sujet d’ailleurs de ces fameuses cassettes, fruits des écoutes téléphoniques dont il a été victime et qui lui valent aujourd’hui son sort peu enviable, Moussa Kaka a assuré que ce n’est que pur montage. « C’est ma voix sur les bandes. Mais ils ont fait un montage. Je fais de la radio depuis longtemps. Quand on écoute les bandes, on se rend immédiatement compte du montage. Un grossier montage que tout stagiaire radio peut rapidement démasquer. Moi, je n’ai eu des contacts avec les rebelles que dans le cadre de mon travail de journaliste ».

S’il ne fait que son boulot, pourquoi est-ce que le pouvoir de Niamey lui en veut tant alors ? Selon notre interlocuteur, « le régime m’en veut parce que j’ose parler de la rébellion. Vous savez, les seules images de la rébellion, tournées par France 2, l’ont été grâce à moi. C’est moi qui ai guidé l’équipe de reportage dans les montagnes pour rencontrer les rebelles. Ce n’est pas un crime. France 2 m’a utilisé comme un guide. Je n’ai fait que mon travail ».

Sur ses conditions de détention, Moussa Kaka a déclaré qu’il n’avait pas à trop se plaindre. Il dort sur un matelas, il a une moustiquaire et un ventilateur. Il écoute la radio et lit les journaux. Il assure que tout se passe bien entre lui et ses codétenus. « Nous sommes sept dans notre cellule ». De plus, sa famille lui rend régulièrement visite, ne serait-ce que pour lui apporter à manger. Une prison « 5 étoiles » donc, maigre consolation pour cette liberté qu’on lui a volée.

De son cachot, il dit suivre l’évolution de sa chaîne de radios, rendant au passage hommage à son épouse grâce à qui tout continue à bien fonctionner. Il dit aussi suivre l’actualité politique de son pays avec une attention particulière, notamment l’arrestation de Hama Amadou, ancien Premier ministre.

Au passage, le PDG des 5 stations radios Saraounia FM a tenu à remercier toute la presse régionale et internationale pour le soutien très confraternel dont il bénéficie depuis septembre 2007. « Je vous remercie pour tout ce que vous faites pour moi ».
Cinq minutes, c’est vite passé malgré le bonus de temps accordé et déjà les GSP commencent à siffler la fin de la visite. Les uns et les autres se dépêchent de dire au revoir. Je prends aussi congé de Moussa Kaka, non sans une certaine émotion.
Retour à la radio. Il est presque 12 heures. Je visite des sections comme le studio et le centre multimédias (cybercafé) de radio Saraounia. J’ai pu ainsi me rendre compte de la détermination des employés à poursuivre le combat même en l’absence de leur patron. Les différents clubs d’auditeurs de la station continuent toujours de tenir leur réunion au sein de l’immeuble de la radio qui surplombe le grand marché de Niamey.

Avant de quitter Djamila, je lui fais part de ma surprise de voir que malgré tout son mari tient le coup de la prison. Elle m’a murmuré de ne pas me fier aux apparences. « Il cache bien ses émotions et ses sentiments. Moi qui le connais bien, je sais qu’il souffre énormément et que ça ne va pas contrairement à ce qu’il veut laisser voir ». Qui mieux qu’elle peut juger de cela ?

Elle promet, en tout cas, que dès qu’il quittera le centre pénitentiaire, de lui donner un congé sabbatique, en l’éloignant un bout de temps du micro afin qu’il puisse se reposer, se ressourcer et se reconstituer. Mais quand est-ce qu’il sera libre ? Dieu seul sait.

San Evariste Barro

L’Observateur

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