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Marie-Christine Saragosse, nouvelle D.G : "TV5 monde ne doit pas perdre son âme"

Publié le vendredi 11 juillet 2008 à 11h19min

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Pour sa première sortie africaine, la nouvelle directrice générale de TV5 monde arrive aujourd’hui au Burkina en provenance du Sénégal. Marie-Christine Saragosse aura, pendant son séjour, une série de rencontres avec les premiers responsables burkinabè (dont, probablement, une audience avec le président Blaise Compaoré) avant d’offrir un pot d’amitié au monde des médias burkinabè. Une occasion, sans doute, pour les journalistes d’approfondir avec elle les questions touchant à la vie de la chaîne francophone et soulevées dans cet entretien, qu’elle nous a accordé depuis Paris avant de prendre son vol.

En vous souhaitant la bienvenue au Burkina Faso, la première question qui vient à l’esprit est celle-ci : pourquoi le choix du Burkina, au vu des audiences hebdomadaires publiées dans votre communiqué de presse du 24 mai 2008 Ouagadougou avec 40% d’audience, venant derrière d’autres villes comme Bamako (72%) ou Abidjan (51%) ?

• Le Pays des hommes intègres n’est pas un pays ordinaire pour TV5. C’est ici, à Ouagadougou, que le concept de « Maison de TV5 », si cher à toute l’équipe de la chaîne, est né. En 2001, j’ai inauguré la première Maison en compagnie de la Directrice de TV5 Afrique, Denise Epoté, grâce à Paul Ismaèl Ouédraogo, alors secrétaire de la commission nationale pour la Francophonie, qui en était le concepteur. Depuis, elles se sont multipliées au Faso et dans d’autres pays d’Afrique. On en compte aujourd’hui 18.

En second lieu, le Burkina Faso s’est toujours illustré par son engagement dans le domaine cinématographique. Le FESPACO est une référence internationale. Or le cinéma africain, les cinéastes africains et africaines (j’ai eu le plaisir d’accueillir ces dernières à Cannes pour le festival), occupent une place très importante pour TV5 monde : nous sommes la plus grande salle de cinéma des films africains du monde !

Enfin, le Burkina, en dépit de ses fortes contraintes budgétaires, a longtemps tenu à contribuer, à la mesure de ses moyens, au développement de TV5 monde. Les pays d’Afrique à l’avoir fait sont peu nombreux. Cet engagement mérite d’être salué.

C’est pour toutes ces raisons que je souhaitais, à l’occasion de mon premier voyage en Afrique, revenir au Burkina Faso, où je compte de nombreux amis. Que les performances de TV5 monde puissent être améliorées ici est une raison supplémentaire pour moi d’être parmi vous, car mon but, dans les mois qui viennent, est d’attirer toujours plus les téléspectateurs burkinabè sur notre antenne et notre site.

Selon un, source généralement bien informée, c’est de haute lutte que vous avez accédé cette année au poste prestigieux de D.G. de TV5 monde. Votre nomination serait intervenue après deux premières tentatives, infructueuses. Qu’est-ce qui explique que la troisième ait été la bonne ?

• Votre source n’est pas totalement bien informée ! Dans le passé, il est vrai, j’ai été candidate pour être PDG de TV5 monde à deux reprises. Puis, j’ai quitté TV5 début 2006 et, cette fois, on est venu me chercher. Je n’ai donc pas eu à mener une « haute lutte ». Peut-être était-ce parce que j’étais partie, que je n’attendais rien que ma nomination a été possible ? Je pense, en tous cas, que la confiance d’Alain de Pouzilhac a été décisive ainsi que le soutien des pays partenaires de la chaîne.

Il n’empêche, les mêmes sources y voient volontiers un coup de pouce du président Abdou Diouf, l’actuel locataire du Secrétariat général de l’Organisation internationale de la Francophonie. Votre commentaire quand on sait par ailleurs que vous venez de Dakar ?

• Le Président Abdou Diouf a toujours été un très grand soutien pour moi. Il a, sans aucun doute, contribué à cette confiance qu’Alain de Pouzilhac me témoigne, car l’avis du Président Diouf compte beaucoup. Le lien avec Dakar est autre : je m’y suis rendue pour retourner aux sources de TV5 Afrique, qui est née à Dakar il y a 15 ans , sous le haut patronage du Président Diouf, il est vrai. J’avais besoin de renouer le lien avec le continent africain. TV5 monde va être plus que jamais aux côtés de l’Afrique, en Afrique et hors d’Afrique. Voilà mon message.

Brillante énarque, vous vous êtes surtout spécialisée dans l’audiovisuel public et avez, à ce titre, occupé plusieurs postes jusqu’au Quai d’Orsay. Avec quelles ambitions accédez-vous à votre nouveau poste ? En d’autres termes, quelles innovations entendez-vous imprimer à ce grand opérateur de la Francophonie qu’est TV5 ?

• TV5 monde est, plus encore que d’autres, confrontée partout dans le monde à la révolution numérique et à la concurrence des chaînes locales, toujours plus nombreuses. Elle se doit donc d’accélérer le processus par lequel elle deviendra un média global, présent sur tous les écrans, du plus grand (hall d’aéroport ou maisons de TV5), au plus petit (téléphonie mobile), sans oublier les écrans d’ordinateurs et, bien sûr, le média-maître, le téléviseur classique. Cela implique de décliner nos programmes en fonction des supports, d’inventer de nouvelles formes d’écriture télévisuelle, de créer de nouveaux contenus pour de nouveaux publics, qui ne consomment plus l’image de la même façon.

Ce faisant, pourtant, TV5 monde ne doit pas perdre son âme : de l’audience, oui, mais avec du sens. Nous ne sommes pas une télévision comme les autres. Nous portons les valeurs de la Francophonie, nous sommes partenaires de plusieurs télévisions francophones (Francetélévisions, Arte, RTBF, TSR, Radiocanada, Téléquébec et, à travers le CIRTEF, les télévisions publiques africaines…), nous sommes la vitrine de nombreux pays francophones (Belgique, Suisse, Québec, Canada, France…), voire d’un continent, l’Afrique, qui, sans TV5 monde, serait bien souvent muette dans le paysage audiovisuel mondial. Nos programmes doivent être choisis en tenant compte de notre mission particulière, qu’il s’agisse des programmes fournis par nos partenaires, de ceux que nous achetons ou de ceux que nous produisons.

Ces derniers doivent nous permettre de créer plus de proximité avec ceux qui nous regardent, d’aller à leur rencontre. Nos programmes doivent aussi nous permettre de nous engager dans des causes justes : le développement durable, la lutte contre les grandes pandémies ou contre les discriminations, et je pense, en particulier, à celles que subissent les femmes dans de nombreux pays. Mais, s’il nous faut éclairer et informer, il nous faut aussi divertir. Ce sont là les missions d’une chaîne de service public généraliste, et TV5 monde en est une, avec la particularité d’être diffusée mondialement.

Ces derniers temps, face à la création et à la montée en audience de la chaîne franco-française France 24, on a pu craindre pour l’avenir de la chaîne intergouvernementale TV5. Vu la part budgétaire de la France dans le fonctionnement de cette dernière chaîne, on a craint que France 24 n’en vienne à phagocyter, d’une manière ou d’une autre, TV5. Pouvez-vous nous donner l’assurance que cette chaîne conservera son statut et, surtout, sa place comme « l’un des principaux médias francophones dans le monde » ?

• Absolument. L’accord intervenu en avril dernier entre les pays francophones en charge de TV5 monde fait de la chaîne un partenaire et non une filiale de la holding française, afin de tenir compte de son caractère multilatéral. Il dissocie le poste de Président du Conseil d’administration de TV5 monde, confié au PDG de la holding audiovisuelle extérieure française, Alain de Pouzilhac, et celui de directrice générale de la chaîne, qui m’est confié. Il exclut la création d’une « news fabric » unique regroupant l’ensemble des rédactions de : France 24, RFI et TV5 monde. L’identité de TV5 monde, la spécificité de sa marque doivent, au contraire, être cultivées.

C’est la volonté clairement exprimée par Alain de Pouzilhac. Cultiver notre identité, en matière d’information en particulier, c’est accentuer la dimension « regards croisés » de nos journaux, qui mettent en perspective les analyses de plusieurs rédactions partenaires à côté des reportages produits par la rédaction de TV5. C’est aussi faire une large place au Sud, tant dans nos éditions que par la production d’un journal Afrique diffusé partout dans le monde.

Dans les innombrables réformes sarkoziennes, il est question de priver les chaînes publiques de la manne publicitaire. Si oui, dites-nous ce qui peut bien motiver une telle mesure et si sa prise d’effet n’affectera pas structurellement le budget de fonctionnement de TV5, et, partant, sa pérennité.

• TV5 monde continue à être autorisée à commercialiser les écrans publicitaires de ses différents signaux. Elle devra revoir l’organisation de cette commercialisation, pour son signal France-Belgique-Suisse, qui était confié à Francetélévisions Publicité en couplage avec les chaînes du groupe public français. A ce jour, TV5 monde a, en effet, vu ses recettes publicitaires diminuer de moitié sur ce signal et cette perte n’est pas compensée.

Un des « hommes-troncs » les plus célèbres de France, le présentateur vedette du JT de 20 h 00 sur TF1, PPDA, vient d’être évincé et a présenté son dernier 20 h sur TF1 ce jeudi 10 juillet. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs africains pourquoi, pour célébrissime que soit Patrick Poivre d’Arvor, son éviction est plus qu’un événement de portée nationale ?

• Je n’ai aucune lumière particulière sur ce sujet, qui relève d’une chaîne privée, TF1, avec laquelle TV5 monde n’a aucun lien. Il vaudrait mieux poser la question aux intéressés.

Vous le disiez en début d’entretien, c’est à un de nos compatriotes, Paul Ismaèl Ouédraogo, alors au secrétariat de la Commission nationale pour la Francophonie, qu’on doit le concept de « Maison TV5 ». Pour le moment, l’idée ne couvre que les grandes villes africaines. A quand la généralisation du concept jusqu’aux plus petits hameaux ?

• Continuer à développer les maisons de TV5 grâce à des partenariats avec d’autres opérateurs de la Francophonie et à l’aide de nos pays partenaires ou de partenaires privés sera un axe de notre futur plan stratégique, qui sera soumis aux ministres en charge de TV5 monde à l’automne prochain au Canada.

L’Afrique sera, de façon générale, une des thématiques fortes de ce plan stratégique, tant par des évolutions en matière de distribution de nos signaux que des sous-titrage à destination de l’Afrique anglophone, de production d’émissions nouvelles dans les domaines du développement durable et de la santé, de nouveaux contenus multimédias : après le portail Afrique, lancé à l’occasion de ce voyage, un projet de web TV, TV5Afrique Plus est à l’étude pour valoriser les programmes africains de TV5 et les rendre accessibles dans le monde entier à tout moment.

Propos recueillis par Ousséni Ilboudo

L’Observateur

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